de Sainte Eulalie de Mérida
(Bibliothèque de Valenciennes)
Buona pulcella fut Eulalia.
Eulalie était une bonne jeune fille,
Bel avret corps bellezour anima.
Elle avait le corps beau et l'âme plus belle encore.
Voldrent la veintre li Deo inimi.
Les ennemis de Dieu voulurent la vaincre,
Voldrent la faire diaule servir.
Ils voulurent lui faire servir le Diable.
Elle no'nt eskoltet les mals conselliers.
Elle n'écoute pas les mauvais conseillers
Qu'elle De o raneiet chi maent sus en ciel.
qui lui demandent de renier Dieu qui demeure là-haut dans le Ciel.
Ne por or ned argent ne paramenz.
Ni pour de l'or, ni pour de l'argent, ni pour des bijoux,
Por manatce regiel ne preiement.
Ni par la menace ni par les prières du roi,
Niule cose non la pouret omque pleier.
Rien ne put jamais la faire plier, ni amener
La polle sempre non amast lo Deo menestier.
La jeune fille à ne pas aimer toujours le service de Dieu.
E por o fut presentede Maximiien.
Et pour cette raison, elle fut présentée à Maximien,
Chi rex eret a cels dis soure pagiens.
Qui était en ces temps-là le roi des païens.
Il li enortet dont lei nonque chielt.
Il lui ordonna, mais peu lui chaut,
Qued elle fuiet lo nom chrest iien.
De renoncer au titre de chrétienne.
Ell'ent adunet lo suon element.
Elle rassemble sa force.
Melz sostendreiet les empedementz.
Elle préfère subir la torture plutôt
Qu'elle perdesse sa virginitét.
Que de perdre sa virginité :
Por os furet morte a grand honestét.
C'est pourquoi elle mourut avec un grand honneur.
Enz enl fou lo getterent com arde tost.
Ils la jetèrent dans le feu pour qu'elle brûlât vite ;
Elle colpes non avret por o nos coist.
Elle n'avait pas commis de faute, aussi elle ne brûla point.
A czo nos voldret concreidre li rex pagiens.
Le roi païen ne voulut pas accepter cela :
Ad une spede li roveret tolir lo chieef.
Avec une épée, il ordonna de lui couper la tête.
La domnizelle celle kose non contredist.
La jeune fille ne protesta pas contre cela.
Volt lo seule lazsier si ruovet Krist.
Elle veut quitter le monde, elle prie le Christ.
In figure de colomb volat a ciel.
Sous la forme d'une colombe, elle s'envole au Ciel.
Tuit oram que por nos degnet preier.
Prions tous qu'elle daigne intercéder pour nous,
Qued auuisset de nos Christus mercit.
Afin que le Christ ait pitié de nous
Post la mort et a lui nos laist venir.
Après la mort et nous laisse venir à lui
Par souue clementia.
Par sa clémence.
Hymes et prières à Sainte Eulalie de Mérida
Poème de Federico García Lorca
‘’Martirio de Santa Olalla’’ (Eulalia, Baia de Mérida)
in « Romancero gitano » (1928)
(I Panorama de Mérida, II Le martyre, III Enfer et gloire)
Hymne en l’honneur de la passion de la bienheureuse martyre Eulalie
du poète Prudence (Aurelius Prudentius Clemens)
Poème (« Liber Peristephanon - 3 », ~ IVe siècle) comprenant 43 strophes
de cinq trimètres dactyliques hypercatalectiques (soit 215 vers)
‘’Hymnus in honorem Passionis Eulaliæ Beatissimæ Martyris’’
1 Noble par son ascendance, Eulalie est plus noble encore par le genre de sa mort : vierge sainte, ses ossements sont l’ornement de sa ville de Mérida au sein de laquelle elle a vu le jour et sur laquelle veille son amour.
6 Tout près du couchant est le lieu qui reçut cet honneur insigne, puissant par sa ville, riche de ses habitants, mais plus puissant encore par le sang du martyre et le tombeau virginal.
11 Après trois et neuf cycles, elle avait atteint quatre fois trois hivers, quand, dans les crépitements du bûcher, elle terrifia, farouche, les bourreaux tout tremblants, considérant que le supplice lui était doux.
16 Elle avait déjà laissé entrevoir précédemment qu’elle se dirigeait vers le trône du Père et que ses membres n’étaient pas destinés au lit nuptial : elle avait d’elle-même refusé les hochets, toute petite, ne sachant pas s’amuser.
21 Elle méprisait les bijoux d’ambre, pleurait devant les roses, rejetait les colliers d’or fauve ; le visage sérieux, le pas humble, elle avait médité, quand son caractère était tout jeune, la sagesse chenue des vieillards.
26 Mais lorsque le fléau se dresse en fureur contre les serviteurs du Seigneur et que, sanglant, il ordonne aux chrétiens de faire fumer de l’encens et de brûler le foie de bestiaux pour les dieux porteurs de mort,
31 l’esprit sanctifié d’Eulalie grogne là-contre ; elle se prépare, avec son tempérament fougueux, à des combats violents ; cette femme, dont le cœur sans apprêts aspire à Dieu, provoque les armes des hommes.
36 Mais les pieux soucis parentaux font en sorte que l’ombrageuse vierge reste cachée chez elle, retirée dans la campagne et loin de la ville, de peur que, farouche, la jeune fille ne s’élance vers le prix du sang par amour de la mort.
41 Elle a horreur de supporter l’avantage de la tranquillité, avec un retard honteux ; de nuit, sans témoin, elle fait bouger les portes et, dans sa fuite, ouvre les barrières closes, puis de là, emprunte un chemin à travers champs.
46 Elle pénètre, les pieds déchirés, dans des lieux abandonnés et hérissés d’épines, escortée par un chœur d’anges ; même si l’affreuse nuit reste silencieuse, elle possède pourtant une lumière comme guide.
51 Ainsi, la noble troupe ancestrale possédait un rayon en forme de colonne, capable de trancher les ténèbres et qui, dans une nuit éclaircie par son flambeau, a fourni un chemin alors que le chaos s’évanouissait.
56 Ce n’est pas autrement que la pieuse vierge, ayant suivi son chemin dans la nuit, a gagné le jour ; elle ne fut pas recouverte de ténèbres, tandis qu’elle fuyait les royaumes de Canope et qu’elle se préparait une voie au-dessus des astres.
61 À marche forcée durant tout le temps du sommeil, elle parcourt de nombreux milles avant que l’Orient n’ouvre le ciel ; de bon matin, elle se présente au tribunal, fière, et se tient au milieu des faisceaux.
66 Elle hurle : « Je le demande, quelle est cette folie furieuse, de perdre des âmes qui se précipitent, d’abaisser devant des rochers polis des cœurs qui ont le tort de faire bon marché d’eux-mêmes, et de nier le Dieu Père de toute chose ?
71 « Vous recherchez, groupe misérable, la race des chrétiens ? Eh bien me voici. Ennemie des sacrifices démoniaques, je foule les idoles aux pieds et je confesse Dieu en mon cœur et sur mes lèvres.
76 « Isis, Apollon, Vénus, ça n’est rien, Maximien lui-même n’est rien. Ceux-là, parce qu’ils sont fabriqués de main d’homme, celui-ci parce qu’il vénère ce qui est manuellement fabriqué ; pacotille sont les uns et l’autre, ils ne sont rien.
81 « Maximien, seigneur des biens de ce monde et pourtant lui-même client de pierres, prostitue et voue à ses divinités sa propre tête : mais pourquoi frappe-t-il des cœurs pleins de noblesse ?
86 « Ce bon empereur, ce juge remarquable s’abreuve de sang innocent et, guettant la bouche ouverte les corps des fidèles, déchire leurs sobres entrailles et se réjouit de mettre leur foi à la torture.
91 « Allons donc, bourreau, brûle, tranche, sépare les membres unis avec de la boue ! Il est facile de désagréger une réalité faite pour disparaître, mais avec l’aiguillon de la douleur, on n’atteindra pas l’âme qui est à l’intérieur. »
96 Mis en fureur par de tels propos, le préteur dit : « Saisis cette provocatrice, licteur, et accable-la de supplices ! Qu’elle sente qu’il y a des dieux ancestraux et que le pouvoir du prince n’est pas chose légère.
101 « Comme j’aimerais pourtant, avant ton trépas, si cela est possible, te faire revenir, sale gamine, de ta méchanceté ! Regarde quelles joies tu sacrifies, tout ce que t’apportera un honorable mariage !
106 « Ta famille effondrée te suit en larmes et ton noble lignage, anxieux, gémit devant ce que tu fais périr dans la tendre fleur de ta jeunesse, toi qui es toute proche de la dot et de l’hymen.
111 « Le prestige doré du mariage ne t’émeut-il donc pas, et la vénérable piété des vieillards que, téméraire, tu fais chanceler ? Voici que sont prêts les dispositifs d’un trépas dans les tortures :
116 « soit ta tête sera frappée du glaive, soit tes membres seront déchirés par les fauves, ou alors, livrée aux torches enfumées et objet de pitoyables lamentations pour les tiens, tu t’écouleras, réduite en cendres.
121 « Cela, je le demande, quelle difficulté y a-t-il d’y échapper ? Toucher une pincée de sel et un peu d’encens du bout de tes doigts : si tu voulais gentiment le faire, vierge, la lourde peine disparaîtrait, au loin. »
126 À cela, la martyre ne répond rien, mais de fait, elle grogne et lance un crachat dans les yeux du tyran, puis elle renverse les statues et foule aux pieds la galette placée dans les cassolettes.
131 Sans retard, la paire de bourreaux déchire sa poitrine souple comme le jonc, les ongles de fer attaquent les deux flancs de la vierge et les tranchent jusqu’à l’os, tandis qu’Eulalie fait le compte de ces marques.
136 « Voici que tu es inscrit sur moi, Seigneur : que j’aime à lire ces traits qui marquent tes victoires, ô Christ ! Ce nom sacré, la pourpre même du sang qui jaillit le prononce ! »
141 Elle chantait cela sans pleurs ni gémissements, joyeuse et intrépide. La douleur funeste est absente de l’âme et les membres peints d’un sang nouveau lavent sa peau à cette source qui tiédit.
146 Puis ce sont les dernières tortures : non pas la lacération qui blesse jusqu’à la claie des os, ni le labour de la peau, mais la flamme des torches qui, partout, fait fureur sur les flancs et sur le ventre.
151 Tandis que la chevelure parfumée avait glissé sur la gorge, enveloppant les épaules, afin que la chaste pudeur et l’honneur virginal soient cachés, voilés par cette parure de la tête,
156 la flamme pétillante s’envole vers le visage et, croissant le long des cheveux, s’empare de la tête et en dépasse le sommet. La vierge, désireuse d’une mort prompte, recherche le feu du bûcher et l’avale.
161 Alors, une colombe s’élance soudain ; on la voit, plus blanche que neige, quitter la bouche de la martyre et se diriger vers les astres : c’était l’esprit d’Eulalie, tout de lait, rapide, innocent.
166 Le cou s’incline tandis que l’âme s’en va, et le bûcher enflammé s’éteint ; la paix est donnée aux membres inanimés, le souffle dans le ciel frémit, triomphant, et gagne les demeures élevées, à tire d’aile.
171 Le sbire lui aussi a vu l’oiseau sortir de la bouche féminine, aux yeux de tous ; stupéfait et étonné, il s’élance et fuit ses forfaits, et le licteur lui aussi s’enfuit effrayé.
176 Voici que l’hiver de glace fait tomber la neige et recouvre toute la place, il recouvre en même temps les membres d’Eulalie gisant sous le ciel gelé, en lieu et place d’un petit suaire de lin.
181 Qu’il cesse, l’amour des hommes en larmes qui ont coutume de célébrer les obsèques, qu’il cesse, l’office des pleurs ! Les éléments eux-mêmes, sur l’ordre de Dieu, te procurent des funérailles, ô vierge.
186 Maintenant, Mérida est le lieu de la tombe, illustre colonie de Vettonie que longe le fameux fleuve Ana et dont il baigne les beaux remparts avec son courant verdoyant.
191 Ici, où grâce au marbre translucide, une auguste demeure brille d’un éclat aussi bien étranger qu’indigène, la vénérable terre garde en son sein les reliques et les cendres sacrées.
196 Au-dessus, les toits étincelants brillent de leurs lambris dorés, et les pierres des mosaïques apportent leur variété au sol, si bien que l’on croit qu’un pré couvert de roses rougeoie avec des fleurs diaprées.
201 Cueillez des violettes pourpres et moissonnez les crocus sanglants ! L’hiver fécond n’en manque pas, la glace tiédie n’enserre plus les champs, au point que nos corbeilles débordent de fleurs.
206 Ces présents cueillis dans la chevelure des feuilles, jeune fille, garçon, offrez-les ! Quant à moi, j’apporterai au milieu du cortège des guirlandes tissées dans un mètre dactylique, humbles, fanées mais festives.
211 C’est ainsi qu’il convient de vénérer les ossements et l’autel placé sur les ossements. Elle, se tenant aux pieds de Dieu, regarde cela et, apaisée par le chant, protège son peuple.
Source : Pierre-Yves Fux, « PRUDENCE ET LES MARTYRS : HYMNES ET TRAGÉDIE », « Peristephanon 1. 3-4. 6-8. 10 », « Commentaire », (martyre de Sainte-Eulalie p. 61-106), in « 55 PARADOSIS, Beiträge zur Geschichte der altchristlichen Literatur und Theologie. » (Universität Freiburg Schweiz, "© 2013 by Academic Press Fribourg" - Suisse, Switzerland).