Manuscrit C
Manuscrit autobiographique dédié A la révérende mère Marie de Gonzague (1897).
J.M.J.T.
Juin 1897
Ma Mère bien-aimée, (NHA 1001) vous m'avez témoigné le désir que j'achève avec vous de Chanter les Miséricordes du Seigneur. (NHA 1002) (Ps 89,2) Ce doux chant, je l'avais commencé avec votre fille chérie, Agnès de Jésus, qui fut la mère chargée par le Bon Dieu de me guider aux jours de mon enfance ; c'était donc avec elle que je devais chanter les grâces accordées à la petite fleur de la Sainte Vierge, lorsqu'elle était au printemps de sa vie, mais c'est avec vous que je dois chanter le bonheur de cette petite fleurette maintenant que les timides rayons de l'aurore ont fait place aux brillantes ardeurs du midi. Oui c'est avec vous, Mère bien-aimée, c'est pour répondre à votre désir (NHA 1003) que je vais essayer de redire les sentiments de mon âme, ma reconnaissance envers le bon Dieu, envers vous qui me le représentez visiblement ; n'est-ce pas entre vos mains maternelles que je me suis livrée entièrement Lui ? O ma mère, vous souvient-il de ce jour ?... (NHA 1004) Oui je sens que votre coeur ne saurait l'oublier... Pour moi je dois attendre le beau Ciel, ne trouvant pas ici-bas de paroles capables de traduire ce qui se passa dans mon coeur en ce jour béni. Mère bien-aimée, il est un autre jour où mon âme s'attacha plus encore à la vôtre si c'est chose possible, ce fut celui où Jésus vous imposa de nouveau le fardeau de la supériorité. En ce jour, ma Mère chérie, vous avez semé dans les larmes mais au Ciel, vous serez remplie de joie (Ps 126,5-6)
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en vous voyant chargée de gerbes précieuses. (NHA 1005) O ma Mère, pardonnez ma simplicité enfantine, je sens que vous me permettez de vous parler sans rechercher ce qu'il est permis à une jeune religieuse de dire à sa Prieure. Peut-être ne me tiendrai-je pas toujours dans les bornes prescrites aux inférieurs, mais ma Mère, j'ose le dire, c'est votre faute : j'agis avec vous comme une enfant parce que vous n'agissez pas avec moi en Prieure mais en Mère... Ah ! je le sens bien, Mère chérie, c'est le Bon Dieu qui me parle toujours par vous. Bien des soeurs pensent que vous m'avez gâtée, que depuis mon entrée dans l'arche sainte, (Gn 7,13) je n'ai reçu de vous que des caresses et des compliments, cependant il n'en est pas ainsi ; vous verrez, ma Mère, dans le cahier contenant mes souvenirs d'enfance, ce que je pense de l'éducation forte et maternelle que j'ai reçue de vous. Du plus profond de mon coeur je vous remercie de ne m'avoir pas ménagée. Jésus savait bien qu'il fallait à sa petite fleur l'eau vivifiante de l'humiliation, elle était trop faible pour prendre racine sans ce secours, et c'est par vous, ma Mère, que ce bienfait lui fut dispensé. Depuis un an et demi, Jésus a voulu changer la manière de faire pousser sa petite fleur, il la trouvait sans doute assez arrosée, car maintenant c'est le soleil qui la fait grandir, Jésus ne veut plus pour elle que son sourire u'Il lui donne encore par vous, ma Mère bien-aimée. Ce doux soleil loin de flétrir la petite fleur la
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fait pousser merveilleusement, au fond de son calice elle conserve les précieuses gouttes de rosée qu'elle a reçues et ces gouttes lui rappellent toujours qu'elle est petite et faible... Toutes les créatures peuvent se pencher vers elle, l'admirer, l'accabler de leurs louanges, je ne sais pourquoi mais cela ne saurait ajouter une seule goutte de fausse joie à la véritable joie qu'elle savoure en son coeur, se voyant ce qu'elle est aux yeux du Bon Dieu : un pauvre petit néant, rien de plus... Je dis ne pas comprendre pourquoi, nais n'est-ce pas parce qu'elle a été préservée de l'eau des louanges tout le temps que son petit calice n'était pas assez rempli de la rosée de l'humiliation ? Maintenant il n'y a plus de danger, au contraire, la petite fleur trouve si délicieuse la rosée dont elle est remplie qu'elle se garderait bien de l'échanger pour l'eau si fade des compliments. Je ne veux pas parler, ma Mère chérie, de l'amour et de la confiance que vous me témoignez, ne croyez pas que le coeur de votre enfant y soit insensible, seulement je sens bien que je n'ai rien à craindre maintenant, au contraire je puis en jouir, rapportant au Bon Dieu ce qu'Il a bien voulu mettre de bon en moi. S'il lui plaît de me faire paraître meilleure que je ne suis, cela ne me regarde pas, Il est libre d'agir comme Il veut... O ma Mère, que les voies par lesquelles le Seigneur conduit les âmes sont différentes ! Dans la vie des Saints, nous voyons qu'il s'en trouve beaucoup qui n'ont rien voulu laisser d'eux
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après leur mort, pas le moindre souvenir, le moindre écrit. Il en est d'autres au contraire, comme notre Mère Sainte Thérèse, qui ont enrichi l'Eglise de leurs sublimes révélations ne craignant pas de révéler les secrets du Roi, (NHA 1006) (Tb 12,7) afin qu'il soit plus connu, plus aimé des âmes. Lequel de ces deux genres de saints plaît le mieux au Bon Dieu ? Il me semble, ma Mère, qu'ils lui sont également agréables, puisque tous ont suivi le mouvement de l'Esprit Saint et que le Seigneur a dit : Dites au Juste que TOUT est bien. (NHA 1007) (Is 3,10) Oui tout est bien, lorsqu'on ne recherche que la volonté de Jésus, C'est pour cela que moi, pauvre petite fleur, j'obéis à Jésus en essayant de faire plaisir à ma Mère bien-aimée. Vous le savez, ma Mère, j'ai toujours désiré d'être une sainte, mais hélas ! j'ai toujours constaté, lorsque je me suis comparée aux saints, qu'il y a entre eux et moi la même différence qui existe entre une montagne dont le sommet se perd dans les cieux et le grain de sable obscur foulé sous les pieds des passants ; au lieu de me décourager, je me suis dit : Le Bon Dieu ne saurait inspirer des désirs irréalisables, je puis donc malgré ma petitesse aspirer à la sainteté ; me grandir, c'est impossible, je dois me supporter telle que je suis avec toutes mes imperfections ; mais je veux chercher le moyen d'aller au Ciel par une petite voie bien droite, bien courte, une petite voie toute nouvelle. Nous sommes dans un siècle d'inventions maintenant ce n'est plus la peine de gravir les marches d'un
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escalier, chez les riches un ascenseur le remplace avantageusement. Moi je voudrais aussi trouver un ascenseur pour m'élever jusqu'à Jésus, car je suis trop petite pour monter le rude escalier de la perfection. Alors j'ai recherché dans les livres saints l'indication de l'ascenseur, objet de mon désir et j'ai lu ces mots sortis de la bouche de la Sagesse Eternelle : Si quelqu'un est TOUT PETIT qu'il vienne à moi. (Pr 9,4) (NHA 1008) (Ps 9,4) Alors je suis venue, devinant que j'avais trouvé ce que je cherchais et voulant savoir, ô mon Dieu ! ce que vous feriez au tout petit qui répondrait à votre appel j'ai continué mes recherches et voici ce que j'ai trouvé : Comme une mère caresse son enfant, ainsi je vous consolerai, je vous porterai sur mon sein et je vous balancerai sur mes genoux ! (NHA 1009) (Is 66,12-13) Ah ! jamais paroles plus tendres, plus mélodieuses, ne sont venues réjouir mon âme, l'ascenseur qui doit m'élever jusqu'au Ciel, ce sont vos bras, ô Jésus ! Pour cela je n'ai pas besoin de grandir, au contraire il faut que je reste petite, que je le devienne de plus en plus. O mon Dieu, vous avez dépassé mon attente et moi je veux chanter vos miséricordes. (Ps 89,2) " Vous m'avez instruite dès ma jeunesse et jusqu'à présent j'ai annoncé vos merveilles, je continuerai à les publier dans l'âge le plus avancé. " Ps. LXX. (NHA 1010) Quel sera-t-il pour moi cet âge avancé ? Il me semble que ce pourrait être maintenant, car deux mille ans ne sont pas plus aux yeux du Seigneur que vingt ans... qu'un seul jour... (Ps 71,17-18) (NHA 1011) (Ps 90,4) Ah ! ne croyez pas, Mère bien-aimée, que votre enfant désire vous quitter... ne croyez pas qu'elle estime comme une
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plus grande grâce de mourir à l'aurore plutôt qu'au déclin du jour. Ce qu'elle estime, ce qu'elle désire uniquement, c'est de faire plaisir à Jésus... Maintenant qu'Il semble s'approcher d'elle pour l'attirer au séjour de sa gloire, votre enfant se réjouit. Depuis longtemps elle a compris que le Bon Dieu n'a besoin de personne (encore moins d'elle que des autres) pour faire du bien sur la terre. Ma Mère, pardonnez-moi si je vous attriste... ah ! je voudrais tant vous réjouir... mais croyez-vous que si vos prières ne sont pas exaucées sur la terre, si Jésus pour quelques jours sépare l'enfant de sa Mère, ces prières ne le seront pas au Ciel ?... Votre désir est, je le sais, que j'accomplisse près de vous une mission bien douce, bien facile ; (NHA 1012) cette mission ne pourrai-je pas l'achever du haut des Cieux ?... Comme Jésus le dit un jour à Saint Pierre, vous avez dit à votre enfant : " Pais mes agneaux " (NHA 1013) (Jn 21,15) et moi je me suis étonnée, je vous ai dit " être trop petite... " je vous ai suppliée de faire vous-même paître vos petits agneaux et de me garder, de me faire paître par grâce avec eux. Et vous, ma Mère bien-aimée, répondant un peu à mon juste désir, vous avez gardé les petits agneaux avec les brebis, (NHA 1014) mais en me commandant d'aller souvent les faire paître à l'ombre, de leur indiquer les herbes les meilleures et les plus fortifiantes, de bien leur montrer les fleurs brillantes auxquelles ils ne doivent jamais toucher si ce n'est pour les écraser sous leurs pas... Vous n'avez pas craint, ma Mère chérie, que j'égare vos petits agneaux ; mon inexpérience, ma
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jeunesse ne vous ont point effrayée, peut-être vous êtes vous souvenue que souvent le Seigneur se plaît à accorder la sagesse aux petits et qu'un jour, transporté de joie, Il a béni son Père d'avoir caché ses secrets aux prudents et de les avoir révélés aux plus petits. (NHA 1015) (Lc 10,21) Ma Mère, vous le savez, elles sont bien rares les âmes qui ne mesurent pas la puissance divine à leurs courtes pensées, on veut bien que partout sur la terre il y ait des exceptions, seul le Bon Dieu n'a pas le droit d'en faire ! Depuis bien longtemps, je le sais, cette manière de mesurer l'expérience aux années se pratique parmi les humains, car, en son adolescence, le saint roi David chantait au Seigneur : " Je suis JEUNE et méprisé. " (NHA 1016) (Ps 119,40) Dans le même psaume CXVIII, il ne craint pas de dire cependant : " Je suis devenu plus prudent que les vieillards : parce que j'ai recherché votre volonté... Votre parole est la lampe qui éclaire mes pas... Je suis prêt à accomplir vos ordonnances et je ne suis TROUBLE DE RIEN... " (NHA 1017) (Ps 119,100-105) Mère bien-aimée, vous n'avez pas craint de me dire un jour que le Bon Dieu illuminait mon âme, qu'Il me donnait même l'expérience des années... ma Mère ! je suis trop petite pour avoir de la vanité maintenant, je suis trop petite encore pour tourner de belles phrases afin de vous faire croire que j'ai beaucoup d'humilité, j'aime mieux convenir tout simplement que le Tout-Puissant a fait de grandes choses en l'âme de l'enfant de sa divine Mère, (Lc 1,49) et la plus grande c'est de lui avoir montré sa petitesse, son impuissance.
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Mère chérie, vous le savez bien, le Bon Dieu a daigné faire passer mon âme par bien des genres d'épreuves ; j'ai beaucoup souffert depuis que je suis sur la terre, mais si dans mon enfance j'ai souffert avec tristesse, ce n'est plus ainsi que je souffre maintenant, c'est dans la joie et la paix, je suis véritablement heureuse de souffrir. O ma Mère, il faut que vous connaissiez tous les secrets de mon âme pour ne pas sourire en lisant ces lignes, car y a-t-iI une âme moins éprouvée que la mienne si l'on en juge aux apparences ? Ah ! si l'épreuve que je souffre depuis un an (NHA 1018) apparaissait aux regards, quel étonnement ! Mère bien-aimée, vous la connaissez cette épreuve ; je vais cependant vous en parler encore, car je la considère comme une grande grâce que j'ai reçue sous votre Priorat béni. L'année dernière, le Bon Dieu m'a accordé la consolation d'observer le jeûne du carême dans toute sa rigueur ; jamais je ne m'étais sentie aussi forte, et cette force se maintint jusqu'à Pâques. Cependant le jour du Vendredi saint, Jésus voulut me donner l'espoir d'aller bientôt le voir au Ciel... Oh ! qu'il m'est doux ce souvenir !... Après être restée au Tombeau (NHA 1019) jusqu'a minuit, je rentrai dans notre cellule, mais à peine avais-je eu le temps de poser ma tête sur l'oreiller que je sentis comme un flot qui montait, montait en bouillonnant jusqu'à mes lèvres. Je ne savais pas ce que c'était, mais je pensais que peut-être j'allais mourir et mon âme était inondée
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de joie... Cependant comme notre lampe était soufflée, je me dis qu'il fallait attendre au matin pour m'assurer de mon bonheur, car il me semblait que c'était du sang que j'avais vomi. Le matin ne se fit pas longtemps attendre, en m'éveillant, je pensai tout de suite que j'avais quelque chose de gai à apprendre et en m'approchant de la fenêtre je pus constater que je ne m'étais pas trompée... Ah ! mon âme fut remplie d'une grande consolation, j'étais intimement persuadée que Jésus au jour anniversaire de sa mort voulait me faire entendre un premier appel. C'était comme un doux et lointain murmure qui m'annonçait l'arrivée de l'Epoux... " (NHA 1020) (Mt 25,6) Ce fut avec une bien grande ferveur que j'assistai à Prime et au chapitre des pardons (NHA 1021) J'avais hâte de voir mon tour arriver afin de pouvoir, en vous demandant pardon, vous confier, ma Mère bien-aimée, mon espérance et mon bonheur ; mais j'ajoutai que je ne souffrais pas du tout (ce qui était bien vrai) et je vous suppliai, ma Nfère, de ne me donner rien de particulier. En effet j'eus la consolation de passer la journée du Vendredi Saint comme je le désirais. Jamais les austérités du Carmel ne m'avaient semblé aussi délicieuses, l'espoir d'aller au Ciel me transportait d'allégresse. Le soir de ce bienheureux jour étant arrivé, l fallut se reposer, mais comme la nuit précédente, le bon Jésus me donna le même signe que mon entrée dans l'Eternelle vie n'était pas éloignée... Je jouissais alors d'une foi si vive, si claire, que la pensée du Ciel faisait tout mon bonheur, je ne pouvais
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croire qu'il y eût des impies n'ayant pas la foi. Je croyais qu'ils parlaient contre leur pensée en niant l'existence du Ciel, du beau Ciel où Dieu Lui-Même voudrait être leur éternelle récompense. (Gn 15,1) Aux jours si joyeux du temps pascal, Jésus m'a fait sentir qu'il y a véritablement des âmes qui n'ont pas la foi, qui par l'abus des grâces perdent ce précieux trésor, source des seules joies pures et véritables. Il permit que mon âme fut envahie par les plus épaisses ténèbres et que la pensée du Ciel si douce pour moi ne soit plus qu'un sujet de combat et de tourment... Cette épreuve ne devait pas durer quelques jours, quelques semaines, elle devait ne s'éteindre qu'à l'heure marquée par le Bon Dieu et... cette heure n'est pas encore venue... Je voudrais pouvoir exprimer ce que je sens, mais hélas ! je crois que c'est impossible. Il faut avoir voyagé sous ce sombre tunnel pour en comprendre l'obscurité. Je vais cependant essayer de l'expliquer par une comparaison. Je suppose que je suis née dans un pays environné d'un épais brouillard, jamais je n'ai contemplé le riant aspect de la nature, inondée, transfigurée par le brillant soleil ; dès mon enfance il est vrai, j'entends parler de ces merveilles, je sais que le pays où je suis n'est pas ma patrie, qu'il en est un autre vers lequel je dois sans cesse aspirer. (He 11,13-16) Ce n'est pas une histoire inventée par un habitant du triste pays où je suis, c'est une réalité certaine car le Roi de la patrie au brillant soleil est venu vivre trente-trois ans
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dans le pays des ténèbres ; (Jn 1,5 1,9-10) hélas ! les ténèbres n'ont point compris que ce Divin Roi était la lumière du monde... (NHA 1022) Mais Seigneur, votre enfant l'a comprise votre divine lumière, elle vous demande pardon pour ses frères, elle accepte de manger aussi longtemps que vous le voudrez le pain de la douleur (Ps 127,2) et ne veut point se lever de cette table remplie d'amertume où mangent les pauvres pécheurs avant le jour que vous avez marqué... Mais aussi ne peut-elle pas dire en son nom, au nom de ses frères : Ayez pitié de nous Seigneur, car nous sommes de pauvres pécheurs !... (Mt 9,10-11) (NHA 1023) (Lc 18,13) Oh ! Seigneur, renvoyez-nous justifiés... Que tous ceux qui ne sont point éclairés du lumineux flambeau de la Foi +046 le voient luire enfin... ô Jésus, s'il faut que la table souillée par eux soit purifiée par une âme qui vous aime, je veux bien y manger seule le pain de l'épreuve jusqu'à ce qu'il vous plaise de m'introduire dans votre lumineux royaume. la seule grâce que je vous demande c'est de ne jamais vous offenser !... Ma Mère bien-aimée, ce que je vous écris n'a pas de suite ; ma petite histoire qui ressemblait à un conte de fée s'est tout à coup changée en prière, je ne sais pas quel intérêt vous pourrez trouver à lire toutes ces pensées confuses et mal exprimées, enfin ma Mère, je n'écris pas pour faire une oeuvre littéraire mais par obéissance, si je vous ennuie, du moins vous verrez que votre enfant a fait preuve de bonne volonté. Je vais donc
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sans me décourager continuer ma petite comparaison, au point où je l'avais laissée. Je disais que la certitude d'aller un jour loin du pays triste et ténébreux m'avait été donnée dès mon enfance ; non seulement je croyais d'après ce que j'entendais dire aux personnes plus savantes que moi, mais encore je sentais au fond de mon coeur des aspirations vers une région plus belle. De même que le génie de Christophe Colomb lui fit pressentir qu'il existait un nouveau monde, alors que personne n'y avait songé, ainsi je sentais qu'une autre terre me servirait un jour de demeure stable. (He 13,14) Mais tout à coup les brouillards qui m'environnent deviennent plus épais, ils pénètrent dans mon âme et l'enveloppent de telle sorte qu'il ne m'est plus possible de retrouver en elle l'image si douce de ma Patrie, tout a disparu ! Lorsque je veux reposer mon coeur fatigué des ténèbres qui l'entourent, par le souvenir du pays lumineux vers lequel j'aspire, mon tourment redouble ; il me semble que les ténèbres, empruntant la voix des pécheurs, me disent en se moquant de moi : " Tu rêves la lumière, une patrie embaumée des plus suaves parfums, tu rêves la possession éternelle du Créateur de toutes ces merveilles, tu crois sortir un jour des brouillards qui t'environnent ! Avance, avance, réjouis-toi de la mort qui te donnera, non ce que tu espères, mais une nuit plus profonde encore, la nuit du néant. "
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Mère bien-aimée, l'image que j'ai voulu vous donner des ténèbres qui obscurcissent mon âme est aussi imparfaite qu'une ébauche comparée au modèle ; cependant je ne veux pas en écrire plus long, je craindrais de blasphémer... j'ai peur même d'en avoir trop dit... Ah ! que Jésus me pardonne si je Lui ai fait de la peine, mais Il sait bien que tout en n'ayant pas la jouissance de la Foi, je tâche au moins d'en faire les oeuvres. Je crois avoir fait plus d'actes de foi depuis un an que pendant toute ma vie. A chaque nouvelle occasion de combat, lorsque mon ennemi vient me provoquer, je me conduis en brave, sachant que c'est une lâcheté de se battre en duel, je tourne le dos à mon adversaire sans daigner le regarder en face ; mais je cours vers mon Jésus, je Lui dis être prête à verser jusqu'à la dernière goutte de mon sang pour confesser qu'il y a un Ciel. Je Lui dis que je suis heureuse de ne pas jouir de ce beau Ciel sur la terre afin qu'Il l'ouvre pour l'éternité aux pauvres incrédules. Aussi malgré cette épreuve qui m'enlève toute jouissance, je puis cependant m'écrier : " Seigneur vous me comblez de JOIE par TOUT ce que vous faites. " (Ps. XCI) (NHA 1024) (Ps 92,5) Car est-il une joie plus grande que celle de souffrir pour votre amour ? Plus la souffrance est intime, moins elle paraît aux yeux des créatures, plus elle vous réjouit, ô mon Dieu ! Mais si par impossible vous-même deviez ignorer ma souffrance, je serais encore heureuse de la posséder si par elle je pouvais empêcher ou réparer une seule faute commise contre la Foi...
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Ma Mère Bien-aimée, je vous parais peut-être exagérer mon épreuve, en effet si vous jugez d'après les sentiments que j'exprime dans les petites poésies que j'ai composées cette année, je dois vous sembler une âme remplie de consolations et pour laquelle le voile de la foi s'est presque déchiré, et cependant... ce n'est plus un voile pour moi, c'est un mur qui s'élève jusque'aux cieux et couvre le firmament étoilé... Lorsque je chante le bonheur du Ciel, l'éternelle possession de Dieu, je n'en ressens aucune joie, car je chante simplement ce que JE VEUX CROIRE. Parfois il est vrai, un tout petit rayon de soleil vient illuminer mes ténèbres, alors l'épreuve cesse un instant, mais ensuite le souvenir de ce rayon au lieu de me causer de la joie rend mes ténèbres plus épaisses encore. O ma Mère, jamais je n'ai si bien senti combien le Seigneur est doux et miséricordieux, (Ps 103,6) il ne m'a envoyé cette épreuve qu'au moment où j'ai eu la force de la supporter, plus tôt je crois bien qu'elle m'aurait plongée dans le découragement... Maintenant elle enlève tout ce qui aurait pu se trouver de satisfaction naturelle dans le désir que j'avais du Ciel... Mère bien-aimée, il me semble maintenant que rien ne m'empêche de m'envoler, car je n'ai plus de grands désirs si ce n'est celui d'aimer jusqu'à mourir d'amour... (9 Juin) (NHA 1025)
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Ma Mère chérie, je suis tout étonnée en voyant ce que je vous ai écrit hier, quel griffonnage !.., ma main tremblait de telle sorte qu'il m'a été impossible de continuer et maintenant je regrette même d'avoir essayé d'écrire, j'espère qu'aujourd'hui je vais le faire plus lisiblement, car je ne suis plus dans le dodo mais dans un joli petit fauteuil tout blanc. O ma Mère, je sens bien que tout ce que je vous dis n'a pas de suite, mais je sens aussi le besoin avant de vous parler du passé de vous dire mes sentiments présents, Plus tard peut-être en aurai-je perdu le souvenir. Je veux d'abord vous dire combien je suis touchée de toutes vos délicatesses maternelles, ah ! croyez-le, ma Mère bien-aimée, le coeur de votre enfant est rempli de reconnaissance, jamais il n'oubliera tout ce qu'il vous doit... Ma Mère, ce qui me touche par-dessus tout, c'est la neuvaine que vous faites à Notre Dame des Victoires (NHA 1026) ce sont les messes que vous faites dire pour obtenir ma guérison. Je sens que tous ces trésors spirituels font un grand bien à mon âme ; au commencement de la neuvaine, je vous disais, ma Mère, qu'il fallait que la Saint Vierge me guérisse ou bien qu'elle m'emporte dans les Cieux, car je trouvais cela bien triste pour vous et la communauté d'avoir la charge d'une jeune religieuse malade ; maintenant je veux bien être malade toute ma vie si cela fait plaisir au bon Dieu et je consens même à ce que ma vie soit très longue. La seule
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grâce que je désire, c'est qu'elle soit brisée par l'amour. Oh ! non, je ne crains pas une longue vie, je ne refuse pas le combat car le Seigneur est la roche où je suis élevée, qui dresse mes main an combat et mes doigts à la guerre. Il est mon bouclier, j'espère en Lui (Ps. CXLIII) (NHA 1027) (Ps 144,1-2) aussi jamais je n'ai demandé au bon Dieu de mourir jeune, il est vrai que j'ai toujours espéré que c'est là sa volonté. Souvent le Seigneur se contente du désir de travailler pour sa gloire et vous savez, ma Mère, que mes désirs sont bien grands. Vous savez aussi que Jésus m'a présenté plus d'un calice amer qu'il a éloigné de mes lèvres avant que je le boive, (Lc 22,42) mais pas avant de m'en avoir fait savourer l'amertume. Mère bien-aimée, le Saint roi David avait raison lorsqu'il chantait : Qu'il est bon, qu'il est doux à des frères d'habiter ensemble dans une parfaite union. (NHA 1028) (Ps 133,1) C'est vrai, je l'ai senti bien souvent, mais c'est au sein des sacrifices que cette union doit avoir lieu sur la terre. Ce n'est point pour vivre avec mes soeurs que je suis venue au Carmel, c'est uniquement pour répondre à l'appel de Jésus ; ah ! je pressentais bien que ce devait être un sujet de souffrance continuelle de vivre avec ses soeurs, lorsqu'on ne veut rien accorder à la nature. Comment peut-on dire que c'est plus parfait de s'éloigner des siens ?... A-t-on jamais reproché à des frères de combattre sur le même champ de bataille, leur a-t-on reproché de voler ensemble pour cueillir la palme du martyre ?... Sans doute, on a jugé
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avec raison qu'ils s'encourageaient mutuellement, mais aussi que le martyre de chacun devenait celui de tous. Ainsi en est-il dans la vie religieuse que les théologiens appellent un martyre. En se donnant à Dieu le coeur ne perd pas sa tendresse naturelle, cette tendresse au contraire grandit en devenant plus pure et plus divine. Mère bien-aimée, c'est de cette tendresse que je vous aime, que j'aime mes soeurs ; je suis heureuse de combattre en famille pour la gloire du Roi des Cieux, mais je suis prête aussi à voler sur un autre champ de bataille si le Divin Général m'en exprimait le désir. Un commandement ne serait pas nécessaire mais un regard, un simple signe. Depuis mon entrée dans l'arche bénie, j'ai toujours pensé que si Jésus ne m'emportait bien vite au Ciel, le sort de la petite colombe de Noé serait le mien ; qu'un jour le Seigneur ouvrirait la fenêtre de l'arche et me dirait de voler bien loin, bien loin, vers des rivages infidèles, portant avec moi la petite branche d'olivier. (Gn 8,11-12) Ma Mère, cette pensée a fait grandir mon âme, elle m'a fait planer plus haut que tout le créé. J'ai compris que même au Carmel il pouvait encore y avoir des séparations, qu'au Ciel seulement l'union sera complète et éternelle ; alors j'ai voulu que mon âme habite dans les Cieux, qu'elle ne regarde les choses de la terre que de loin. J'ai accepté non seulement de m'exiler au milieu d'un peuple inconnu, mais ce qui m'était bien plus amer, j'ai accepté l'exil
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pour mes soeurs. Jamais je n'oublierai le 2 Août 1896, ce jour-là qui se trouvait justement celui du départ des missionnaires, (NHA 1029) il fut sérieusement question de celui de Mère Agnès de Jésus. Ah ! je n'aurais pas voulu faire un mouvement pour l'empêcher de partir ; je sentais cependant une grande tristesse dans mon coeur, je trouvais que son âme si sensible, si délicate n'était pas faite pour vivre au milieu d'âmes qui ne sauraient la comprendre, mille autres pensées se pressaient en foule dans mon esprit et Jésus se taisait, il ne commandait pas à la tempête... (Mc 4,37-39) Et moi je lui disais : Mon Dieu, pour votre amour j'accepte tout : si vous le voulez, je veux bien souffrir jusqu'à mourir de chagrin. Jésus se contenta de l'acceptation, mais quelques mois après, on parla du départ de Soeur Geneviève et de Soeur Marie de la Trinité : alors ce fut an autre genre de souffrance, bien intime, bien profonde, je me représentais toutes les épreuves, les déceptions qu'elles auraient à souffrir, enfin mon ciel était chargé de nuages... seul le fond de mon coeur restait dans le calme et la paix. Ma Mère bien-aimée, votre prudence sut découvrir la volonté du Bon Dieu et de sa part vous avez défendu à vos novices de penser maintenant à quitter le berceau de leur enfance religieuse ; mais leurs aspirations, vous les compreniez puisque vous-même, ma Mère, aviez demandé dans votre jeunesse d'aller à Saïgon, c'est ainsi que souvent les désirs des mères trouvent un écho dans l'âme
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de leurs enfants. O ma Mère chérie, votre désir apostolique trouve en mon âme, vous le savez, un écho bien fidèle ; laissez-moi vous confier pourquoi j'ai désiré et désire encore, si la Sainte Vierge me guérit, quitter pour une terre étrangère la délicieuse oasis où je vis si heureuse sous votre regard maternel. Il faut, ma Mère, (vous me l'avez dit) pour vivre dans les carmels étrangers, une vocation toute spéciale, beaucoup d'âmes s'y croient appelées sans l'être en effet, vous m'avez dit aussi que j'avais cette vocation et que ma santé seule était un obstacle, je sais bien que cet obstacle disparaîtrait si le Bon Dieu m'appelait au loin, aussi je vis sans aucune inquiétude. S'il me fallait un jour quitter mon cher Carmel, ah ! ce ne serait pas sans blessure, Jésus ne m'a pas donné un coeur insensible et c'est justement parce qu'il est capable de souffrir que je désire qu'il donne à Jésus tout ce qu'il peut donner. Ici, Mère bien-aimée, je vis sans aucun embarras des soins de la misérable terre, je n'ai qu'à remplir la douce et facile mission que vous m'avez confiée. Ici je suis comblée de vos prévenances maternelles, je ne sens pas la pauvreté n'ayant jamais manqué de rien. Mais surtout, ici je suis aimée, de vous et de toutes les soeurs, et cette affection m'est bien douce. Voilà pourquoi je rêve un monastère où je serais inconnue, où j'aurais à souffrir la pauvreté, le manque d'affection, enfin l'exil du coeur. Ah ! ce n'est pas dans l'intention de rendre des services au Carmel qui
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voudrait bien me recevoir, que je quitterais tout ce qui m'est cher ; sans doute, je ferais tout ce qui dépendrait de moi, mais je connais mon incapacité et je sais qu'en faisant de mon mieux je n'arriverais pas à bien faire, n'ayant comme je le disais tout à l'heure aucune connaissance des choses de la terre. Mon seul but serait donc d'accomplir la volonté du bon Dieu, de me sacrifier pour Lui de la manière qu'il lui plairait. (Mt 6,10) Je sens bien que je n'aurais aucune déception, car lorsqu'on s'attend à une souffrance pure et sans aucun mélange, la plus petite joie devient une surprise inespérée ; et puis vous le savez, ma Mère, la souffrance elle-même devient la plus grande des joies lorsqu'on la recherche comme le plus précieux des trésors. Oh non ! ce n'est pas avec l'intention de jouir du fruit de mes travaux que je voudrais partir, si c'était là mon but je ne sentirais pas cette douce paix qui m'inonde et je souffrirais même de ne pouvoir réaliser ma vocation pour les missions lointaines. Depuis longtemps je ne m'appartiens plus, je suis livrée totalement à Jésus, Il est donc libre de faire de moi ce qu'il lui plaira. Il m'a donné l'attrait d'un exil complet, Il m'a fait comprendre toutes les souffrances que j'y rencontrerais, me demandant si je voulais boire ce calice jusqu'à la lie ; (Mt 20,21-23) aussitôt j'ai voulu saisir cette coupe que Jésus me présentait, mais Lui, retirant sa main, me fit comprendre que l'acceptation Le contentait.
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O ma Mère, de quelles inquiétudes on se délivre en faisant voeu d'obéissance ! Que les simples religieuses sont heureuses ! Leur unique boussole étant la volonté des supérieurs, elles sont toujours assurées d'être dans le droit chemin, elles n'ont pas à craindre de se tromper même s'il leur paraît certain que les supérieurs se trompent. Mais lorsqu'on cesse de regarder la boussole infaillible, lorsqu'on s'écarte de la voie qu'elle dit de suivre sous prétexte de faire la volonté de Dieu qui n'éclaire pas bien ceux qui pourtant tiennent sa place, aussitôt l'âme s'égare dans des chemins arides où l'eau de la grâce leur manque bientôt. Mère bien-aimée, vous êtes la boussole que Jésus m'a donnée pour me conduire sûrement au rivage éternel. Qu'il m'est doux de fixer sur vous mon regard et d'accomplir ensuite la volonté du Seigneur. Depuis qu'Il a permis que je souffre des tentations contre la foi, Il a beaucoup augmenté dans mon coeur l'esprit de foi qui me fait voir en vous, non seulement une Mère qui m'aime et que j'aime, mais surtout qui me fait voir Jésus vivant en votre âme et me communiquant par vous sa volonté. Je sais bien, ma Mère, que vous me traitez en âme faible, en enfant gâtée, aussi je n'ai pas de mal à porter le fardeau de l'obéissance, mais il me semble, d'après ce que je sens au fond de mon coeur, que je ne changerais pas de conduite et que mon amour pour vous ne souffrirait aucune diminution s'il
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vous plaisait de me traiter sévèrement, car je verrais encore que c'est la volonté de Jésus que vous agissiez ainsi pour le plus grand bien de mon âme. Cette année, ma Mère chérie, le bon Dieu m'a fait la grâce de comprendre ce que c'est que la charité ; avant je le comprenais, il est vrai, mais d'une manière imparfaite, je n'avais pas approfondi cette parole de Jésus : " Le second commandement est SEMBLABLE an premier : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. " (NHA 1030) (Mt 22,39) Je m'appliquais surtout à aimer Dieu et c'est en l'aimant que j'ai compris qu'il ne fallait pas que mon amour se traduisît seulement par des paroles, car : " Ce ne sont pas ceux qui disent : Seigneur, Seigneur qui entreront dans le royaume des cieux, mais ceux qui font la volonté de Dieu. " (NHA 1031) (Mt 7,21) " Cette volonté, Jésus l'a fait connaître plusieurs fois, je devrais dire presque à chaque page de son évangile ; mais la dernière cène, lorsqu'Il sait que le coeur de ses disciples brûle d'un plus ardent amour pour Lui qui vient de se donner à eux, dans l'ineffable mystère de son Eucharistie, ce doux Sauveur veut leur donner un commandement nouveau. Il leur dit avec une inexprimable tendresse : Je vous fais un commandement nouveau, c'est de vous entr'aimer, et que COMME JE VOUS AI AIMES, VOUS VOUS AIMIEZ LES UNS LES AUTRES. (Jn 13,34-35) La marque à quoi tout le monde connaîtra que vous êtes mes disciples, c'est si vous vous entr'aimez. (NHA 1032)
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Comment Jésus a-t-Il aimé ses disciples et pourquoi les a-t-Il aimés ? Ah ! ce n'était pas leurs qualités naturelles qui pouvaient l'attirer, il y avait entre eux et Lui une distance infinie. Il était la science, la Sagesse Eternelle, ils étaient de pauvres pêcheurs, ignorants et remplis de pensées terrestres. Cependant Jésus les appelle ses amis, ses frères. (Col 2,3) (NHA 1033) (Jn 15,15) Il veut les voir régner avec Lui dans le royaume de son Père (Lc 22,30) et pour leur ouvrir ce royaume Il veut mourir sur une croix car Il a dit : Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu'on aime. (NHA 1034) (Jn 15,13) Mère bien-aimée, en méditant ces paroles de Jésus, j'ai compris combien mon amour pour mes soeurs était imparfait, j'ai vu que je ne les aimais pas comme le Bon Dieu les aime. Ah ! je comprends maintenant que la charité parfaite consiste à supporter les défauts des autres, à ne point s'étonner de leurs faiblesses, à s'édifier des plus petits actes de vertus qu'on leur voit pratiquer, mais surtout j'ai compris que la charité ne doit point rester enfermée dans le fond du coeur : Personne, a dit Jésus, n'allume un flambeau pour le mettre sous le boisseau, mais on le met sur le chandelier, afin qu'il éclaire TOUS ceux qui sont dans la maison. (NHA 1035) Il me semble que ce flambeau représente la charité qui doit éclairer, réjouir, non seulement ceux qui me sont les plus chers, mais TOUS ceux qui sont dans la maison, sans excepter personne. (Mt 5,15) Lorsque le Seigneur avait ordonné à son peuple
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d'aimer son prochain comme soi-même. (NHA 1036) Il n'était pas encore venu sur la terre ; aussi sachant bien à quel degré l'on aime sa propre personne, Il ne pouvait demander à ses créatures un amour plus grand pour le prochain. (Lv 19,18) Mais lorsque Jésus fit à ses apôtres un commandement nouveau, SON COMMANDEMENT A LUI, (NHA 1037) comme Il le dit plus loin, ce n'est plus d'aimer le prochain comme soi-même qu'Il parle mais de l'aimer comme Lui, Jésus l'a aimé, comme Il l'aimera jusqu'à la consommation des siècles... Ah ! Seigneur, je sais que vous ne commandez rien d'impossible, vous connaissez mieux que moi ma faiblesse, mon imperfection, vous savez bien que jamais je ne pourrais aimer mes soeurs comme vous les aimez, si vous-même, ô mon Jésus, ne les aimiez encore en moi. C'est parce que vous voulez m'accorder cette grâce que vous avez fait un commandement nouveau. (Jn 13,24-25) Oh ! que je l'aime puisqu'il me donne l'assurance que votre volonté est d'aimer en moi tous ceux que vous me commandez d'aimer !... Oui je le sens , lorsque je suis charitable, c'est Jésus seul qui agit en moi ; plus je suis unie à Lui, plus aussi j'aime toutes mes soeurs. Lorsque je veux augmenter en moi cet amour, lorsque surtout le démon essaie de me mettre devant les yeux de l'âme les défauts de telle ou telle soeur qui m'est moins sympathique, je m'empresse de rechercher ses vertus, ses bons désirs, je me dis que si je l'ai vue tomber une fois elle peut bien avoir remporté un grand
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nombre de victoires qu'elle cache par humilité, et que même ce qui me paraît une faute peut très bien être à cause de l'intention un acte de vertu. Je n'ai pas de peine à me le persuader, car j'ai fait un jour une petite expérience qui m'a prouvé qu'il ne faut jamais juger. C'était pendant une récréation, la portière sonne deux coups, il fallait ouvrir la grande porte des ouvriers pour faire entrer des arbres destinés à la crèche. La récréation n'était pas gaie, car vous n'étiez pas là, ma Mère chérie, aussi je pensais que si l'on m'envoyait servir de tierce (NHA 1038) je serais bien contente ; justement mère Sous-Prieure me dit d'aller en servir, ou bien la soeur qui se trouvait à côté de moi ; aussitôt je commence défaire notre tablier, mais assez doucement pour que ma compagne ait quitté le sien avant moi, car je pensais lui faire plaisir en la laissant être tierce. La soeur qui remplaçait la dépositaire nous regardait en riant et voyant que je m'étais levée la dernière, elle me dit : " Ah ! j'avais bien pensé que ce n'était pas vous qui alliez gagner une perle à votre couronne, vous alliez trop lentement... " Bien certainement toute la communauté crut que j'avais agi par nature et je ne saurais dire combien une aussi petite chose me fit de bien à l'âme et me rendit indulgente pour les faiblesses des autres.
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