
Imitation de Jésus-Christ
Livre 2
Traduction de l'Abbé Félicité de Lamennais
Livre deuxième - Instruction pour avancer dans la vie intérieure p. 29
1.De la conversation intérieure
2.Qu'il faut s'abandonner à Dieu en esprit d'humilité
3.De l'homme pacifique
4.De la pureté d'esprit et de la droiture d'intention
5.De la considération de soi-même
6.De la joie d'une bonne conscience
7.Qu'il faut aimer Jésus-Christ par-dessus toutes choses
8.De la familiarité que l'amour établit entre Jésus et l'âme fidèle
9.De la privation de toute consolation
10.De la reconnaissance pour la grâce de Dieu
11.Du petit nombre de ceux qui aiment la Croix de Jésus-Christ
12.De la sainte voie de la Croix
Livre deuxième - Instruction pour avancer dans la vie intérieure
1. De la conversation intérieure
1.Le royaume de Dieu est au dedans de vous, dit le Seigneur.
Revenez à Dieu de tout votre coeur, laissez là ce misérable monde, et votre âme
trouvera le repos.
Apprenez à mépriser les choses extérieures et à vous donner aux intérieures, et vous
verrez le royaume de Dieu venir en vous.
Car le royaume de Dieu est paix et joie dans l'Esprit Saint, ce qui n'est pas donné aux
impies.
Jésus-Christ viendra à vous et il vous remplira de ses consolations, si vous lui préparez
au-dedans de vous une demeure digne de lui.
Toute sa gloire et toute sa beauté est intérieure; c'est dans le secret du coeur qu'il se
plaît.
Il visite souvent l'homme intérieur et ses entretiens sont doux, ses consolations
ravissantes; sa paix est inépuisable, et sa familiarité incompréhensible.
2.Ame fidèle, hâtez-vous donc de préparer votre coeur pour l'époux, afin qu'il daigne
venir et habiter en vous.
Car il a dit: Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole, et nous viendrons à lui, et
nous ferons en lui notre demeure. Laissez donc entrer Jésus en vous, et n'y laissez
entrer que lui.
Lorsque vous posséderez Jésus, vous serez riche et lui seul vous suffit. Il veillera sur
vous, il prendra de vous un soin fidèle en toutes choses, de sorte que vous n'aurez plus
besoin de rien attendre des hommes.
Car les hommes changent vite et vous manquent tout d'un coup; mais Jésus-Christ
demeure éternellement: inébranlable dans sa constance, il est près de vous jusqu'à la
fin.
3.On ne doit guère compter sur un homme fragile et mortel, encore bien qu'il vous soit
utile et que vous soyez chers l'un à l'autre, et il n'y a pas lieu de s'attrister beaucoup si
quelquefois il vous traverse et s'élève contre vous.
Ceux qui sont aujourd'hui pour vous pourront être demain contre vous et
réciproquement: les hommes changent comme le vent.
Mettez en Dieu toute votre confiance: qu'il soit votre crainte et votre amour; il
répondra pour vous et il fera ce qui est le meilleur.
Vous n'avez point ici de demeure stable; en quelque lieu que vous soyez vous êtes
étranger et voyageur, et vous n'aurez jamais de repos que vous ne soyez uni intimement
à Jésus-Christ.
4.Que cherchez-vous autour de vous ? Ce n'est pas ici le lieu de votre repos.
Votre demeure doit être dans le ciel et vous ne devez regarder toutes les choses de la
terre que comme en passant.
Tout passe, et vous passez avec tout le reste.
Prenez garde de vous attacher à quoi que ce soit de peur d'en devenir l'esclave et de
vous perdre.
Que sans cesse votre pensée monte vers le Très-Haut, et votre prière vers Jésus-Christ.
Si vous ne savez pas encore vous élever aux contemplations célestes, reposez-vous
dans la passion du Sauveur, et aimez à demeurer dans ses plaies sacrées.
Car, si vous vous réfugiez avec amour dans ces plaies et ces précieux stigmates, vous
sentirez une grande force au temps de la tribulation; vous vous inquiéterez peu du
mépris des hommes et vous supporterez aisément les paroles médisantes.
5.Jésus-Christ aussi a été méprisé des hommes en ce monde, et dans les plus extrêmes
angoisses, abandonné des siens, de ses amis, de ses proches, au milieu des opprobres.
Jésus-Christ a voulu souffrir et être méprisé; et vous osez vous plaindre de quelque
chose !
Jésus-Christ a eu des ennemis et des détracteurs, et vous voudriez n'avoir que des amis
et des bienfaiteurs !
Comment votre patience méritera-t'elle d'être couronnée s'il ne vous arrive rien de
pénible ?
Si vous ne voulez rien souffrir, comment serez-vous ami de Jésus-Christ ?
Souffrez avec Jésus-Christ et pour Jésus-Christ, si vous voulez régner avec
Jésus-Christ.
6.Si une seule fois vous étiez entré bien avant dans le coeur de Jésus, et que vous eussiez
ressenti quelque mouvement de son amour, que vous auriez peu de souci de ce qui peut
vous contrarier ou vous plaire ! Vous vous réjouiriez d'un outrage reçu parce que
l'amour de Jésus apprend à l'homme à se mépriser lui-même.
Celui qui aime Jésus et la vérité, un homme vraiment intérieur et dégagé de toute
affection déréglée, peut librement s'approcher de Dieu et, s'élevant en esprit au-dessus
de soi-même, se reposer en lui par une jouissance anticipée.
7.Celui qui estime les choses suivant ce qu'elles sont et non d'après les discours et
l'opinion des hommes, est vraiment sage; et c'est Dieu qui l'instruit plus que les
hommes.
Celui qui vit au-dedans de lui-même et qui s'inquiète peu des choses du dehors, tous
les lieux lui sont bons et tous les temps pour remplir ses pieux exercices.
Un homme intérieur se recueille bien vite parce qu'il ne se répand jamais tout entier
au-dehors.
Les travaux extérieurs, les occupations nécessaires en certain temps, ne le troublent
point; mais il se prête aux choses selon qu'elles arrivent.
Celui qui a établi l'ordre au-dedans de soi ne se tourmente guère de ce qu'il y a de bien
ou de mal dans les autres.
L'on n'a de distractions et d'obstacles qu'autant que l'on s'en crée soi-même.
8.Si vous étiez ce que vous devez être, entièrement libre et détaché, tout contribuerait à
votre bien et à votre progrès.
Mais beaucoup de choses vous déplaisent et souvent vous troublent, parce que vous
n'êtes pas encore tout à fait mort à vous-même et séparé des choses de la terre.
Rien n'embarrasse et ne souille tant le coeur de l'homme que l'amour impur des
créatures.
Si vous rejetez les consolations du dehors, vous pourrez contempler les choses du ciel
et goûter souvent les joies intérieures.
2. Qu'il faut s'abandonner à Dieu en esprit d'humilité
1.Inquiétez-vous peu qui est pour vous ou contre vous; mais prenez soin que Dieu soit
avec vous en tout ce que vous faites.
Ayez la conscience pure et Dieu prendra votre défense.
Toute la malice des hommes ne saurait nuire à celui que Dieu veut protéger.
Si vous savez vous taire et souffrir, Dieu sans doute vous assistera.
Il sait le temps et la manière de vous délivrer: abandonnez-vous donc à lui.
C'est de Dieu que vient le secours, c'est lui qui délivre de la confusion.
Il est souvent très utile, pour nous retenir dans une plus grande humilité, que les autres
soient instruits de nos défauts et qu'ils nous les reprochent.
2.Quand un homme s'humilie de ses défauts, il apaise aisément les autres et se concilie
sans peine ceux qui sont irrités contre lui.
Dieu protège l'humble et le délivre, il aime l'humble et le console, il s'incline vers
l'humble et lui prodigue ses grâces, et après l'abaissement, il l'élève dans la gloire.
Il révèle à l'humble ses secrets, il l'invite et l'attire doucement à lui.
Quelque affront qu'il reçoive, l'humble vit encore en paix, parce qu'il s'appuie sur Dieu
et non sur le monde.
Ne pensez pas avoir fait de progrès si vous ne vous croyez au-dessous de tous les
autres.
3. De l'homme pacifique
1.Conservez-vous premièrement dans la paix: et alors vous pourrez la donner aux autres.
Le pacifique est plus utile que le savant.
Un homme passionné change le bien en mal, et croit le mal aisément. L'homme paisible
et bon ramène tout au bien.
Celui qui est affermi dans la paix ne pense mal de personne; mais l'homme inquiet et
mécontent est agité de divers soupçons: il n'a jamais de repos, et n'en laisse point aux
autres.
Il dit souvent ce qu'il ne faudrait pas dire, et ne fait pas ce qu'il faudrait faire.
Attentif aux devoirs des autres, il néglige ses propres devoirs.
Ayez donc premièrement du zèle pour vous-même, et vous pourrez ensuite avec justice
l'étendre sur le prochain.
2.Vous savez bien colorer et excuser vos fautes, et vous ne voulez pas recevoir les
excuses des autres.
Il serait plus juste de vous accuser vous-même et d'excuser votre frère.
Si vous voulez qu'on vous supporte, supportez aussi les autres.
Voyez combien vous êtes loin encore de la vraie charité et de l'humilité, qui jamais ne
s'irrite et ne s'indigne que contre elle-même.
Ce n'est pas une grande chose de bien vivre avec les hommes doux et bons, car cela
plaît naturellement à tous; chacun aime son repos, et s'affectionne à ceux qui partagent
ses sentiments.
Mais vivre en paix avec des hommes durs, pervers, sans règle, ou qui nous contrarient,
c'est une grande grâce, une vertu courageuse digne d'être louée.
3.Il y en a qui sont en paix avec eux-mêmes et avec les autres.
Et il y en a qui n'ont point la paix, et qui troublent celle d'autrui: ils sont à charge aux
autres, et plus à charge à eux-mêmes.
Il y en a, enfin, qui se maintiennent dans la paix et qui s'efforcent de la rendre aux
autres.
Au reste toute notre paix dans cette misérable vie, consiste plus dans une souffrance
humble que dans l'exemption de la souffrance.
Qui sait le mieux souffrir possédera la plus grande paix. Celui-là est vainqueur de soi
et maître du monde, ami de Jésus-Christ et héritier du ciel.
4. De la pureté d'esprit et de la droiture d'intention
1.L'homme s'élève au-dessus de la terre sur deux ailes, la simplicité et la pureté.
La simplicité doit être dans l'intention, et la pureté dans l'affection.
La simplicité cherche Dieu, la pureté le trouve et le goûte.
Nulle bonne oeuvre ne vous sera difficile si vous êtes libre au-dedans de toute
affection déréglée.
Si vous ne voulez que ce que Dieu veut et ce qui est utile au prochain, vous jouirez de
la liberté intérieure.
Si votre coeur était droit, alors toute créature vous serait un miroir de vie et un livre
rempli de saintes instructions.
Il n'est point de créature si petite et si vile qui ne présente quelque image de la bonté de
Dieu.
2.Si vous aviez en vous assez d'innocence et de pureté, vous verriez tout sans obstacle.
Un coeur pur pénètre le ciel et l'enfer.
Chacun juge des choses du dehors selon ce qu'il est au-dedans de lui-même.
S'il est quelque joie dans le monde, le coeur pur la possède.
Et s'il y a des angoisses et des tribulations, avant tout elles sont connues de la mauvaise
conscience.
Comme le fer mis au feu perd sa rouille et devient tout étincelant, ainsi celui qui se
donne sans réserve à Dieu se dépouille de sa langueur et se change en un homme
nouveau.
3.Quand l'homme commence à tomber dans la tiédeur, alors il craint le moindre travail et
reçoit avidement les consolations du dehors.
Mais quand il commence à se vaincre parfaitement et à marcher avec courage dans la
voie de Dieu, alors il compte pour rien ce qui lui était le plus pénible.
5. De la considération de soi-même
1.Nous ne devons pas trop compter sur nous-mêmes, parce que souvent la grâce et le
jugement nous manquent.
Nous n'avons en nous que peu de lumière, et ce peu, il est aisé de le perdre par
négligence.
Souvent nous ne nous apercevons pas combien nous sommes aveugles au-dedans de
nous.
A de mauvaises actions souvent nous donnons de pires excuses.
Quelquefois nous sommes mus par la passion et nous croyons que c'est par le zèle.
Nous relevons de petites fautes dans les autres et nous nous en permettons de plus
grandes.
Nous sentons bien vite et nous pesons ce que nous souffrons des autres; mais tout ce
qu'ils ont à souffrir de nous, nous n'y songeons point.
Qui se jugerait équitablement soi-même, sentirait qu'il n'a droit de juger personne
sévèrement.
2.L'homme intérieur préfère le soin de soi-même à tout autre soin: et lorsqu'on est
attentif à soi, on se tait aisément sur les autres.
Vous ne serez jamais un homme intérieur et vraiment pieux, si vous ne gardez le
silence sur ce qui vous est étranger, et si vous ne vous occupez principalement de
vous-même.
Si vous n'avez que Dieu et vous-même en vue, vous serez peu touché de ce que vous
apercevrez au-dehors.
Où êtes-vous quand vous n'êtes pas présent à vous-même ? Et que vous revient-il
d'avoir tout parcouru, et de vous être oublié ?
Si vous voulez posséder la paix et être véritablement uni à Dieu, il faut laisser là tout le
reste, et ne penser qu'à vous seul.
3.Vous ferez de grands progrès si vous vous dégagez de tous les soins du temps.
Vous serez, au contraire, fatigué bien vite, si vous comptez pour quelque chose ce qui
n'est que de ce monde.
Qu'il n'y ait rien de grand à vos yeux, d'élevé, de doux, d'aimable, que Dieu seul, ou ce
qui vient de Dieu.
Regardez comme une pure vanité toute consolation qui repose sur la créature.
L'âme qui aime Dieu méprise tout ce qui est au-dessous de Dieu.
Dieu seul, éternel, immense et remplissant tout, est la consolation de l'âme et la vraie
joie du coeur.
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