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  • : In hoc signo vinces. Parousie by ROBLES Patrick
  • : Blog Parousie de Patrick ROBLES (Montbéliard, Franche-Comté, France)
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  • Dominus pascit me, et nihil mihi deerit. Le Seigneur est mon berger : je ne manquerai de rien. The Lord is my shepherd; I shall not want. El Señor es mi pastor, nada me falta. L'Eterno è il mio pastore, nulla mi mancherà. O Senhor é o meu pastor; de nada terei falta. Der Herr ist mein Hirte; mir wird nichts mangeln. Господь - Пастырь мой; я ни в чем не буду нуждаться. اللهُ راعِيَّ، فلَنْ يَنقُصَنِي شَيءٌ (Ps 23,1)
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12 juin 2008 4 12 /06 /juin /2008 08:00

LIVRE QUATRIÈME : A QUI EST DUE LA GRANDEUR DES ROMAINS.

Argument. - Il est prouvé dans ce livre que la grandeur et la durée de l'empire romain ne sont point l'ouvrage de Jupiter, ni des autres dieux du paganisme, dont la puissance est restreinte à des objets particuliers et à des fonctions secondaires, mais qu'il en faut faire honneur au seul vrai Dieu, principe de toute félicité, qui forme et maintient les royaumes de la terre par les décrets souverains de sa sagesse.

LIVRE QUATRIÈME .

CHAPITRE PREMIER.

RÉCAPITULATION DES LIVRES PRÉCÉDENTS.
CHAPITRE II.
RÉCAPITULATION DU SECOND ET DU TROISIÈME LIVRE.
CHAPITRE III.
SI UN ÉTAT QUI NE S'ACCROÎT QUE PAR LA GUERRE DOIT ÊTRE ESTIMÉ SAGE ET HEUREUX.
CHAPITRE VI.
DE L'AMBITION DU ROI NINUS QUI , LE PREMIER, DÉCLARA LA GUERRE A SES VOISINS AFIN D'ÉTENDRE SON EMPIRE.
CHAPITRE VII.
S'IL FAUT ATTRIBUER A L'ASSISTANCE OU A L'ABANDON DES DIEUX LA PROSPÉRITÉ OU LA DÉCADENCE DES EMPIRES.
CHAPITRE VIII.
LES ROMAINS NE SAURAIENT DIRE QUELS SONT PARMI LEURS DIEUX CEUX A QUI ILS CROIENT DEVOIR L'ACCROISSEMENT ET LA CONSERVATION DE LEUR EMPIRE, CHAQUE DIEU EN PARTICULIER ÉTANT CAPABLE TOUT AU PLUS DE VEILLER A SA FONCTION PARTICULIÈRE.
CHAPITRE IX.
SI L'ON DOITATTRIBUER LA GRANDEUR ET LA DURÉE DE L'EMPIRE ROMAIN A JUPITER, QUE SES ADORATEURS REGARDENT COMME LE PREMIER DES DIEUX.
CHAPITRE X.
DES SYSTÉMES QUI ATTACHENT DES DIEUX DiFFÉRENTS AUX DIFFÉRENTES PARTIES DE L'UNIVERS.
CHAPITRE XI.
DE CETTE OPINION DES SAVANTS DU PAGANISME QUE TOUS LES DIEUX NE SONT QU'UN SEUL ET MÊME DIEU, SAVOIR : JUPITER.
CHAPITRE XII.
DU SYSTÈME QUI FAIT DE DIEU L'ÂME DU MONDE ET DU MONDE LE CORPS DE DIEU.
CHAPITRE XIII.
DU SYSTÈME QUI N'ADMET COMME PARTIES DE DIEU QUE LES SEULS ANIMAUX RAISONNABLES.
CHAPITRE XIV.
ON A TORT DE CROIRE QUE C'EST JUPITER QUI VEILLE A LA PROSPÉRITÉ DES EMPIRES, ATTENDU QUE LA VICTOIRE, SI ELLE EST UNE DÉESSE, COMME LE VEULENT LES PAÏENS, A PU SEULE SUFFIRE A CET EMPLOI.
CHAPITRE XV.
S'IL CONVIENT A UN PEUPLE VERTUEUX DE SOUHAITER DE S'AGRANDIR.
CHAPITRE XVI.
POURQUOI LES ROMAINS, QUI ATTACHAIENT UNE DIVINITÉ A TOUS LES OBJETS EXTÉRIEURS ET A TOUTES LES PASSIONS DE L'AME, AVAIENT PLACÉ HORS DE LA VILLE LE TEMPLE DU REPOS.
CHAPITRE XVII.
SI, EN SUPPOSANT JUPITER TOUT-PUISSANT, LA VICTOIRE DOIT ÊTRE TENUE POUR DÉESSE.
CHAPITRE XVIII.
SI LES PAÏENS ONT EU QUELQUE RAISON DE FAIRE DEUX DÉESSES DE LA FÉLICITÉ ET DE LA FORTUNE.
CHAPITRE XIX.
DE LA FORTUNE FÉMININE.
CHAPITRE XX.
DE LA VERTU ET DE LA FOI, QUE LES PAÏENS ONT HONORÉES COMME DES DÉESSES PAR DES TEMPLES ET DES AUTELS, OUBLIANT QU'IL Y A BEAUCOUP D'AUTRES VERTUS QUI ONT LE MÊME DROIT A ÊTRE TENUES POUR DES DIVINITÉS.
CHAPITRE XXI.
LES PAÏENS, N'AYANT PAS LA CONNAISSANCE DES DONS DE DIEU, AURAIENT DU SE BORNER AU CULTE DE LA VERTU ET DE LA FÉLICITÉ.
CHAPITRE XXII.
DE LA SCIENCE QUI APPREND.A SERVIR LES DIEUX, SCIENCE QUE VARRON SE GLORIFIE D'AVOIR APPORTÉE AUX ROMAINS.
CHAPITRE XXIII.
LES ROMAINS SONT RESTÉS LONGTEMPS SANS ADORER LA FÉLICITÉ, BIEN QU'ILS ADORASSENT UN TRÈSGRAND NOMBRE DE DIVINITÉS, ET QUE CELLE-CI DUT LEUR TENIR LIEU DE TOUTES LES AUTRES.
CHAPITRE XXIV.
QUELLES RAISONS FONT VALOIR LES PAÏENS POUR SE JUSTIFIER D'ADORER LES DONS DIVINS COMME DES DIEUX.
CHAPITRE XXV.
ON NE DOIT ADORER QU'UN DIEU, QUI EST L'UNIQUE DISPENSATEUR DE LA FÉLICITÉ, COMME LE SENTENT CEUX-LÀ MÊMES QUI IGNORENT SON NOM.
CHAPITRE XXVI.
DES JEUX SCÉNIQUES INSTITUÉS PAR LES PAÏENS SUR L'ORDRE DE LEURS DIEUX.
CHAPITRE XXVII.
DES TROIS ESPÈCES DE DIEUX DISTINGUÉS PAR LE PONTIFE SCÉVOLA. 18
CHAPITRE XXVIII.
SI LE CULTE DES DIEUX A ÉTÉ UTILE AUX ROMAINS POUR ÉTABLIR ET ACCROÎTRE LEUR EMPIRE.
CHAPITRE XXIX.
DE LA FAUSSETÉ DU PRÉSAGE SUR LEQUEL LES ROMAINS FONDAIENT LA PUISSANCE ET LA STABILITÉ DE LEUR EMPIRE.
CHAPITRE XXX.
CE QUE PENSAIENT, DE LEUR PROPRE AVEU, LES PAÏENS EUX -MÊMES TOUCHANT LES DIEUX DU PAGANISME.
CHAPITRE XXXI.
VARRON A REJETÉ LES SUPERSTITIONS POPULAIRES ET RECONNU QU'IL NE FAUT ADORER QU'UN SEUL DIEU, SANS ÊTRE PARVENU TOUTEFOIS A LA CONNAISSANCE DU DIEU VÉRITABLE.
CHAPITRE XXXII.
DANS QUEL INTÉRÊT LES CHEFS D'ÉTAT ONT MAINTENU PARMI LES PEUPLES DE FAUSSES RELIGIONS.
CHAPITRE XXXIII.
LA DURÉE DES EMPIRES ET DES ROIS NE DÉPEND QUE DES CONSEILS ET DE LA PUISSANCE DE DIEU.
CHAPITRE XXXIV.
LE ROYAUME DES JUIFS FUT INSTITUÉ PAR LE VRAI DIEU ET PAR LUI MAINTENU, TANT QU'ILS PERSÉVÉRÈRENT DANS LA VRAIE RELIGION.
CHAPITRE PREMIER.
RÉCAPITULATION DES LIVRES PRÉCÉDENTS.
En commençant cet ouvrage de la Cité de Dieu, il m'a paru à propos de répondre d'abord à ses ennemis, lesquels, épris des biens de la terre et passionnés pour des objets qui passent, attribuent à la religion chrétienne, la seule salutaire et véritable, tout ce qui traverse la jouissance de leurs plaisirs, bien que les maux dont la main de Dieu les frappe soient bien plutôt un avertissement de sa miséricorde qu'un châtiment de sa justice. Et comme il y a parmi eux une foule ignorante qui se laisse animer contre nous par l'autorité des savants et se persuade que les malheurs de notre temps sont sans exemple dans les siècles passés (illusion grossière dont les habiles ne sont pas dupes, mais qu'ils entretiennent soigneusement pour alimenter les murmures du vulgaire), j'ai dû, en conséquence, faire voir par les historiens mêmes des gentils que les choses se sont passées tout autrement. Il a fallu aussi montrer que ces faux dieux qu'ils adoraient autrefois publiquement et qu'ils adorent encore aujourd'hui en secret, ne sont que des esprits immondes, des démons artificieux et pervers au point de se complaire dans des crimes qui, véritables ou supposés, n'en sont toujours pas moins leurs crimes, puisqu'ils en ont exigé la représentation dans leurs fêtes, afin que les hommes naturellement faibles ne pussent se défendre d'imiter ces scandales, les voyant autorisés par l'exemple des dieux. Nos preuves à cet égard ne reposent pas sur de simples conjectures, mais eu partie sur ce qui s'est passé de notre temps, ayant vu nous-mêmes célébrer ces jeux, et en partie sur les livres de nos adversaires, qui ont transmis les crimes des dieux à la
1. Nous savons par une lettre de saint Augustin ( CLXIX, ad Evod., n1 et 13), que le livre IV et le livre V de la Cité de Dieu ont été écrits l'an 415.
postérité, non pour leur faire injure, mais dans l'intention de les honorer. Ainsi Varron, ce personnage si docte et dont l'autorité est si grande parmi les païens, traitant des choses humaines et des choses divines qu'il sépare en deux classes distinctes et distribue selon l'ordre de leur importance, Varron met les jeux scéniques au rang des choses divines, tandis qu'on ne devrait seulement pas les placer au rang des choses humaines dans une société qui ne serait composée que d'honnêtes gens. Et ce n'est pas de son autorité privée que Varron fait cette classification; mais, étant Romain, il s'est conformé aux préjugés de son éducation et à l'usage. Maintenant, comme à la fin du livre premier, j'ai annoncé en quelques mots les questions que j'avais à résoudre, il suffit de se souvenir de ce que j'ai dit dans le second livre et dans le troisième pour savoir ce qu'il me reste à traiter.
CHAPITRE II.
RÉCAPITULATION DU SECOND ET DU TROISIÈME LIVRE.
J'avais donc promis de réfuter ceux qui imputent à notre religion les calamités de l'empire romain, en rappelant tous les malheurs qui ont affligé Rome et les provinces soumises à sa domination avant l'interdiction des sacrifices du paganisme, malheurs qu'ils ne manqueraient pas de nous attribuer, si notre religion eût, dès ce temps-là, éclairé le monde et aboli leur culte sacrilége. C'est ce que je crois avoir suffisamment développé au second livre et au troisième. Dans l'un j'ai considéré les maux de l'âme, les seuls maux véritables, ou du moins les plus grands de tous, et dans l'autre j'ai parlé de ces maux extérieurs et corporels, communs aux bons et aux méchants, qui sont les seuls que ces derniers appréhendent, tandis qu'ils acceptent, je ne dis pas avec indifférence, mais avec plaisir, les (71) autres maux qui les rendent méchants. Et cependant combien peu ai-je parlé de Rome et de son empire, à ne prendre que ce qui s'est passé jusqu'au temps d'Auguste! Que serait-ce si j'avais voulu rapporter et accumuler non- seulement les dévastations, les carnages de la guerre et tous les maux que se font les hommes, mais encore ceux qui proviennent de la discorde des éléments, comme tous ces bouleversements naturels qu'Apulée indique en passant dans son livre Du monde, pour montrer que toutes les choses terrestres sont sujettes à une infinité de changements et de révolutions. Il dit 1 en propres termes que les villes ont été englouties par d'effroyables tremblements de terre, que des déluges ont noyé des régions entières, que des continents ont été changés en îles par l'envahissement des eaux, et les mers en continent par leur retraite, que des tourbillons de vent ont renversé des villes, que le feu du ciel a consumé en Orient certaines contrées et que d'autres pays en Occident ont été ravagés par des in on-dations. Ainsi on a vu quelquefois le volcan de l'Etna rompre ses barrières et vomir dans la plaine des torrents de feu. Si j'avais voulu recueillir tous ces désastres et tant d'autres dont l'histoire fait foi, quand serais-je arrivé au temps où le nom du Christ est venu arrêter les pernicieuses superstitions de l'idolâtrie ? J'avais encore promis de montrer pourquoi le vrai Dieu, arbitre souverain de tous les empires, a daigné favoriser celui des Romains, et de prouver du même coup que les faux dieux, loin de contribuer en rien à la prospérité de Rome, y ont nui au contraire par leurs artifices et leurs mensonges. C'est ce dont j'ai maintenant à parler, et surtout de la grandeur de l'empire romain; car pour ce qui est de la pernicieuse influence des démons sur les moeurs, je l'ai déjà fait ressortir très-amplement dans le second livre. Je n'ai pas manqué non plus, chaque fois que j'en ai trouvé l'occasion dans le cours de ces trois premiers livres, de signaler toutes les consolations dont les méchants comme les bons, au milieu des maux de la guerre, ont été redevables au nom de Jésus-Christ, selon l'ordre de cette providence « qui fait lever son soleil et tomber sa pluie sur les justes et sur les injustes ? 2 »
1. Voyez l'édition d'Elmenhorst, page 73.
2. Math. V, 45.
CHAPITRE III.
SI UN ÉTAT QUI NE S'ACCROÎT QUE PAR LA GUERRE DOIT ÊTRE ESTIMÉ SAGE ET HEUREUX.
Voyons donc maintenant sur quel fondement les païens osent attribuer l'étendue et la durée de l'empire romain à ces dieux qu'ils prétendent avoir pieusement honorés par des scènes infâmes jouées par d'infâmes comédiens. Mais avant d'aller plus loin, je voudrais bien savoir s'ils ont le droit de se glorifier de la grandeur et de l'étendue de leur empire, avant d'avoir prouvé que ceux qui l'ont possédé ont été véritablement heureux. Nous les voyons en effet toujours tourmentés de guerres civiles ou étrangères, toujours parmi le sang et le carnage, toujours en proie aux noires pensées de la crainte ou aux sanglantes cupidités de l'ambition, de sorte que s'ils ont eu quelque joie, on peut la comparer au verre, dont tout l'éclat ne sert qu'à faire plus appréhender sa fragilité. Pour en mieux juger, ne nous laissons point surprendre à ces termes vains et pompeux de peuples, de royaumes, de provinces; mais puisque chaque homme, considéré individuellement, est l'élément composant d'un Etat, si grand qu'il soit, tout comme chaque lettre est l'élément composant d'un discours, représentons-nous deux hommes dont l'un soit pauvre, ou plutôt dans une condition médiocre, et l'autre extrêmement riche, mais sans cesse agité de craintes, rongé de soucis, tourmenté de convoitises, jamais en repos, toujours dans les querelles et les dissensions, accroissant toutefois prodigieusement ses richesses au sein de tant de misères, mais augmentant du même coup ses soins et ses inquiétudes; que d'autre part l'homme d'une condition médiocre se contente de son petit bien, qu'il soit chéri de ses parents, de ses voisins, de ses amis, qu'il jouisse d'une agréable tranquillité d'esprit, qu'il soit pieux, bienveillant, sain de corps, sobre d'habitudes, chaste de moeurs et calme dans sa conscience, je ne sais s'il y a un esprit assez fou pour hésiter à qui des deux il doit donner la préférence. Or, il est certain que la même règle qui nous sert à juger du bonheur de ces deux hommes, doit nous servir pour celui de deux familles, de deux peuples, de deux empires, et que si nous voulons mettre de côté nos préjugés et faire une juste application de cette règle, nous démêlerons (72) aisément ce qui est la chimère du bonheur et ce qui en est la réalité. C'est pourquoi, quand la religion du vrai Dieu est établie sur la terre, quand fleurit avec le culte légitime la pureté des moeurs, alors il est avantageux que les bons règnent au loin et maintiennent longtemps leur empire, non pas tant pour leur avantage que dans l'intérêt de ceux à qui ils commandent. Quant à eux, leur piété et leur innocence, qui sont les grands dons de Dieu, suffisent pour les rendre véritablement heureux dans cette vie et dans l'autre. Mais il eu va tout autrement des méchants. La puissance, loin de leur être avantageuse, leur est extrêmement nuisible, parce qu'elle ne leur sert qu'à faire plus de mal. Quant à ceux qui la subissent, ce qui leur est avant tout préjudiciable, ce n'est pas la tyrannie d'autrui, mais leur propre corruption; car tout ce que les gens de bien souffrent de l'injuste domination de leurs maîtres n'est pas la peine de leurs fautes, mais l'épreuve de leur vertu. C'est pourquoi l'homme de bien dans tes fers est libre, tandis que le méchant est esclave jusque sur le trône; et il n'est pas esclave d'un seul homme, mais il a autant de maîtres que de vices 1. L'Ecriture veut parler de ces maîtres, quand elle dit « Chacun est esclave de celui qui l'a vaincu 2 ».
CHAPITRE IV.
LES EMPIRES, SANS LA JUSTICE, NE SONT QUE DES RAMAS DE BRIGANDS.
En effet, que sont les empires sans la justice, sinon de grandes réunions de brigands ? Aussi bien, une réunion de brigands est-elle autre chose qu'un petit empire, puisqu'elle forme une espèce de société gouvernée par un chef, liée par un contrat, et où le partage du butin se fait suivant certaines règles convenues? Que cette troupe malfaisante vienne à augmenter en se recrutant d'hommes perdus, qu'elle s'empare de places pour y fixer sa domination, qu'elle prenne des villes, qu'elle subjugue des peuples, la voilà qui reçoit le nom de royaume, non parce qu'elle a dépouillé sa cupidité, mais parce qu'elle a su accroître son impunité. C'est ce qu'un pirate, tombé au pouvoir d'Alexandre le Grand, sut
1. Saint Augustin prend ici le plus pur de la morale stoïcienne pour le combiner avec l'esprit chrétien. Comp. cicéron, paradoxe V.
2. II Petr., II, 19.
fort bien lui dire avec beaucoup de raison et d'esprit. Le roi lui ayant demandé pourquoi
il troublait ainsi la mer, il lui repartit fièrement « Du même droit que tu troubles la terre. Mais comme je n'ai qu'un petit navire, on m'appelle pirate, et parce que tu as une grande flotte, on t'appelle conquérant 1».
CHAPITRE V.
LA PUISSANCE DES GLADIATEURS FUGITIFS FUT PRESQUE ÉGALE A CELLE DES ROIS.
En conséquence, je ne veux point examiner quelle espèce de gens ramassa Romulus pour composer sa ville; car aussitôt que le droit de cité dont il les gratifia les eut mis à couvert des supplices qu'ils méritaient et dont la crainte pouvait les porter à des crimes nouveaux et plus grands encore, ils devinrent plus doux et plus humains. Je veux seulement rappeler ici un événement qui causa de graves difficultés à l'empire romain et le mit à deux doigts de sa perte, dans un temps où il était déjà très-puissant et redoutable à tous les autres peuples. Ce fut quand un petit nombre de gladiateurs de la Campanie, désertant les jeux de l'amphithéâtre, levèrent une armée considérable sous la conduite de trois chefs et ravagèrent cruellement toute l'italie. Qu'on nous dise par le secours de quelle divinité, d'un si obscur et si misérable brigandage ils parvinrent à une puissance capable de tenir en échec toutes les forces de l'empire! Conclura-t-on de la courte durée de leurs victoires que les dieux ne les ont point assistés? Comme si la vie de l'homme, quelle qu'elle soit, était jamais de longue durée ! A ce compte, les dieux n'aideraient personne à s'emparer du pouvoir, personne n'en jouissant que peu de temps, et on ne devrait point tenir pour un bienfait ce qui dans chaque homme et successivement dans tous les hommes s'évanouit comme une vapeur. Qu'importe à ceux qui ont servi les dieux sous Romulus et qui sont morts depuis longues années, qu'après eux l'empire se soit élevé au comble de la grandeur, lorsqu'ils sont réduits pour leur propre compte à défendre leur cause dans les enfers? Qu'elle soit bonne ou mauvaise, cela ne fait rien à la question; mais enfin, tous tant qu'ils
1. Cette anecdote est probablement empruntée au livre II de la République de Cicéron. Voyez Nonius Marcellus, page 318, 14, et page 534, 15.
(73)
sont, après avoir vécu sous cet empire pendant une longue suite de siècles , ils ont promptement achevé leur vie et ont passé comme un éclair; après quoi ils ont disparu, chargés du poids de leurs actions. Que si au contraire il faut attribuer à la faveur des dieux tous les biens, si courte qu'en soit la durée, les gladiateurs dont je parle ne leur sont pas médiocrement redevables, puisque nous les voyons briser leurs fers, s'enfuir, assembler une puissante armée, et, sous la conduite et le gouvernement de leurs chefs, faire trembler l'empire romain, battre ses armées, prendre ses villes, s'emparer de tout, jouir de tout, contenter tous leurs caprices, vivre en un mot comme des princes et des rois, jusqu'au jour où ils ont été vaincus et domptés, ce qui ne s'est pas fait aisément 1. Mais passons à des exemples d'un ordre plus relevé.
CHAPITRE VI.
DE L'AMBITION DU ROI NINUS QUI , LE PREMIER, DÉCLARA LA GUERRE A SES VOISINS AFIN D'ÉTENDRE SON EMPIRE.
Justin, qui a écrit en latin l'histoire de la Grèce, ou plutôt l'histoire des peuples étrangers, et abrégé Trogue-Pompée, commence ainsi son ouvrage: « Dans le principe, les peuples étaient gouvernés par des rois qui étaient redevables de cette dignité suprême, non à la faveur populaire, mais à leur vertu consacrée par l'estime des gens de bien. Il n'y avait point alors d'autres lois que la volonté du prince. Les rois songeaient plutôt à conserver leurs Etats qu'à les accroître, et chacun d'eux se contenait dans les bornes de son empire. Ninus fut le premier qui, poussé par l'ambition, s'écarta de cette ancienne coutume. Il porta la guerre chez ses voisins, et comme il avait affaire à des peuples encore neufs dans le métier des armes, il assujétit tout jusqu'aux frontières de la Lybie ». Et un peu après: « Ninus affermit ses grandes conquêtes par une longue possession. Après avoir vaincu ses voisins et accru ses forces par celles des peuples sou mis, il fit servir ses premières victoires à en remporter de nouvelles et soumit tout l'Orient ». Quelque opinion qu'on ait sur la véracité de Justin ou de Trogne-Pompée, car
1. La guerre des gladiateurs fut terminée, au bout de trois ans, par L. Crassus.
il y a des historiens plus exacts qui les ont convaincus plus d'une fois d'infidélité, toujours est-il qu'on tombe d'accord que Ninus étendit beaucoup l'empire des Assyriens. Et quant à la durée de cet empire, elle excède celle de l'empire romain, puisque les chronologistes comptent douze cent quarante ans depuis la première année du règne de Ninus jusqu'au temps de la domination des Mèdes 1, Or, faire la guerre à ses voisins, attaquer des peuples de qui on n'a reçu aucune offense et seulement pour satisfaire son ambition, qu'est-ce autre chose que du brigandage en grand?
CHAPITRE VII.
S'IL FAUT ATTRIBUER A L'ASSISTANCE OU A L'ABANDON DES DIEUX LA PROSPÉRITÉ OU LA DÉCADENCE DES EMPIRES.
Si l'empire d'Assyrie a eu cette grandeur et cette durée sans l'assistance des dieux, pourquoi donc attribuer aux dieux de Rome la grandeur et la durée de l'empire romain? Quelle que soit la cause qui a fait prospérer les deux empires, elle est la même dans les deux cas. D'ailleurs si l'on prétend que l'empire d'Assyrie a prospéré par l'assistance des dieux, je demanderai : de quels dieux? car les peuples subjugués par Ninus n'adoraient point d'autres dieux que les siens. Dira-t-on que les Assyriens avaient des dieux particuliers, plus habiles ouvriers dans l'art de bâtir et de conserver des empires; je demanderai alors si ces dieux étaient morts quand l'empire d'Assyrie s'est écroulé? Ou bien serait-ce que faute d'avoir été payés de leur salaire, ou sur la promesse d'une plus forte récompense, ils ont mieux aimé passer aux Mèdes, pour se tourner ensuite du côté des Perses, en faveur de Cyrus qui les appelait et leur faisait espérer une condition plus avantageuse? En effet, ce dernier peuple, depuis la domination, vaste en étendue, mais courte en durée, d'Alexandre le Grand, a toujours conservé son ancien Etat, et il occupe aujourd'hui dans l'Orient une vaste étendue de pays 2. Or, s'il en est ainsi, ou bien les dieux sont coupables d'infidélité, puisqu'ils abandonnent leurs amis pour
1. Ici, comme plus bas (livre XVI, ch. 17), saint Augustin suit la chronologie d'Eusèbe.
L'empira des Perses, renversé par Alexandre (331 ans avant J.-C.), fut reconstitué par Arsace, chef des Parthes (246 ans avant J.-C.), pour reprendre une forme nouvelle sous Artaxerce, vainqueur des Parthes, vers 226 après J.-C.
(74)
passer du côté de leurs ennemis, et font ce que Camille, qui n'était qu'un homme, ne voulut pas faire, quand, après avoir vaincu les ennemis les plus redoutables de Rome, il éprouva l'ingratitude de sa patrie, et qu'au lieu d'en conserver du ressentiment, il sauva une seconde fois ses concitoyens en les délivrant des mains des Gaulois; ou bien ces dieux ne sont pas aussi puissants qu'il conviendrait à leur divinité, puisqu'ils peuvent être vaincus par la prudence ou par la force; ou enfin, s'il n'est pas vrai qu'ils soient vaincus par des hommes, mais par d'autres dieux, il y a donc entre ces esprits célestes des inimitiés et des luttes, suivant que chacun se range de tel ou tel parti, et alors pourquoi un Etat adorerait-il ses dieux propres de préférence à d'autres dieux que ceux-ci peuvent appeler comme auxiliaires? Quoi qu'il en soit au surplus de ce passage, de cette fuite, de cette migration ou de cette défection des dieux, il est certain qu'on ne connaissait point encore Jésus-Christ quand ces monarchies ont été détruites ou transformées. Car lorsque, après une durée de douze cents ans et plus, l'empire des Assyriens s'est écroulé, si déjà la religion chrétienne eût annoncé le royaume éternel et fait interdire le culte sacrilége des faux dieux, les Assyriens n'auraient pas manqué de dire que beur empire ne succombait, après avoir duré si longtemps, que pour avoir abandonné la religion des ancêtres et embrassé celle de Jésus-Christ. Que la vanité manifeste de ces plaintes soit comme un miroir où nos adversaires pourront reconnaître l'injustice des leurs, et qu'ils rougissent de les produire, s'il leur reste encore quelque pudeur. Mais je me trompe : l'empire romain n'est pas détruit, comme l'a été celui d'Assyrie; il n'est qu'éprouvé. Bien avant le christianisme, il a connu ces dures épreuves et il s'en est relevé. Ne désespérons pas aujourd'hui qu'il se relève encore; car en cela qui sait la volonté de Dieu?
CHAPITRE VIII.
LES ROMAINS NE SAURAIENT DIRE QUELS SONT PARMI LEURS DIEUX CEUX A QUI ILS CROIENT DEVOIR L'ACCROISSEMENT ET LA CONSERVATION DE LEUR EMPIRE, CHAQUE DIEU EN PARTICULIER ÉTANT CAPABLE TOUT AU PLUS DE VEILLER A SA FONCTION PARTICULIÈRE.
Mais cherchons, je vous prie, parmi cette multitude de dieux qu'adoraient les Romains, quel est celui ou quels sont ceux à qui ils se croient particulièrement redevables de la grandeur et de la conservation de leur empire ? Je ne pense pas qu'ils osent attribuer quelque part dans un si grand et si glorieux ouvrage à la déesse de Cloacina 1,ou à Volupia, qui tire son nom de-la volupté, ou à Libentina, qui prend le sien du libertinage, ou à Vaticanus, qui préside aux vagissements des enfants, ou à Cunina 2, qui veille sur leur berceau. Je ne puis ici rappeler en quelques lignes tous ces noms de dieux et de déesses qui peuvent à peine tenir dans de gros volumes, où l'on attache chaque divinité à son objet particulier, suivant la fonction qui lui est propre. Par exemple, on n'a pas jugé à propos de confier à un seul dieu le soin des campagnes; on a donné la plaine à Rusina 3, le sommet des montagnes à Jugatinus, la colline à Collatina, la vallée à Valbonia. On n'a même pas trouvé une divinité assez vigilante pour lui donner exclusivement la direction des moissons: on a recommandé à Séia les semences, pendant qu'elles sont encore en terre; à Segetia, les blés quand ils sont levés; à Tutilina, la tutelle des récoltes et des grains, quand ils sont recueillis dans les greniers. Evidemment Segetia n'a pas été jugée suffisante pour soigner les moissons depuis leur naissance jusqu'à leur maturité. Mais comme si ce n'était pas encore assez de cette foule de divinités à ces idolâtres insatiables dont l'âme corrompue dédaignait les chastes embrassements de son dieu pour se prostituer à une troupe infâme de démons, ils ont fait présider Proserpine aux germes des blés, le dieu Nodatus aux noeuds du tuyau, la déesse Volutina à l'enveloppe de l'épi; vient ensuite Patelana 4, quand l'épi s'ouvre; Hostilina, quand la barbe et l'épi sont de niveau; Flora, quand il est en fleur; Lacturnus, quand il est en lait; Matuta,
1. Il est clair que saint Augustin cite ici Cloacina comme la déesse des cloaques, ne fondant sur une tradition qui a été également suivie par Tertulien (De Pall., cap. 4, p. 22, édit. de Saumaise) et par saint Cyprien (De Idol. van.). Est-il vrai maintenant qu'il y eut à Rome une déesse des cloaques? c'est fort douteux. Cloaciria n'était peut-être qu'un surnom de Vénus (Vénus Cloacina, purgatrix, expiatria, a cluendo).
2. Cunina de cunae, berceau.-
3. Ces rapports étymologiques sont souvent intraduisibles en français. Rusina vient de rus (champs), et Jugatina de jugum (crête, cime des montagnes).
4. Patelana de patere, s'ouvrir; saint Augustin aurait même pu distinguer Patelana ou Patellana de Patella. Suivant Arnobe (Contr. gent., lib. IV, p. 124), on invoquait Patella pour les choses ouvertes et Patellina pour les choses à ouvrir.
(75)
quand il mûrit; Runcina, quand on le coupe 1. Je ne dis pas tout, car je me lasse de nommer ce qu'ils n'ont pas honte d'adorer; mais le peu que j'en ai dit suffit pour montrer qu'il est déraisonnable d'attribuer l'origine , les progrès et la conservation de l'empire romain à des divinités tellement appliquées à leur office particulier qu'aucune tâche générale ne pouvait leur être confiée. Comment Segetia se fût-elle mêlée du gouvernement de l'empire, elle à qui il n'était pas permis d'avoir soin à la fois des arbres et des moissons? comment Cunina eût-elle pensé à la guerre, lorsque sa charge ne s'étendait pas au-delà du berceau des enfants? que pouvait-on attendre de Nodatus dans les combats, puisque son pouvoir, borné aux noeuds du tuyau, ne s'élevait pas jusqu'à la barbe de l'épi? On se contente d'un portier pour garder l'entrée de sa maison, et ce portier suffit parfaitement, c'est un homme; nos idolâtres y ont mis trois dieux: Forculus, à la porte; Cardea, aux gonds; Limentinus, au seuil; en sorte que Forculus ne pouvait garder à la fois le seuil et les gonds 2.
CHAPITRE IX.
SI L'ON DOITATTRIBUER LA GRANDEUR ET LA DURÉE DE L'EMPIRE ROMAIN A JUPITER, QUE SES ADORATEURS REGARDENT COMME LE PREMIER DES DIEUX.
Mais laissons là, pour quelque temps du moins, la foule des petits dieux et cherchons quel a été le rôle de ces grandes divinités par qui Rome est devenue la dominatrice des nations. Voilà sans doute une oeuvre digne de Jupiter, de ce dieu qui passe pour le roi de tous les dieux et de toutes les déesses, ainsi que le marquent et le sceptre dont il est armé, et ce Capitole construit en son honneur au sommet d'une haute colline.
« Tout est plein de Jupiter 3 »
s'écrie Virgile, et ce mot, quoique d'un poète, est cité comme exactement vrai. Suivant Varron, c'est Jupiter qu'adorent en réalité ceux qui ne veulent adorer qu'un dieu sans image auquel ils donnent un autre nom 4 . Si cela
1. Proserpina de proserpere, germer; Volutina de involumentum, enveloppe; Hostilina (suivant saint Augustin) de hostire pour aequare, égaler, être de niveau; Runeina de runcare, runcinare, sarcler.
2. Forculus de feria, porte; Cardea de cardo, gond; Limentinus de limen, seuil.
3. Virgile, Eclog., III, vers 60.
4. Varron voulait-il parler du Jéhovah des Juifs? c'est ce qui semble résulter de divers autres passages de saint Augustin.Voyez plus bas, ch. 3), et le traité De cons. Evangel., lib. I, n. 30.
est, d'où vient qu'on l'a respecté assez peu à Rome et ailleurs pour le représenter par une statue? Superstition blâmée expressément par Varron, qui, tout entraîné qu'il pût être par le torrent de la coutume et par l'autorité de Rome, n'a pas laissé de dire et d'écrire qu'en élevant des statues aux dieux, on avait banni la crainte pour introduire l'erreur.
CHAPITRE X.
DES SYSTÉMES QUI ATTACHENT DES DIEUX DiFFÉRENTS AUX DIFFÉRENTES PARTIES DE L'UNIVERS.
Pourquoi avoir marié Jupiter avec Junon qu'on nous donne pour être à la fois « et sa soeur et sa femme 1? » C'est, dit-on, que Jupiter occupe l'éther, Junon, l'air, et que ces deux éléments, l'un supérieur, l'autre inférieur, sont étroitement unis. Mais alors, si Junon remplit la moitié du monde, elle ôte de sa place à ce dieu dont le poète a dit:
« Tout est plein de Jupiter ».
Dira-t-on que les deux divinités remplissent l'une et l'autre les deux éléments et qu'elles sont ensemble chacun d'eux? Je demanderai pourquoi l'on assigne particulièrement l'éther à Jupiter et l'air à Junon? D'ailleurs, s'il suffit de ces deux divinités pour tout remplir, à quoi sert d'avoir donné la mer à Neptune et la terre à Pluton? Et qui plus est, de peur de laisser ces dieux sans femmes, on a marié Neptune avec Salacie et Pluton avec Proserpine. C'est, dit-on, que Proserpine occupe la région inférieure de la terre, comme Salacie la région inférieure de la mer, et Junon la région inférieure du ciel, qui est l'air. Voilà comment les païens essaient de coudre leurs fables; mais ils n'y parviennent pas. Car si les choses étaient comme ils le disent, leurs anciens sages admettraient trois éléments et non pas quatre, afin d'en accorder le nombre avec celui des couples divins. Or, ils distinguent positivement l'éther d'avec l'air. Quant à l'eau, supposé que l'eau supérieure diffère en quelque façon de l'eau inférieure, en haut ou en bas, c'est toujours de l'eau. De même pour la terre; la différence du lieu peut bien changer ses qualités, mais non sa nature. Maintenant, avec ces trois ou ces quatre éléments, voilà le
1. Virgile, Énéide, livre 1, vers 47.
monde complet: où donc sera Minerve? quelle partie du monde aura-t-elle à remplir, quel lieu à habiter? Car on s'est avisé de la mettre au Capitole 1 avec Jupiter et Junon, bien qu'elle ne soit pas le fruit de leur mariage. Si on dit qu'elle habite la plus haute région de l'air et que c'est pour cela que les poètes la font naître du cerveau de Jupiter, je demande pourquoi on ne l'a pas mise à la tête des dieux, puisqu'elle est située au-dessus de Jupiter. Serait-ce qu'il n'eût pas été juste de mettre la fille au-dessus du père? mais alors pourquoi n'a-t-on pas gardé la même justice entre Jupiter et Saturne? C'est, dira-t-on, que Saturne a été vaincu par Jupiter. Ces deux dieux se sont donc battus! Point du tout, s'écrie-t-on; ce sont là des bavardages de la fable. Eh bien! soit; ne croyons pas à la fable et ayons meilleure opinion des dieux. Puis donc que l'on n'a pas mis Saturne au-dessus de Jupiter, que ne plaçait-on le père et le fils sur le même rang? C'est, dit-on, que Saturne est l'image du temps 2. A ce compte, ceux qui adorent Saturne adorent le temps, et voilà Jupiter, le roi des dieux, qui est issu du temps. Aussi bien, quelle injure fait-on à Jupiter et à Junon de dire qu'ils sont issus du temps, s'il est vrai que Jupiter soit le ciel et Junon la terre 3, le ciel et la terre ayant été créés dans le temps? C'est la doctrine qu'on trouve dans les livres de leurs savants et de leurs sages; et Virgile s'inspire, non des fictions de la poésie, mais des systèmes des philosophes, quand il dit:
« Alors le Père tout-puissant, l'Ether, descend au sein de son épouse et la réjouit par des pluies fécondes 4 ».
c'est-à-dire qu'il descend au sein de Tellus ou de la Terre; car encore ici, on veut voir des différences et soutenir qu'autre chose est la Terre, autre chose Tellus, autre chose enfin Tellumo 5. Chacune de ces trois divinités a son nom, ses fonctions, son culte et ses autels. On donne encore à la terre le nom de mère des dieux, en sorte qu'il n'y a pas tant à se récrier
1. Minerve fut placée an Capitole sous Tarquin le Superbe. Voyez Denys d'Halycarnasse, Antiq., lib. IV, cap. 62.
2. Voyez Cicéron, de Nat. deor., lib. , cap. 25.
3. Junon, citée ici comme figurant la terre, est citée plus haut somme figurant l'air. Il n'y a pas là proprement inexactitude, ni contradiction. Junon, par rapport à Jupiter, c'est l'élément inférieur par rapport à l'élément supérieur. Quand Jupiter figure l'éther, Junon figure l'air; quand Jupiter désigne le ciel, Junon désigne la terre, Voyez Varron, De ling. lat., lib. V, cap. 27.
4. Virgile, Georg., liv. II, vers 325, 326.
5. Terra désignait l'élément terrestre dans son unité, Tellus, la capacité passive de la terre, Tellumo, son énergie active et fécondante. Voyez plus bas, livre VII, ch. 23.
contre les poètes, puisque voilà les livres sacrés qui font de Junon, non-seulement la soeur et la femme, mais aussi la mère de Jupiter. On veut encore que la terre soit Cérès ou Vesta, quoique le plus souvent Vesta ne soit que le feu, la divinité des foyers, sans lesquels une cité ne peut exister. Et c'est pour cela que l'on consacre des vierges au service de Vesta, le feu ayant cette analogie avec les vierges, que, comme elles, il n'enfante rien. Mais tous ces vains fantômes devaient s'évanouir devant celui qui a voulu naître d'une vierge. Et qui pourrait souffrir, en effet, qu'après avoir attribué au feu une dignité si grande et une sorte de chasteté, ils ne rougissent point d'identifier quelquefois Vesta avec Vénus, afin sans doute que la virginité, si révérée dans les vestales, ne soit plus qu'un vain nom? Si Vesta n'est autre que Vénus, comment des vierges la serviraient-elle en s'abstenant des oeuvres de Vénus? Y aurait-il par hasard deux Vénus, l'une vierge et l'autre épouse?ou plutôt trois, la Vénus des vierges ou Vesta, la Vénus des femmes, et la Vénus des courtisanes, à qui les Phéniciens offraient le prix de la prostitution de leurs filles avant que de les marier 1 ? Laquelle de ces trois Vénus est la femme de Vulcain? Ce n'est pas la vierge, puisqu'elle a un mari. Loin de moi la pensée que ce soit la courtisane! ce serait faire trop d'injure au fils de Junon, à l'émule de Minerve. C'est donc la Vénus des épouses; mais alors que les épouses prennent garde d'imiter leur patronne dans ce qu'elle a fait avec Mars. Vous en revenez encore aux fables, me dira-t-on; mais, en vérité, où est la justice à nos adversaires de s'emporter contre nous, quand nous parlons ainsi de leurs dieux, et de ne pas s'emporter contre eux-mêmes, quand ils assistent avec tant de plaisir au spectacle des crimes de ces dieux, et, chose incroyable si le fait n'était pas avéré, quand ils veulent faire tourner à l'honneur de la divinité ces représentations scandaleuses?
CHAPITRE XI.
DE CETTE OPINION DES SAVANTS DU PAGANISME QUE TOUS LES DIEUX NE SONT QU'UN SEUL ET MÊME DIEU, SAVOIR : JUPITER.
Qu'ils apportent donc autant de raisons
1. Au témoignage d'Eusèbe, d'après Sanchoniathon ; voyez Praep. Evang. Lib. I, cap. 10.
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physiques et autant de raisonnements qu'il leur plaira pour établir tantôt que Jupiter est l'âme du monde, laquelle pénètre et meut foute cette masse immense composée de quatre éléments ou d'un plus grand nombre; tantôt qu'il donne une part de sa puissance à sa soeur et à ses frères; tantôt qu'il est l'éther et qu'il embrasse Junon, qui est l'air répandu au-dessous de lui; tantôt qu'avec l'air il est tout le ciel, et que, par ses pluies et ses semences, il féconde la terre, qui se trouve être à la fois sa femme et sa mère, car cela n'a rien de déshonnête entre dieux; tantôt enfin, pour n'avoir pas à voyager dans toute la nature, qu'il est le dieu unique, celui dont a voulu parler, au sentiment de plusieurs, le grand poète qui a dit:
« Dieu circule à travers toutes les terres, toutes les mers, toutes les profondeurs des cieux 1».
Qu'ainsi, dans l'éther, il soit Jupiter, dans l'air, Junon; dans la région supérieure de la mer, Neptune, et Salacie dans la région inférieure; Pluton au haut de la terre, et au bas, Proserpine ; dans les foyers domestiques, Vesta; dans les forges, Vulcain ; parmi les astres, le Soleil, la Lune et les Etoiles; parmi les devins, Apollon; dans le commerce, Mercure; en tout ce qui commence, Janus, et Terminus en tout ce qui finit; dans le temps, Saturne; dans la guerre, Mars et Bellone; dans les fruits de la vigne, Liber; dans les moissons, Cérès; dans les forêts, Diane; dans les arts, Minerve; enfin, qu'il soit encore cette foule de petits dieux, pour ainsi dire plébéiens : qu'il préside, sous le nom de Liber, à la vertu génératrice des hommes, et sous le nom de Libera à celle des femmes; qu'il soit Diespiter 2 qui conduit les accouchements à terme; Mona, qui veille au flux menstruel; Lucina, qu'on invoque au moment de la délivrance; que sous le nom d'Opis 3 il assiste les nouveau-nés et les recueille sur le sein de la terre; qu'il leur ouvre la bouche à leurs premiers vagissements et soit alors le dieu Vaticanus; qu'il devienne Levana pour les soulever de terre, et Cunina pour les soigner dans leur berceau; qu'il réside en ces déesses
1. Virgile, Georg., lib. IV,vers. 221, 222.
2. Diespiter signifie probablement père du jour (diei pater). Voyez Aulu-Gelle, lib. V, cap. 12, et Varron, De ling. lat., lib. V, § 66.
3. Opis, de ops, force, secours. La déesse Opis ne doit pas être confondue avec Opa ou Rhéa, femme de Saturne. Voyez Servius ad Virg. , Aen., lib. XI, vers 532.
qui prophétisent les destinées, et qu'on appelle Carmentes 1; qu'il préside, sous le nom de Fortune, aux événements fortuits; qu'il soit Rumina, quand il présente aux enfants la mamelle, par la raison que le vieux langage nomme la mamelle ruma; qu'il soit Potina pour leur donner à boire, et Educa 2 pour leur donner à manger; qu'il doive à la peur enfantine le nom de Paventin; à l'espérance qui vient celui de Venilia; à la volupté celui de Volupia; à l'action celui d'Agenoria; aux stimulants qui poussent l'action jusqu'à l'excès, celui de Stimula ; qu'on l'appelle Strenia, parce qu'il excite le courage; Numeria, comme enseignant à nombrer; Camena, comme apprenant à chanter; qu'il soit le dieu Consus, pour les conseils qu'il donne, et la déesse Sentia pour les sentiments qu'il inspire; qu'il veille, sous le nom de Juventa, au passage de l'enfance à la jeunesse; qu'il soit encore la Fortune Barbue, qui donne de la barbe aux adultes, et qu'on aurait dû, pour leur faire honneur, appeler du nom mâle de Fortunius, plutôt que d'un nom femelle, à moins qu'on n'eût préféré, selon l'analogie qui a tiré le dieu Nodatus des noeuds de la tige, donner à la Fortune le nom de Barbatus, puisqu'elle a les barbes dans son domaine; que ce soit encore le même dieu qu'on appelle Jugatinus, quand il joint les époux; Virginiensis, quand il détache du sein de la jeune mariée la ceinture virginale ; qu'il soit même, s'il n'en a point de honte, le dieu Mutunus ou Tutunus 3, que les Grecs appellent Priape; en un mot, qu'il soit tout ce que j'ai dit et tout ce que je n'ai pas dit, car je n'ai pas eu dessein de tout dire; que tous ces dieux et toutes ces déesses forment un seul et même Jupiter, ou que toutes ces divinités soient ses parties, comme le pensent quelques-uns, ou ses vertus, selon l'opinion qui fait de lui l'âme du monde; admettons enfin celle de ces alternatives qu'on voudra, sans examiner en ce moment ce qu'il en est, je demande ce que perdraient les païens à faire un calcul plus court et plus sage, et à n'adorer qu'un seul Dieu? Que méprise,rait-on de lui, en effet, en l'adorant lui-même? Si l'on a eu à craindre que quelques parties de sa divinité omises ou négligées ne vinssent à s'en irriter, il n'est donc pas vrai
1. Sur le rôle de ces déesses, voyez Aulu-Gelle, lib. XVI, cap. 16.
2. Potina de potare, boire; Educa de educare, nourrir.
3. Sur le dieu Mutunus ou ToIsions, voyez Arnobe, Contr. gent., ib. IV, p. 134, et Lactance, Inst., lib. I, cap. 20.
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qu'il soit, comme on le prétend, la vie universelle embrassant dans son unité tous les dieux comme ses vertus, ses membres ou ses parties; et il faut croire alors que chaque partie a sa vie propre, séparée de la vie des autres parties, puisque l'une d'elles peut s'irriter, s'apaiser, s'émouvoir sans l'autre. Dira- t-on que toutes ses parties ensemble, c'est-à-dire tout Jupiter s'offenserait, si chaque partie n'était point particulièrement adorée? Ce serait dire une absurdité; car aucune partie ne serait négligée, du moment qu'on servirait celui qui les comprend toutes. D'ailleurs, sans entrer ici dans des détails infinis, quand les païens soutiennent que tous les astres sont des parties de Jupiter, qu'ils ont la vie et des âmes raisonnables, et qu'à ce titre ils sont évidemment des dieux, ils ne s'aperçoivent pas qu'à ce compte il y a une infinité de dieux qu'ils n'adorent pas et à qui ils n'élèvent ni temples, ni autels, puisqu'il y a très-peu d'astres qui aient un culte et des sacrifices particuliers. Si donc les dieux s'offensent quand ils ne sont pas singulièrement adorés, comment les païens ne craignaient-ils pas, pour quelques dieux qu'ils se rendent propices, d'avoir contre eux tout le reste du ciel? Que s'ils pensent adorer toutes les étoiles en adorant Jupiter qui les embrasse toutes, ils pourraient donc aussi résumer dans le culte de Jupiter celui de tous les dieux. Ce serait le moyen de les contenter tous; au lieu que le culte rendu à quelques-uns doit mécontenter le nombre beaucoup plus grand de ceux qu'on néglige, surtout quand ils se voient préférer un Priape étalant sa nudité obscène, eux qui resplendissent de lumière dans les hauteurs du ciel.
CHAPITRE XII.
DU SYSTÈME QUI FAIT DE DIEU L'ÂME DU MONDE ET DU MONDE LE CORPS DE DIEU.
Que dirai-je maintenant de cette doctrine d'un Dieu partout répandu? ne doit-elle pas soulever tout homme intelligent ou plutôt tout homme quel qu'il soit? Certes il n'est pas besoin d'une grande sagacité, à quiconque sait se dégager de l'esprit de contention, pour reconnaître que si Dieu est l'âme du monde et le monde le corps de cette âme, si ce Dieu réside en quelque façon au sein de la nature, contenant toutes choses en soi, de telle sorte que l'âme universelle qui vivifie la masse tout entière soit la substance commune d'où naissent chacune à son tour les âmes de tous les vivants, il suit de là qu'il n'y a aucun être qui ne soit une partie de Dieu. Or, qui ne voit que les conséquences de ce système sont impies et irréligieuses au suprême degré, puisqu'il s'ensuit qu'en marchant sur un corps, je marche sur une partie de Dieu, et qu'en tuant un animal, c'est une partie de Dieu que je tue? Mais je ne veux pas dire tout ce que peut ici suggérer la pensée, sans que le langage puisse décemment l'exprimer.
CHAPITRE XIII.
DU SYSTÈME QUI N'ADMET COMME PARTIES DE DIEU QUE LES SEULS ANIMAUX RAISONNABLES.
Dira-t-on qu'il n'y a que les animaux raisonnables, comme les hommes, par exemple, qui soient des parties de Dieu? Mais si le monde tout entier est Dieu, je ne vois pas de quel droit on retrancherait aux bêtes leur portion de divinité. Au surplus, à quoi bon insister? ne parlons que de l'animal raisonnable, de l'homme. Quoi de plus tristement absurde que de croire qu'en donnant le fouet à un enfant, on le donne à une partie de Dieu? Que dire de ces parties de Dieu qui deviennent injustes, impudiques, impies, damnables enfin, si ce n'est que pour supporter de pareilles conséquences, il faut avoir perdu le sens? Je demanderai enfin pourquoi Dieu s'irrite contre ceux qui ne l'adorent pas, puisque c'est s'irriter contre des parties de soi-même. Il ne reste donc qu'une chose à dire, c'est que chacun des dieux a sa vie propre, qu'il vit pour soi, sans faire partie d'un autre que soi, et qu'il faut adorer, sinon tous les dieux, car ils sont tellement nombreux que cela est impossible, du moins tous ceux que l'on peut connaître et servir. Ainsi, comme Jupiter est le roi des dieux, j'imagine que c'est à lui qu'on attribue la fondation et l'accroissement de l'empire romain. Car s'il n'était pas l'auteur d'un si grand ouvrage, à quel autre dieu en pourrait-on faire honneur, chacun ayant son emploi distinct qui l'occupe assez et ne lui laisse pas le temps d'entreprendre sur la charge des autres? Il n'y a donc sans contredit que le roi des dieux qui ait pu travailler à l'accroissement et à la grandeur du roi des peuples. (79)
CHAPITRE XIV.
ON A TORT DE CROIRE QUE C'EST JUPITER QUI VEILLE A LA PROSPÉRITÉ DES EMPIRES, ATTENDU QUE LA VICTOIRE, SI ELLE EST UNE DÉESSE, COMME LE VEULENT LES PAÏENS, A PU SEULE SUFFIRE A CET EMPLOI.
Je demanderai ici tout d'abord pourquoi on n'a pas fait de l'empire un dieu. On n'en peut donner aucune raison, puisqu'on a fait de la victoire une déesse. Qu'est-il même besoin dans cette affaire de recourir à Jupiter, si la victoire a ses faveurs et ses préférences, et si elle va toujours trouver ceux qu'elle veut rendre vainqueurs? Avec la protection de cette déesse, quand même Jupiter resterait les bras croisés ou s'occuperait d'autre chose, de quelles nations, de quels royaumes ne viendrait-on pas à bout? On dira que les gens de bien sont arrêtés par la crainte d'entreprendre des guerres injustes qui n'ont d'autre objet que de s'agrandir aux dépens de voisins pacifiques et inoffensifs. Voilà de beaux sentiments; si ce sont ceux de mes adversaires, je m'en réjouis et je m'en félicite.
CHAPITRE XV.
S'IL CONVIENT A UN PEUPLE VERTUEUX DE SOUHAITER DE S'AGRANDIR.
Mais il y a dès lors une nouvelle question qui s'élève : c'est de savoir s'il convient à un peuple vertueux de se réjouir de l'agrandissement de son empire. La cause, en effet, ne saurait en être que dans l'injustice de ses voisins qui en l'attaquant sans raison lui ont donné occasion de s'agrandir justement par la guerre. Supposez, en effet, qu'entre tous les peuples voisins régnassent la justice et la paix, tout État serait de peu d'étendue, et au sein de cette médiocrité et de ce repos universels les divers États seraient dans le monde ce que sont les diverses familles dans la cité. Ainsi la guerre et les conquêtes, qui sont un bonheur pour les méchants, sont pour les bons une nécessité. Toutefois, comme le mal serait plus grand si les auteurs d'une agression injuste réussissaient à subjuguer ceux qui ont eu à la subir, on a raison de regarder la ‘victoire des bons comme une chose heureuse; mais cela n'empêche pas que le bonheur ne soit plus grand de vivre en paix avec un bon voisin que d'être obligé d'en subjuguer un mauvais, Car il est d'un méchant de souhaiter un sujet de haine ou de crainte pour avoir un sujet de victoire. Si donc ce n'est que par des guerres justes et légitimes que les Romains sont parvenus à posséder un si vaste empire, je leur propose une nouvelle déesse à adorer: c'est l'Injustice des nations étrangères, qui a si fort contribué à leur grandeur par le soin qu'elle a pris de leur susciter d'injustes ennemis, à qui ils pouvaient faire justement et avantageusement la guerre. Et pourquoi l'injustice ne serait-elle pas une déesse, et une déesse étrangère, puisque la Crainte, la Pâleur et la Fièvre sont au rang des divinités romaines? C'est donc à ces deux déesses, l'Injustice étrangère et la Victoire, qu'il convient d'attribuer la grandeur des Romains, l'une pour leur avoir donné des sujets de guerres, l'autre pour les avoir heureusement terminées sans que Jupiter ait eu la peine de s'en mêler. Quelle part en effet pourrait-on lui attribuer, du moment où les faveurs qui seraient réputées venir de lui sont elles-mêmes prises pour des divinités, et sont honorées et invoquées comme telles? II y aurait part s'il s'appelait Empire, comme l'autre s'appelle Victoire. Or, si l'on dit que l'empire est un présent de Jupiter, pourquoi la victoire n'en serait-elle pas un aussi? Et certes elle en serait un en effet, si au lieu d'adorer une pierre au Capitole, on reconnaissait et on adorait le Roi des rois et le Seigneur des seigneurs 1.
CHAPITRE XVI.
POURQUOI LES ROMAINS, QUI ATTACHAIENT UNE DIVINITÉ A TOUS LES OBJETS EXTÉRIEURS ET A TOUTES LES PASSIONS DE L'AME, AVAIENT PLACÉ HORS DE LA VILLE LE TEMPLE DU REPOS.
Je suis fort surpris que les Romains, qui affectaient une divinité à chaque objet et pres. que à chaque mouvement de l'âme, et qui avaient bâti des temples dans la ville à la déesse Agenoria, qui nous fait agir, à la déesse Stimula, qui nous stimule aux actions excessives, à la déesse Murcia, qui, tout au contraire, au lieu de nous exciter, nous rend, dit Pomponius, mous et languissants 2, à la déesse Strenia, qui nous donne de la résolution; je m'étonne, dis-je, qu'ils n'aient pas voulu
1. Apoc. XIX, 16.
2. Il y a ici un rapport intraduisible dans les mots. La déesse Murcia, dit saint Augustin d'après Pomponius, rend l'homme murcidus c'est-à-dire mou et languissant. Quel est ce Pomponius? on l'ignare.
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admettre le Repos aux honneurs publics de Rome et l'aient laissé hors de la porte Colline 1. Etait-ce un signe de leur esprit ennemi du repos, ou plutôt n'était-ce pas une preuve que les adorateurs obstinés de cette troupe de divinités ou plutôt de démons ne peuvent jouir de ce repos auquel le vrai Médecin nous convie, quand il dit: « Apprenez de moi à être u doux et humbles de coeur, et vous trouverez « dans vos âmes le repos 2».
CHAPITRE XVII.
SI, EN SUPPOSANT JUPITER TOUT-PUISSANT, LA VICTOIRE DOIT ÊTRE TENUE POUR DÉESSE.
Dira-t-on que c'est Jupiter qui envoie la Victoire, et que cette déesse, étant obligée d'obéir au roi des dieux, va trouver ceux qu'il lui désigne et se range de leur côté? Cela aurait un sens raisonnable si, au lieu de Jupiter, roi tout imaginaire, il s'agissait du véritable Roi des siècles, lequel envoie son ange (et non la Victoire, qui n'est pas un être réel) pour distribuer à qui il lui plaît le triomphe ou le revers selon les conseils quelquefois mystérieux, jamais injustes, de sa Providence. Mais si l'on voit dans la Victoire une déesse, pourquoi le Triomphe ne serait-il pas un dieu; et lue n'en fait-on le mari de la Victoire, ou son frère, ou son fils? En général, les idées que les païens se sont formées des dieux sont telles que si je les trouvais dans les poëtes et si je voulais les discuter sérieusement, mes adversaires ne manqueraient pas de me dire que ce sont là des fictions poétiques dont il faut rire au lieu de les prendre au pied de la lettre; et cependant ils ne riaient pas d'eux-mêmes, quand ils allaient, non pas lire dans les poètes, mais consacrer dans les temples ces traditions insensées. C'est donc à Jupiter qu'ils devaient demander toutes choses, c'est à lui seul qu'il fallait s'adresser; car, supposez que la Victoire soit une déesse, mais une déesse soumise à un roi, de quelque côté qu'il l'eût envoyée, on ne peut admettre qu'elle eût osé lui désobéir.
1. Le temple du Repos était situé sur la voie Lavicana, qui commençait à la porte Esquilina. Voyez Tite-Live, lib. IV, cap. 41.
2. Matt. XI, 29.

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