SAINTE GERTRUDE D'HELFTA
Religieuse bénédictine d'Eisleben
(1256-1302)
"Je veux que tes écrits soient pour les derniers temps où J'ai résolu de répandre Ma Grâce sur beaucoup" (Jésus à Sainte-Gertrude,
2ème tome, chapitre X, 1er §)
Sainte Gertrude d'Eisleben est la plus célèbre de Ste Gertrudeplusieurs Saintes qui portent le même nom, et c'est pour cela que d'anciens auteurs l'ont appelée Gertrude la Grande. On la mit, dès l'âge de cinq ans, chez les Bénédictines d'Helfa. Elle y vint comme simple religieuse, sous la direction d'une abbesse du même nom qu'elle, dont la soeur était sainte Mechtilde d'Hackeborn, qui fut la maîtresse et l'amie de notre sainte Gertrude.
Gertrude apprit le latin dans sa jeunesse, ce que faisaient alors des personnes de son sexe qui se consacraient à Dieu dans la retraite. Elle avait aussi une connaissance peu commune de l'Écriture et de toutes les sciences qui ont la religion pour objet; mais la prière et la contemplation furent toujours son principal exercice, et elle y consacrait la plus grande partie de son temps. Elle aimait particulièrement à méditer sur la Passion et sur l'Eucharistie, et elle ne pouvait alors retenir les larmes qui, malgré elle, coulaient de ses yeux en abondance. Lorsqu'elle parlait de Jésus-Christ et de Ses mystères, elle ravissait ceux qui l'entendaient. Un jour qu'on chantait à l'Église ces paroles: "J'ai vu le Seigneur face à face," elle vit une face divine d'une éclatante beauté, dont les yeux perçaient son coeur et remplirent son âme et son corps de délices inexprimables.
L'amour divin était l'unique principe de ses affections et de ses actions. De là ce crucifiement entier au monde et à toutes ses vanités. Elle fut l'objet d'un grand nombre de grâces extraordinaires; Jésus-Christ grava Ses plaies dans le coeur de Sa sainte épouse, lui mit des anneaux au doigt, Se présenta devant elle en compagnie de Sa Mère et agit en elle comme s'Il avait changé de coeur avec elle. Toutes ces grâces étonnantes ne firent que développer son amour de la souffrance. Il lui était impossible de vivre sans ressentir quelque douleur; le temps qu'elle passait sans souffrir lui paraissait perdu. Le zèle pour le salut des âmes était ardeur au coeur de Gertrude. Pensant aux âmes des pécheurs, elle répandait pour elles des torrents de larmes au pied de la Croix et devant le Saint-Sacrement.
Pendant la longue maladie de cinq mois dont elle devait mourir, elle ne donna pas le moindre signe d'impatience ou de tristesse; sa joie, au contraire augmentait avec ses douleurs. Le jour de sa mort étant venu, elle vit la Très Sainte Vierge descendre du Ciel pour l'assister; une de ses soeurs aperçut son âme allant droit au Coeur de Jésus, qui S'ouvrit pour la recevoir. Sainte Gertrude est une des grandes mystiques de l'Église. Le livre de ses Révélations est demeuré célèbre.
Source : Abbé L. Jaud, Vie des Saints pour tous les jours de l'année, Tours, Mame, 1950.
LES RÉVÉLATIONS DE SAINTE GERTRUDE
VIERGE DE L'ORDRE DE SAINT-BENOIT AU MONASTÈRE
Traduction de « Insinuationes divinæ pietatis » par des moines bénédictins en 1884
PROLOGUE
L'ESPRIT consolateur, distributeur de tous les biens, « qui souffle où il veut » (Jean, III, 8), comme il veut et quand il veut, tient ordinairement cachés les secrets de son. amour, mais parfois cependant il veut les manifester au dehors pour le bien des âmes. Nous en trouverons un exemple dans cette servante de Dieu. Bien que la divine Bonté n'ait cessé de se répandre en elle, c'est par intervalles seulement qu'elle lui ordonna de publier les merveilles de sa tendresse. Ce livre a donc été écrit à diverses époques. La première partie a été rédigée huit ans après le commencement des faveurs divines, la seconde n'a été achevée qu'environ vingt ans plus tard, et le Seigneur daigna accepter chacune de ces parties 1. En effet, quand la première eut été écrite, celle-ci la présenta avec humilité et dévotion au Seigneur, qui dans son extrême Bonté lui fit cette réponse : «Personne n'a le pouvoir d'éloigner de moi le mémorial de l'abondance de ma divine suavité. » Par cette parole elle comprit que le Seigneur voulait donner pour titre à ce livre : Mémorial de l'abondance de ma divine suavité. Le Seigneur ajouta : « Si quelqu'un cherche dans ces pages les biens spirituels de son âme, je l'attirerai tout près de moi, je prendrai part à sa lecture, paraissant tenir ce livre dans mes mains. Lorsque deux personnes lisent ensemble dans le même livre, l'une semble respirer le souffle de l'autre. De même j'aspirerai le souffle des désirs de cette âme et ils viendront émouvoir en sa faveur les entrailles de ma miséricorde ; de mon côté, je lui ferai respirer le souffle de ma divinité, et elle sera toute renouvelée intérieurement. » Le Seigneur dit encore: «Celui qui dans une pareille intention transcrira les paroles de ce livre, recevra à chaque trait qui s'y trouve les flèches d'amour lancées vers lui par la douceur infinie de mon Cœur sacré, et son âme éprouvera les plus ineffables délices. »
Pendant qu'on rédigeait la seconde partie, elle exhala une nuit ses tendres plaintes au Seigneur. Il la consola avec sa bonté ordinaire et dit, entre autres choses : Je t'ai donnée pour être la lumière des nations, et pour être mon salut jusqu'aux extrémités de la terre. (Isaïe, XLIX, 6. ) Elle comprit qu'il parlait de ce livre à peine commencé et s'écria : « Et comment, ô Dieu, quelqu'un pourrait-il recevoir par ce petit livre la lumière de votre connaissance, puisque je ne veux pas que cette rédaction soit continuée ni que les pages déjà écrites soient jamais connues ? » Le Seigneur répondit : « Quand je choisis Jérémie pour mon prophète, il se trouvait incapable de parler ou d'agir avec la discrétion convenable, cependant j'ai repris les peuples et les rois par les paroles de sa bouche. De même, ceux que j'ai résolu d'amener par ton moyen à la lumière de la connaissance et de la vérité ne sauraient être frustrés de ce secours, car personne ne peut mettre obstacle à la prédestination éternelle ; ceux que j'ai prédestinés, je les appellerai, et ceux que j'aurai appelés, je les justifierai en la manière qui me plaira. »
Une autre fois, comme dans la prière elle faisait tous ses efforts pour obtenir du Seigneur la permission d'interrompre la rédaction de ce livre, parce que l'ordre de ses supérieurs lui semblait moins pressant, le Seigneur lui répondit avec bonté : « Ne sais-tu. pas que l'ordre de ma volonté surpasse toute autre obédience ? Puisque je désire voir ce livre écrit, pourquoi te troubler? C'est moi qui stimule celle qui le compose ; je l'aiderai fidèlement et je garderai intact ce qui est mon bien. » Elle conforma alors sa volonté au bon plaisir de Dieu et lui dit : « Très aimé Seigneur, quel titre voulez-vous donner à ce livre ? » Le Seigneur répondit : « Ce livre, qui est mien, s'appellera LE HERAUT DE L'AMOUR DIVIN, parce qu'il donnera un certain avant goût de mon surabondant Amour. » Remplie d'admiration, elle dit encore : « Puisque ceux qui sont envoyés comme ambassadeurs ou hérauts jouissent d'une grande autorité, quelle autorité daignerez-vous accorder à ce livre ? » Le Seigneur répondit : « Par la vertu de ma Divinité, celui qui pour ma gloire lira ce livre avec une foi droite, une humble dévotion, une amoureuse reconnaissance et pour y trouver le bien de son âme obtiendra la rémission de ses péchés véniels, la grâce des consolations spirituelles, et de plus une disposition à recevoir un accroissement des biens célestes. »
Elle vit ensuite que la volonté de Dieu était que l'on joignit, pour en faire un seul livre, les deux parties de ce travail, et par de ferventes prières elle lui demanda comment ces deux parties, auxquelles il avait donné un titre diffèrent, pourraient être réunies. Le Seigneur répondit : « Comme souvent un père et une mère sont plus considérés à cause des charmes de leur enfant de même j'ai voulu que ce livre fut composé de deux parties et qu'il indiquât par son titre même le caractère de cette double origine, à savoir : LE HÉRAUT DU MEMORIAL DE L'ABONDANCE DE MON DIVIN AMOUR parce que, tout en faisant connaître mon amour, il perpétuera la mémoire de mes élus. »
Il est très évident par les récits de ce livre, que celle-ci fut toujours favorisée de la divine présence; cependant on rencontrera parfois ces expressions : Le Seigneur lui apparut, ou encore : se tint près d'elle. En effet bien que, par un privilège spécial il lui fût presque toujours présent il se montra quelquefois à elle sous des images plus sensibles, lorsqu'il y avait un motif ou une occasion d'instruire par là d'autres âmes, à la faiblesse desquelles Dieu voulait condescendre. Aussi dans les manifestations diverses que nous allons décrire, verra-t-on que Dieu aime tous les hommes et cherche le salut de tous, même en ne visitant qu'une seule âme. C'était aux jours de férie comme aux jours de fête que le Seigneur lui faisait sans interruption toutes ces grâces, se révélant à elle tantôt par des images sensibles, tantôt par les plus pures illuminations de l'entendement. Néanmoins il a voulu que dans ce livre on parlât à l'intelligence naturelle par des images sensibles, pour que tout lecteur puisse comprendre.
Le tout a été divisé en cinq livres : le premier contient l'éloge de la personne qui fut le sujet de ces faveurs, et les témoignages des grâces qu'elle reçut. Dans le second se trouvent consignées, et la manière dont elle reçut ces faveurs, et les actions de grâces qu'elle en rendit, le tout écrit de sa propre main à l'instigation de l'Esprit de Dieu. Dans le troisième sont exposés quelques-uns des bienfaits qui lui furent accordés. Le quatrième raconte les visites par lesquelles la divine Bonté daigna la consoler en certaines fêtes. Dans le cinquième sont relatées les révélations que le .Seigneur daigna lui faire sur les mérites de plusieurs défunts. On y ajoute les consolations dont le Seigneur, voulut bien prévenir ses derniers moments. Mais tenons compte de cette recommandation d'Hugues de Saint-Victor : « Toute vérité que ne confirme pas l'autorité des Écritures m'est suspecte. » A quoi il ajoute: « Une révélation, si vraisemblable qu'elle paraisse, ne sera pas acceptée qu'elle n'ait le témoignage de Moïse et d'Elie, c'est-à-dire l'autorité des Écritures. » C'est pourquoi j'ai annoté à la marge les textes que mon génie simple et inexpérimenté a pu se rappeler sur le moment, dans l'espérance qu'un autre plus habile et plus exercé pourra encore alléguer d'autres témoignages plus autorisés et plus convenables.
NOTA. La première partie est le second livre de ce travail, le seul qui fut écrit par sainte Gertrude elle-même. La deuxième partie comprend les livres 3, 4 et 5, qui furent seulement dictés par Gertrude. Nous avons parlé dans la préface de l'époque où chaque partie fut composée. (Note de l'édition latine.)
CHAPITRE I
RECOMMANDATION DE LA PERSONNE.
1. O Profondeur des richesses et de la science de Dieu ! que ses jugements sont incompréhensibles et ses voies impénétrables ! (Rom., xi, 33.) C'est ainsi que par des chemins divers, mystérieux et admirables, Dieu appelle ceux qu'il a prédestinés. Après les avoir appelés, il les justifie et les comble des effets de sa grâce, comme s'il accomplissait en ceci toute justice envers des âmes qu'il jugerait dignes de partager ses richesses et ses délices. C'est ce qui apparaît dans cette élue : semblable à un lis éclatant de blancheur, elle avait été placée par Dieu dans les parterres odorants du jardin de l'Église, c'est-à-dire dans l'assemblée des âmes justes, lorsque, petite enfant âgée de cinq ans 1, il la retira des agitations du monde, pour l'introduire dans la demeure nuptiale de la sainte Religion. En cette âme, Dieu joignit à la candeur de l'innocence l'éclat et la fraîcheur des plus belles fleurs, de sorte qu'elle charmait non seulement tous les yeux, mais qu'elle attirait à elle tous les cœurs. Dans un âge aussi tendre, elle laissait voir déjà la maturité d'un vieillard, se montrait pleine de savoir et d'éloquence, et son intelligence se portait si facilement à toutes choses que ceux qui l'entendaient en demeuraient ravis Lorsqu'elle fut admise à l'école, la vivacité de son esprit et la finesse de son intelligence lui firent dépasser promptement les enfants de son âge en toutes sortes de sciences. C'est ainsi que, gardant la pureté de son cœur pendant les années de l'enfance et de l'adolescence, se livrant avec ardeur à l'étude des arts libéraux elle fut préservée par le Père des miséricordes de toutes les frivolités qui entraînent si souvent la jeunesse. Louanges et actions de grâces en soient rendues à jamais à ce Dieu tout-puissant !
2. Vint enfin le moment où Celui qui l'avait choisie dès le sein de sa mère, et l'avait introduite, à peine sevrée, au festin de la vie monastique, voulut encore, par sa grâce, l'amener des choses extérieures à la contemplation intérieure, des occupations terrestres au soin des choses célestes. C'est ce qu'il obtint par une révélation que nous raconterons plus loin 2. Celle-ci comprit alors qu'elle était restée loin de Dieu dans une région de dissemblance 3 lorsque, s'appliquant jusqu'à ce jour aux études libérales, elle avait négligé de porter ses regards vers la lumière de la science spirituelle, et, par un attachement trop vif aux charmes de la sagesse humaine, elle s'était privée du goût très suave de la véritable Sagesse. Elle tint aussitôt pour viles et méprisables les éludes qui l'avaient captivée jusqu'alors, et ce fut à bon droit, puisque le Seigneur l'avait introduite en ce lieu de l'allégresse et de la joie, sur cette montagne de Sion qui n'est autre que, la contemplation de lui-même. Là, il l'avait dépouillée du vieil homme et de ses actes pour la revêtir de l'homme nouveau qui est créé selon Dieu, dans la justice et la sainteté de la vérité.
3. C'est ainsi que de grammairienne elle devint théologienne, relisant sans cesse les pages divines qu`elle pouvait se procurer, et remplissant son cœur des plus utiles et des plus douces sentences de la sainte Écriture. Aussi avait-elle toujours à sa disposition la parole de Dieu afin de satisfaire ceux qui venaient la consulter et de réfuter toute idée fausse par des témoignages de la sainte Écriture employés si à propos, qu'on n'y trouvait rien à objecter. Elle ne pouvait se rassasier de l'admirable douceur qu'elle trouvait dans la divine contemplation et dans l'étude des saintes Lettres : ces pages sacrées étaient pour sa bouche un rayon de miel, pour son oreille une douce harmonie, pour son cœur une jubilation spirituelle. Semblable à la colombe qui recueille des grains de froment, elle écrivit plusieurs livres remplis de suavité où sont compilées les paroles des saints. Son but était de rendre clairs et lumineux certains passages qui semblent obscurs aux intelligences moins ouvertes. Elle composa aussi des prières plus douces que le rayon de miel, et des Exercices spirituels 4 très propres à édifier. I1s étaient écrits dans un langage si correct, que les maîtres, loin de trouver rien à reprendre dans sa doctrine, goûtèrent, au contraire ces oeuvres d'un génie facile, toutes parsemées ou plutôt parfumées des paroles de la sainte Écriture, ce que ne peuvent manquer d'apprécier les théologiens et les âmes pieuses. II est donc évident que ces travaux ne sont pas le produit de l'esprit humain, mais le fruit de la grâce spirituelle dont elle était douée. Cependant, comme en ce qui vient d'être dit on pourrait trouver matière à des louanges purement humaines, nous ajouterons ici ce qui mérite vraiment d'être exalté ; la sainte Écriture ne nous dit-elle pas : La grâce est trompeuse et la beauté est vaine : la femme qui craint le Seigneur sera seule louée ? (Prov., xxxi, 30.)
4. Elle était donc une très forte colonne de la Religion, un défenseur si zélé de la justice et de la vérité, qu'il est permis de lui appliquer ce qui est dit du grand prêtre Simon au même livre de la Sagesse : Il a soutenu la maison durant sa vie, c'est-à-dire elle a soutenu la Religion ; et il a durant ses jours affermi le temple (Ecclé., L, 1), en ce sens que par ses exemples et ses avis elle a affermi le temple spirituel de la dévotion et a excité dans les âmes une ferveur plus grande. Nous pourrions dire aussi qu'en ses jours les puits ont épanché leurs eaux (ibid.), parce que nul en nos temps n'a répandu avec plus de profusion les flots d'une salutaire doctrine.
5. Elle avait une parole douce et pénétrante, un langage si éloquent, si persuasif, si efficace et si rempli de grâce, que plusieurs affirmèrent entendre l'Esprit de Dieu parler par sa bouche, tant leurs cœurs avaient été attendris et leurs volontés transformées. En effet, la parole vivante et efficace, qui est plus pénétrante qu'un glaive à deux tranchants et atteint jusqu'à la division de l'âme et de l'esprit (Héb., iv, 12), habitait en elle et opérait ces merveilles. Aux uns elle inspirait le repentir qui les conduisait au salut, d'autres recevaient la lumière qui leur faisait connaître Dieu en même temps que leur propre misère, beaucoup trouvaient auprès d'elle soulagement et consolation, chez d'autres enfin elle allumait un plus ardent amour de Dieu. Plusieurs personnes du dehors qui n'avaient pu jouir qu'une seule fois de ses entretiens assuraient en avoir reçu une grande consolation. Bien qu'elle possédât largement les dons qui plaisent au monde, il ne faudrait pas en conclure que ce qui fait l'objet de ce livre ait été le produit de son génie, de la vivacité de son imagination et de son esprit, ou encore le résultat de sa facilité d'élocution. A Dieu ne plaise ! Il faut croire fermement et sans hésiter que tout découlait de cette fontaine sacrée de la divine Sagesse, répandue en son âme par un don gratuit de l'Esprit-Saint qui souffle où il veut (Jean, III, 8), quand il veut, à qui il veut et ce qu'il veut, selon la convenance du. temps, du lieu et de la personne.
6. Mais comme les choses visibles et invisibles ne peuvent être comprises de l'entendement humain que par les images visibles et corporelles, il est nécessaire de les recouvrir de formes sensibles. C'est ce que Maître Hugues démontre parfaitement dans son Discours de l'Homme intérieur, chapitre xvi : « Les divines Écritures, dit-il, pour aider notre contemplation et condescendre à la faiblesse humaine, décrivent les choses invisibles sous la forme de choses visibles, et impriment ainsi dans notre esprit les notions spirituelles par des images dont la beauté excite nos désirs. C'est ainsi qu'elles parlent tantôt d'une terre où coulent le lait et le miel, tantôt de fleurs et de parfums ; d'autres fois elles expriment l'harmonie des joies du ciel par les chants des hommes et les concerts des oiseaux. Lisez l'Apocalypse de saint Jean, et vous trouverez une Jérusalem céleste ornée d'or, d'argent, de perles et de quantité d'autres pierres précieuses. Or nous savons qu'il n'y a rien de semblable au ciel, où rien cependant ne manque. Mais si aucune de ces choses ne s'y trouve matériellement, elles y sont toutes cependant dans leur « substance spirituelle ». (Hugues de Saint-Victor.)
1. L'entrée de Gertrude au monastère de Helfta eut lieu en 1261, lorsque Gertrude de Hackeborn en était abbesse depuis déjà dix ans et que sainte Mechtilde (de Hackeborn), sœur de l'abbesse, était dans le monastère depuis l'année 1248. (Note de la première édition.)
2. Voir Livre II, ch 1.
3. Nous traduisons mot à mot cette expression : in régione dissimilitudinis, parce qu'elle est tirée des Confessons de saint Augustin, L VII, ch. x.
4. Ces Exercices ont été traduits par Dom Guéranger.
CHAPITRE II
TÉMOIGNAGES DE LA GRACE.
1. Que tout ce que le ciel enferme dans son enceinte, la terre en ses confins et l'abîme dans ses profondeurs, rende grâces au Seigneur Dieu qui répand sur nous les vrais biens ! Que tous lui chantent cette louange éternelle, immense et immuable qui procède de l'amour incréé, et ne trouve sa plénitude qu'en cet amour même ! Qu'il soit glorifié pour avoir conduit les flots de sa tendresse dans cette vallée de la fragilité humaine, et pour avoir daigné jeter ses regards sur cette âme qui l'attirait entre toutes par les faveurs dont lui-même l'avait comblée ! Puisqu'il est dit dans l'Écriture que deux ou trois témoins suffisent pour établir solidement toute assertion (II Cor., xiii, 1), et que nous avons plusieurs témoins, il n'est pas douteux que le Seigneur ait choisi tout spécialement cette âme, afin de manifester par elle les secrets de son amour.
2. Le premier et principal témoin est Dieu lui-même, qui se plut souvent à réaliser les choses que celle-ci avait prédites, à dévoiler ce qu'elle avait appris dans le secret, à manifester l'effet de ses prières, à délivrer de la tentation ceux qui, avec un cœur contrit et humilié, avaient prié Dieu par son entremise. Parmi beaucoup de faits, nous en citerons quelques-uns :
3. Au temps où mourut Rodolphe, roi des Romains 1, comme elle priait avec le convent pour l'élection de son successeur ; le jour et, à ce qu'on croit, à l'heure même où cette élection avait lieu dans une autre contrée, celle-ci en apprit le résultat à la Mère du monastère. Elle ajouta que ce roi, nouvellement élu, périrait de la main de son successeur, et l'événement vint dans la suite confirmer cette prédiction.
4. Une autre fois, un homme mal intentionné 2 menaçait notre abbaye. Le péril était imminent et semblait inévitable, lorsque celle-ci, après avoir prié Dieu, annonça à la Mère du monastère que tout danger avait disparu. En effet, le procureur de la cour venait dire que cet homme avait été condamné par sentence des juges, comme celle-ci l'avait appris secrètement par révélation divine. C'est pourquoi l'abbesse et les personnes qui eurent connaissance de ce fait rendirent grâces à Dieu avec de grands sentiments de joie.
5. Une personne troublée depuis longtemps par la tentation fut avertie pendant son sommeil de se recommander aux prières de celle-ci. Après avoir suivi dévotement ce conseil, elle eut la joie de se sentir délivrée.
6. J'ai encore trouvé un fait digne d'être rapporté : une personne devait communier, lorsqu'elle fut assaillie pendant la Messe de pensées mauvaises, à la suite d'une funeste occasion qui s'était présentée peu de jours auparavant. La tentation devint si forte, qu'il lui semblait être près de succomber, et elle s'en affligeait outre mesure, jugeant ne pouvoir s'approcher de la Communion avec l'esprit ainsi occupé. Elle fut alors poussée, comme on peut le croire, par une inspiration divine, et saisit à la dérobée un misérable lambeau d'étoffe que celle-ci avait arraché de sa chaussure usée. Après l'avoir posé sur son cœur avec confiance, elle demanda au Seigneur que, par cet amour avec lequel il avait purifié le cœur de sa bien-aimée de toute affection humaine, pour le remplir de dons célestes et en faire le temple où seul il voulait habiter, il daignât aussi, en vue des mérites de celle-ci, la délivrer miséricordieusement de cette tentation. Chose admirable et digne d'être crue avec respect : à peine eut-elle posé le lambeau d'étoffe sur son cœur, que toute tentation charnelle et humaine disparut, et jamais dans la suite elle n'éprouva plus rien de semblable.
7. Que personne ne juge difficile d'ajouter foi à cette merveille, puisque le Seigneur dit lui-même dans l'Évangile : « Qui credit in me, opera quae ego facio, et ipse faciet, et majora horum faciet : Celui qui croit en moi fera aussi les oeuvres que je fais, et il en fera de plus grandes ». (Jean, xiv,12.) Car l'Homme-Dieu, qui daigna guérir l'hémorroïsse par l'attouchement de la frange de son vêtement, a pu également, dans sa bonté, et par les mérites de cette Élue, délivrer du péril de la tentation une âme pour l'amour de laquelle il a voulu mourir.
Ces faits suffiront pour établir le premier témoignage, bien qu'il nous soit facile d'en ajouter encore d'innombrables.
1. Rodolphe mourut le 15 juillet 1291. Son successeur, Adolphe de Nassau, fut élu à Francfort le 5 ou 7 mai 1292. Mais il fut tué le 2 juillet 1298 dans le combat de Goelheim près de Worms de la main de son compétiteur à l'empire Albert d'Autriche, ainsi que Gertrude l'avait prédit au jour de l'élection. L'abbesse du monastère à qui Gertrude révéla ce fait était Sophie de Mansfeld, qui avait reçu le gouvernement d'Helfta l'année précédente après la mort de l'abbesse Gertrude, dont il est parlé au chapitre I du cinquième livre de cet ouvrage. (Note de l'édition latine.)
2. Voir Livre III, ch. XLVIII.
CHAPITRE III
SECOND TEMOIGNAGE.
1. Un second témoignage très véridique est la conformité du jugement que portèrent plusieurs personnes remplies de prudence. Elles affirmèrent unanimement que tout ce que la révélation divine leur avait appris de celle-ci, soit qu'elles demandassent à Dieu la correction de ses défauts ou son avancement, était toujours que le Seigneur avait élu spécialement cette âme, et l'avait ornée de grâces vraiment extraordinaires. Comme elle était appuyée sur le solide fondement de l'humilité et se trouvait grandement indigne des dons du Seigneur, on la voyait parfois consulter d'autres personnes qu'elle estimait bien plus favorisées, afin de connaître si tout ce qui se passait dans son âme était réellement l'œuvre de Dieu. Après examen, ces personnes affirmèrent que le Seigneur se plaisait à l'exalter, non seulement par les grâces dont elle leur avait parlé, mais par des faveurs plus sublimes encore.
2. Une personne ayant une grande expérience des révélations divines vint de bien loin vers notre monastère 1, attirée par sa bonne renommée. Comme elle n'avait chez nous aucune relation, elle demanda instamment au Seigneur de la mettre en rapport avec une personne qui pourrait aider au progrès de son âme. Le Seigneur répondit : « Celle qui prendra place en ce lieu près de toi est vraiment mon Epouse très fidèle et choisie entre toutes. » Par une merveilleuse rencontre, celle-ci vint s'asseoir auprès d'elle, mais son humilité cacha si bien, durant leur entretien, les dons merveilleux qui ornaient son âme, que la visiteuse, se croyant déçue, se plaignit au Seigneur avec regrets et gémissements. Dieu lui affirma que celle-là était bien la très fidèle Épouse qu'il lui avait annoncée. Cette personne eut ensuite un entretien avec dame M., notre chantre, de bienheureuse mémoire 2, et fut charmée de ses discours tout remplis de la douceur du divin Esprit. Aussi demanda-t-elle au Seigneur pourquoi il exaltait la première par-dessus toutes les autres et semblait ne pas remarquer la seconde. Le Seigneur répondit : « J'opère de grandes choses en celle-ci, mais celles que j'opère et que j'opérerai encore en celle-là sont bien plus grandes. »
3. Pendant qu'une autre personne priait pour celle-ci et remarquait avec admiration la très délicate affection du Seigneur pour sa Bien-Aimée, elle dit : « O Dieu qui êtes tout amour, que voyez-vous dans cette âme pour que vous l'exaltiez si fort en vous-même, et que vous incliniez si doucement votre Cœur vers elle? » Le Seigneur répondit : « Un amour tout gratuit m'attire vers elle, et c'est ce même amour qui, par un don spécial, a disposé et conservé maintenant en son âme cinq vertus dans lesquelles je trouve mes délices :
- une vraie pureté par l'influence continue de ma grâce,
- une vraie humilité par l'abondance de mes dons, car plus j'opère de grandes choses en elle, plus elle s'abîme dans les profondeurs de sa bassesse par la connaissance de sa propre fragilité,
- une vraie bonté qui l'excite à désirer le salut de tous les hommes,
- une vraie fidélité par laquelle tous ses biens me sont offerts pour le salut du monde,
- enfin une vraie charité qui la porte à m'aimer avec ferveur de tout soit cœur, de toute son âme, de toutes ses forces, et le prochain comme elle-même (Luc, x, 27) à cause de moi.
Le Seigneur, après avoir dit ces paroles, montra à cette personne le splendide joyau qui ornait sa poitrine sacrée. Ce joyau avait trois feuilles, comme un trèfle, et était d'un travail merveilleux. Le Seigneur ajouta : « Je porterai toujours ce joyau en l'honneur de mon Épouse, et par les trois feuilles il apparaîtra clairement à toute la cour céleste :
- par la première, qu'elle est vraiment proxima mea (Cant.) : en effet, nul homme vivant n'est plus proche de moi que cette Épouse bien-aimée ;
- par la seconde, qu'il n'y a sur la terre aucune créature vers laquelle je m'incline avec autant de délices.
- Enfin par l'éclat de la troisième, il sera montré que personne au monde ne l'égale en fidélité, car, après avoir profité de mes dons, elle m'en renvoie toujours la louange et la gloire. »
Le Seigneur dit encore : « Tu ne me trouveras demeurant nulle part sur la terre aussi volontiers qu'au Sacrement de l'autel, et par conséquent dans le cœur et l'âme de cette Amante en laquelle j'ai placé, d'une manière admirable, toutes les complaisances de mon Cœur. »
4. Un jour elle s'était recommandée aux prières d'une personne qui, pendant son oraison, reçut du Seigneur cette réponse : « Je suis tout à elle, et je me livre avec délices aux embrassements de son amour. L'amour de ma Divinité l'unit inséparablement à moi, comme l'action du feu unit l'or à l'argent pour en former un métal précieux. » Et l'entretien continuant, cette personne dit encore : « O très aimé Seigneur, que faites-vous avec elle ? » Il répondit: « Son cœur bat continuellement à l'unisson avec les battements de mon amour, ce qui me procure une joie sans égale. Cependant je contiens en moi-même jusqu'à l'heure de sa mort la force des battements de mon cœur : à ce moment elle éprouvera par leurs moyens trois effets puissants : le premier sera la gloire à laquelle Dieu le Père la conviera, le second la joie que j'aurai à la recevoir, et le troisième, l'amour dans lequel l'Esprit-Saint nous unira 3. »
5. La même personne, priant encore une autre fois pour celle-ci, reçut cette réponse : « Elle est pour moi une colombe sans fiel, parce qu'elle chasse de son âme tout péché. Elle est ce lis que je me plais à porter en main, parce que mon bonheur suprême consiste à prendre mes délices dans une âme chaste et pure. Elle est une rose parfumée par sa patience et son assiduité à me rendre grâces dans les adversités. Elle est la fleur printanière sur laquelle mon regard se repose avec complaisance, parce que je vois dans son âme le zèle et l'ardeur nécessaires pour acquérir les vertus et arriver à une complète perfection. Elle est un son mélodieux qui résonne doucement dans mon diadème, car en ce diadème toutes les souffrances qu'elle endure se trouvent suspendues comme autant de clochettes d'or qui réjouissent les habitants du Ciel. »
6. Elle faisait un jour devant le convent la lecture prescrite avant le jeûne, et arrivée à ces paroles : qu'il faut aimer le Seigneur de tout sort cœur, de toute son âme et de toutes ses forces (Luc, x, 27), elle articula avec une telle insistance, qu'une des Sœurs en fut profondément émue et dit au Seigneur : « Ah! mon Dieu! que cette âme doit vous aimer, elle qui nous parle de l'amour d'une manière si expressive ! » Le Seigneur répondit : « Dès son enfance je l'ai portée et élevée dans mes bras, la conservant immaculée jusqu'à l'heure où, de sa libre volonté, elle s'est unie à moi ; alors je me suis donné tout entier à elle avec ma vertu divine, me livrant à mon tour à ses embrassements. L'ardeur de son amour liquéfie en quelque sorte l'intime de mon être, et comme la graisse se fond sous l'action du feu, de même la douceur de mon divin Cœur fondue par le feu de son amour, tombe goutte à goutte et perpétuellement dans son âme. » Le Seigneur ajouta : « Mon âme se complait tellement en elle que souvent, lorsque les hommes m'offensent, je viens chercher dans son cœur un doux repos, en permettant qu'elle endure quelque souffrance de corps ou d'esprit. Elle les reçoit avec tant de gratitude et les supporte avec tant de patience et d'humilité en s'unissant aux douleurs de ma passion, qu'aussitôt apaisé par son amour, je pardonne à d'innombrables pécheurs. »
7. Comme une personne priait Dieu pour la conversion des défauts de celle-ci, ainsi qu'elle le lui avait demandé, elle reçut cette réponse : « Ce que mon Élue prend pour des défauts, sont plutôt des occasions de grand progrès pour son âme, car, par suite de la fragilité humaine, elle pourrait à peine se garantir du souffle pernicieux de la vaine gloire, si ma grâce, qui opère en elle avec tant d'abondance, n'était dérobée sous ces apparences défectueuses. De même qu'un champ couvert d'engrais n'en devient que plus fertile, ainsi elle retirera, de la connaissance de ses misères, des fruits de grâce beaucoup plus savoureux.» Et le Seigneur ajouta: « Pour chacun de ses défauts, je l'ai enrichie d'un don qui les rachète pleinement à mes yeux. Mais avec le temps je les changerai complètement en vertus, et son âme brillera alors comme une lumière éclatante. » Ces traits suffisent pour établir le second témoignage ; nous en ajouterons d'autres dans la suite.
1. Peut-être la Sœur Mechtilde qui vint quelquefois de Magdebourg au monastère d'Helfta. Il ne faut pas la confondre avec sainte Mechtilde. (Note de l'édition latine.)
2. Sainte Mechtilde, dont les révélations furent écrites par sainte Gertrude dans le Livre de la grâce spéciale. (Note de l'édition latine.)
3. Voir le Héraut de l'Amour divin, Livre Ill, chap. LI, LII et Livre IV, chap. iv, et au livre de la Grâce spéciale, Livre I, chap. V, et Livre V, chap. XXXII.
CHAPITRE IV
DU TROISIEME TÉMOIGNAGE.
1. Un troisième et irrécusable témoignage sera sa vie elle-même, pendant laquelle nous l'avons vue rechercher uniquement la gloire de Dieu. Non seulement elle la recherchait, mais elle la poursuivait avec ardeur; jusqu'à lui sacrifier son honneur, sa vie, et en quelque sorte son âme. On croit facilement à un tel témoignage, suivant ce que dit le Seigneur dans l'Évangile de saint Jean : Celui qui cherche la gloire de celui qui l'a envoyé, celui-là est véridique, et il n'y a pas d'injustice en lui. (S. Jean, vii, 18.) Âme vraiment heureuse dont la vie trouve son approbation dans la vérité de l'Évangile ! On peut aussi lui appliquer ces paroles de la Sagesse : Le juste a la hardiesse d'un lion. (Prov. xxviii, 1.) En effet, l'amour de la gloire divine lui fit soutenir avec tant de constance les droits de la justice et de la vérité, qu'elle méprisait les peines et les contrariétés pour ne songer qu'à la gloire de son Seigneur.
2. Elle travaillait assidûment à recueillir et à écrire tout ce qu'elle croyait pouvoir être utile aux autres, afin de procurer l'honneur de Dieu et le salut des âmes, sans jamais attendre les remerciements des hommes. Elle communiquait ses écrits aux personnes qui devaient en profiter le plus, et si elle apprenait que des livres de la sainte Écriture manquaient en certains lieux, elle en procurait aussi largement que possible, afin de gagner tous les hommes à Jésus-Christ.
3. Prendre sur son sommeil et son repos, différer ses repas, négliger ce qui regardait sa commodité personnelle, tout cela était pour elle plutôt une joie qu'un labeur. Bien plus, il lui arriva souvent d'interrompre sa douce contemplation lorsqu'il fallait secourir une personne éprouvée par la tentation, consoler les affligés ou remplir quelque office de charité. Comme le fer plongé dans le feu devient feu lui-même, ainsi cette âme embrasée par le divin Autour était devenue toute charité et n'aspirait qu'au salut des hommes.
4. Bien qu'à notre connaissance aucune âme sur la terre à cette époque n'ait eu avec le Dieu de Majesté des entretiens aussi élevés et aussi fréquents, son humilité cependant n'en devenait que plus profonde. Aussi avait-elle coutume de dire que les faveurs dont l'excessive bonté de Dieu enrichissait son indignité lui semblaient des trésors cachés sous le fumier lorsqu'elle les retenait et en jouissait seule, mais, aussitôt qu'elle les révélait au prochain, ces faveurs devenaient des pierres précieuses enchâssées dans l'or pur. Elle croyait en effet que les autres, en raison de la pureté et sainteté de leur vie, rendaient plus de gloire à Dieu par une seule pensée, qu'elle-même par la donation de tout son être, à cause de sa vie indigne et de ses négligences. C'est la seule raison qui l'engagea à découvrir parfois les faveurs qu'elle recevait de Dieu : s'en jugeant si indigne, elle ne pouvait croire qu'elles lui eussent été données pour elle seule, mais bien plutôt pour le salut du prochain.