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  • : In hoc signo vinces. Parousie by ROBLES Patrick
  • : Blog Parousie de Patrick ROBLES (Montbéliard, Franche-Comté, France)
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  • Dominus pascit me, et nihil mihi deerit. Le Seigneur est mon berger : je ne manquerai de rien. The Lord is my shepherd; I shall not want. El Señor es mi pastor, nada me falta. L'Eterno è il mio pastore, nulla mi mancherà. O Senhor é o meu pastor; de nada terei falta. Der Herr ist mein Hirte; mir wird nichts mangeln. Господь - Пастырь мой; я ни в чем не буду нуждаться. اللهُ راعِيَّ، فلَنْ يَنقُصَنِي شَيءٌ (Ps 23,1)
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19 juillet 2008 6 19 /07 /juillet /2008 11:26
CHAPITRE V

CARACTÈRES ET BEAUTÈS D'UN CIEL SPIRITUEL.

1. Puisque deux on trois témoins suffisent pour confirmer toute assertion, il ne conviendrait pas de récuser la vérité lorsqu'elle se présente accréditée par tant de témoignages dignes de foi. L'incrédule doit plutôt rougir, car, non content de n'avoir mérité rien de semblable pour lui-même, il néglige encore de s'approprier par les sentiments de la reconnaissance ce que la divine libéralité a daigné opérer dans son Élue. Il n'est pas douteux en effet que celle-ci soit une de ces élues, que dis-je? de ces bienheureuses dont saint Bernard a écrit dans son Commentaire sur le Cantique des Cantiques 1 :
« J'estime que l'âme du juste n'est pas seulement céleste à cause de son origine, mais qu'elle peut être appelée à bon droit le ciel même à cause de sa ressemblance avec le ciel, puisque sa vie et conversation est clans les cieux. C'est de telles âmes qu'il est écrit dans la Sagesse : « L'âme du juste est le siège de la sagesse 2. » Et encore : « Le ciel est ma demeure. » (Isaïe, xvi, 1.) Dès que l'on conçoit Dieu comme un pur esprit, il convient de lui assigner un siège tout spirituel, et je suis confirmé dans ce sentiment par cette parole de la Vérité : « A lui, c'est-à-dire à l'homme saint, nous viendrons, et nous ferons en lui notre demeure. » (S. Jean, xiv, 23.) Le prophète ne devait pas parler d'un autre ciel lorsqu'il a dit : « Vous habitez dans le sanctuaire, vous qui êtes la louange d'Israël » (Ps. xxi, 4), et l'Apôtre déclare que le Christ habite en nos cœurs par la foi (Eph., iii, 17 ). C'est de bien loin que je soupire vers ces bienheureux, desquels il est dit : « J'habiterai en eux et je marcherai au milieu d'eux » (II Cor., vi, 16). Oh! que cette âme est grande et vaste et que sont glorieux les mérites de celle qui renferme en elle-même la divine puissance ! Non seulement elle la renferme, mais elle a été trouvée digne de la recevoir, capable de la contenir, et d'offrir même en elle à la divine Majesté les espaces nécessaires au déploiement de son œuvre. Cette âme a grandi dans le Seigneur et elle est devenue le temple de Dieu. Elle a grandi, elle a crû, dis-je, en la Charité, et nous savons que l'âme est grande en proportion de sa charité. Nous l'appellerons donc un ciel où le soleil figure l'intelligence, où la lune représente la foi, et les étoiles les diverses vertus. Ou bien encore en cette âme, le soleil sera la justice ou la ferveur d'un brûlant amour, et la lune la sainte continence. Quoi d'étonnant que le Seigneur se plaise à l'habiter? Pour créer ce ciel, il ne s'est pas contenté d'une simple parole, mais il a combattu pour l'acquérir, et il est mort pour le racheter. Aussi après un tel labeur, arrivé au comble de ses vœux, il dit : « Ce sera pour jamais le lieu de mon repos ; j'y établirai ma demeure etc. » (Ps. cxxxi, 14.) Ceci est de saint Bernard.

2. Pour montrer dans la faible mesure de mes forces que celle-ci est du nombre de ces bienheureux desquels saint Bernard a dit que Dieu les a choisis pour sa demeure préférablement au ciel matériel, j'exposerai ici ce qu'une amitié toute spirituelle m'a permis de découvrir en cette âme, durant le cours d'un assez grand nombre d'années.

3. Saint Bernard dit que « le ciel spirituel, qui est l'âme bienheureuse, vraie demeure du Seigneur, doit avoir pour parure le soleil, la lune et les étoiles, c'est-à-dire l'ensemble des vertus » (Sermon xxvii, 8) ; or je montrerai brièvement, et comme je le pourrai, le rayonnement de perfection qui brillait autour de cet âme. On ne doutera plus que le Seigneur l'ait réellement habitée, lorsque ces éclatantes lumières auront été manifestées au dehors.

1. Sermon xxvii, n° 8, 9, 10.
2. Ces mots sont aussi cités par saint Augustin et saint Grégoire, comme s'ils faisaient partie du texte suivant d'Isaïe.

CHAPITRE VI

DE SON INFLEXIBLE JUSTICE.

1. La justice, c'est-à-dire le zèle d'une ardente charité, que le bienheureux Bernard dans le passage précédent appelle le soleil de l'âme, brillait en elle avec tant d'éclat que s'il eût fallu pour sa défense affronter des bataillons armés, elle s'y serait exposée volontiers. Il n'y avait pas d'ami, si cher lui soit-i1, qu'elle ait consenti à défendre par un mot de sa bouche, même contre son propre ennemi, s'il eût fallu pour cela s'écarter tant soit peu du sentier de la justice. Bien plus, elle eût préféré, si l'équité l'avait exigé, voir condamner sa propre mère plutôt que de commettre la moindre injustice contre un ennemi, lors même que celui-ci lui aurait été à charge.

2. Si l'occasion se présentait de donner quelque avis pour l'édification du prochain, elle mettait de côté toute modestie (vertu qui brillait cependant en elle par-dessus toutes les autres), déposait tout respect humain, et, pleine de confiance en celui qui l'avait armée de sa foi et à qui elle aurait désiré soumettre l'univers, elle puisait dans son cœur des paroles remplies d'un si grand amour et d'une sagesse si profonde que les esprits les plus durs et les plus pervers, pour peu qu'ils eussent une étincelle de piété, se sentaient attendris en l'écoutant, et concevaient au moins la volonté ou le désir de s'amender. Si elle voyait une âme touchée de componction par ses avis, elle l'entourait d'une si affectueuse. compassion et d'une si tendre charité que son cœur semblait se fondre, tant elle souhaitait lui donner de consolation. Et cette consolation, elle la lui procurait, non moins par ses paroles que par ses désirs et ses ferventes prières. Elle eut un soin constant, dans ses rapports avec le prochain, de ne s'attacher le cœur d'aucune créature pour éviter toute occasion qui l'aurait, si peu que ce soit, éloignée de Dieu.

3. EIle rejetait comme un poison toute amitié humaine qui n'aurait pas eu, autant qu'elle en pouvait juger, son fondement en Dieu, et son cœur souffrait vivement lorsque, même par une seule parole, on lui avait témoigné une affection trop naturelle. Dans ce cas, elle refusait les services les plus utiles que ces personnes auraient pu lui rendre, préférant manquer d'un secours plutôt que de consentir à occuper, au détriment de Dieu, le cœur d'une créature.

CHAPITRE VII.

DE SON ZÈLE POUR LE SALUT DES ÂMES.

1. Ses paroles et ses actes rendent encore témoignage de son zèle pour les âmes et de son amour pour la Religion. Quand elle découvrait un défaut dans l'âme du prochain, elle désirait vivement qu'il se corrigeât ; mais si ce désir ne se réalisait pas, elle concevait un profond chagrin et ne pouvait se consoler jusqu'à ce que, par ses prières, ses exhortations ou le secours d'une autre personne, elle eut obtenu au moins un léger amendement. Si, dans l'intention de la consoler, on venait lui dire de ne pas s'inquiéter de la personne incorrigible, attendu qu'elle subirait elle-même la peine de sa faute, ces paroles, comme un glaive acéré, pénétraient son âme d'une si vive douleur, qu'elle aurait préféré mourir, disait-elle, plutôt que de se consoler d'une faute dont le coupable ne connaîtrait vraiment toute la gravité qu'après la mort, lorsqu'il en subirait la peine éternelle.

2. C'est sous l'influence de ce même zèle pour les âmes que, trouvant dans la sainte Écriture des passages difficiles elle les traduisait du latin dans un style très simple, afin que les esprits moins cultivés pussent les lire avec profit. Elle employait donc sa vie, du matin au soir, soit à résumer le texte sacré, soit à éclaircir les passages difficiles, tant elle désirait la gloire de Dieu et le salut du prochain.

3. Bède nous exprime d'une manière admirable la grandeur de ce travail lorsqu'il dit : « Quelle grâce plus sublime et quelle occupation plus agréable à Dieu que de diriger le prochain vers l'Auteur de tout bien, et d'accroître sans cesse les joies de la céleste patrie en augmentant le nombre des élus ! » Et saint Bernard : « Ce qui caractérise la vraie et chaste contemplation, c'est que l'âme embrasée du feu divin conçoit un si vif désir d'attirer vers Dieu d'autres âmes qui l'aiment aussi, qu'elle interrompt volontiers l'exercice de l'amour pour se livrer à la prédication. Elle revient ensuite vers la contemplation avec une ardeur d'autant plus grande qu'elle peut constater les fruits abondants de son travail 1 ». Et si, comme le dit saint Grégoire, aucun sacrifice n'est plus agréable à Dieu que le zèle du salut des âmes, il ne faut pas s'étonner que le Seigneur Jésus ait daigné reposer volontiers sur cet autel vivant, d'où la suave odeur d'une si précieuse offrande montait sans cesse vers lui.

4. Une fois donc le Seigneur Jésus, beau par-dessus tous les fils des hommes, lui apparut debout, tenant sur ses épaules royales et délicates une maison de très grande dimension qui semblait prête à tomber et dont tout le poids reposait sur lui. Il dit : « Vois au prix de quel labeur je soutiens cette maison bien-aimée, c'est-à-dire l'état religieux! Cette maison menace ruine dans tout l'univers parce que peu d'âmes veulent travailler fidèlement ou souffrir quelque chose pour sa défense et son extension. Regarde donc, ô ma Bien-Aimée, et compatis à mes fatigues. » Le Seigneur ajouta : « Tous ceux qui par leurs actes ou leurs paroles propagent la Religion sont comme des colonnes qui soutiennent mon fardeau ; et ils m'aident à le porter en proportion de leurs forces. » Celle-ci, profondément émue par ces paroles et remplie de compassion pour son bien-aimé Seigneur, résolut de travailler de tout son pouvoir à l'avancement de la Religion, observant, même au delà de ses forces, les prescriptions les plus rigoureuses de l'Ordre, afin de donner le bon exemple.

5. Depuis quelque temps déjà elle s'appliquait fidèlement à ces exercices, lorsque le Seigneur, dans sa bonté, ne voulut pas qu'elle travaillât davantage et désira l'appeler au doux repos de la contemplation, dont cependant elle n'avait pas été privée durant ces labeurs. II lui fit savoir par quelques-uns de ses fidèles amis qu'elle devait quitter les occupations extérieures pour ne s'entretenir désormais qu'avec le Bien-Aimé de son âme. Elle accepta avec joie cette invitation et s'adonna tout entière au repos de la contemplation, recherchant au fond de son cœur celui qui, de son côté, se communiquait à elle par une effusion toute spéciale de la grâce.

6. Je ne puis résister au désir de citer ici certaines paroles que lui écrivit un dévot serviteur de Dieu à la suite d'une révélation qu'il avait eue : « O fidèle Épouse du Christ, entrez dans la joie de votre Seigneur ! (Matth., xxv., 21.) Le Cœur divin ressent pour votre âme un très doux amour, à cause du dévouement avec lequel vous avez, sans vous ménager, employé vos forces pour la défense de la vérité. Aussi, pour satisfaire son bon plaisir et le vôtre, il désire vous voir reposer sous l'ombre tranquille de sa consolation. Comme l'arbre profondément enraciné au bord des eaux (Ps. I, 3) produit des fruits en abondance, ainsi, avec la grâce de Dieu, vous offrez vous même au Bien-Aimé des fruits très suaves par toutes vos pensées, paroles et actions. Jamais le vent brûlant de la persécution ne pourra dessécher votre âme parce qu'elle est fréquemment arrosée par les fleuves débordants de la grâce céleste. En ne recherchant en toutes vos oeuvres que la gloire de Dieu et non la vôtre, vous offrez au Bien-Aimé le centuple, par tout le bien que vous souhaiteriez accomplir vous-même ou promouvoir chez les autres. De plus, le Seigneur Jésus répare auprès de son Père cette faiblesse et cette négligence que vous déplorez en vous-même et dans le prochain, et il se dispose à vous récompenser comme si rien n'avait manqué à la perfection de vos actes. L'armée céleste se réjouit à cette vue et tressaille d'allégresse ; elle chante les louanges du Seigneur et lui rend grâces pour tous les biens dont il vous a comblée. »

1. Traité de la Charité, VIII, 34, et Commentaire du Cantique des cantiques, LVII, 9.

CHAPITRE VIII.

DE SA COMPATISSANTE CHARITE.

Outre un zèle ardent pour la justice, celle-ci avait encore un sentiment profond de tendre et compatissante charité. Si elle voyait quelqu'un accablé par un réel chagrin, ou si elle entendait dire qu'une personne éloignée se trouvait dans la peine, aussitôt elle s'efforçait de la consoler ou lui envoyait ses encouragements. Comme un pauvre malade accablé par la fièvre attend de jour en jour la guérison ou un peu de soulagement, ainsi elle demandait à chaque instant au Seigneur qu'il voulût bien consoler ceux dont elle connaissait l'affliction. Sa tendre compassion ne s'exerçait pas seulement envers les êtres raisonnables, mais elle atteignait toute créature. Lorsqu'elle voyait les petits oiseaux ou d'autres animaux souffrir de la faim, de la soif ou du froid, elle était émue de pitié pour les oeuvres de son Seigneur. Alors, en raison de la souveraine noblesse et perfection que revêt toute créature considérée en son Auteur, elle offrait à Dieu, comme un tribut de louange, les incommodités de ces êtres dénués de raison, et le suppliait d'avoir pitié des oeuvres de ses mains et de les soulager dans leurs nécessités.

CHAPITRE IX.

DE SON ADMIRABLE CHASTETÉ.

1. La Chasteté, que le bienheureux Bernard appelle la lune du ciel spirituel, brilla en elle d'une grande et pure clarté. Elle avouait n'avoir jamais dans toute sa vie regardé suffisamment le visage d'un homme pour en distinguer les traits. Tous ceux qui l'ont connue peuvent affirmer la même chose : si elle avait avec un homme de Dieu un entretien intime et même de longue durée, elle le quittait sans avoir jeté les yeux sur lui. Cette admirable réserve ne se traduisait pas seulement par la modestie des regards, mais elle l'observait en toute circonstance, soit qu'elle parlât ou écoutât, et tous les mouvements de son corps en portaient l'empreinte. Aussi l'éclat de sa chasteté avait une telle splendeur, que les Sœurs du monastère disaient en plaisantant qu'on aurait pu la placer sur les autels parmi les reliques, à cause de la pureté de son cœur. Cela ne doit pas étonner, car je n'ai connu aucune âme qui trouvât comme elle ses délices dans la sainte Écriture et par conséquent en Dieu même, ce qui est le meilleur moyen de garder la chasteté. C'est pourquoi saint Grégoire dit : « Celui qui goûte les choses de l'esprit rejette tout ce qui est charnel. » Et saint Jérôme écrit au moine Rusticus 1 : « Aime les saintes Lettres, et tu n'aimeras pas les vices de la chair.» Aussi tous les témoignages de sa parfaite chasteté manqueraient, que son amour de la sainte Écriture en serait un indice bien suffisant.

2. S'il lui arrivait de rencontrer dans la sainte Écriture un passage offrant le souvenir de quelque chose de charnel, elle le passait comme à la dérobée par un sentiment de virginale pudeur ; et quand il lui était impossible d'agir ainsi, elle s'efforçait de le dissimuler en le lisant rapidement comme si elle n'y comprenait rien: mais l'incarnat de ses joues trahissait bientôt la révolte de sa délicate pudeur. Si des personnes ignorantes l'interrogeaient sur un semblable passage, elle éludait la réponse avec une sorte de réserve attristée, estimant moins pénible de recevoir un coup de glaive que d'entendre de tels discours. Cependant s'il devenait nécessaire pour le salut des âmes d'aborder ces sujets, elle le faisait sans hésiter et disait ce qu'elle croyait être de son devoir.

3. Elle découvrit un jour à un vieillard de grande expérience les tendres familiarités dont elle était l'objet de la part du Seigneur. Celui-ci, considérant la pureté de son cœur, avoua ensuite qu'il ne connaissait personne qui fût autant qu'elle étranger à toute émotion des sens. Aussi, se taisant sur les autres vertus, puisqu'il n'avait regardé attentivement en elle que ce seul don de pureté, il ne s'étonnait pas que Dieu l'ait choisie de préférence pour lui révéler ses secrets, car il est dit clans l'Évangile : Bienheureux les cœurs purs parce qu'ils verront Dieu (Matth , v, 8), et nous lisons dans saint Augustin : « Ce n'est pas avec les yeux du corps que nous voyons Dieu, mais avec le regard de l'âme 2 ». Le même docteur dit ailleurs que si la lumière du jour n'est perçue que par un oeil sain, de même Dieu n'est vu due par le cœur pur, qui a banni le souvenir du péché, et qui est vraiment le temple saint du Seigneur.

4. Afin de prouver encore sa parfaite chasteté, je citerai un autre témoignage digne de foi. Une personne ayant prié le Seigneur de lui confier un message pour son Élue, c'est-à-dire celle dont nous parlons en ce livre, elle reçut cette réponse : « Dis-lui de ma part : C'est beau et rempli de charmes. » Comme cette personne ne comprenait pas, elle réitéra sa demande une deuxième, une troisième fois, et reçut toujours la même réponse. Très étonnée, elle dit: « Veuillez me donner, ô Dieu très aimé, l'intelligence de ces paroles. » « Apprends à ma bien-aimée, répondit le Seigneur, que je me complais dans sa beauté intérieure, parce que la splendeur de ma pureté et de mon immuable Divinité répandent en son âme un incomparable éclat. De même, je prends mes délices dans les charmes tout particuliers de ses vertus, parce que la sève vivifiante de mon humanité déifiée communique à ses oeuvres une vie incorruptible. »

1. S. Jérôme, Lettre 125°.
2. S. Augustin, Lettre 147° et ailleurs. C'est le sens, et non le texte exact.

CHAPITRE X.

DU DON DE CONFIANCE QUI BRILLA EN GERTRUDE

1. Nous pourrions démontrer par d'admirables témoignages à quel degré elle possédait, je ne dis pas la vertu, mais le don de confiance. En effet, elle sentait à toute heure une telle sécurité dans sa conscience, que ni les tribulations, ni les blâmes, ni les obstacles, ni même ses propres fautes, ne pouvaient altérer cette ferme confiance dans la miséricorde infinie. S'il arrivait que Dieu la privât des faveurs auxquelles elle était accoutumée, elle ne s'en troublait pas, car ce lui était pour ainsi dire une même chose de jouir de la grâce ou d'en être privée. En effet, durant l'épreuve, elle s'appuyait sur l'espérance, et croyait fermement que tout coopère au bien des âmes, qu'il s'agisse d'événements extérieurs ou d'opérations intimes. Comme on attend avec espoir un messager qui porte les nouvelles longtemps désirées, ainsi elle entrevoyait avec joie l'abondance des consolations divines dont l'adversité du moment lui semblait être la préparation et le gage certain. La vue de ses fautes ne pouvait l'abattre ni la décourager, parce que, raffermie bientôt par la présence de la grâce divine, son âme devenait plus apte à recevoir les dons de Dieu quels qu'ils fussent.

2. Lors même qu'elle se voyait aussi privée de lumière qu'un charbon éteint 1, elle s'efforçait encore de chercher le Seigneur, et, se ranimant bientôt sous l'action de Dieu, elle se trouvait prête à recevoir de nouveaux traits de la ressemblance divine. L'homme qui, des ténèbres, passe au plein midi se trouve éclairé tout à coup ; de même elle se voyait illuminée par la splendeur de la divine présence, et recevait non seulement la lumière, mais aussi les ornements nécessaires à la reine qui ne se présente devant le Roi immortel des siècles (1 Tim. I, 17) que vêtue de la robe d'or enrichie de broderies. C'est ainsi qu'elle se trouvait préparée à l'union divine.

3. Elle avait pris l'habitude de se prosterner souvent aux pieds du Seigneur, pour obtenir le pardon de ces fautes légères qui sont inévitables ici-bas. Mais elle interrompait cette pratique quand elle recevait, ainsi que nous l'avons dit, une effusion plus abondante de la miséricorde divine. Alors elle se livrait volontiers au bon plaisir de Dieu, devenait comme un instrument destiné à manifester les opérations de l'amour en elle et par elle, et n'hésitait pas à prendre avec le Dieu de l'univers une sorte de revanche de tendresse.

4. Cette confiance lui inspirait aussi une manière très surnaturelle de considérer la sainte Communion, car elle ne lisait ou n'entendait rien dire concernant le danger de recevoir indignement le Corps du Seigneur, sans s'approcher du sacrement avec une espérance plus ferme encore dans la bonté de Dieu. Si elle avait oublié de réciter les prières par lesquelles il est d'usage de se préparer, elle ne s'abstenait pas cependant de la Communion, parce que, jugeant ces actes nuls ou de peu de valeur, elle croyait que tous les efforts de l'homme en face de cet incomparable don gratuit sont comme une goutte d'eau comparée à l'immensité de l'océan. Bien qu'elle ne vit aucune manière de se préparer dignement, cependant, après avoir mis sa confiance dans l'infinie bonté de Dieu, elle s'efforçait par-dessus tout de recevoir le sacrement avec un cœur pur et un fervent amour.

5. Elle attribuait à sa seule confiance en Dieu tout le bien spirituel qu'elle recevait, et trouvait que ce bien était d'autant plus gratuit que ce don de confiance lui avait été accordé par l'Auteur de toute grâce, sans aucun mérite de sa part.

6. C'est encore la confiance qui lui inspirait un fréquent désir de la mort, désir si parfaitement tempéré par l'union à la divine Volonté, qu'il lui était toujours indifférent de vivre ou de mourir : par la mort, en effet, elle espérait jouir de la Béatitude, tandis que la vie lui était une occasion d'augmenter la gloire de Dieu. I1 lui arriva un jour, en marchant, de faire une chute dangereuse. Elle ressentit aussitôt dans son âme une grande joie et dit au Seigneur : « Quel bonheur pour moi, ô mon bien-aimé Seigneur, si cette chute m'eût donné l'occasion d'aller tout à coup vers vous . » Et comme nous lui demandions tout étonnés si elle ne craignait pas de mourir sans les sacrements de l'Église : « En vérité, dit-elle, je désire de tout mon cœur recevoir les sacrements ; mais la volonté et l'ordre de mon Dieu seront pour moi la meilleure et la plus salutaire préparation. J'irai donc avec joie vers lui, que la mort soit subite ou prévue, sachant que de toute façon la miséricorde divine ne pourra me manquer, et que sans elle nous ne serions pas sauvés, quel que soit le genre de notre mort. »

7. Tous les événements la trouvaient dans une égale disposition de joie, parce que son esprit restait fixé inébranlablement en Dieu, dans une constance pleine de vigueur. Aussi peut-on lui appliquer ces paroles : «Qui confidit in Deo, forcis est ut leo : Celui qui se confie en Dieu est fort comme le lion.»(Prov., xxviii, l.).

8. Notre-Seigneur daigna rendre lui-même à la confiance de sou Élue le témoignage suivant : Une personne, après avoir prié Dieu, s'étonnait de ne pas recevoir de réponse ; il lui dit enfin : « J'ai tardé à te répondre, parce que tu n'as pas confiance en ce que ma bonté toute gratuite daigne opérer en toi. Ma bien-aimée au contraire est si fortement enracinée dans la confiance qu'elle s'abandonne toujours à ma bonté ; c'est pourquoi je ne lui refuserai jamais ce qu'elle désire. »

1. Voir au livre.. III, chap. xviii.

CHAPITRE XI.

DE LA VERTU D'HUMILITÉ ET DE PLUSIEURS AUTRES VERTUS
QUI BRILLÈRENT EN ELLE COMME AUTANT D'ÉTOILES.

1. Le Seigneur, afin d'établir sa demeure dans cette âme, l'avait ornée de vertus brillantes comme les étoiles. Entre toutes éclatait l'humilité, vraie source de toutes les grâces et gardienne des vertus. Celle-ci en effet s'estimait si indigne des dons de Dieu, qu'elle n'aurait pu consentir à en profiter seule ; elle se voyait au contraire comme un canal destiné, par une mystérieuse disposition de la Providence, à transmettre la grâce aux élus du Seigneur. Non seulement elle s'estimait indigne de recevoir ces dons, mais elle trouvait encore qu'ils ne portaient aucun fruit si elle n'en faisait part au prochain par ses paroles ou ses écrits. Elle agissait en cela avec un tel amour de Dieu et un si grand mépris d'elle-même, que souvent elle se disait « Quand même je devrais subir plus tard les tourments de l'enfer, comme je l'ai mérité, cependant je me réjouis de ce que Dieu recueillera chez d'autres âmes le fruit de ses dons. » Il lui semblait que les grâces de Dieu déposées dans la plus vile de ses créatures rapporteraient encore plus de fruit que dans son âme ; et pourtant elle était prête à chaque heure à les recevoir pour en faire part au prochain comme si c'était surtout pour lui qu'elle les avait reçues. Se jugeant elle-même, elle se voyait comme la dernière de ceux dont le Prophète a dit : « Omnes gentes quasi non sint, sic sunt coram eo : Toutes les nations sont devant lui comme si elles n'étaient pas. » (Isaïe, XL, 17.) Et plus bas « Quasi pulvis exiguus : Comme un peu de poussière. » Car, de même qu'un peu de poussière cachée sous une plume ou quelque objet semblable est préservé des rayons du soleil par cette ombre légère, ainsi se dérobait-elle pour échapper à l'honneur qui pouvait lui revenir de si sublimes faveurs. Elle en renvoyait la gloire à Celui dont l'inspiration prévient ceux qu'il appelle, dont le secours accompagne ceux qu'il justifie, et elle ne découvrait dans son âme qu'indignité et ingratitude en face de dons si gratuits. Cependant son désir de la gloire de Dieu la portait à révéler les bontés du Seigneur à son égard, et elle exprimait son intention par ces paroles : « I1 est juste que Dieu recueille dans le prochain le fruit des bienfaits qu'il m'a accordés à moi si indigne. »

2. Un jour pendant la promenade, elle dit au Seigneur, avec un profond mépris d'elle-même : « Le plus grand de tous vos miracles, ô mon Dieu, est que la terre puisse porter une pécheresse telle que moi ! » Mais le Seigneur, qui exalte ceux qui s'humilient, lui dit avec bonté : « La terre se laisse volontiers fouler sous tes pas, puisque tout le ciel dans sa grandeur attend avec des tressaillements d'allégresse l'heure bienheureuse où il aura l'honneur de te posséder. » O douceur admirable de la bonté de Dieu qui se plaît à glorifier une âme en proportion de son humilité !

3. Elle méprisait à ce point la vaine gloire, que si une pensée lui en venait à l'esprit quand elle était occupée à la prière ou à une bonne oeuvre elle continuait son acte en se disant : « Si quelqu'un te voit accomplir ce bien, il sera porté à t'imiter, et le Seigneur eu sera glorifié. » Car elle estimait n'avoir pas plus d'importance dans l'Église que n'en a, dans la maison du père de famille, un épouvantail bon seulement à être attaché à un arbre au temps de la récolte, afin de chasser les oiseaux et de garder les fruits.

4. Elle nous a laissé dans ses écrits une preuve assurée de sa douce et fervente dévotion, et Dieu, qui scrute les reins et les cœurs (Ps. vii, 10), daigna en donner lui-même un témoignage. Un homme très pieux se sentit un jour animé d'une grande ferveur, et il entendit ces paroles du Seigneur : « La consolation dont tu jouis en ce moment remplit fréquemment l'âme de cette Élue dans laquelle j'ai établi ma demeure. »

5. Le dégoût absolu qu'elle ressentait pour tous les plaisirs passagers de ce monde atteste merveilleusement la douceur et la joie qu'elle trouvait dans le Seigneur, car, ainsi que l'a dit saint Grégoire : «Ce qui est charnel n'a plus de saveur pour celui qui a goûté les choses spirituelles. » Et le bienheureux Bernard ajoute : « Tout est à charge à celui qui aime Dieu tant qu'il ne jouit pas de l'unique objet de ses désirs. » Un jour donc qu'elle éprouvait du dégoût en face des joies humaines, elle s'écria : « Rien ne peut me plaire ici-bas, si ce n'est vous, ô mon très doux Seigneur ! » Le Seigneur répondit : « Et moi je ne vois rien au ciel et sur la terre qui puisse me plaire sans toi, car mon amour t'unit à toutes mes joies. Si je prends mes délices dans des choses diverses, c'est avec toi que je les trouve ; et plus ces délices sont abondantes, plus grande est la part que tu en reçois. » C'est ce que saint Bernard atteste lorsqu'il dit : « Que l'honneur du Roi aime la justice, soit ; mais l'amour de l'Époux ne demande qu'un retour de tendresse et de fidélité 1. »

6. Elle était assidue aux veilles et aux heures régulières de la prière, à moins que la maladie ne la retint, ou que pour la gloire de Dieu elle travaillât au salut du prochain. Aussi, comme le Seigneur daignait dans l'oraison la favoriser de sa douce présence, elle fut portée à prolonger ses pieux exercices bien au delà de ce qu'auraient permis ses forces naturelles. Elle observait avec un tel amour les coutumes de l'Ordre concernant l'assistance au chœur, les jeûnes et les travaux communs, qu'elle ne s'en dispensait jamais sans éprouver un profond déplaisir. Le bienheureux Bernard ne dit-il pas : « Celui qui a été enivré une seule fois des douceurs de la charité se trouve préparé à accepter toute peine et tout labeur » ?

7. Sa liberté d'esprit était si grande qu'elle ne pouvait supporter, même un instant, quelque chose de contraire à sa conscience. Le Seigneur en rendit lui-même témoignage, car une personne lui ayant demandé ce qui lui plaisait davantage dans cette Élue, il répondit : « La liberté de son Cœur. » Cette personne manifesta. un grand étonnement et parut faire peu de cas de cette qualité : « Je croyais, dit-elle, ô Seigneur, que, par un effet de votre grâce, cette âme était arrivée à une sublime intelligence de vos saints mystères et possédait un très ardent amour ? - Oui, il en est ainsi, répondit le Seigneur, et c'est le résultat de la liberté de son cœur. Ce bien est si grand qu'il conduit à la plus haute perfection : à toute heure je trouve ma bien-aimée prête à recevoir mes dons, car elle ne supporte dans son âme absolument rien qui puisse entraver mon action. »

8. Comme conséquence de cette liberté d'esprit, elle ne gardait à son usage que ce qui lui était indispensable, et si elle recevait quelques présents, elle les distribuait aussitôt au prochain, ayant soin de favoriser les indigents et de préférer ses ennemis à ses amis. Si elle avait quelque chose à faire ou à dire, elle s'exécutait sur-le-champ, dans la crainte que la moindre préoccupation l'éloignât du service de Dieu et de l'assiduité à la contemplation. Le Seigneur daigna révéler que cette conduite lui était agréable : Un jour il se montra à Dame M., notre chantre, assis sur un trône magnifique. Devant lui, celle-ci semblait marcher, aller et venir, dirigeant sans cesse son regard vers le Seigneur, et très attentive à suivre les moindres indications de son Cœur sacré. Comme M. admirait ce spectacle, le Seigneur lui dit: « Tu le vois, mon Élue se tient toujours devant moi et cherche sans cesse à connaître mon bon plaisir. Quand elle l'a découvert, elle emploie toutes ses forces à l'accomplir, pour revenir bientôt rechercher mes autres volontés et les exécuter fidèlement : c'est ainsi que toute sa vie est consacrée à ma louange et à ma gloire. » -- « Mais, reprit M., si sa vie est admirable, d'où vient qu'elle juge parfois avec tant de sévérité les fautes et les négligences d'autrui ? » Le Seigneur répondit avec bonté: « Comme elle ne souffre jamais la moindre tache sur son âme, elle ne petit tolérer avec indifférence les défauts du prochain. »

9. En ce qui concernait les vêtements ou les objets à son usage, elle se contentait du nécessaire, n'apportant aucune recherche ou délicatesse. Ces objets lui plaisaient, en proportion de ce qu'ils l'aidaient à servir Dieu, comme le livre qu'elle lisait plus fréquemment, la tablette sur laquelle elle écrivait, les livres dont le prochain s'édifiait davantage. Ce n'était pas pour elle-même qu'elle faisait usage des choses créées par Dieu, mais uniquement pour la gloire de son Seigneur. Aussi se réjouissait-elle, parce qu'il lui semblait alors présenter une offrande à l'autel de Dieu ou la distribuer en aumônes. C'était donc avec joie qu'elle usait du sommeil, de la nourriture et de toute autre chose, car elle pensait donner ces biens au Seigneur qu'elle voyait en elle comme elle se voyait en lui, selon cette parole de l'Évangile : « Quod uni ex minimis meis fecistis, mihi fecistis : Ce que vous avez fait à l'un de ces petits, c'est à moi que vous l'avez l'ait » (Matth., xxv, 40) ; et s'estimant la dernière et la plus vile des créatures à cause de son indignité, tout ce qu'elle s'accordait à elle-même, elle le regardait comme donné au plus petit des serviteurs de Dieu. Le Seigneur daigna lui révéler un jour combien cette pensée lui était agréable : comme elle souffrait de maux de tête, elle chercha, pour la gloire de Dieu, à se soulager en gardant dans la bouche certaines substances odoriférantes. Le Seigneur, s'inclinant avec bonté, sembla puiser aussi lui-même un soulagement dans ces parfums. Après avoir respiré doucement, il se releva et dit aux saints, avec un air satisfait, et comme s'il eût trouvé sa gloire en cet acte : « Je viens de recevoir de mon épouse un nouveau présent. » Toutefois elle éprouvait encore plus de joie à donner quelque chose au prochain : c'était alors l'allégresse d'un avare qui, au lieu d'une pièce de monnaie, reçoit cent marcs.

10. Elle voulait que tous les biens lui vinssent du Seigneur lui-même : aussi, s'agissait-il de faire un choix, soit pour les vêtements ou la nourriture, elle prenait au hasard la part qui lui tombait sous la main, croyant s'attribuer ainsi ce que Dieu lui destinait. Elle recevait alors cette part avec autant de reconnaissance que si le Sauveur la lui eût offerte de sa propre main; et que ce fût bon ou mauvais, elle était également satisfaite. Elle trouvait une si grande satisfaction à exécuter ainsi tous ses actes, que parfois elle exprimait sa vive compassion pour les païens et les juifs, qui, dans le choix qu'ils font des choses, ne peuvent agir de la sorte, ni entrer en part avec Dieu.

11. Elle possédait à un très haut degré la vertu de discrétion : en effet, bien que surabondamment instruite du sens et des paroles de la sainte Écriture, à ce point que tous venaient demander ses conseils et se retiraient ensuite ravis de sa haute prudence, cependant, lorsqu'il s'agissait de sa propre conduite, elle cherchait, par une humble discrétion, l'avis de ses inférieurs eux-mêmes et les écoutait avec tant de déférence, que presque toujours elle abandonnait ses idées personnelles pour adopter celles d'autrui.

12. Il nous paraîtrait superflu de montrer comment chaque vertu brillait en elle d'un vif éclat, à savoir l'obéissance, l'abstinence, la pauvreté volontaire, la prudence, la force, la tempérance, la miséricorde, la charité fraternelle, la constance, la reconnaissance, la joie du bonheur d'autrui, le mépris du monde, et bien d'autres encore, car nous avons vu que cette âme possédait à un haut degré la discrétion, appelée mère de toutes les vertus 2. Elle avait aussi cette admirable confiance, fondement de toutes les vertus, et à laquelle Dieu ne refuse rien, surtout lorsqu'il s'agit de biens spirituels; et la noble humilité, fidèle gardienne des vertus, avait, comme nous l'avons dit, jeté dans son âme de profondes racines. En parlant de sa charité envers Dieu et le prochain, nous avons prouvé que cette vertu, reine des reines, avait établi son trône en elle et se traduisait à l'extérieur par les témoignages d'une compatissante bonté. Nous omettrons donc de parler en détail de ses autres vertus, bien qu'un bon nombre de faits surpassent ceux que nous avons cités, et soient de nature à charmer le dévot lecteur plutôt qu'à le lasser. Ce que nous avons dit suffira à prouver que cette Élue fut un de ces cieux dans lequel le Roi des rois daigne habiter comme sur un trône parsemé d'étoiles.

1. Sermon LXXXIII, 5, sur le Cantique des cantiques
2. Règle de saint BenoÎt, ch. LXIV.

CHAPITRE XII.

TÉMOIGNAGES PLUS ÉVIDENTS ENCORE DE CE QU'ELLE FUT UN CIEL SPIRITUEL.

1. Puisque l'Église, pour célébrer la gloire des Apôtres, les nomme des cieux spirituels et dit : « O Christ, ils sont les cieux où vous habitez; par leur parole vous lancez votre tonnerre, par leurs miracles vous faites briller vos éclairs et par eux encore vous répandez la rosée de la grâce 1 », je montrerai, selon mon pouvoir, que ces trois privilèges se sont rencontrés en cette âme. Ses paroles avaient une vertu si efficace qu'on ne pouvait guère les écouter sans ressentir tout l'effet qu'elle en attendait. Aussi peut-on avec raison lui appliquer ces mots de l'Ecclésiaste : Les paroles du sage sont comme des aiguillons, ou comme des clous solidement plantés (Eccl., xii, 11). La faiblesse humaine refuse parfois d'entendre la vérité qui sort d'un cœur tout brûlant de ferveur ; aussi un jour où celle-ci avait repris une sœur avec des paroles assez dures, la sœur, poussée par un sentiment de tendresse, supplia le Seigneur de modérer ce zèle si ardent. Mais elle reçut de lui cette instruction : « Lorsque j'étais sur la terre, j'ai éprouvé aussi des sentiments et des affections très ardentes ; j'avais une haine profonde pour toute injustice, et cette Élue me ressemble par là. » -- « Mais, Seigneur, reprit la sœur, vous ne parliez durement qu'aux pécheurs, tandis que celle-ci blesse même parfois des personnes réputées vertueuses. » Et le Seigneur répondit: « Les Juifs, au temps de mon avènement, semblaient les plus saints des hommes, ils furent cependant scandalisés les premiers à mon sujet. »

2. Dieu voulut aussi par les discours de celle-ci faire descendre sur ses élus la rosée de la grâce : plusieurs ont affirmé qu'une de ses paroles les avait plus touchés que de longs sermons des meilleurs prédicateurs. C'est ce qu'attestaient les larmes sincères de ceux qui recouraient à elle : ils étaient venus parfois avec des âmes rebelles que rien ne pouvait vaincre ; mais, après avoir entendu quelques paroles de sa bouche, on les voyait pénétrés de componction et prêts à remplir tout leur devoir.

3. Ce fut non seulement par ses conseils, mais aussi par ses prières, que plusieurs ressentirent les effets de la grâce : comme ils s'étaient recommandés à elle, ils se trouvèrent si complètement délivrés de grandes et interminables peines, que, remplis d'admiration, ils prièrent souvent les amis de cette Élue d'en rendre grâces à Dieu et à elle-même. Nous ne devons pas omettre que certains furent avertis en songe de lui confier leurs épreuves, et dès qu'ils l'eurent fait, ils se sentirent soulagés. Ces merveilles ne semblent pas différer beaucoup de l'éclat des miracles, puisque le soulagement des âmes n'a pas moins de prix que la guérison des corps. Cependant nous raconterons ici quelques traits éclatants qui témoignèrent aussi que le Dieu des vertus habitait en cette âme.

1. De la séquence Coeli enarrant qui se trouve dans les anciens missels allemands à la fête de la Dispersion des Apôtres

CHAPITRE XIII.

DE QUELQUES MIRACLES.

1. Au mois de mars, le froid se fit sentir avec une telle rigueur que la vie des hommes et des animaux semblait menacée. De plus, celle-ci entendait dire qu'il n'y avait à espérer aucune récolte cette année-là, parce que, d'après la disposition de la lune, le froid durerait encore longtemps. Un jour donc, à la messe où elle devait communier, elle pria dévotement le Seigneur à cette intention, et demanda d'autres grâces encore. Le Seigneur lui répondit : « Sois assurée que toutes tes demandes sont exaucées. » Elle reprit : « Seigneur, si je suis vraiment exaucée, et s'il est juste de vous rendre grâces, veuillez m'en donner une preuve en faisant cesser ce froid rigoureux. » Cela dit, elle n'y songea plus, mais lorsqu'elle sortit du chœur après la messe, elle trouva le chemin tout inondé par suite de la fonte des neiges et des glaces. Ceux qui voyaient un tel changement se produire contrairement aux lois de la nature en étaient fort étonnés, et comme ils ignoraient que l'Élue de Dieu l'eût obtenu par ses prières, ils répétaient que malheureusement ce temps ne durerait pas, parce que c'était contraire à l'ordre régulier des choses. II se maintint toutefois et dura sans interruption pendant le printemps qui suivit.

2. Une autre fois, à l'époque de la moisson 1, comme il pleuvait continuellement, et que partout l'on priait avec instance, tant on craignait la perte des récoltes, celle-ci, s'unissant au peuple, offrit de si instantes prières afin d'apaiser le Seigneur, qu'elle obtint la promesse formelle d'un temps plus favorable. I1 arriva en effet que ce jour même, quoique de gros nuages couvrissent encore le ciel, le soleil parut et éclaira toute la terre de ses rayons.

3. Un soir après le souper, la communauté était allée dans la cour pour un travail. Le soleil brillait encore, mais on voyait de gros nuages chargés de pluie suspendus dans les airs. J'entendis alors moi-même celle-ci dire au Seigneur : « O Seigneur, Dieu de l'univers, je ne désire pas que vous accomplissiez comme de force mon humble volonté ; car si votre infinie bonté tient cette pluie suspendue dans les airs à cause de moi, et contrairement à ce qu'exigent votre gloire et la rigueur de votre justice, je vous en prie, que les nuages se déchirent et que votre très aimable volonté s'accomplisse. » O merveille ! elle n'avait pas dit ces mots, que le tonnerre retentit, et que la pluie tomba avec abondance. Dans sa stupéfaction, elle dit au Seigneur : « O Dieu très clément, s'il plaisait à votre Bonté de retenir la pluie jusqu'à ce que nous ayons terminé ce travail enjoint par l'obéissance? » Et le Seigneur, si rempli de condescendance, retint la tempête jusqu'à l'achèvement de la besogne des sœurs. Mais à peine avaient-elles franchi les portes, qu'une pluie torrentielle accompagnée d'éclairs et de tonnerre s'abattit avec violence, et deux ou trois sœurs qui s'étaient attardées rentrèrent toutes mouillées.

4. D'autres fois encore elle recevait miraculeusement l'assistance divine, sans formuler de prière, mais par une seule parole et comme en se jouant : si, par exemple, elle travaillait assise sur un tas de foin et que son aiguille ou son poinçon venait à lui échapper et à tomber dans le foin, aussitôt on l'entendait dire au Seigneur : « Seigneur, c'est bien en vain que je chercherais cet objet ; accordez-moi plutôt de le retrouver. » Puis, sans même regarder, elle plongeait la main au milieu du foin pour en retirer l'objet perdu, et cela avec autant d'assurance que si elle l'avait eu devant elle sur une table. C'est ainsi qu'en toute circonstance elle appelait à son secours ce Bien-Aimé qui régnait sur son âme et qu'elle trouvait toujours en lui un allié très fidèle et rempli de bonté.

5. Une autre fois, comme elle priait le Seigneur de calmer la violence des vents qui amenait une grande sécheresse, elle reçut cette réponse : « II est inutile que dans mes rapports avec toi je me serve du motif qui m'engage parfois à exaucer les prières de mes autres élus, car ma grâce a tellement uni ta volonté à la mienne que tu ne peux vouloir que ce que je veux. Or, ces tempêtes violentes vont ramener vers moi par la prière certains cœurs rebelles à mon amour. C'est pourquoi je n'accueillerai pas ta demande, mais tu recevras par contre un don spirituel. » Elle accepta avec joie cet échange, et trouva désormais sa joie à n'être exaucée que selon le bon plaisir de Dieu.

6Saint Grégoire nous dit que la sainteté des justes ne consiste pas à faire des miracles, mais plutôt à aimer le prochain comme soi-même, et cet amour, nous l'avons vu animait le cœur de cette Élue. Que le récit de si grands miracles suffise aussi à montrer que son âme était bien la demeure de Dieu. Que la bouche de ceux qui insultent la bonté gratuite du Seigneur soit à jamais fermée, et que la confiance des humbles croisse encore à la vue de ces merveilles, car ils peuvent espérer un profit pour eux-mêmes des bienfaits accordés à chacun des Élus.

1. Livre III, chap. XXXI.

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