CHAPITRE XXXIII
COMMENT NOTRE-SEIGNEUR EST FIDÈLE A NOUS SERVIR.
Un jour qu'elle brûlait d'un amour plus ardent pour son Dieu, elle s'écria : « O mon Seigneur, si je pouvais maintenant vous prier ! » Et le Seigneur répondit : « Oui, ma reine et ma dame, tu peux maintenant me donner tes ordres, parce que je désire exaucer tes demandes avec plus de zèle que jamais serviteur n'en mit à servir sa maîtresse. » Mais elle objecta : « O très aimé Seigneur, malgré le respect que j'éprouve pour les paroles de votre condescendante bonté, permettez-moi de vous demander pourquoi vous vous montrez maintenant si disposé à exaucer votre indigne servante, taudis que souvent mes prières restent sans effet. » Le Seigneur répondit par cette comparaison : « Si la reine occupée à filer dit à son serviteur : Donnez-moi le fil qui est suspendu en arrière sur mon épaule gauche, croyant qu'il en est ainsi parce qu'elle ne peut voir derrière elle, et que le serviteur voit ce fil suspendu à droite et non à gauche; il le prend où il le trouve et le présente â sa reine, sans avoir idée, par exemple, de tirer un fil au côté gauche de la tunique afin d'obéir à la lettre. De même, moi qui suis la Sagesse insondable, si je n'exauce pas ta prière dans le sens désiré, c'est que j'en dispose d'une manière plus utile, sans égard à la fragilité humaine qui t'empêche souvent de discerner ce qui est le meilleur. »
CHAPITRE XXXIV
DU PROFIT QUE LES HOMMES PEUVENT RETIRER DE L' OFFRANDE
FAITE PAR LE SEIGNEUR ET LES SAINTS.
1. Celle-ci devait, un matin, recevoir le corps du Christ et gémissait de se trouver si peu préparée. Elle pria la sainte Vierge et tous les saints d'offrir pour elle au Seigneur les ferventes dispositions qu'ils apportaient durant leur vie à la réception de la grâce. De plus, elle supplia Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même d'offrir cette perfection dont il était revêtu au jour de son Ascension lorsqu'il se présenta à Dieu le Père pour être glorifié.
2. Tandis qu'elle s'efforçait, plus tard, de connaître le résultat de sa prière, le Seigneur lui dit : « Aux yeux de la cour céleste, tu apparais déjà revêtue de ces mérites que tu as désirés. » Il ajouta : « Aurais-tu donc tant de peine à croire que moi, qui suis le Dieu bon et tout-puissant, j'ai le pouvoir d'accomplir ce que peut faire le premier venu ? En effet, celui qui veut honorer un ami le couvre de son propre vêtement ou d'un costume semblable, afin que cet ami se montre en public aussi richement habillé que lui. »
3. Mais celle-ci se souvint qu'elle avait promis à plusieurs personnes de communier ce jour-là à leur intention, et pria Dieu de leur accorder le fruit de ce sacrement. Elle reçut cette réponse : « Je leur donne la grâce réclamée, mais elles garderont la liberté de s'en servir à leur gré.»
4. Comme elle demandait ensuite de quelle manière il voulait que ces âmes cherchassent à en tirer profit, le Seigneur ajouta : « Elles peuvent se tourner vers moi à toute heure, avec un cœur pur et une parfaite volonté ; et lorsque avec leurs larmes et leurs gémissements elles auront imploré ma grâce, elles apparaîtront aussitôt revêtues de cette parure céleste que tu leur as obtenue par les prières. »
CHAPITRE XXXV
EFFETS PRODUITS PAR LA SAINTE COMMUNION.
Elle exprima à Dieu le désir de recevoir, comme dernière nourriture, à l'heure de la mort, le sacrement vivifiant du corps du Christ ; mais une lumière intérieure lui fit comprendre que cette demande n'était pas pour le plus grand bien de son âme. En vérité, l'effet de ce sacrement ne peut être diminué par la nécessité de soigner notre corps, et surtout par l'alimentation légère que le malade prend avec répugnance, dans l'unique but de soutenir sa vie pour la gloire de Dieu. Si, en vertu de l'union que la sainte Eucharistie établit entre Dieu et l'homme, tous les biens de ce dernier prennent une plus grande valeur, combien davantage, à l'heure de la mort et après la réception du corps du Christ, tous les actes accomplis dans une intention pure seront-ils méritoires! Souffrir avec patience, manger ou boire, tout cela mettra le comble aux mérites éternels de l'âme, en vertu de cette union incomparable contractée avec Dieu dans le Sacrement de vie.
CHAPITRE XXXVI
DES AVANTAGES DE LA COMMUNION FRÉQUENTE,
Un matin, avant de recevoir la communion, elle dit : « O Seigneur, quel don allez-vous m'accorder ? Le Seigneur répondit : « Le don de tout mon être avec ma vertu divine, et tel que jadis la Vierge ma Mère le reçut ». Elle reprit : « Puisque dans la sainte communion vous vous livrez toujours tout entier, qu'aurai-je de plus que les personnes qui vous ont reçu hier avec moi, et ne s'approchent pas aujourd'hui de vos saints mystères? » Le Seigneur répondit : « Chez les anciens, tu sais que le second consulat honorait un homme plus que le premier ; comment alors l'âme plus souvent unie à moi sur la terre n'obtiendrait-elle pas au ciel une gloire supérieure? » Elle se prit à soupirer : « Ah! dit-elle, les prêtres jouiront d'une gloire bien plus grande que la nôtre, eux qui, en raison de leur ministère, communient tous les jours ! - Certainement, reprit le Seigneur, une gloire éclatante est réservée à ceux qui me reçoivent dignement. Mais il ne faut pas confondre l'amour d'une âme qui communie avec la gloire dont est revêtu celui qui célèbre les mystères. Aussi les récompenses sont diverses : autre pour le cœur brûlant d'amour et de désirs ; autre pour celui qui me reçoit avec crainte et révérence; autre encore pour ceux qu'une longue et fervente préparation dispose à se nourrir de ma chair sacrée; mais aucune de ces trois n'est réservée au prêtre qui célébrerait les divins mystères avec froideur et par routine. »
CHAPITRE XXXVII
COMMENT LE SEIGNEUR CORRIGE LES FAUTES DE L' ÂME AIMANTE.
1. Un jour où I'on fêtait la bienheureuse Vierge Marie, après avoir reçu des faveurs spéciales et vraiment admirables, celle-ci, revenue à elle-même, considérait avec tristesse son ingratitude et sa négligence. Il lui semblait qu'elle n'avait pas rendu des hommages suffisants à la Mère de Dieu et aux autres saints ; et cependant en retour des grâces merveilleuses qui lui étaient faites, elle aurait dû leur offrir de magnifiques louanges. Le Seigneur voulut la consoler. Il s'adressa à la bienheureuse Vierge et aux saints : « N'ai-je pas suffisamment réparé les négligences de mon Épouse à votre égard, dit-il, lorsque je me suis communiqué à elle en votre présence dans les délices de ma divinité ? - En vérité, la satisfaction que nous avons reçue a été surabondante. » Le Seigneur se tourna avec tendresse vers son Épouse : Est-ce que cette réparation te suffira à toi aussi? - O Dieu plein de bonté, répondit-elle, oui certes je serais pleinement heureuse, si une pensée ne venait troubler ma joie : je connais ma faiblesse, j'entrevois qu'après avoir obtenu le pardon de mes anciennes négligences je pourrai en commettre de nouvelles. » Le Seigneur répondit : « Je me donnerai à toi d'une manière si complète, que je réparerai non seulement les péchés de ta vie passée. mais aussi ceux qui, dans l'avenir, pourraient souiller ton âme. Aie soin toutefois, après avoir reçu le sacrement de mon corps, de te garder dans une pureté parfaite. » Mais elle objecta : « Hélas ! Seigneur, je crains de ne pas bien remplir cette condition. C'est pourquoi je vous prie, ô le meilleur des maître, de m'enseigner à effacer sans retard les souillures que j'aurai contractées. - Ne souffre pas, répondit le Seigneur, qu'elles demeurent un instant sur ton âme ; mais dès que ta auras commis une imperfection, invoque-moi par ce verset : Miserere mei Deus ou cette prière : O Christ Jésus, ô mon unique salut, donnez-moi, par votre mort très salutaire, Ie pardon de tous mes péchés. »
2. Elle reçut ensuite le corps du Seigneur, et son âme lui parut semblable à un cristal très pur et plus brillante que la neige. La divinité du Christ qu'elle venait de recevoir paraissait en cette âme comme un or très pur qui resplendit à travers le cristal. Elle y produisait des opérations si merveilleuses et si douces que la très adorable Trinité et tous les saints ressentirent à cette vue d'ineffables délices. Celle-ci expérimenta alors la vérité de cette parole : que tout ce qui a été perdu spirituellement peut se recouvrer par une digne réception du corps du Christ. Cette opération de la Divinité paraissait en effet si excellente, que toute la cour céleste sembla attester qu'elle prenait ses délices à regarder l'âme en qui Dieu opérait de si grandes choses. Quant à ce qui a été dit plus haut, que le Seigneur lui promit d'effacer même ses fautes à venir, il faut l'entendre de la sorte : de même qu'au travers d'un prisme de cristal on peut voir également d'un côté ou de l'autre ce que le cristal renferme, ainsi l'opération divine s'accomplissait dans l'âme de celle-ci, soit qu'elle fût attentive et fidèle dans la pratique des bonnes oeuvres, soit que la fragilité humaine détournât son attention. Mais pour que 1a merveilleuse et très salutaire opération pût s'accomplir, il fallait toujours que l'âme ne fût pas obscurcie par le nuage du péché.
CHAPITRE XXXVIII
DE L'EFFET DU REGARD DIVIN.
1. Sa grande dévotion entretenait chez elle un désir ardent de recevoir le corps du Seigneur. Une fois qu'elle s'y était préparée avec plus de ferveur encore durant plusieurs jours, elle éprouva dans la nuit du dimanche un tel affaiblissement qu'il lui parut impossible de communier. EIIe voulait selon son habitude, consulter le Seigneur afin de connaître son bon plaisir. Il lui répondit : « L'époux qui s'est rassasié de mets divers trouve plus de charmes à demeurer avec son épouse dans 1e secret de 1a chambre nuptiale, qu'à rester assis à table auprès d'elle. De même, je serai satisfait qu'aujourd'hui, par discrétion, tu omettes de recevoir la sainte communion. - Mais, ô mon très aimant Seigneur, dit-elle, comment daignez-vous affirmer que vous avez été pleinement rassasié ? » Le Seigneur répondit : « Le recueillement de tes sens, la sobriété de tes paroles, les brûlants désirs et les ferventes prières par lesquelles ton âme était préparée à la réception de mon corps et de mon sang. m'ont nourri comme autant de mets
délicieux. »
2. Malgré son extrême faiblesse, elle assista à la messe avec le désir de communier au moins spirituellement. Or il arriva qu'un prêtre revint de la campagne où il était allé porter le saint viatique à un malade. Celle-ci en fut avertie par 1e son de la cloche, et tout enflammée de désirs elle s'écria : « Que je vous recevrais avec bonheur, au moins spirituellement, ô vraie Vie de mon âme, si j'avais un peu de temps pour me préparer ! » Le Seigneur répondit : « Le regard de ma divine Bonté te préparera convenablement. » II daigna alors arrêter sur cette âme la flamme de son divin regard, flamme plus chaude et plus brillante que les rayons du soleil et dit : « Firmabo super te oculos meos : Je tiendrai mes yeux arrêtés sur vous ».(Ps. XXXI, 8.) A ces mots elle comprit le triple effet qu'à l'instar des rayons du soleil 1e regard divin peut opérer dans une âme, et 1e triple moyen de se préparer à le recevoir :
- Premièrement, le regard divin purifie l'âme, lui enlève toute tache et la rend plus blanche que la neige ; c'est l'humble connaissance des défauts qui produit ce résultat.
- Secondement, Ie regard de la divine Bonté assouplit l'âme et la dispose à recevoir les dons spirituels, à la façon de la cire qui s'amollit sous les rayons du soleil et devient propre à recevoir une empreinte : cet effet s'obtient par une parfaite bonne volonté.
- Troisièmement, le regard le Dieu féconde l'âme, qui produit alors les fleurs des vertus, comme 1a terre nous donne ses fruits variés et savoureux, lorsqu'elle a été réchauffée par les rayons vivifiants de l'astre du jour : on atteint ce but par un abandon complet à la miséricorde du Seigneur, une foi très ferme en la bonté divine qui fait tout concourir à notre bien, l'adversité comme la prospérité.
3. Ensuite, comme le convent communiait aux deux messes 1, le Seigneur, dans son ineffable tendresse, parut distribuer le pain sacré aux sœurs, tandis que le prêtre marquait seulement chaque hostie du signe de la croix. Or il arriva qu'en donnant chacune de ces hosties, le Seigneur semblait accorder à celle-ci une puissante bénédiction. Elle fut remplie d'étonnement : « O Seigneur, dit-elle, vous me comblez de faveurs si abondantes! Est-il possible que les autres en vous recevant sacramentellement aient obtenu plus de richesses ? » Le Seigneur répondit : « Celui qui se pare de beaux ornements et de pierres précieuses est-il plus riche en réalité qu'un autre dont les trésors sont demeurés cachés? » Ces paroles du Seigneur donnaient à entendre que la créature, par la communion sacramentelle, obtient une grâce de salut dont le corps et l'âme ressentent les effets puissants ; mais celle qui, avec une très pure intention de glorifier Dieu, s'abstient de recevoir la sainte communion par obéissance, par discrétion et tout en désirant avec ardeur communier spirituellement; celle-là mérite les bénédictions données aujourd'hui à cette âme par la bonté divine, c'est-à-dire des fruits de grâce beaucoup plus abondants. Remarquons cependant que l'ordre et le secret de cette conduite demeurent cachés à l'intelligence humaine.
1. Une partie de la communauté recevait la sainte communion à une première messe, et l'autre partie à la seconde.
CHAPITRE XXXIX
COMBIEN EST UTILE LE SOUVENIR DE LA PASSION DE JÉSUS-CHRIST.
1. En considérant un jour sa propre indignité, celle-ci perdit si bien confiance en ses propres mérites, qu'elle s'arrêta dans sa voie spirituelle vers Dieu. Alors le Seigneur s'inclina vers elle dans sa bonté miséricordieuse et lui dit : « D'après l'étiquette qui règle les devoirs des époux, il convient que le roi se hâte d'aller rendre visite à la reine dans les stations où elle se repose. » Par ces paroles, elle comprit que Dieu se regarde comme obligé envers l'âme qui médite avec amour sa douloureuse Passion, comme le roi qui a des devoirs à remplir à l'égard de la reine en vertu du mariage qui les unit.
2. Elle reconnut alors avoir mérité la très aimable visite du Seigneur, parce qu'elle s'était appliquée à méditer sa sainte Passion en la sixième. férie, et comprit aussi que toute âme, si tiède qu'elle soit dans la dévotion, obtiendrait cependant la bienveillance divine si elle gardait mémoire assidue de la Passion.
CHAPITRE XL
COMMENT LE FILS DE DIEU APAISE SON PÈRE.
Une fois elle essaya de rechercher, parmi les lumières spéciales que la bonté divine lui avait accordées, celle qu'il serait le plus utile de manifester aux hommes pour leur profit spirituel. Le Seigneur, entrant aussitôt dans ses vues et ses désirs, lui dit : « Les hommes trouveront un grand avantage à se souvenir que moi, le Fils de la Vierge, je me tiens sans cesse devant Dieu le Père afin de plaider la cause du genre humain. S'ils viennent à souiller leur cœur par suite de la fragilité humaine, j'offre mon Cœur sacré en réparation à Dieu le Père. S'ils pèchent par la bouche, j'offre ma bouche très innocente. S'ils offensent Dieu par leurs oeuvres, je présente mes mains transpercées pour eux. Ainsi, quelle que soit leur faute, toujours par mon innocence j'apaise le Père tout-puissant afin que les cœurs touchés de repentir obtiennent facilement miséricorde. Aussi je voudrais que les âmes, après avoir reçu si aisément le pardon désiré, m'en rendissent de vives actions de grâces.
CHAPITRE XLI
D'UN REGARD PIEUX PORTÉ SUR LE CRUCIFIX.
1. Un vendredi soir, tandis qu'elle regardait l'image du Dieu crucifié, son cœur fut pénétré de douleur et d'amour. Elle dit au Seigneur : « O très doux et très aimé Seigneur, combien vous avez souffert en ce jour pour mon salut ! Et moi, infidèle que je suis, j'ai été occupée d'autres choses, et j'ai laissé s'écouler les heures sans me souvenir que vous avez supporté pour moi tant de supplices, ô mon Salut éternel ; que vous enfin, vraie vie qui vivifiez tonte chose, avez daigné mourir pour vous assurer mon amour ! » Le Seigneur lui répondit du haut de la croix: « J'ai suppléé à ta négligence, car à tout moment je réunissais dans mon cœur les sentiments que le tien aurait dû produire, et bientôt mon Cœur sacré en fut tellement rempli que j'attendais avec un ardent désir l'heure où tu m'adresserais la prière que tu viens de faire. Maintenant j'offre cette prière à Dieu le Père, l'unissant aux sentiments que j'ai eus aujourd'hui en ton nom, car si tu n'avais pas tourné ton intention vers moi, tu n'aurais pas ressenti ces effets de salut. » Reconnaissons ici l'amour de Dieu pour les hommes: aussitôt que l'âme négligente a formulé une seule pensée de regret, il offre satisfaction pour elle à Dieu le Père, et, avec une plénitude que nous ne pouvons comprendre, il répare tous ses manquements. Aussi est-ce à bon droit que les hommes bénissent cette infinie miséricorde.
2. Une autre fois. comme elle contemplait avec dévotion l'image du Christ en croix, elle comprit que l'âme, en regardant avec amour le Seigneur crucifié, mérite que Dieu tourne ses yeux vers elle avec une grande bonté. Sous l'influence de ce regard, elle devient comparable à un brillant miroir; par un effet de l'amour divin elle reflète l'image admirable qu'elle a contemple, cette vue réjouit grandement la cour céleste. De plus, chaque fois qu'une personne accomplit cet acte avec amour et respect, elle en recueille pour le ciel une gloire éternelle.
3. Elle reçut aussi cet enseignement : quand un homme regarde le crucifix, il doit penser en son cœur que le Seigneur Jésus lui dit avec bonté : « Voici que par amour pour toi j'ai été attaché à la croix, nu et méprisé, après avoir supporté une dure flagellation et la dislocation de mes membres. Mon cœur est tellement épris d'amour, que si cela était indispensable pour ton salut, je voudrais supporter pour toi seul les inexprimables douleurs que j'ai souffertes pour le monde entier. » Que de telles pensées excitent les cœurs à la reconnaissance, car il n'arrive jamais sans une grâce de Dieu qu'un crucifix se présente à nos regards. La contemplation du signe auguste de notre salut apporte toujours un grand profit ; aussi, bien coupable serait le chrétien ingrat s'il négligeait de vénérer Celui qui s'est offert comme le prix inestimable de son rachat.
4. Une autre fois, elle avait l'esprit occupé de la Passion du Seigneur et elle comprit que les prières ou méditations ayant trait à ce mystère rapportent beaucoup plus de fruits que les autres exercices. En effet, s'il est impossible de toucher la farine sans en garder quelque trace, ainsi l'âme ne peut méditer la Passion du Seigneur, même avec très peu de dévotion, sans en retirer un certain profit. Et même si une personne se contente de lire quelque chose ayant trait à la Passion, elle procure au moins à son âme une aptitude à recevoir le fruit de cette même Passion. Car l'intention d'une personne qui pense souvent à la Passion du Christ est plus fructueuse que les plus nombreuses intentions d'une autre qui ne s'en occupe jamais. Efforçons-nous donc d'entretenir dans notre esprit ce souvenir sacré, afin qu'il nous devienne un rayon de miel à la bouche, une mélodie à l'oreille, une allégresse au cœur.
CHAPITRE XLII
DU FAISCEAU OU BOUQUET DL MYRRHE.
1. Auprès de son lit il y avait un Crucifix. Une nuit, comme cette image était penchée vers elle et sur le point de tomber, elle la releva en disant avec tendresse : « O très doux Jésus, pourquoi vous inclinez-vous ainsi? » Il répondit aussitôt : « L'amour de mon divin cœur m'attire vers toi. » Alors elle prit en mains la sainte image, la serra doucement contre son cœur, la couvrit de caresses et de baisers et s'écria : « Fasciculus myrrhae dilectus meus mihi : Mon bien-aimé est pour moi un faisceau de myrrhe. » (Cant. I, 12.) Et le Seigneur achevant la parole en son nom ajouta : « Inter haec ubera mea commorabitur: Il demeurera sur mon sein. » (Ibid ) I1 lui enseignait en ce moment que l'homme doit envelopper dans la très sainte Passion du Seigneur toutes ses peines et ses adversités, comme on introduirait une petite branche de fleurs au milieu d'un faisceau de myrrhe : si le nombre et l'intensité de ses maux le portent à l'impatience, il doit se rappeler la douceur admirable du Fils de Dieu qui, semblable à un doux agneau, se laissa prendre et immoler pour notre salut sans proférer une seule plainte. Si l'homme trouve l'occasion de se venger du mal qu'on lui a fait, qu'il se souvienne avec quelle douceur le Dieu très aimant ne rendit jamais le mal pour le mal, et ne se vengea par aucune parole. Au contraire, en retour des maux qu'il a endurés, il racheta par ses souffrances et par sa mort ceux qui l'avaient persécuté jusqu'à le faire mourir. Enfin, si l'homme ressent de la haine contre ses ennemis, qu'il se souvienne de l'excessive mansuétude avec laquelle le très aimant Fils de Dieu, au milieu même des douleurs indicibles de sa Passion et des angoisses de sa mort a prié pour ceux qui le crucifiaient, disant : « Pater, ignosce illis, etc. Père, pardonnez leur ». S'unissant à cet amour, qu'il prie à son tour pour ses ennemis.
2. Le Seigneur ajouta : « Si quelqu'un enveloppe et cache pour ainsi dire toutes ses peines dans le faisceau de myrrhe de mes douleurs, et se fortifie par les exemples de ma Passion en cherchant à les imiter, c'est celui-là qui vraiment inter ubera mea commorabitur. Je lui donnerai par un amour spécial, pour augmenter ses richesses, tout ce que j'ai mérité par ma patience et par mes autres vertus. »
3. Elle dit alors : « Comment recevez-vous, Seigneur, l'amour que certains portent à l'image de votre croix? - Je l'accepte avec reconnaissance, répondit le Seigneur : cependant ceux qui vénèrent mon image sans imiter les exemples de ma Passion ressemblent à une mère qui donnerait à sa fille des vêtements de son choix à elle, ne tenant aucun compte des goûts de son enfant et lui faisant même essuyer parfois de durs refus. Tant que la fille n'obtient pas l'objet de ses désirs, elle ne peut savoir gré des dépenses faites pour elle, car elle est sûre que sa mère lui impose ces parures pour satisfaire sa propre vanité et nullement par tendresse. De même tous les témoignages d'amour, d'honneur et de respect rendus à l'image de ma croix, ne peuvent me donner une satisfaction complète, si l'on ne cherche en même temps à imiter les exemples de ma Passion. »
CHAPITRE XLIII
D'UNE IMAGE DU CRUCIFIX.
Elle désirait ardemment posséder une croix pour la vénérer souvent avec amour. Mais elle modérait ce désir, dans la crainte que cet exercice trop assidu ne l'empêchât de jouir des grâces intérieures dont Dieu la comblait. Le Seigneur lui dit alors : « Ne crains pas, ô ma bien-aimée ; puisque je suis en cette dévotion le seul objet de tes pensées, elle ne pourra. mettre obstacle aux joies spirituelles que je te donne. J'avoue de plus qu'il m'est très agréable de voir l'image de mon supplice entourée d'amour et de respect. Un roi qui ne peut demeurer toujours auprès de son épouse tendrement chérie, laisse parfois en sa place celui de ses parents qu'il aime le plus. Cependant il tient pour fait à lui-même l'amitié et la tendresse que son épouse peut témoigner à cet ami parce qu'il sait qu'elle n'agit point par une affection illicite pour un étranger, mais bien par un chaste amour pour son époux. De même je trouve mes délices dans les honneurs rendus à ma croix, parce qu'ils sont une preuve d'amour pour moi. Toutefois il ne faut pas se contenter de posséder une croix : cette croix doit rendre plus vif le souvenir de l'amour et de la fidélité qui m'ont fait supporter les amertumes de ma Passion ; car il ne faut pas songer plus à la satisfaction d'un attrait personnel qu'à l'imitation des exemples de ma Passion. »
CHAPITRE XLIV
COMMENT LA SUAVITÉ DIVINE ATTIRE L'ÂME.
1. Une nuit où elle s'occupait dévotement de la Passion, et se laissait entraîner comme sans aucun frein dans un abîme de désirs, elle sentit son Cœur tout brûlant à la suite de ces saintes ardeurs et dit au Seigneur : « O mon très doux amant, si les hommes savaient ce que j'éprouve, ils diraient que je dois modérer une telle ferveur, afin de retrouver ma santé. Mais vous qui pénétrez dans l'intime de mon être, vous savez bien que tout l'effort de mes puissances et de mes sens, ne pourrait faire résister mon âme au très doux ébranlement que lui cause votre visite. » Le Seigneur répondit : « Qui donc, à moins d'être insensé, ignore que la douceur infiniment puissante de ma divinité surpasse d'une manière incompréhensible toute délectation humaine et charnelle ? Toutes les consolations terrestres auprès des consolations célestes sont comme une goutte de rosée comparée à l'immense étendue des mers. Les hommes se laissent tellement entraîner par l'attrait des plaisirs sensibles, qu'ils mettent parfois en péril non seulement la santé de leur corps, mais aussi le salut éternel de leur âme. A plus forte raison, un cœur tout pénétré de la suavité divine se trouve dans l'impossibilité de réprimer la ferveur d'un amour qu'il sait devoir lui procurer une félicité éternelle. »
2. Elle objecta : « Les hommes diraient peut-être qu'ayant fait profession dans l'ordre cénobitique, je dois modérer ma dévotion, afin de pouvoir pratiquer la règle dans toute sa rigueur. » Le Seigneur daigna l'instruire par cette comparaison : « Si l'on plaçait devant la table du roi divers chambellans prêts à le servir avec zèle et respect, et que le roi fatigué ou affaibli par l'âge désirât avoir près de lui un de ces serviteurs pour s'appuyer sur lui, ne serait-ce pas malséant que ce chambellan laissât tomber son maître, en se levant tout à coup, sous prétexte qu'il a été préposé au service de la table ? De même, il serait déplorable qu'une âme appelée gratuitement aux délices de la contemplation voulût s'y soustraire pour suivre en toute sa rigueur la règle de son Ordre. Je suis le créateur et le réformateur de l'univers et je me complais infiniment plus dans une âme aimante que dans n'importe quel exercice ou travail corporel qui peut être accompli parfois sans amour ni pureté d'intention. » Le Seigneur ajouta encore : « Si quelqu'un n'est pas en toute certitude attiré par mon Esprit au repos de la contemplation, et que dans l'effort qu'il fait pour y atteindre il néglige la règle, il ressemble au serviteur qui veut s'asseoir à la table du roi, tandis qu'il n'est appelé qu'à se tenir debout, prêt à accomplir ses ordres. Et comme un chambellan qui s'assied à la table du maître sans y être invité, ne reçoit aucun honneur, mais s'attire le mépris ; de même celui qui néglige la règle de son Ordre, et veut arriver par son propre effort à la contemplation divine (faveur que nul le petit obtenir sans grâce spéciale), celui-là trouve plus de détriment que de profit ; car d'un côté il ne fait aucun progrès dans la contemplation, et de l'autre il accomplit son devoir avec tiédeur. Quant au religieux qui recherche les jouissances extérieures et néglige l'observance de sa règle sans nécessité et pour son seul bien-être, il agit comme un serviteur qui, appelé pour servir à la table royale, s'en irait, comme le dernier des valets, se salir à nettoyer les écuries.
CHAPITRE XLV
COMMENT LE SEIGNEUR ACCEPTA UN HOMMAGE RENDU AU CRUCIFIX.
1. Un vendredi, après avoir passé toute la nuit en prières et en désirs ardents, elle se souvint d'avoir enlevé jadis les clous de l'image du Crucifix pour les remplacer par de petits boutons de girofle parfumés et elle dit au Seigneur : « O mon Bien-Aimé, qu'avez-vous donc pensé, lorsque, par tendresse, j'ai enlevé les clous des douces blessures de vos pieds et de vos mains afin de les remplacer par ces petits boutons parfumés? » Le Seigneur lui répondit : « Cette marque d'amour m'a été si agréable, que j'ai répandu sur les blessures de tes péchés le baume précieux de ma divinité ; les saints puiseront des délices éternelles à la vue de ces blessures; sources d'une liqueur de si grand prix. - Mon Seigneur, reprit-elle, accorderiez-vous la même faveur à tous ceux qui vous honoreraient de cette manière? - Non pas à tous, dit le Seigneur, mais seulement à ceux qui le feraient avec le même amour ; cependant la récompense serait encore large pour des âmes dont la dévotion et la ferveur n'égaleraient pas la tienne. »
A ces douces paroles, elle saisit le Crucifix, le couvrit de tendres baisers, et le pressant sur son cœur, lui prodigua toutes les marques de son amour. Mais bientôt elle sentit ses forces défaillir par suite de cette veille prolongée, et déposant son Crucifix : « Je vous salue, mon Bien-Aimé, dit-elle, et vous souhaite bonne nuit. Permettez-moi de dormir pour retrouver les forces que j'ai perdues dans nos doux entretiens. » Après avoir dit ces mots elle se détourna de l'image du Crucifix afin de se reposer. Pendant ce repos, le Seigneur ayant détaché son bras droit de la croix, le mit autour qu cou de son épouse, comme s'il voulait lui donner le baiser d'amour. Puis appliquant sa bouche sacrée à l'oreille de celle-ci, il murmura doucement : « Ecoute, ô ma bien-aimée, je vais te faire entendre encore un chant d'amour. » Et sur la mélodie de l'hymne : Rex Christe, factor omnium 1, il lui chanta cette strophe, de sa voix la plus douce :
« Amor meus continuus,
Tibi Ianguor assiduus ;
Amor tuas suavissimus,
Mihi sapor gratissimus.
Mon amour incessant
Eternise sa langueur ;
Ton amour ravissant
M'offre la plus douce saveur. »
2. Lorsqu'il eut fini : « Maintenant, dit-il, au lieu du Kyrie eleison qui se chante après chaque strophe, demande-moi les grâces que tu désires. » Elle exposa alors ses désirs au Seigneur et fut pleinement exaucée. Ensuite le Seigneur Jésus chanta de nouveau la même strophe, invita encore son épouse à prier, et ils redirent plusieurs fois ces mêmes paroles alternativement, en sorte que le Seigneur ne lui permit pas de dormir, jusqu'à ce que, ses forces étant presque épuisées, il devint nécessaire de les réparer. Elle se livra donc un moment au sommeil jusqu'au lever du jour. Pendant ce temps le Seigneur Jésus, qui ne s'éloigne jamais de ceux qui l'aiment, lui apparut en songe et la réchauffa doucement sur son sein. I1 semblait préparer dans la blessure de son sacré côté un mets délicieux, et de sa propre main le porter par bouchées aux lèvres de son épouse afin de renouveler sa vigueur. Aussi s'éveilla-t-elle complètement reposée. Elle se sentit donc en possession de ses forces, et rendit ait Seigneur de dévotes actions de grâces.
1. Hymne qui était chantée à la fin des Laudes avec Kyrie eleison, les trois jours avant Pâques. (Voir Livre IV, chap. XXV.)
CHAPITRE XLVI
DES SEPT HEURES DE L'OFFICE DE LA BIENHEUREUSE VIERGE.
1. Tandis qu'elle veillait une nuit pour méditer sur la Passion du Seigneur, elle éprouva une si grande fatigue qu'avant même de réciter Matines, elle sentit ses forces défaillir et dit au Seigneur : « Ah ! mon Seigneur, puisque vous voyez que la faiblesse de ma nature réclame impérieusement le repos, dites-moi quel hommage ou quel tribut d'honneur je puis offrir à votre bienheureuse Mère, en compensation des heures que j'aurais dû réciter à sa louange. - Loue-moi, répondit le Seigneur, par la douce harmonie de mon Cœur, pour l'innocence de sa virginité parfaite : Vierge elle m'a conçu, Vierge elle m'a enfanté, Vierge elle est demeurée après l'enfantement. Elle m'a imité moi, l'innocence même, qui me suis laissé arrêter à l'heure de Matines pour la rédemption du monde, et fus ensuite lié, souffleté, frappé sans pitié, accablé d'outrages et d'opprobres. » Or, pendant que celle-ci louait le Seigneur comme il le lui avait demandé, elle le vit présenter son Cœur divin en forme d'une coupe d'or à la Vierge-Mère. La Vierge but à longs traits ce breuvage plus doux que le miel, et partit comme enivrée, après que cette liqueur eut pénétré son être tout entier. Celle-ci dit alors à la Vierge-Mère : « Je vous loue et vous salue, Mère de toute félicité, très digne sanctuaire du Saint-Esprit, par le très doux Cœur de Jésus-Christ, Fils de Dieu le Père et votre très aimant Fils. Je vous prie de nous aider dans tous nos besoins et à l'heure de notre mort, ainsi soit-il 1. » Elle comprit que si quelqu'un louait le Seigneur comme il vient d'être dit en ajoutant le verset : « Je vous loue et je vous salue, Mère de toute félicité, » etc., pour glorifier la bienheureuse Vierge, il semblerait présenter chaque fois à la Mère de Dieu le Cœur de son très aimant Fils, et la faire boire à cette coupe divine. La royale Vierge accepterait volontiers cette offrande et la récompenserait selon toute la libéralité de sa maternelle tendresse.
2. Le Seigneur ajouta : « Loue-moi à l'heure de Prime par mon Cœur très doux pour cette tranquille humilité par laquelle la Vierge sans tache se disposait à me recevoir comme Fils : elle pratiquait l'humilité que j'ai montrée pour la rédemption du genre humain lorsque, moi, le juge des vivants et des morts, j'ai daigné comparaître devant un païen pour entendre mon jugement.»
3. « A l'heure de Tierce, loue-moi pour ce désir fervent par lequel ma Mère m'attira du sein de Dieu le Père en son sein virginal : elle imitait ainsi l'ardent désir que j'éprouvais du salut du monde, lorsque, déchiré de coups et couronné d'épines, j'ai daigné, à la troisième heure, porter avec patience et douceur sur mes épaules fatiguées et sanglantes cette croix ignominieuse. »
4. « A l'heure de Sexte, loue-moi pour cette très ferme espérance par laquelle la Vierge céleste désirait sans cesse ma gloire avec une parfaite bonne volonté et une intention toujours pure : elle m'imitait lorsque, suspendu à l'arbre de la croix, je désirais de toutes mes forces le salut du genre humain, au milieu des amertumes et des angoisses de la mort. Cet ardent désir me forçait à crier : J'ai soif ! J'avais en effet soif du salut des hommes à tel point que j'aurais souffert des tourments plus amers et plus durs encore : car j'étais prêt à porter volontiers toute douleur pour racheter les hommes.»
5. « A l'heure de None, loue-moi pour l'amour réciproque de mon Cœur divin et de la Vierge sans tache, amour qui a uni inséparablement l'excellence de la divinité à la faiblesse de l'humanité dans le sein de la Vierge. Ma Mère m'a imité, moi la vie des vivants, lorsque je mourus sur la croix d'une mort très amère à l'heure de None, à cause de mon amour infini pour le salut des hommes. »
6. « A l'heure de Vêpres, loue-moi pour cette foi inébranlable que la bienheureuse Vierge a seule montrée au moment de ma mort. Les apôtres s'éloignaient, tous désespéraient, elle demeura ferme et constante dans la foi : elle imitait la fidélité que j'ai montrée lorsque, ayant été descendu de la croix, après ma mort, j'allai chercher l'homme jusqu'au fond des enfers, d'où je l'arrachai par la très puissante main de ma miséricorde pour l'élever aux joies ut paradis. »
7. A l'heure de Complies, loue-moi pour cette persévérance admirable avec laquelle ma très douce Mère a gardé la constance dans le bien et la vertu jusqu'à la fin de sa vie : elle a imité la perfection avec laquelle j'ai accompli l'œuvre de la Rédemption, car après avoir obtenu par une mort cruelle le complet rachat de l'homme , j'ai néanmoins voulu que mon corps incorruptible fût enseveli « suivant la Coutume 2 », afin de montrer qu'il n'était rien de vil et de méprisable que je n'acceptasse pour le salut de l'homme. »
1. Livre de la Grâce spéciale, Livre I, chap. II
2. Sicut mos est Judaeis sepelire. (Jean. XIX, 40.)
CHAPITRE XLVII
MANIFESTATION DE L'AMITIÉ DU SEIGNEUR
1. Les relations avec les créatures lui étaient fort à charge, parce que l'âme qui aime vraiment Dieu ne rencontre en dehors de lui qu'ennui et souffrance. Aussi lui arrivait-il très souvent, dans la ferveur de son esprit, de se lever tout à coup et de se rendre au lieu de la prière en disant : « O mon Seigneur, je ne trouve qu'amertume dans les créatures, je ne veux plus avoir d'entretien et de commerce qu'avec vous. Souffrez que je me détourne d'elles pour m'occuper de vous, ô mon unique bien, ô joie souveraine de mon coeur et de mon âme. » Ensuite, baisant cinq fois les cinq plaies vermeilles du Seigneur, elle disait autant de fois ce verset : « Je vous salue, ô Jésus, Époux plein de charmes : je vous embrasse avec les délices de votre divinité, avec l'amour de tout l'univers, et je dépose mon ardent baiser sur la plaie de votre amour. » A ces paroles prononcées sur chacune des plaies chi Seigneur, il lui semblait voir l'ennui s'évanouir, elle se réconfortait dans les charmes de sa tendre dévotion.
2. Elle demanda un jour au Seigneur si cet exercice lui était agréable, car elle n'y employait souvent que quelques instants. Le Seigneur répondit : « Chaque fois que tu te tourneras vers moi de cette manière, tu seras à mes yeux comme un ami qui offre à son ami l'hospitalité pour un jour, et s'efforce de lui témoigner toutes sortes d'amitiés par ses actes et ses paroles, car il veut lui prouver sa joie par ses attentions et ses délicatesses. De même qu'un hôte si bien accueilli songerait souvent à ce qu'il pourrait faire lorsque son ami viendrait le visiter à son tour, ainsi mon Coeur pense avec amour aux récompenses que je te prépare dans la vie éternelle pour les tendresses que tu m'auras témoignées sur la terre : je te les rendrai au centuple selon la royale libéralité de ma toute-puissance, de ma sagesse et de ma bonté. »