Chartres, 1830
L'abandon confiant à la Providence divine
(par le Bienheureux Père de la Colombière)
1) Consolantes vérités : c'est une vérité des mieux établies et des plus consolantes qui nous aient jamais été révélées que (à la réserve du péché), rien ne nous arrive sur la terre que parce que Dieu le Veut ; c'est Lui qui donne les richesses et c'est Lui qui envoie la pauvreté ; si vous êtes malade, Dieu est la cause de votre mal; si vous recouvrez la santé, c'est Dieu qui vous l'a rendue ; si vous vivez, c'est uniquement à lui que vous devez un si grand bien ; et lorsque la mort viendra terminer votre vie, ce sera de Sa Main que vous recevrez le coup mortel. Mais, lorsque les méchants nous persécutent, est-ce donc à Dieu que nous devons nous en prendre ? Oui, c'est encore Lui que vous devez alors accuser uniquement du mal que vous souffrez. Il n'est pas la cause du péché que fait votre ennemi en vous maltraitant, mais Il est la cause du mal que cet ennemi vous fait en péchant. Ce n'est pas Dieu qui a inspiré à votre ennemi la volonté perverse qu'il a de vous nuire, mais c'est Lui qui lui en a donné le pouvoir. N'en doutez pas, si vous recevez quelque plaie, c'est Dieu lui-même qui vous aura blessé. Quand toutes les créatures se ligueraient contre vous, si le Créateur ne le Voulait pas, s'Il ne se joignait pas à elles, s'Il ne leur donnait et la force et les moyens d'exécuter leurs mauvais desseins, jamais elles n'en viendraient à bout : Vous n'auriez aucun pouvoir sur Moi, s'il ne vous avait été donné d'En-Haut, disait le Sauveur du monde à Pilate. Nous en pouvons dire autant et aux démons et aux hommes, aux créatures mêmes qui sont privées de raison et de sentiment. Non, vous ne m'affligeriez pas, vous ne m'incommoderiez pas comme vous faites si Dieu ne l'avait ainsi ordonné; c'est Lui qui vous envoie, c'est Lui qui vous donne le pouvoir de me tenter et de me faire souffrir: Vous n'auriez aucun pouvoir sur Moi, s'il ne vous avait été donné d'En-Haut. Si, de temps en temps, nous méditions sérieusement cet article de notre croyance, il n'en faudrait pas davantage pour étouffer tous nos murmures dans toutes les pertes, dans tous les malheurs qui nous arrivent. C'est le Seigneur qui m'avait donné des biens, c'est Lui-même qui me les a ôtés ; ce n'est ni cette partie, ni ce juge, ni ce voleur qui m'a ruiné ; ce n'est point cette femme qui m'a noirci par ses médisances ; si cet enfant est mort, ce n'est ni pour avoir été maltraité ni pour avoir été mal servi, c'est Dieu, à qui tout cela appartenait, qui n'a pas Voulu m'en laisser jouir plus longtemps. Fions-nous à la Sagesse de Dieu. C'est donc une vérité de foi, que Dieu conduit tous les événements dont on se plaint dans le monde et, de plus, nous ne pouvons douter que tous les maux que Dieu nous envoie ne nous soient très utiles : nous n'en pouvons douter sans soupçonner Dieu même de manquer de lumière pour discerner ce qui est avantageux. Si, dans les choses qui nous regardent, tout autre voit mieux que nous ce qui nous est utile, quelle folie de penser que nous le voyons mieux que Dieu même, que Dieu qui est exempt des passions qui nous aveuglent, qui pénètre dans l'avenir, qui prévoit les événements et l'effet que chaque cause doit produire ? Vous savez que les accidents les plus fâcheux ont quelquefois d'heureuses suites, et qu'au contraire, les succès les plus favorables peuvent enfin se terminer à de funestes issues. C'est même une règle que Dieu garde assez ordinairement, d'aller à Ses fins par des voies tout opposées aux voies que la prudence humaine a coutume de choisir. Dans l'ignorance où nous sommes de ce qui doit arriver dans la suite, comment osons-nous murmurer de ce que nous souffrons par la permission de Dieu ? Ne craignons-nous pas que nos plaintes ne portent à faux, et que nous ne nous plaignions lorsque nous aurions le plus de sujet de nous louer de la Providence ? On vend Joseph, on l'emmène en servitude, on le jette dans une prison ; s'il s'afflige de ses disgrâces apparentes, il s'afflige en effet de son bonheur, car ce sont autant de marches qui l'élèvent insensiblement jusque sur le trône d'Égypte. Saül a perdu les ânesses de son père, il faut les aller chercher fort loin et fort inutilement ; c'est bien du temps et de la peine perdus, il est vrai ; mais si cette peine le chagrine, il n'y eut jamais de chagrin plus déraisonnable, vu que tout cela n'a été permis que pour le conduire au prophète qui doit l'oindre de la part du Seigneur, pour être roi de son peuple. Quelle sera notre confusion lorsque nous paraîtrons devant Dieu, lorsque nous verrons les raisons qu'Il aura eues de nous envoyer ces croix dont nous lui savons si mauvais gré ! J'ai regretté ce fils unique mort à la fleur de l'âge : hélas ! S'il eût encore vécu quelques mois, quelques années, il aurait péri de la main d'un ennemi, il serait mort en péché mortel. Je n'ai pu me consoler de la rupture de ce mariage : si Dieu eût jamais permis qu'il se fût conclu, j'allais passer mes jours dans le deuil et la misère. Je dois trente ou quarante ans de vie à cette maladie que j'ai soufferte avec tant d'impatience. Je dois mon salut éternel à cette confusion qui m'a coûté tant de larmes. Mon âme était perdue, si je n'eusse perdu cet argent. De quoi nous embarrassons-nous ? Dieu se charge de notre conduite, et nous sommes dans l'inquiétude ! On s'abandonne à la bonne foi d'un médecin, parce qu'on suppose qu'il entend sa profession ; il ordonne qu'on vous fasse les opérations les plus violentes, quelquefois qu'on vous ouvre le crâne avec le fer ; là, qu'on vous perce le corps ; ici, qu'on vous coupe un membre pour arrêter la gangrène, qui pourrait enfin gagner jusqu'au cœur. On souffre tout cela, on lui en sait gré, on l'en récompense libéralement, parce qu'on juge qu'il ne le ferait pas, si le remède n'était nécessaire, parce qu'on juge qu'il faut se fier à son art ; et nous ne voulons pas faire le même honneur à notre Dieu ! On dirait que nous nous défions de sa Sagesse, et que nous craignons qu'il ne nous égare. Quoi ! Vous livrez votre corps à un homme qui peut se tromper et dont les moindres erreurs peuvent vous ôter la vie, et vous ne pouvez vous soumettre à la conduite du Seigneur ? Si nous voyions tout ce qu'Il voit, nous voudrions infailliblement tout ce qu'Il Veut ; on nous verrait Lui demander avec larmes les mêmes afflictions que nous tâchons de détourner par nos vœux et par nos prières. Aussi, est-ce à nous tous qu'Il dit, dans la personne des enfants de Zébédée : nescitis quid petatis ; hommes aveugles, votre ignorance Me fait pitié, vous ne savez ce que vous demandez ; laissez-Moi ménager vos intérêts, conduire votre fortune, Je connais ce qui vous est nécessaire mieux que vous-mêmes ; si jusqu'ici J'avais eu égard à vos sentiments et à vos goûts, déjà vous seriez perdus sans ressource. Lorsque Dieu nous éprouve... Mais, voulez-vous être persuadés que, dans tout ce que Dieu permet, dans tout ce qui vous arrive, Il n'a en vue que vos véritables avantages, que votre bonheur éternel ? Faites un moment de réflexion sur tout ce qu'Il a fait pour vous. Vous êtes maintenant dans l'affliction; songez que celui qui en est l'auteur, est celui même qui a voulu passer toute sa vie dans les douleurs pour vous en épargner d'éternelles ; que c'est celui dont l'ange est toujours à vos côtés, veillant par son ordre sur toutes vos voies et s'appliquant à détourner tout ce qui pourrait blesser votre corps ou souiller votre âme ; songez que celui qui vous expose à cette peine est celui qui, sur nos autels, prie sans cesse et se sacrifie mille fois le jour pour expier vos crimes et pour apaiser le courroux de Son Père à mesure que vous L'irritez ; que c'est celui qui vient à vous avec tant de Bonté dans le Sacrement de l'Eucharistie, celui qui n'a point de plus grand plaisir que de converser avec vous, que de s'unir à vous. Quelle ingratitude, après de si grandes marques d'Amour, de se défier encore de lui, de douter si c'est pour nous faire du bien ou pour nous nuire, qu'Il nous visite ! - Mais Il me frappe cruellement, Il appesantit Sa Main sur moi ! - Que craignez-vous d'une main qui a été percée, qui s'est laissée attacher à la Croix pour vous? - Il me fait marcher par un chemin épineux ! - S'il n'y en a pas d'autre pour aller au Ciel, malheureux que vous êtes, aimez-vous mieux périr pour toujours, que de souffrir pour un temps ? N'est-ce pas cette même voie qu'Il a tenue avant vous, et pour l'Amour de vous ? Y trouvez-vous une épine qu'Il n'ait marquée, qu'Il n'ait rougie de Son Sang ? - Il me présente un calice plein d'amertume ! - Oui, mais songez que c'est votre Rédempteur qui vous le présente ; vous aimant autant qu'Il le fait, pourrait-Il se résoudre à vous traiter avec rigueur, s'il n'y avait ou une utilité extraordinaire ou une pressante nécessité ? Vous avez ouï parler de ce prince, qui aima mieux s'exposer à être empoisonné, que de refuser le breuvage que son médecin lui avait ordonné, parce qu'il avait toujours reconnu dans ce médecin beaucoup de fidélité et beaucoup d'attachement pour sa personne. Et nous, chrétiens, nous refusons le calice que notre Divin Maître a préparé lui-même, nous osons L'outrager jusqu'à ce point ! Je vous prie de ne pas oublier cette réflexion ; elle suffit, si je ne me trompe, pour nous faire agréer, pour nous faire aimer les dispositions de la Volonté Divine qui nous paraissent les plus fâcheuses. C'est là, d'ailleurs, le moyen d'assurer infailliblement notre bonheur même dès cette vie. Se jeter dans les bras de Dieu. Je suppose, par exemple, qu'un chrétien s'est affranchi de toutes les illusions du monde par ses réflexions et par les lumières qu'il a reçues de Dieu, qu'il reconnaît que tout n'est que vanité, que rien ne peut remplir son cœur, que ce qu'il a souhaité avec le plus d'empressement est souvent la source des plus mortels chagrins ; qu'on a de la peine à distinguer ce qui nous est utile de ce qui nous est contraire, parce que le bien et le mal sont presque partout mêlés ensemble, et que ce qui, hier, était le plus avantageux, est aujourd'hui le pire, que ses désirs ne font que le tourmenter, que les soins qu'il prend pour réussir le consument, et nuisent même quelquefois à ses desseins, au lieu de les avancer ; qu'après tout, c'est une nécessité que la Volonté de Dieu s'accomplisse, qu'il ne se fait rien que par Ses Ordres, et qu'Il ne peut rien ordonner à notre égard qui ne tourne à notre avantage. Après toutes ces vues, je suppose encore qu'il se jette entre les bras de Dieu comme à l'aveugle, qu'il se livre à Lui, pour ainsi dire, sans condition et sans réserve, entièrement résolu de se fier à Lui pour tout et de ne plus rien désirer, de ne plus rien craindre, en un mot de ne plus rien vouloir de ce qu'il voudra, et de vouloir également tout ce qu'Il voudra; je dis que, dès ce moment, cette heureuse créature acquiert une liberté parfaite, qu'elle ne peut plus être gênée ni contrainte, qu'il n'est point d'autorité, point de puissance sur la terre qui soit capable de lui faire violence ou de lui donner un moment d'inquiétude. Mais n'est-ce point une chimère un homme sur qui les biens et les maux font une égale impression ? Non, ce n'est point une chimère ; je connais des personnes qui sont également contentes dans la maladie et dans la santé, dans les richesses et dans l'indigence ; j'en connais même qui préfèrent l'indigence et la maladie aux richesses et à la santé. Du reste, il n'est rien de si vrai que ce que je vais vous dire : autant nous avons de soumission pour la Volonté de Dieu, autant Dieu a-t-il de condescendance pour nos volontés. Il semble que, dès qu'on s'attache uniquement à Lui obéir, Il ne s'étudie plus lui-même qu'à nous satisfaire : non seulement Il exauce nos prières, mais Il les prévient, il va chercher jusqu'au fond du cœur ces mêmes désirs qu'on tâche d'étouffer pour Lui plaire et Il les surpasse tous. Enfin, le bonheur de celui dont la volonté est soumise à la Volonté de Dieu, est un bonheur constant, inaltérable, éternel. Nulle crainte ne trouble sa félicité, parce que nul accident ne peut la détruire. Je me le représente comme un homme assis sur un rocher au milieu de l'océan ; il voit venir à lui les vagues les plus furieuses sans être effrayé, il prend plaisir à les considérer et à les compter à mesure qu'elles viennent se briser à ses pieds; que la mer soit calme ou agitée, que le vent pousse les flots d'un côté ou qu'il les repousse d'un autre, il est également immobile, parce que le lieu où il se trouve est ferme et inébranlable. De là vient cette paix, ce calme, ce visage toujours serein, cette humeur toujours égale que nous remarquons dans les vrais serviteurs de Dieu. Pratique de l'abandon confiant. Il reste à voir comment nous pourrons atteindre à cette heureuse soumission. Une voie sure pour nous y conduire, c'est l'exercice fréquent de cette vertu. Mais, parce que les grandes occasions de la pratiquer sont assez rares, il est nécessaire de profiter des petites qui sont journalières, et dont le bon usage nous aurait bientôt mis en état de soutenir les plus grands revers, sans en être ébranlés. Il n'est personne à qui chaque jour il n'arrive cent petites choses contraires à ses désirs et à ses inclinations, soit que notre imprudence ou notre inattention nous les attire, soit qu'elles nous viennent de l'inconsidération ou de la malignité d'autrui, soit enfin qu'elles soient un pur effet du hasard et du concours imprévu de certaines causes nécessaires. Toute notre vie est semée de ces sortes d'épines qui naissent sans cesse sous nos pas, qui produisent dans notre cœur mille fruits amers, mille mouvements involontaires de haine, d'envie, de crainte, d'impatience, mille petits chagrins passagers, mille inquiétudes légères, mille troubles qui, du moins pour un moment, altèrent la paix de l'âme. On échappe, par exemple, une parole qu'on ne voudrait pas avoir dite, on nous en dit une autre qui nous offense ; un domestique vous sert mal ou avec trop de lenteur, un enfant vous incommode, un fâcheux vous arrête, un étourdi vous heurte, une auto vous couvre de boue, il fait un temps qui vous déplaît, votre ouvrage ne va pas comme vous le souhaiteriez, un petit meuble se casse, un habit se tache ou se déchire. Je sais qu'il n'y a pas là de quoi exercer une vertu bien héroïque, mais je dis que ce serait assez pour l'acquérir infailliblement si nous le voulions ; je dis que quiconque serait sur ses gardes pour offrir à Dieu toutes ces contrariétés et pour les accepter comme étant ordonnées par sa Providence, outre qu'il se disposerait insensiblement à une union très intime avec Dieu, il serait encore en peu de temps capable de soutenir les plus tristes et les plus funestes accidents de la vie. À cet exercice qui est si aisé (et néanmoins plus utile pour nous et plus agréable à Dieu que je ne puis vous le dire), on peut en ajouter encore un autre. Pensez tous les jours, dès le matin, à tout ce qui peut vous arriver de plus fâcheux durant le cours de la journée. Il peut se faire que, dans ce jour, on vous apporte la nouvelle d'un naufrage, d'une banqueroute, d'un incendie ; peut-être qu'avant la nuit vous recevrez quelque affront insigne, quelque sanglante confusion ; peut-être que la mort vous ravira la personne du monde que vous aimez le plus ; vous ne savez pas si vous ne mourrez point vous-même subitement et d'une manière tragique. Acceptez tous ces malheurs, au cas qu'il plaise à Dieu de les permettre ; contraignez votre volonté de consentir à ce sacrifice, et ne vous donnez point de relâche que vous ne la sentiez disposée à vouloir ou à ne pas vouloir tout ce que Dieu peut Vouloir ou ne pas Vouloir. Enfin, lorsqu'une de ces disgrâces se fera en effet sentir, au lieu de perdre du temps à vous plaindre ou des hommes ou de la fortune, allez vous jeter promptement aux pieds de votre Divin Maître, pour lui demander la grâce de supporter avec constance cette infortune. Un homme qui a reçu une plaie mortelle, s'il est sage, ne court point après celui qui l'a blessé, il va d'abord au médecin qui peut le guérir. Mais quand, dans de pareilles rencontres, vous chercheriez l'auteur de vos maux, ce serait encore à Dieu qu'il faudrait aller, puisqu'il n'y a que Lui qui puisse en être la cause. Allez donc à Dieu, mais allez-y promptement, allez-y sur l'heure ; que ce soit le premier de tous vos soins ; allez Lui rapporter, pour ainsi dire, le trait qu'Il vous a lancé, le fléau dont Il s'est servi pour vous éprouver. Baisez mille fois les Mains de votre Maître crucifié, ces Mains qui vous ont frappé, qui ont fait tout le mal qui vous afflige. Répétez-lui souvent ces paroles qu'Il disait lui-même à son Père, dans le fort de sa douleur : Seigneur, que Votre Volonté se fasse et non pas la Mienne ; Fiat voluntas tua. Oui, mon Dieu, dans tout ce que Vous Voudrez de moi, aujourd'hui et pour tous les temps, au Ciel et sur la terre, qu'elle se fasse, cette Volonté, mais qu'elle se fasse sur la terre comme elle s'accomplit dans le Ciel.
2) Les adversités sont utiles aux justes, nécessaires aux pécheurs. Voyez cette tendre mère qui, par mille caresses, tâche d'apaiser les cris de son fils, qui l'arrose de ses larmes, tandis qu'on lui applique le fer et le feu : dès que cette douloureuse opération se fait sous ses yeux et par son ordre, qui peut douter que ce remède violent ne doive être extrêmement utile à cet enfant et qu'il n'y doive trouver une santé parfaite, ou du moins le soulagement d'une douleur et plus vive et plus longue ? Je fais le même raisonnement lorsque je vous vois dans l'adversité. Vous vous plaignez qu'on vous maltraite, qu'on vous outrage, qu'on vous noircit par des calomnies, qu'on vous dépouille injustement de vos biens : votre Rédempteur (ce nom est encore plus tendre que le nom de Père et de Mère), votre Rédempteur est témoin de tout ce que vous souffrez, Lui qui vous porte dans son sein, lui qui a déclaré si hautement que quiconque vous touche Le touche Lui-même à la prunelle de l'œil, Lui-même néanmoins permet que vous soyez traversé, quoi qu'Il pût facilement l'empêcher, et vous doutez que cette épreuve passagère doive vous procurer les plus solides avantages ! Quand le Saint-Esprit n'aurait pas appelé bienheureux ceux qui souffrent ici-bas, quand toutes les pages de l'Écriture ne parleraient pas en faveur des adversités, quand nous ne verrions pas qu'elles sont le partage le plus ordinaire des amis de Dieu, je ne laisserais pas de croire qu'elles nous sont infiniment avantageuses. Pour me le persuader, il suffit que je sache qu'un Dieu, qui a mieux aimé souffrir tout ce que la rage des hommes a pu inventer des plus horribles tortures, que de me voir condamné aux plus légers supplices de l'autre vie ; il me suffit, dis-je, que je sache que c'est ce Dieu qui me prépare, qui me présente le calice d'amertume que je dois boire en ce monde. Un Dieu, qui a tant souffert pour m'empêcher de souffrir, ne me ferait pas souffrir aujourd'hui pour se donner à Lui-même un plaisir cruel et inutile. Il faut faire crédit à la Providence. Pour moi, lorsque je vois un chrétien s'abandonner à la douleur dans les peines que Dieu lui envoie, je dis d'abord : voici un homme qui s'afflige de son bonheur ; il prie Dieu de le délivrer de l'indigence où il se trouve, et il devrait Lui rendre grâce de l'y avoir réduit. Je suis sûr que rien ne pouvait lui arriver de plus avantageux, que ce qui fait le sujet de sa désolation ; j'ai pour le croire mille raisons sans réplique. Mais si je voyais tout ce que Dieu voit, si je pouvais lire dans l'avenir les suites heureuses dont Il couronnera ces tristes aventures, combien plus encore me sentirais-je affermi dans ma pensée ! En effet, si nous pouvions découvrir quels sont les desseins de la Providence, il est certain que nous souhaiterions avec ardeur les maux que nous souffrons avec tant de répugnance. Mon Dieu ! Si nous avions un peu de foi, si nous savions combien Vous nous Aimez, combien Vous avez à cœur nos intérêts, de quel œil envisagerions-nous les adversités ? Nous irions au-devant d'elles avec empressement, nous bénirions mille fois la main qui nous frapperait. Quel bien peut-il donc me revenir de cette maladie, qui m'oblige d'interrompre tous mes exercices de piété, dira peut-être quelqu'un ? Quel avantage puis-je attendre de cette perte de tous mes biens qui me met au désespoir, de cette confusion qui abat mon courage, et qui porte le trouble dans mon esprit ? Il est vrai que ces coups imprévus, dans le moment qu'ils frappent, accablent quelquefois ceux sur qui ils tombent, et les mettent hors d'état de profiter sur l'heure de leur disgrâce : mais attendez, et bientôt vous verrez que c'est par là que Dieu vous dispose à recevoir ses plus insignes Faveurs. Sans cet accident, vous ne seriez peut-être pas devenu plus mauvais, mais vous n'auriez jamais été si saint. N'est-il pas vrai que depuis que vous vous étiez donné à Dieu, vous n'aviez encore pu vous résoudre à mépriser je ne sais quelle gloire fondée ou sur quelque agrément du corps ou sur quelque talent de l'esprit, qui vous attirait l'estime des hommes ? N'est-il pas vrai qu'il vous restait encore quelque amour pour le jeu, pour la vanité, pour le luxe ? N'est-il pas vrai que le désir d'acquérir des richesses, d'élever vos enfants aux honneurs du monde, ne vous avait point entièrement abandonné ? Peut-être même que quelque attachement, quelque amitié peu spirituelle disputaient encore votre cœur à Dieu. Il ne vous fallait plus que ce pas pour entrer dans une liberté parfaite ; c'était peu, mais enfin vous n'aviez pu encore faire ce dernier sacrifice ; de combien de grâces, cependant, cet obstacle arrêtait-il le cours ? C'était peu, mais il n'est rien qui coûte tant à l'âme chrétienne, que de rompre ce dernier lien qui l'attache au monde ou à elle-même ; ce n'est pas que, dans cette situation, elle ne sente une partie de son infirmité; mais la seule pensée du remède l'épouvante, parce que le mal est si près du cœur que, sans le secours d'une opération violente et douloureuse, on ne peut le guérir ; c'est pour cela qu'il a fallu vous surprendre, qu'il a fallu qu'une main habile, lorsque vous y pensiez le moins, ait porté le fer bien avant dans la chair vive, pour percer cet ulcère caché au fond des entrailles ; sans ce coup, votre langueur durerait encore. Cette maladie qui vous arrête, cette banqueroute qui vous ruine, cet affront qui vous couvre de honte, la mort de cette personne que vous pleurez, toutes ces disgrâces feront bientôt ce que toutes vos méditations n'auraient pu faire, ce que tous vos directeurs auraient tenté inutilement. Avantages inattendus des épreuves. Et si l'adversité où vous êtes a l'effet voulu par Dieu, si elle vous dégoûte entièrement des créatures, si elle vous engage à vous donner sans réserve à votre Créateur, je suis sûr que vous lui adresserez plus de remerciements de ce qu'Il vous aura affligé, que vous ne Lui avez offert de vœux pour détourner l'affliction; tous les autres bienfaits comparés à cette disgrâce ne seront à vos yeux que des faveurs légères. Vous aviez toujours regardé les Bénédictions temporelles qu'il a versées jusqu'ici sur votre famille, comme les effets de sa Bonté pour vous ; mais pour lors vous verrez clairement, vous sentirez au fond de votre âme, qu'Il ne vous a jamais tant aimé que lorsqu'Il a renversé tout ce qu'Il avait fait pour votre prospérité, et que, s'Il avait été libéral en vous donnant des richesses, de l'honneur, des enfants, de la santé, Il a été prodigue en vous enlevant tous ces biens. Je ne parle point des mérites qu'on acquiert par la patience ; il est certain que, pour l'ordinaire, on gagne plus pour le Ciel dans un jour d'adversité, que durant plusieurs années passées dans la joie, quelque saint usage qu'on en fasse. Tout le monde sait que la prospérité nous amollit ; et c'est beaucoup quand un homme heureux selon le monde, se donne la peine de penser au Seigneur une ou deux fois par jour ; les idées des biens sensibles qui l'environnent occupent si agréablement son esprit, qu'il oublie aisément tout le reste. L'adversité, au contraire, nous porte comme naturellement à élever les yeux au Ciel, pour adoucir, par cette vue, l'impression amère de nos maux. Je sais qu'on peut glorifier Dieu dans toutes sortes d'états, et que la vie d'un chrétien qui Le sert dans une fortune riante, ne laisse pas de Lui faire honneur; mais qu'il s'en faut que ce chrétien L'honore autant que l'homme qui Le bénit dans les souffrances ! On peut dire que le premier est semblable à un courtisan assidu et régulier, qui n'abandonne point son prince, qui Le suit au conseil, qui est de tous ses plaisirs, qui fait honneur à toutes ses fêtes; mais que le second est comme un vaillant capitaine, qui prend des villes pour son roi, qui lui gagne des batailles, à travers mille périls et au prix de son sang, qui porte bien loin et la gloire des armes de son maître et les bornes de son empire. Ainsi, un homme qui jouit d'une santé robuste, qui possède de grandes richesses, qui vit dans l'honneur, qui a l'estime du monde, cet homme, s'il use comme il doit de tous ces avantages, s'il les reçoit avec reconnaissance, s'il les rapporte à Dieu qui en est la source, certainement on ne peut douter qu'il ne glorifie son Divin Maître par une conduite si chrétienne; mais si la Providence le dépouille de tous ses biens, si elle l'accable de douleurs et de misères, et si, au milieu de tant de maux, il persévère dans les mêmes sentiments, dans les mêmes actions de grâces, s'il suit le Seigneur avec la même promptitude et la même docilité, par une voie si difficile, si opposée à ses inclinations, c'est alors qu'il publie la Grandeur de Dieu et l'efficacité de sa Grâce, de la manière la plus généreuse et la plus éclatante. Occasions de mérites et de salut De là, jugez quelle gloire doivent espérer de Jésus-Christ les personnes qui L'auront glorifié dans une route si épineuse. Ce sera, pour lors, que nous reconnaîtrons combien Dieu nous aura Aimés, en nous donnant les occasions de mériter une récompense si abondante ; ce sera, pour lors, que nous nous reprocherons à nous-mêmes de nous être plaints de ce qui devait accroître notre félicité, d'avoir gémi, d'avoir soupiré, lorsque nous avions lieu de nous réjouir, d'avoir douté de la Bonté de Dieu, lorsqu'Il nous en donnait les plus solides marques. Si tels doivent être un jour nos sentiments, pourquoi ne pas entrer dès aujourd'hui dans une si heureuse disposition ? Pourquoi, dès cette vie, ne pas bénir Dieu au milieu des maux dont je suis sûr que je lui rendrai dans le Ciel d'éternelles actions de grâces ? Tout cela nous fait assez voir que, de quelque manière que nous vivions, nous devrions toujours recevoir l'adversité avec joie. Si nous sommes bons, l'adversité nous purifie et nous rend meilleurs, elle nous remplit de vertus et de mérites ; si nous sommes vicieux, elle nous corrige, elle nous contraint de devenir vertueux.