Al-Batrīyark Istifānūs al-Duwayhī
أسطفان الدويهي
Estéphan Boutros El Douaihy
ou Etienne Douaihi,
Stefano Douayhy,
Istifan Ad Duwayhy,
Stephane Al Doueihi
né le 2 août 1630 à Ehden (Liban)
mort le 3 mai 1704 à Qannoubine (Liban)
Prière pour la béatification du
Patriarche Estéfan Douaihy
“Le Saint Patriarche”
“le Saint des Patriarches”
“le Père de l’Histoire Maronite”
“le Pilier de l’Église Maronite”
“le second Saint-Jean Chrysostome”
“la Splendeur de la Nation Maronite”
“la Gloire du Liban et des Maronites”
Ô Seigneur Jésus, Vous avez accordé beaucoup de Vos Grâces au Patriarche Estéfan Douaihy. Comme un vrai disciple, il y a répondu, désireux d’imiter son Maître, pour Votre Amour et Votre Gloire.
Vous avez dit : « Laissez donc les petits enfants venir à moi » (1). Il a recherché les enfants du Liban, pauvres et orphelins, et leur a enseigné les paroles de Vérité.
Vous avez voyagé à travers villes et villages, prêchant le Royaume de Dieu. Par ses prêches et ses écrits, il a annoncé Votre Bonne Nouvelle comme prêtre, puis comme Évêque et, plus tard, comme Patriarche.
Vous avez dit : « N'aie pas peur, petit troupeau ! » (2). Votre âme choisie, le Patriarche Estéfan Douaihy, a pris ces Paroles pour lui-même et les a transmises à tous ses enfants, en les encourageant, en les renforçant et en défendant leur Foi.
Vous avez aimé Votre Église et donné Votre Sang pour La racheter. Il a supporté toutes sortes d’épreuves par amour pour l’Église et pour Son salut.
Nous Vous demandons maintenant, Ô Seigneur, de révéler l'abondance de Vos Grâces sur lui, et de nous montrer avec quelle grandeur il y a répondu, afin que la Sainteté de sa vie puisse briller devant nous.
Accordez-nous de voir Votre Patriarche Estéfan Douaihy élevé au rang de Vos Saints pour qu’il puisse briller comme un phare sur notre terre du Levant.
Par son intercession, accordez-nous de construire Votre Église avec connaissance, Foi, dévotion et courage, afin de pouvoir devenir Vos vrais témoins et des phares d'amour et de paix.
À vous seul tout Honneur et toute Gloire soient rendus, maintenant et pour l’éternité. Amen.
Notre Père, Je Vous salue Marie, Gloire au Père.
Prière traduite de l’anglais.
(1) « 13 Des gens amenèrent à Jésus de petits enfants pour qu'il pose les mains sur eux, mais les disciples leur firent des reproches.
14 Jésus le vit, et s'en indigna.
Laissez donc les petits enfants venir à moi, ne les en empêchez pas, car le royaume de Dieu appartient à ceux qui leur ressemblent.
15 Vraiment, je vous l'assure : celui qui ne reçoit pas le royaume de Dieu comme un petit enfant, n'y entrera pas.
16 Là-dessus, il prit les enfants dans ses bras, posa les mains sur eux et les bénit. »
Marc 10 : 13-16.
(2) « 32 N'aie pas peur, petit troupeau ! Car il a plu à votre Père de vous donner le royaume. »
Luc 12 : 32.
Processus de béatification :
1. Décret de la Congrégation pour la cause des Saints, le 3 juillet 2008, précisant les vertus héroïques du Serviteur de Dieu Estéphan Douaihy :
« ... - le virtù eroiche del Servo di Dio STEFANO DOUAYHY, Patriarca di Antiochia dei Maroniti; nato ad Ehden (Libano) il 2 agosto 1630 e morto a Qannoubine (Libano) il 3 maggio 1704;... »
(PROMULGAZIONE DI DECRETI DELLA CONGREGAZIONE DELLE CAUSE DEI SANTI , 03.07.2008).
2. ESŢFĀN AL-DWAYHĪ [اسطفان الدويهي]
Patriarch of Antioch of the Maronites
Born: 02 August 1630 in Ehden, Jabal Lubnān (Lebanon)
Competent eparchy: Antioch of the Maronites
CCS protocol number: 2145
Type of cause: heroic virtues
Nihil obstat: 05 December 1996
Submission of Positio to CCS: 2006Session of historical consultants: 24 January 2006
Congress of theological consultants: 12 February 2008
Ordinary congregation of cardinals and bishops: 17 June 2008
Promulgation of decree on heroic virtues: 03 July 2008
Petitioner: Patriarcat Maronite, Bkerké, LEBANON
Note: In several Arabic circles, the baptismal name is variably Romanized as “Estefan,” “Estephan,” etc., and the family name as “Douaihy,” “Duwayhi,” etc.
حياة البطريرك اسطفان الدويهي
بقلم الأب إيلي حنا
Le Patriarche Estéfan El Douaihy,
notice biographique par Dr. Tanyos F. Njeim
I. Vie
Estéfan est né à Ehden le 2 août 1630, jour de la fête de Saint-Etienne le premier martyr. Par son père Mkhayel, il appartient à une lignée de diacres de la famille Douaihy remontant de père en fils, au diacre Mussa, à Yussef el-Daqiq, au diacre Mussa, au curé Ya'qub, au Hage Ibrahim Douaihy. Il n'est pas besoin de présenter son village natal Ehden, ni son ascendance familiale qui ont sans doute marqué son enfance et sa personnalité. Ehden est une perle rayonnante au milieu des bourgs et des villages du Liban nord, et l'un des foyers maronites les plus importants par sa position géographique et l'histoire honorable de ses habitants. Les Douaihy représentent, quant à eux, l'une des nobles familles d'Ehden ; tout au long de l'histoire, ils ont doté la communauté d'une pléiade d'hommes illustres dans les carrières de robe et d'épée. On compte, tout au cours de l'histoire de cette famille : trois patriarches, dix-sept évêques, bon nombre de moines et de religieuses… Les cheikhs Douaihy sont les premiers notables féodaux à avoir gouverné Ehden. L'un des leurs, cheikh Gergis Bulus Douaihy, a été le premier à en avoir repoussé les Hamadés. Jusqu'à présent, ils ne cessent de s'illustrer sur la scène nationale en tant que professeurs, universitaires, artistes, députés et ministres…
Enfance au village
Dans ce milieu familial et villageois, Estéfan acquit les premières notions des langues arabe et syriaque, ainsi qu'une formation chrétienne certaine, morale et liturgique. Génie précoce, il attira l'attention de l'évêque Elyas et du patriarche Gergès 'Amira. Les deux prélats, originaires d'Ehden, le choisirent et l'envoyèrent au collège maronite romain, fondé en 1584 par le pape Grégoire XIII.
Formation à Rome
Arrivé à Rome en Juin 1641, Estéfan ne tarda pas à briller, à l'instar de ses prédécesseurs maronites au collège : Ishaq Chidrawi, Yuhanna Hasruni, Gebrayel Sahyuni, Nesrallah Schialaq Aqurensis, Gergès 'Amira, Ibrahim Gergés al-Halabi qui entra dans la Compagnie de Jésus et mourut martyr, Ibrahim Haqlani, Merhej Namrun, al-Bani… Selon son biographe et contemporain, le patriarche Sem'an 'Awwad, Estéfan "ressemblait à l'aigle qui vole plus haut que tous les oiseaux… Il brillait parmi les élèves, tel le soleil parmi les planètes". Les limites de cet article empêchent de s'attarder sur les témoignages de ses professeurs et de ses collègues au Collège, concernant son intelligence et ses vertus, ainsi que l'estime et le respect qu'il suscita chez tous ceux qui le connaissaient.
Guérison miraculeuse
On ne peut toutefois passer sous silence un épisode mystérieux qui marqua toute la vie d'Estéfan… Au milieu de ses études, après avoir appris le latin, l'éloquence et les sciences logiques et mathématiques, il fut atteint d'une maladie aux yeux qui entrava ses études et faillit l'obliger à les arrêter et retourner au Liban, suivant les consignes des responsables du Collège, si ce n'était sa foi et l'intercession miraculeuse de la Vierge Marie à qui il s'attachait avec une pitié exceptionnelle : il Lui avait déjà fondé une confrérie ; il recourut à Elle, en Lui présentant un vœu qu'il observa durant toute sa vie. Il récupéra la vue ; et ses camarades qui l'avaient assisté auparavant en lui lisant ce qu'ils avaient écrit durant les cours, participèrent à sa joie et célébrèrent le miracle. Il continua ses études avec une application extraordinaire, montrant par les faits quelle importance il accordait à ce ressourcement culturel des Maronites en Occident, de manière à ce qu'ils puissent remplir leur vocation culturelle vis-à-vis d'eux-mêmes, ainsi que vis-à-vis de l'Orient et de l'Occident tout à la fois.
Engagement oriental
En 1650, il obtint le diplôme de doctorat en philosophie qui lui servit de base solide pour les études théologiques où il excella, joignant l'effort mental, le goût mystique, l'expérience liturgique et vitale. On lui offrit alors de demeurer en Europe et d'y travailler, soit comme professeur d'université, soit comme responsable de bibliothèque, soit enfin comme employé dans des cours princières ou royales, à l'instar de ses aînés du Collège qui avaient succombé aux tentations de rester en Europe au service des notables. Estéfan déclina toutes ces offres ; il refusa même d'intégrer les rangs de la Compagnie de Jésus et d'enseigner la philosophie et la théologie.
Il resta toutefois quelque temps pour achever ce qu'il avait entrepris de faire comme étudiant, à savoir, consulter toutes les bibliothèques de Rome et collecter les documents qui se rapportaient au Mont-Liban et aux Maronites, prévoyant d'en faire un jour usage en écrivant l'histoire de sa Communauté. Avant de retourner au Liban, il rédigea à Rome même un mémoire montrant qu'Ehden se trouvait à l'emplacement du paradis terrestre, selon les paroles du prophète Isaïe.
Une riche expérience de prêtre pasteur et enseignant
Ordonné prêtre le 25 mars 1656, au couvent de Mar Sarkis – Ehden, il se rendit au début du Carême 1657 à Alep, en Syrie, pour soutenir l'évêque des Syriaques Andrawus qui deviendra postérieurement le premier patriarche syriaque catholique. Par ce comportement, Estéfan inaugure ce qu'on pourrait appeler le rôle des Maronites à ressouder l'union des Eglises d'Orient avec l'Eglise Catholique. Avant cette mission à Alep, Estéfan avait commencé, aussitôt après son retour au Liban, le 3 avril 1655, à enseigner bénévolement aux enfants de son village. Après son retour d'Alep à la fin de 1657, il restaura le couvent Mar Ya'qub al-Ahbach. Considérant la tâche de l'enseignement comme primordiale, il y fonda une école pour les enfants, notamment les pauvres et les orphelins, et il se consacra, l'espace de cinq ans, à y enseigner. Dans le même esprit, il exigea plus tard, au moment où il deviendra patriarche, des anciens du Collège maronite de Rome, de retourner enseigner aux enfants de leurs villages respectifs, au moins pour une durée de 3 ans, clause que le Synode Libanais (1736) leur imposera officiellement. Cela montre l'importance qu'il accordait à l'acculturation de la communauté et à la tâche de l'Eglise dans ce domaine.
N'y aurait-il pas là peut-être l'une des causes de la promotion des Maronites et de leur contribution profonde à la renaissance arabe ?
En 1658, le prêtre Estéfan se rendit à Ayntura- Jéïta, Kisrawan, y ouvrit une école. Entre-temps, il obtint d'être considéré parmi les missionnaires de la "Propapaganda" Fide en Orient.
En 1660, il se rendit au Chuf, à Sayda, à la Békaa, à Bilad Bchara et à Marje'yun. Pendant deux ans, il s'acquitta, dans diverses paroisses, de ses charges pastorales avec un zèle exceptionnel. En 1662, il servit la paroisse d'Ardé et de ses environs, avec le même dévouement.
À la demande du patriarche Yuhanna Sefrawi, il se rendit une deuxième fois à Alep en 1663. La ville, qui jouissait d'une situation commerciale cosmopolite et florissante, était devenue un centre privilégié pour la diplomatie et les missions occidentales ; les Maronites y avaient émigré en grand nombre. Estéfan y brilla par l'éloquence de sa prédication, l'exemplarité de ses vertus et la profondeur de sa science. On lui conférait le surnom de "Chrysostome" pour toutes ses qualités. Il ramena à l'Eglise catholique nombre de chrétiens orientaux qui s'en étaient séparés : arméniens, syriaques, grecs… Il intervint même auprès de l'évêque d'Alep, Gebrayel Blawzani, afin que ce dernier facilite aux missionnaires latins de prêcher et d'accomplir leur mission. Ainsi, la présence des Maronites dans cette métropole orientale et leur efficacité aux plans culturel et religieux peuvent servir de modèle à l'engagement auquel ils sont toujours appelés pour être fidèles à leurs origines, accomplir leur raison d'être et se distinguer par l'excellence. Douaihy ne limite pas son action à Alep à un témoignage personnel auprès des membres de sa Communauté et des autres chrétiens. Il y fonde un collège qui prendra de plus en plus d'envergure avec Butrus Tulawi, qu'il enverra lui-même plus tard pour y poursuivre son projet académique. Il suffit de savoir que les fondateurs de l'Ordre Libanais : Abdallah Qara'li, Gabriel Hawwa, Joseph Bitn et Germanos Farhat, y ont été formés, pour prendre conscience de la portée de son action.
Elévation à l'épiscopat
Estéfan quitta Alep en 1668. En compagnie de sa mère et de son frère, le "hage" Mussa, il fit un pèlerinage aux Lieux Saints. Au retour, ses parents lui firent un accueil solennel. Le patriarche Gergés Besbe'li l'éleva à l'épiscopat sur la chaire de Chypre. En ce temps-là, les évêques vivaient groupés, à l'instar des moines, autour du patriarche. Le nouvel évêque fit une tournée pastorale entre les paroisses de Jebbé, de Zawiya et du Akkar. Il s'embarqua pour Chypre où il demeura jusqu'à l'année 1670. Il accomplissait sa tâche de bon pasteur, tout en examinant les livres et les documents relatifs aux Maronites.
Election de l'évêque Estéfan au patriarcat
Le 20 mai 1670, l'évêque Estéfan Douaihy fut élu patriarche de l'Eglise maronite. A l'instar de ses prédécesseurs, il n'avait pas besoin de solliciter le firman d'investiture de la Sublime Porte, montrant par là l'autonomie des Maronites vis-à-vis des pouvoirs politiques successifs dans la région.
Par contre, il ne pouvait pas agir de la même manière vis-à-vis des notables maronites : il devait conquérir l'approbation des notables qui n'avaient pas participé à la séance d'élection et commençaient à s'opposer à lui, tel le cheikh Nader el-Khazen Abi Nawfal. La modestie de Douaihy, son sens de la responsabilité et de l'unité dans la Communauté, l'entraînèrent à venir en personne au Kisrawan d'abord pour s'éloigner de la tyrannie des gouverneurs de Jebbé, mais aussi pour apaiser l'insatisfaction des chefs mécontents de son élection. Ayant accompli cette tâche, il écrivit, au monastère saint Arthème, le 24 août 1671, un message au Pape Clément X ; il l'envoya avec son légat Youssef al-Hasruni qu'il chargea d'exprimer sa soumission au Siège pontifical et de solliciter le pallium de confirmation : "Nous aurions aimé venir en personne pour avoir l'honneur de vous voir et de solliciter votre bénédiction ; mais les forces des tyrans nous ont assaillis de tous côtés ; elles ont dispersé nos fidèles et nous ont bannis loin de notre résidence". C'est là de l'aveu du patriarche lui-même une expression de l'attachement des Maronites à la chaire romaine et un rappel des vexations qu'ils subissaient dans la région de Jebbé.
Episodes majeurs de son patriarcat
De retour à Qannubine vers la fin de 1672, le patriarche Estéfan y reçoit en juillet 1974 le marquis de Noïntel, délégué de Louis XIV, le roi de France. La solennité de l'accueil et sa cordialité montrent l'ouverture des Maronites à l'Occident, notamment à la France. C'est un exemple de l'engagement distinctif qui leur vaudra certes des bénéfices notoires, mais aussi l'accusation d'une compromission permanente aux yeux des gouverneurs de la région.
Une deuxième fois, le patriarche quitta Qannubine entre la fin de 1674 et le début de 1675 ; il se rendit au monastère de Saint Arthème au Kisrawan, recherchant dans l'entourage de Cheikh Abi Nawfal la tranquillité dont il était privé sous l'autorité des Hamadés. Il convient de rappeler brièvement, ici, ce que les Maronites de Jbeyl, Batroun, Jebbé et Kisrawan ont enduré de la part des Hamadés. Le biographe de Douaihy, Mgr Butrus Chebli, raconte que le maître de Tripoli Hassan pacha pourchassa "les Hamadés qui s'étaient attardés à payer leur dû d'argent. Après les avoir poursuivis avec son armée jusqu'au sommet de la montagne au-dessus d'Afqa durant le mois de mai, il y eut un armistice entre eux ; il les convoqua le 27 juillet à un festin et il en tua quelques-uns parmi eux. Les Hamadés se déchaînèrent alors […] Ils se jetèrent sur les chrétiens de la région de Jbeyl, pillèrent ou brûlèrent et assaillirent tout ce qui tomba sous leurs mains. Puis ils pillèrent les villages de la région de Batrun et Jebbé ; les gens s'enfuirent alors vers les villes proches ; les chrétiens pâtirent d'une énorme oppression ; les Hamadés arrêtaient les notables des villages au Ftuh et dans la région de Jbeyl, les incarcéraient et leur demandaient de se faire libérer en payant les rançons qui rembourseraient l'argent dû à l'Etat. Durant ces calamités, la chaire patriarcale et ceux qui y résidaient essuyaient des dégâts énormes. Souvent, les Patriarches étaient obligés de s'enfuir loin des oppressions et d'implorer la justice de la Porte Sublime".
Douaihy lui-même évoque ces vexations dans une lettre de félicitations qu'il envoie au Pape Innocent XI à l'occasion de son élection le 8 septembre 1679 : "J'avais décidé de venir recevoir votre bénédiction et féliciter Votre Béatitude de l'ordre élevé et de la suprême autorité ; mais Dieu ne l'a pas permis à cause des nombreuses vexations et persécutions subies par votre peuple maronite, surtout ces trois années, ils ont éprouvé des malheurs et des difficultés que le peuple d'Israël n'a pas éprouvés à cause des Pharaons. De nombreux villages se sont vidés, certains monastères ont été incendiés, des églises abandonnées, un grand nombre de gens tués et le reste dispersé parmi les nations étrangères à cause du changement de gouvernemeurs et de leur tyrannie. Puis les sauterelles ont passé cette année et couvert la face de la terre et l'atmosphère ; les prix ont quintuplé. Mais les desseins du Créateur sont insaisissables, et quel que soit ce qui nous en advient, nous le recevrons avec plaisir".
De retour à Qannubine, il la quitta de nouveau en 1683 pour le Kisrawan et de là, à cause des dissensions entre les chefs, pour le Chuf où il loua de l'émir Ahmad Ma'n le village de Majdel-Me'uch. Il le fit prospérer, y reconstruisit l'église Notre-Dame et encouragea Cheikh Abi Saber de Rechmaya à achever la construction du monastère qu'il avait entreprise dans ce village. Après 3 ans, il retourna à Qannubine ; mais il prit la fuite pour le Kisrawan en 1695 pour les mêmes raisons de tyrannie et de persécution.
Il convient d'évoquer ici un épisode qui traduit un exemple des souffrances endurées par Douaihy. Le cheikh 'Issa Hamadé, vint à Qannubine avec ses hommes et demanda une somme d'argent au patriarche, en vue d'acquitter son dû au maître de Tripoli. Au refus du Patriarche, il lui donna un violent soufflet et le malmena. Lorsque le cheikh Dargham el-Khazen vint avec une escorte de cavaliers armés pour accompagner le patriarche au Kisrawan, 'Issa Hamadé présenta des excuses, suppliant ce dernier de demeurer à Qannubine. La réponse du patriarche fut très significative : "Je vous pardonne tout ce que vous avez fait à mon encontre ; je suis même prêt à supporter davantage de bon gré, par amour de Mon Seigneur qui souffrit et mourut pour moi. Mais mon peuple ne me laisse pas demeurer à Jebbé".
Mort à Qannubine
En fait, Douaihy se rendit au Kisrawan où il demeura trois mois. Mais à la demande du wali de Tripoli et de l'émir Béchir Chéhab I, ainsi qu'à la demande des Hamadés mêmes, transmise en un document écrit, il retourna à Qannubine où il mourut le 3 mai 1704, dans sa chaire, comme il l'avait souhaité, en priant sur la tombe de ses prédécesseurs avant de quitter ce lieu pour la dernière fois.
II. Personnalité de Douaihy
Quels traits pouvons-nous dégager de cette biographie ?
Durant son patriarcat, Douaihy n'a pas manqué de se déplacer d'un lieu à l'autre, de Qannubine au Kisrawan, au Chuf… On dirait qu'il résume, dans sa personne, l'histoire des Maronites et leur destinée. Malgré les difficultés et les tyrannies, il n'a jamais désespéré, ni perdu de temps.
Toujours muni de ses papiers et de ses documents, il écrivait même dans les couchettes des vallées ; partout, il s'acquittait de ses devoirs pastoraux, bâtissait et restaurait églises et couvents, ordonnait des diacres, des prêtres et des évêques, corrigeait les livres liturgiques, recevait les délégués de l'Occident et sollicitait de ses rois des grâces pour les notables de sa Communauté. Conscient de l'importance du Collège maronite de Rome et du rôle culturel de la Communauté en Orient et en Occident, il envoyait des élèves à ce Collège et réservait des tâches et des charges de grande responsabilité à ses anciens, à Alep, à Chypre et dans toutes les régions libanaises. Il défendait les droits de sa Communauté, sans oublier ceux des autres Communautés catholiques. Tel le Bon Pasteur il se comportait vis-à-vis de sa Communauté, à qui il assurait les conditions de la pérennité et de la prospérité, montrant ses racines historiques et son rôle culturel, veillant sur la formation de l'Ordre Libanais comme s'il y voyait une garantie pour sa sauvegarde et son authenticité.
Bref, nous pouvons distinguer trois aspects caractéristiques dans la personnalité de Douaihy : le savant et l'enseignant, l'aspirant à la sainteté, le pionnier du sentiment national libanais.
1. Le savant enseignant
L'histoire et le patrimoine maronite conservent de Douaihy, avant tout, son visage scientifique. Mis à part son titre patriarcal, il représente le savant, l'historien, le théologien et le liturgiste : durant son enfance, son intelligence et ses vertus lui ont valu d'être choisi par le patriarche 'Amira et l'évêque Elyas d'Ehden, et envoyé à Rome pour y suivre de hautes études. Il s'y appliqua de toutes ses forces. Il brilla en philosophie aussi bien qu'en théologie, infirmant dans les "disputes" académiques les points de vue opposés et suscitant l'admiration de ses professeurs et des responsables culturels en Occident, qui le pressaient d'y rester et d'y travailler dans des conditions très prometteuses.
Résistant à ces promesses, Douaihy n'a pas manqué de raffermir sa formation scientifique ; aux études profondes, il a joint des recherches systématiques de documents et de manuscrits dans les Bibliothèques et les centres célèbres. Il a consulté tout ce qui pouvait avoir trait à l'histoire de la Communauté, à celle de l'Orient en général et aux sujets théologiques et liturgiques dont les projets commençaient à s'ébaucher dans son esprit. Par la suite, il a organisé des campagnes de recherche similaires à Alep, à Chypre et au Liban, dans les sacristies, les églises et les monastères.
La formation de Douaihy, dans l'ambiance de la Renaissance occidentale, a sans doute marqué son esprit et développé ses aptitudes à la recherche scientifique. À son retour au Liban, la pastorale ne l'empêcha pas de se consacrer à l'enseignement, au sens propre, et à la composition d'ouvrages historiques, liturgiques et théologiques.
Douaihy a pratiqué l'enseignement en tant que mission, d'abord auprès des enfants de son village, ensuite auprès des jeunes gens d'Alep. Un ouvrage conservé dans les archives du diocèse maronite d'Alep l'évoque en ces termes : "… le maître vertueux et le savant laborieux, le philosophe spirituel, le second Chrysostome, le patron qui donne à son travail les meilleures orientations, le militant pour la vérité et la droiture […] le destructeur, par une clarté de raisonnements et d'arguments, des constructions intellectuelles erronées ; le maître dont les enseignements constituent une perle qui vivifie les âmes…". Rien d'étonnant d'ailleurs : la science de Douaihy et ses vertus lui ont valu d'être nommé patriarche à l'âge de 40 ans.
Du reste, le patriarche Douaihy ne s'est pas contenté de l'enseignement systématique de tous les enfants de sa Communauté ; il a expérimenté, en personne, l'importance du Collège maronite romain pour les élèves eux-mêmes, et postérieurement, pour leur Communauté. C'est pourquoi, dès qu'il accéda au patriarcat, il prit soin de bien choisir les élèves destinés à ce Collège ; il leur écrivit, souvent leur rappelant leur responsabilité future vis-à-vis de leur pays : "Il vous est demandé, mes chers enfants, de ne pas mésestimer le don que Dieu vous a accordé, ni ce à quoi vous êtes appelés. Le Seigneur vous a choisis parmi des milliers ; Il vous a transférés [au Collège] parmi les savants, aux meilleures classes ; il a subvenu à tous vos besoins pour que vous embellissiez vos âmes par le gain des vertus et des bonnes qualités, afin que vous soyez utiles à votre prochain par votre science et votre travail". Dans une autre lettre, il est encore plus explicite : "Il ne vous échappe pas que la moisson est abondante et les ouvriers peu nombreux ; nous ne vous avons envoyés à des pays lointains, par terre et par mer, que pour acquérir les sciences divines, revenir en faire profiter les autres, et faire fructifier vos talents afin d'obtenir le double de leurs gains, car l'Orient manque de personnes qui instruisent ses habitants et les orientent".
Telle était la politique culturelle de Douaihy : former des élèves maronites au Collège Maronite de Rome et leur confier à leur retour le soin de former leur propre Communauté et d'en assurer les charges de direction. Ajoutons à cela l'attention qu'il a consacrée aux fondateurs de l'Ordre Libanais Maronite pour fournir à la Communauté "des institutions sous le chêne" et des guides spirituels exemplaires par leur témoignage ; on peut comprendre pourquoi certains historiens veulent voir dans ces mesures une solide préparation à la renaissance arabe au XIXe siècle.
2. L'auteur savant
À côté de ses charges et occupations, Douaihy a trouvé du temps pour composer des ouvrages liturgiques, théologiques et historiques, qui ont enrichi la bibliothèque maronite et traité même des sujets relatifs à l'Orient.
a. Le Liturgiste
L'œuvre liturgique de Douaihy a divers aspects. Il a d'abord revu et corrigé la plupart des livres liturgiques maronites, prenant soin d'en examiner l'authenticité et d'en assurer la fidélité au patrimoine maronite et à la vérité catholique. Disons, à titre d'exemple, qu'il a composé de nombreux manuscrits du livre de l'Ordo, corrigé ce que les ignorants ont déformé, éliminé ce qui y avait été surajouté, restauré ce que les copistes avaient abandonné par un goût de résumé ; de sa main, il a copié le livre et l'a envoyé au pape Innocent XI, souhaitant qu'il ordonne de l'imprimer "car les livres que nous avons sont tous manuscrits ; à cause de la désorganisation des copistes, du voisinage des nations étrangères, de l'extension du temps, des erreurs et des transformations assez nombreuses y ont été introduites".
- Il a supervisé la correction du rite de consécration des églises, conformément aux copies anciennes.
- Il a recueilli et revu un livre qu'il appelle "Livre des prières" et qui serait probablement le livre du "Chehime".
- Il a recueilli les anaphores acceptées par l'Eglise maronite, les a revues et corrigées dans le Missel.
- Il a recueilli en un seul livre les Sacrements de l'Eglise (nous n'en possédons pas de copie).
- Il a recueilli, dans le livre des fêtes de l'année, les rites que l'Eglise accomplit lors des grandes fêtes.
- Il a commencé à revoir le livre des cérémonies funéraires sans pouvoir le terminer.
Soucieux de l'authenticité de sa Communauté, Douaihy s'est donc appliqué à en assurer l'authenticité liturgique et historique. Sa seconde tâche fut, après cela, l'explication des livres liturgiques :
- Il a poussé certains prêtres et évêques à transférer les récits hagiographiques du syriaque à l'arabe pour que les fidèles puissent les comprendre.
- Il a composé une explication des consécrations accomplies par les archevêques, avec des notices historiques et des rappels des traditions anciennes de sa Communauté.
- Il a écrit la biographie des auteurs d'anaphores.
- Il a recueilli dans un livret les préludes des chants syriaques, appelé "Richqolé" ; il les a analysés en vertu des règles de la métrique syriaque indiquant les harmonies propres à chaque mètre.
Parmi les grandes réalisations liturgiques et théologiques de Douaihy, citons enfin le livre des "Dix candélabres" ou "Candélabre des sanctuaires". Il y mêle l'histoire à la théologie et à la liturgie, compare les patrimoines des différentes Communautés en Orient aussi bien qu'en Occident. L'importance de l'œuvre liturgique de Douaihy est indéniable : elle forme la conscience collective de la Communauté assurant le ressourcement de ses membres à leurs origines spirituelles authentiques.
b. L'historien
Douaihy est également le père de l'histoire maronite. Son œuvre comporte deux veines principales. L'une est exclusivement maronite : elle reproduit l'histoire maronite de l'origine jusqu'à l'époque de l'auteur ; l'autre concerne l'histoire générale en Orient.
Dans l'histoire maronite, on peut citer :
"La Série des Patriarches de la Communauté maronite".
Cet ouvrage, qui a servi de référence à Assemani et Lequien Michel dans son livre "Oriens Christianus" 3 vol.… 1740, montre la légitimité juridictionnelle des patriarches maronites sur la chaire d'Antioche dès la fin du septième siècle.
- L'histoire maronite
Dans l'introduction de cette histoire, Douaihy précise les motifs qui l'ont poussé à l'écrire, ses références ou sa méthode et ses objectifs : "Le zèle nous a poussé dans cet abrégé à présenter une explication à propos de notre Communauté maronite, non pour l'éloge ou la fierté, ni pour en rechercher les louanges et décrire aux lecteurs l'honneur des prédécesseurs et des successeurs parmi ses chefs, mais plutôt pour la délivrer des médisances que les historiens lui ont imputées, avec leurs opinions fausses et prétentieuses […] Beaucoup de personnes étrangères et parentes, savants et amies, nous ont instamment sollicité de leur donner les informations correctes sur l'origine de notre Communauté maronite et sur son union avec l'Eglise universelle, vu que nous avons visité toutes les églises et tous les couvents, nous avons passé au crible tous les livres que nous y avons trouvés, nous avons collecté les lettres des papes et des responsables politiques adressées aux patriarches, nous avons examiné tous les livres liturgiques, commenté les histoires des pays de Damas, dès le début de l'Hégire jusqu'à notre temps, que nous avons lues dans les livres des chrétiens et des musulmans pour avoir les informations correctes. Depuis que nous étions dans les écoles, nous nous sommes particulièrement appliqués à collecter les contes et les histoires propres à cette Communauté".
Cette étude prend donc l'allure d'une œuvre de vie, une synthèse de recherches importantes, effectuée dans un cadre apologétique certes, mais l'objectif lointain n'en est pas moins un souci scientifique de découvrir l'histoire authentique des Maronites de manière à les préserver des erreurs à l'avenir et à sauvegarder leur identité.
Il est frappant de voir, en outre, qu'en relatant l'histoire maronite, Douaihy ne manque pas de la situer dans son contexte propre et de consacrer, par ailleurs, aux autres Communautés orientales, la part qui leur revient dans ses préoccupations. Il mentionne des Communautés minoritaires que les historiens officiels de l'Orient ignorent volontairement : les Chiites et les Druzes. Il n'oublie pas du reste, dans ses Annales, l'histoire musulmane aussi bien que chrétienne.
3. Le postulant de la sainteté
Une précision s'impose : nous ne nous prononçons nullement sur le sujet de la sainteté de Douaihy qui fait l'objet d'un examen par l'organisme compétent à Rome. Nous nous contentons de présenter certains traits saillants de sa biographie qui nous habilitent à affirmer qu'il recherchait, à l'instar de tout chrétien, la sainteté, tout en nous soumettant d'avance au jugement de l'Eglise à ce propos.
La science n'était pas pour Douaihy une fin en soi ; tout doit conduire l'âme à Dieu, seul capable d'en apaiser la soif. Dès son enfance, il a fait l'expérience de la foi vivante en Dieu. S'il s'est appliqué à acquérir la science, c'est par une conviction idéaliste d'utiliser toutes ses aptitudes et par une aspiration qui prend l'allure d'un appel à la perfection, à la réalisation des dimensions divines de la personne humaine ; la science constitue l'une de ces dimensions ; la pratique de l'ascèse et la recherche de la sainteté comme un mode de vie, la défense acharnée des droits de la Communauté maronite et de sa personnalité, et la contribution, par ce biais, à la construction de l'entité libanaise, telles sont les autres préoccupations de Douaihy.
On a souvent parlé de la science de Douaihy. Il est peut-être, avec Joseph Simonius Assemani, Ecchellensis et Sionite parmi les plus brillants des anciens du Collège Maronite de Rome, des historiens maronites, voire libanais, au XVIIe siècle. Mais personne n'a suffisamment explicité la valeur spirituelle de cet homme ivre de Dieu, voué à la Sainte-Vierge et engagé dans la voie de la sainteté. On ne met pas cependant de lampe sous l'escabeau. Du haut de son phare, Douaihy rayonne sur toute la maison maronite. La Providence Divine a enfin permis que le 3 mai 1982 "le Conseil des Evêques, tenu à Bkerké sous la présidence de sa Béatitude le Cardinal Antoine Pierre Khoreich, a approuvé la possibilité d'introduire la cause de Béatification du Patriarche savant E. Douaihy, devant les dicastères romains spécialisés. Le Conseil a approuvé que Son Excellence Monseigneur Igance Ziadé, archevêque de Beyrouth, s'occupe de cette question". Que Douaihy soit un savant, c'est certain. Mais qu'il soit un saint, c'est ce qui est examiné au niveau de l'Eglise Universelle.
Il convient de rappeler, ici, le mode de comportement maronite général du temps de Douaihy. Tous les Maronites de cette époque-là aspiraient à la sainteté comme on aspire à une vertu naturelle et distinctive à la fois. La vallée de Qadicha justifiait son nom de "vallée des saints"; Qannubine était réellement un Cenobium des "Cénobites ascètes" et Monaytira un monasterium d'ermites. Voyageurs et orientalistes s'émerveillaient devant la piété de nos évêques et leur humilité. Laurent d'Arvieux affirmait que leurs crosses étaient en bois alors qu'ils étaient des évêques en or. Autrefois les militants maronites bravaient la mort ; les laboureurs relevaient le défi du sol rocailleux : les uns et les autres luttaient et peinaient avec la certitude que le Seigneur devait récompenser au centuple leurs efforts grâce à l'intercession de leurs saints, aux pénitences de leurs ermites et à leurs prières. C'est dans ce contexte que Douaihy a grandi.
Douaihy a respiré, en quelque sorte, un air de sainteté depuis sa tendre enfance. La foi et la piété ne l'ont-elles pas guéri, au moment où la médecine s'est trouvée impuissante à le faire ? Mgr. P. Chebli déclare à son propos : "Le patriarche Estéfan Douaihy constitue une sorte de synthèse du peuple maronite. Dès son enfance, il a incarné le génie naturel maronite avec toutes ses qualités. Lorsqu'il accéda aux postes supérieurs et connut les nouvelles de ses prédécesseurs vertueux, il a puisé à leur exemplarité une voie pour pratiquer toutes les vertus ; il a ressemblé, par sa foi, à Abraham ; par sa confiance en la Providence et ses desseins, à Job le juste, par son amour du Christ, au disciple bien-aimé ; il s'est embelli de vertus évangéliques au point de passer pour le modèle des bons pasteurs".
Vallé de Qadisha, "vallée des Saints"
Les camarades de Douaihy au Collège maronite de Rome sont unanimes à reconnaître qu'il a conquis l'estime de ses professeurs, non seulement par son application aux études, mais surtout par l'exemplarité de sa conduite. Cette estime n'était pas l'apanage de ses professeurs ; son directeur spirituel, son confesseur et tous ceux qui ont connu Estéfan témoignent de ses qualités morales ; et d'abord, l'humilité qui l'a distingué durant toute sa vie et dans les plus hauts postes de responsabilité. Il a certes brillé dans les "disputes" académiques ; mais cela ne l'a pas empêché de respecter les autres autour de lui et de les écouter avec attention. De retour au village, il n'a pas sollicité les honneurs ni les louanges ; il s'est retiré dans un couvent où il a adopté l'isolement monastique de plein gré, s'adonnant aux actions modestes et à l'enseignement des enfants. Après son élection à la chaire patriarcale, il s'est d'abord abstenu d'accéder à cet honneur, en se cachant. Il a fini par accepter ; mais ayant appris que des notables avaient émis des réserves quant à cette élection, il aurait rappelé l'émissaire qu'il avait envoyé à Rome pour lui obtenir le pallium et la bulle de confirmation ; il aurait écrit une lettre de démission sans réussir cependant à y apposer le cachet patriarcal, le sceau n'y laissant pas de traces, comme si la volonté divine n'approuvait pas son attitude. Son successeur, le patriarche Simon Awad témoigne qu'il était plus humble dans la chaire patriarcale qu'il ne devait l'être s'il avait été un serviteur dans la cuisine.
L'humilité ne résultait pas chez lui de la faiblesse ; au contraire, il était fort et courageux quand il s'agissait des droits de la Communauté. Il a subi pour cela beaucoup de souffrances physiques. Ses contemporains racontent qu'il a souvent accepté les insultes et la honte ; "il s'enfuyait devant ses persécuteurs d'une région à l'autre, se cachant dans les grottes, entre les rochers, sans se soucier de l'ardeur du soleil en été, du froid glacial et des tempêtes en hiver ; il endurait la faim de longues journées et touchait bien des fois à la mort à laquelle il n'aurait pas échappé s'il n'y avait la Providence divine pour le sauver".
Nombreux étaient les sacrifices et les exercices pénitentiels que Douaihy pratiquait depuis son enfance. Il mortifiait ses sens, la vue et le goût. Il n'a jamais goûté aux prémices des fruits nouveaux. Il a souvent dit qu'il ne s'est jamais levé de table rassasié, expliquant ce phénomène ainsi : "Ne veux-tu pas que nous mortifions un peu le corps pour gagner quelque chose d'utile à nos âmes".
Il s'est abstenu de manger de la viande tout au long de sa vie ; il n'en goûtait pas même durant ses maladies, si ce n'était par obéissance aux ordres de son directeur spirituel. Il s'abstenait également de manger des plats recherchés et se contentait de la nourriture des moines. Que de fois, il s'est retiré dans les cavernes au fond des vallées pour la prière et la méditation qui, avec la foi, le fortifiaient devant les difficultés !
Par cette sobriété et cet attachement à la pauvreté, Douaihy faisait preuve d'une vertu qui a profondément marqué les Maronites : l'ascèse, cet héroïsme monastique adopté par toute la Communauté, notamment par ses chefs, témoigne un détachement des richesses vaines et illusoires pour rechercher la richesse véritable, authentique et profonde : un renoncement au plaisir pour l'acquisition de la joie, un attachement au Créateur plutôt qu'aux créatures, une perte de soi selon la logique du monde pour le gain de l'âme selon la logique de l'Evangile. Douaihy a renoncé à tout hormis à Dieu et aux droits de la Communauté. Il a pu alors gagner les deux. En s'élevant à la première charge dans la Communauté, il n'a pas renoncé à son ascèse. Par sa conduite exemplaire, la force de sa personnalité et son humilité, il a pu conquérir l'estime de certains notables qui s'étaient opposés à son élection au patriarcat, et susciter l'hommage chez certains évêques qui avaient voulu le démettre de sa nouvelle charge. De plus, il a pu, par ses vertus, conquérir l'estime des Druzes au Chuf. Ses biographes font état de récits qui prennent l'ampleur de traditions populaires orales, relatant l'accomplissement de maints prodiges et miracles, grâce à ses prières et ses bénédictions.
Sans avoir la possibilité de juger de la véracité de ces exploits, nous avançons toutefois, sans crainte d'exagération, que la vie du patriarche et sa conduite exhalent un parfum de sainteté. Par son exemplarité, il a pu associer la science et la vertu, guider son peuple à la lumière et la vérité et le doter de l'estime et de l'accueil de ses partenaires libanais des autres Communautés. Nous souhaitons que le Comité chargé de suivre l'évolution du procès de sa béatification auprès des instances compétentes dans l'Eglise, mène cette cause à bonne fin.
4. Le défenseur de la distinction libanaise
Le rôle national de Douaihy se révèle à plus d'un niveau : dès son enfance, il s'est préoccupé du bien de sa Communauté en formant le projet d'écrire postérieurement son histoire dont il a commencé à collecter les documents très tôt. Cette préoccupation émane sans doute d'un amour scientifique de la vérité, mais aussi d'un souci de préserver d'une part sa Communauté des calomnies et de montrer d'autre part son apport au peuple libanais dans sa totalité.
Son sentiment national l'a empêché de succomber à la tentation de rester en Europe et de profiter de ses promesses. Ayant terminé ses études, il est vite rentré dans son pays pour se mettre au service de la Communauté. Il a préféré aux richesses de l'Occident, la vie austère et pauvre dans sa région ; à l'enseignement dans les milieux occidentaux célèbres, celui des enfants de son village et plus tard, celui des jeunes d'Alep. Il n'a pas voulu d'honneur pour lui-même. C'est pour les notables de sa Communauté qu'il le réclamait.
L'attachement de Douaihy à sa nation s'est traduit par des actes précis : l'enseignement sous toutes ses formes, le service pastoral avec toutes ses exigences de prédication, de témoignage et de zèle, la composition d'ouvrages historiques, liturgiques, théologiques… Ces ouvrages dénotent un sentiment national authentique : en liturgie, il retournait à la pureté de sources et épurait les textes des erreurs qui s'y seraient infiltrées au cours des siècles ; en histoire, il aspirait profondément à éveiller chez les membres de sa Communauté et leurs partenaires libanais la conscience d'appartenir à un pays et à un peuple déterminés. Même si cette conscience était en période d'éveil et de tâtonnement presque, elle ne manquait pas d'être pour Douaihy une réalité vécue. Son rôle national prend la dimension d'une conscientisation de son peuple : il est parmi les premiers à avoir jeté les semences d'un certain nationalisme libanais fondé essentiellement sur une vocation culturelle distincte.
Douaihy a eu surtout le mérite d'évoquer l'histoire des autres Communautés qui composent le peuple libanais : en plus des Sunnites, dont l'histoire était impliquée naturellement dans les histoires officielles de la région, celle des Chiites et des Druzes. La plupart des historiens oubliaient, volontairement ou non, ces minorités comme si elles n'existaient pas ou ne devaient pas avoir d'histoire. Quant à Douaihy, il a tracé naturellement leur histoire, leur rôle et leur interférence avec sa Communauté, comme s'il voulait par là "pré-dire" ce qu'était et comment devrait être consacrée la structure pluraliste de la société libanaise et par conséquent son histoire adéquate.
Douaihy ne s'est pas contenté de paroles en matière de nationalisme, il a joint l'opinion et le sentiment à l'action effective. On n'a jamais suffisamment interprété la valeur de l'estime qu'il a pu conquérir auprès des Druzes et qui a rejailli en réciprocité de respect, non seulement sur ses relations personnelles avec eux, mais aussi sur les relations de sa Communauté avec la Communauté Druze. Dans la même perspective, on n'a jamais suffisamment explicité la portée de la réponse qu'il a donné à Issa Hamadé, qui venait sous la pression des Khazen et des hommes du Kisrawan, lui présenter des excuses pour ses mauvais comportements et le solliciter de rester à Jebbé. Il lui a dit : "Je te pardonne ce que tu as fait avec moi. Je suis prêt et j'aspire à souffrir davantage par amour pour le Seigneur qui a souffert et est mort pour moi. Mais mon peuple ne me laisse pas demeurer à Jebbé". Combien grand est notre besoin de pareils chefs qui distinguent entre leurs droits personnels et leurs devoirs communautaires, et ne font aucune concession qui pourrait nuire à la Communauté.
Une mise au point s'impose, à ce niveau. Si Douaihy a souffert des exactions de certains gouverneurs chiites, parmi les Hamadés, cela ne signifie nullement qu'il s'est opposé à toute la communauté chiite ; bien au contraire, comme nous l'avons déjà mentionné, il en a tracé l'histoire, considérant que cette Communauté est, à l'instar de la sienne, persécutée en Orient, ce qui consolide son attachement au Liban, patrie et retranchement de minorités aspirant à l'autonomie et la liberté.
Par ailleurs, l'amertume de l'expérience de Douaihy avec Issa Hamadé n'a pas pu l'entraîner à isoler son peuple de son milieu oriental. Ses Annales révèlent sa conviction de la nécessité, pour sa Communauté, d'être présente, non seulement sur la scène libanaise, mais aussi sur la scène orientale, où elle doit avoir pour mission de jouer un rôle efficace et positif. L'harmonisation de ses relations avec les autres Communautés au sein du Liban fait la distinction de ce petit pays en Orient.
L'ouverture aux autres ne se limite pas aux frontières du Liban, ni à celles de l'Orient. Elle les transcende pour atteindre l'homme où qu'il soit. Il est vrai que Douaihy s'est appliqué à éveiller la conscience de la Communauté maronite et celle du monde, afin que soient aperçues la distinction de cette Communauté et l'originalité de sa personnalité. Mais l'une des constituantes fondamentales qui n'ont cessé de distinguer cette Communauté, demeure toujours son ouverture sur l'Occident sans que cela n'implique de réserve vis-à-vis de l'Orient : le ressourcement occidental des Maronites vise, en définitive, l'enrichissement de leurs aptitudes et, par conséquent, le renforcement de leur engagement oriental et son efficacité.
Il est vrai que Douaihy s'est appliqué à organiser sa Communauté et à la moderniser conformément aux prescriptions du Concile de Trente en Europe. Mais li n'a jamais manqué de mettre en relief l'originalité de cette Communauté en qui se marient intimement l'authenticité orientale et l'essor occidental.
Dans son Liber Brevis, ou l'histoire des Maronites, il s'applique à montrer l'originalité de cette Communauté orientale et catholique à la fois ; dans le Candélabre des sanctuaires, il montre sa réalité liturgique vis-à-vis des liturgies orientales et occidentales ; il a déployé des efforts énormes pour sauvegarder les droits de sa Communauté à Jérusalem face aux Franciscains de rite latin.
Prayer for the Beatification of
Patriarch Duwayhi
O Lord Jesus,
You bestowed your many graces upon Patriarch Estefan Duwayhi.
As a true disciple, he responded to them, eager to imitate his
Master, for the love of you and your glory.
You said, “Let the children come to me.” (1)
He sought the children of Lebanon, poor and orphaned, and taught them the words of truth.
You traveled through cities and villages, preaching the Kingdom of God.
Through his preaching and writing, he announced your Good News as a priest, then as a bishop and later as a patriarch.
You said, "Do not be afraid, 0 little flock." (2)
Your chosen one, Patriarch Estefan, took on himself these words, and passed them to all his children, encouraging them, confirming them, and defending their faith.
You loved your Church and gave your blood to redeem her. He bore all kinds of hardships for the Church's love and salvation.
We now ask you, 0 Lord, to reveal the abundance of your graces to him, and to show us how great was his response to them, so that the holiness of his life may shine before us.
Grant us to see our Patriarch Estefan among the ranks of your saints, so that he may shine like a lighthouse in our land of the East.
Through his intercession, grant us to build up your Church with knowledge, faith, devotion and courage, so that we may become true witnesses to you and lighthouses of love and peace. To you only are due glory and honor, now and for ever. Amen.
Our Father... Hail Mary... Glory Be...
(1) Mark 10:14
(2) Luke 12:32
Biography of Patriarch Estephan Duwayhi