Oh ! M.F., quelle gloire vont avoir ceux qui auront communié souvent et dignement pendant leur vie !... Le corps adorable de Jésus-Christ et son sang précieux, qui seront répandus partout dans notre corps seront, semblables à un beau diamant dans une gaze, qui, quoique caché, n'en ressort que mieux. Si vous en doutez, écoutez saint Cyrille d'Alexandrie qui nous dit que celui qui reçoit Jésus-Christ dans la sainte communion est telle-ment uni à lui, qu'ils sont semblables à deux morceaux de cire que l'on fait fondre et qui finissent par ne faire qu'un, et qui sont tellement mêlés et confondus ensem-ble qu'on ne peut plus les démêler. Oh ! M.F., quel bonheur pour un chrétien qui comprend cela !... Sainte Catherine de Sienne s'écriait dans ses transports d'amour : « O mon Dieu ! ô mon Sauveur ! ah ! quel excès de charité et de bonté pour les créatures de vous donner avec tant d'empressement ! Et, en vous donnant, vous donnez tout ce que vous avez et tout ce que vous êtes ! Mon tendre Sauveur, lui disait-elle, je vous en conjure, arrosez ma pauvre âme de votre sang précieux, nourrissez mon corps de votre corps adorable, afin que mon corps et mon âme ne soient que pour vous, et n'aspirent uniquement qu'à vous plaire et à vous possé-der. » Sainte Magdeleine de Pazzi nous dit qu'il ne fau-drait qu'une seule communion, faite avec un amour tendre et un cœur bien pur, pour nous élever à la plus haute perfection. La bienheureuse Victoire disait à ceux qu'elle voyait languir dans le chemin du ciel : « O mes enfants, pourquoi est-ce que vous vous traînez dans les voies du salut ? Pourquoi est-ce que vous avez si peu de courage pour travailler, pour mériter le grand bon-heur d'aller vous asseoir à la Table sainte et d'y manger le pain des anges qui donne tant de force aux faibles ? Oh ! si vous saviez combien ce pain céleste adoucit les misères de la vie ! Oh ! si une fois vous aviez goûté combien Jésus-Christ est bon et bienfaisant pour celui qui le reçoit dans la sainte communion !... Allez, mes enfants, mangez ce pain des forts, et vous reviendrez remplis de joie et de courage ; vous ne désirerez plus que la souffrance, les tourments et les combats, pour plaire à Jésus-Christ. » Sainte Catherine de Gênes était si affamée de ce pain céleste, qu'elle ne pouvait le voir entre les mains du prêtre sans se sentir mourir d'amour, tant était grand le désir qu'elle avait de le posséder elle s'écriait : « Ah ! Seigneur, venez en moi ! mon Dieu, venez à moi, je ne peux plus y tenir ! Ah ! mon Dieu, venez, s'il vous plait, dans le fond de mon cœur ; non, mon Dieu, je ne peux plus y tenir. Vous êtes toute ma joie, tout mon bonheur et toute la nourriture de mon âme ! »
Oui, M.F., si nous pouvions concevoir un petit peu la grandeur de ce bonheur, nous ne pourrions désirer la vie qu'autant que nous aurions le bonheur de faire de Jésus-Christ notre pain de chaque jour. Non, M.F., toutes les choses créées ne nous seraient plus rien, nous les mépriserions pour nous attacher à Dieu seul, et toutes nos démarches et nos actions ne tendraient qu'à nous rendre tous les jours plus dignes de le recevoir.
II. - Cependant, M.F., si nous avons le bonheur de recevoir tant de biens par la sainte communion, il faut, pour mériter tous ces dons, travailler aussi, de notre côté, à nous en rendre dignes ; ce que nous allons voir d'une manière bien sensible. Si je demandais à un enfant quelles sont les dispositions nécessaires pour bien com-munier, c'est-à-dire pour recevoir dignement le Corps adorable de Jésus-Christ et son Sang précieux, afin de recevoir les grâces accordées à tous ceux qui sont bien disposés, il me répondrait : « Il y a deux sortes de dispositions, les unes qui regardent l'âme, les autres qui regardent le corps. » Comme Jésus-Christ vient aussi bien dans notre corps que dans notre âme, nous devons donc les rendre l'un et l'autre dignes d'un tel bonheur.
1° Je dis que la première disposition est celle qui regarde le corps ; c'est-à-dire, être à jeûn, ne rien avoir mangé ni bu, ne rien avoir mis dans sa bouche, pas même..., depuis minuit. Si vous doutiez que ce fût plus de minuit, il faut renvoyer votre communion à un autre jour. II y en a qui communient quoiqu'ils doutent que ce fût plus de minuit ; vous vous exposez à commettre un gros péché, ou du moins, vous vous exposez à ne retirer aucun fruit de votre communion, ce qui est un grand malheur, quand même ce serait le dernier jour des pâques ou d'un jubilé, ou une grande fête ; c'est-à--dire qu'il ne faut jamais le faire, sous quelque prétexte que ce soit. Il y a des femmes qui goûtent le manger de leurs enfants, qui se le mettent à la bouche et qui croient ne rien avaler. Ne vous y fiez pas ; parce qu'il est bien difficile de faire ces choses-là sans qu'il en des-cende rien dans le gosier.
2° Je dis qu'il faut avoir des habillements propres, je ne veux pas dire riches, mais seulement qui ne soient point crasseux ni déchirés : c'est-à-dire, lavés et raccom-modés, à moins que l'on n'en ait point d'autres. Il y en a qui n'ont pas de quoi se changer, ou qui, par paresse, ne le font pas, ne changent pas de linge, c'est-à-dire de chemise. Pour ceux qui n'en ont point, il n'y a pas de mal ; mais ceux qui en ont font mal, puisque c'est manquer de respect à Jésus-Christ, qui veut bien venir dans leur cœur. Il faut s'être peigné, avoir le visage et les mains propres ; ne jamais venir à la sainte Table sans avoir des bas, bons ou mauvais. Ce n'est pas que l'on doive approuver ces jeunes personnes qui, en allant à la sainte Table, ne mettent point de différence d'avec l'instant où elles vont dans un bal ou une danse ; je ne sais pas comment elles peuvent aller avec tout leur éta-lage de vanité recevoir un Dieu humilié et méprisé. Mon Dieu, mon Dieu, quelle contradiction !...
La troisième disposition c'est la pureté du corps. Ce sacrement est appelé « le pain des anges », pour nous montrer que, pour le recevoir dignement, il faut appro-cher de la pureté des anges autant que nous le pouvons. Saint Jean Chrysostome nous dit que ceux qui ont le malheur de laisser traîner leur cœur sur quelque objet impur, doivent bien prendre garde de ne pas aller man-ger le pain des anges, parce que le Seigneur les puni-rait. Dans les commencements de l'Église, une personne qui avait péché contre la sainte vertu de pureté était condamnée à rester trois ans sans communier ; et, si elle y retombait, elle en était privée durant sept ans ce qui est facile à comprendre, puisque ce péché souille l'âme et le corps. Saint Jean Chrysostome nous dit que la bouche qui reçoit Jésus-Christ et le corps qui le ren-ferme, doivent être plus purs que les rayons du soleil. Il faut que tout notre extérieur annonce à tous ceux qui nous voient que nous nous préparons à quelque chose de grand.
Vous conviendrez avec moi que si, pour communier, les dispositions du corps sont déjà si nécessaires, je vous laisse à penser combien celles de l'âme le sont encore davantage pour mériter les grâces que Jésus--Christ vient nous apporter en venant en nous par la sainte communion. Oui, M.F., lorsque nous allons à la sainte Table, si nous voulons recevoir Jésus-Christ avec de bonnes dispositions, il faut que notre conscience ne nous reproche rien ; il faut que nous soyons con-vaincus que nous avons mis tout le temps qu'il fallait pour nous examiner, afin de bien connaître nos péchés ; il faut que notre conscience ne nous reproche rien sur l'accusation que nous avons faite de nos péchés et que nous soyons dans une véritable résolution de faire, avec la grâce de Dieu, tout ce qui dépend de nous pour ne pas retomber ; il faut que nous ayons un grand désir d'accomplir, autant bien que nous pouvons, la péni-tence que l'on nous a donnée. Pour bien nous pénétrer de la grandeur de l'action que nous allons faire, il faut, en commençant, regarder la sainte Table comme le tri-bunal de Jésus-Christ, où nous serons jugés. Si nous avons eu le malheur de ne pas bien accuser nos péchés, d'en avoir détourné ou déguisé quelques-uns ; soyons bien persuadés que ce n'est pas Jésus-Christ que nous allons loger, mais le démon. Oh ! M.F., quelle horreur de placer Jésus-Christ même aux pieds du démon !...
Nous lisons dans l'Évangile, que lorsque Jésus-Christ institua le sacrement adorable de l'Eucharistie, ce fut dans un appartement bien propre et bien meublé , pour nous montrer combien nous devons prendre soin d'embellir notre âme de toutes sortes de vertus pour recevoir Jésus-Christ dans la sainte communion. Et, bien plus, avant de donner son corps adorable et son Sang précieux, Jésus-Christ se leva de table et alla laver les pieds de ses apôtres , afin de nous faire concevoir com-bien il faut que nous soyons exempts des péchés, même les plus légers, c'est-à-dire n'avoir aucune affection aux péchés véniels. Le parfait renoncement de nous-mêmes dans tout ce qui n'est pas contraire à notre conscience ; ne faire aucune difficulté de parler à ceux qui nous ont fait quelque peine, ni de les voir, les porter dans le fond de nos cœurs... Disons encore mieux, M.F., lorsque nous allons recevoir le corps de Jésus-Christ dans la sainte communion, il faut que nous nous sentions en état de mourir et d'aller paraître avec confiance devant le tribunal de Jésus-Christ. Saint Augustin nous dit : « Si vous voulez communier de manière à bien plaire à Jésus-Christ, il faut que vous soyez détachés de tout ce qui peut tant soit peu déplaire au bon Dieu. » Saint Jean Chrysostome nous dit : « Lorsque vous serez tombés dans quelque péché mortel, il faut vous en con-fesser aussitôt ; mais, il faut rester quelque temps sans vous approcher de la sainte Table pour avoir le temps de faire pénitence. Déplorez, nous dit-il, le malheur de ces personnes qui, après avoir confessé de gros péchés mortels, demandent de suite la sainte communion, croyant que la confession seule suffit. I1 faut encore pleurer nos péchés et en faire pénitence, avant d'avoir le bonheur de recevoir Jésus-Christ dans nos cœurs. » Saint Paul nous dit à tous : « de bien purifier notre âme de ses péchés avant de manger le pain des anges, qui est le Corps adorable de Jésus-Christ et son Sang pré-cieux ; parce que, si notre âme n'était pas bien pure, nous nous attirerions toutes sortes de malheurs pour ce monde et pour l'autre. » Saint Bernard nous dit : « Pour communier dignement, il faut faire comme le serpent, quand il veut boire à son aise. Afin que l'eau lui profite, il quitte son venin. Pour nous, il faut faire de même : quand nous voulons recevoir Jésus-Christ, il faut quitter notre venin qui est le péché, qui est le poison de notre âme et de Jésus-Christ ; mais, nous dit ce grand saint, il faut le quitter pour tout de bon. Oh ! mes enfants, nous dit-il, n'empoisonnez pas Jésus-Christ dans votre cœur ! »
Oui, M.F., ceux qui vont à la sainte Table sans avoir bien purifié leur cœur, doivent grandement craindre d'éprouver le même châtiment que ce serviteur qui osa se mettre à table sans avoir la robe nuptiale. Le maître commanda à ses officiers de le prendre, de lui lier pieds et mains, de le jeter dans les ténèbres . De même, M.F., Jésus-Christ dira à l'heure de la mort, à ceux qui auront eu le malheur de le recevoir dans leur cœur sans être convertis : « Pourquoi avez-vous eu l'audace de me recevoir dans votre cœur, étant souillés de tant de péchés ? » Non, M.F., n'oublions jamais que pour communier il faut être converti et dans une véritable résolution de persévérer. Nous avons vu que quand Jésus-Christ voulut donner son Corps adorable et son Sang précieux à ses apôtres, pour leur montrer com-bien il fallait être pur pour le recevoir, il alla jusqu'à leur laver les pieds. C'est qu'il veut nous montrer par là, que nous ne saurions jamais être assez purifiés de nos péchés même véniels. Il est vrai que le péché véniel ne rend pas nos communions indignes ; mais il est cause que nous ne profitons presque rien de tant de bonheur. La preuve en est bien claire, voyez combien pendant notre vie nous avons fait de communions ; eh bien ! en sommes-nous devenus meilleurs ? - Non, sans doute, et la véritable cause de cela, c'est que nous conservons presque toujours nos mauvaises habitudes, et que nous ne nous corrigeons pas plus une fois que l'autre. Nous avons en horreur ces gros péchés qui donnent la mort à notre âme ; mais pour toutes ces petites impatiences, ces murmures lorsqu'il nous arrive quelques misères ou quelques chagrins, quelque contradiction, ces petits détours dans ce que nous disons : cela ne nous coûte guère. Vous convenez avec moi que, malgré tant de confessions et de communions, vous êtes toujours les mêmes, que vos confessions ne sont pas autre chose, depuis bien des années, qu'une répétition des mêmes péchés qui, quoique véniels, ne vous font pas moins perdre presque tout le mérite de vos communions. L'on vous entend dire, avec raison, que vous ne valez pas plus une fois que l'autre ; mais qui vous empêche de vous corriger de vos fautes ?... Si vous êtes toujours de même, c'est bien parce que vous ne voulez pas faire quelques petits efforts pour vous corriger ; vous ne voulez rien souffrir et n'être contredit en rien ; vous voudriez que tout le monde vous aimât et ait bonne opinion de vous, ce qui est bien difficile. Tâchons de travailler, M.F., à détruire tout ce qui peut tant soit peu déplaire à Jésus-Christ, et nous verrons combien nos communions nous feront marcher à grands pas vers le ciel ; et plus nous en ferons, plus nous nous senti-rons détachés du péché et portés à Dieu.
Saint Thomas nous dit que la pureté de Jésus-Christ est si grande, que le moindre péché véniel l'empêche de s'unir à nous aussi intimement qu'il le voudrait. Pour bien recevoir Jésus-Christ, il faut avoir dans l'es-prit et dans le cœur une grande pureté d'intention. Il y en a qui pensent au monde, ou qu'on les estimera ou qu'on les méprisera : cela ne vaut rien. D'autres, c'est par habitude d'y aller ces jours-là. Voilà, M.F., de pauvres communions, puisqu'elles manquent de pureté d'intention.
M.F., ce qui doit nous porter à nous approcher de la sainte Table : c'est 1° parce que Jésus-Christ nous le commande sous peine de ne pas avoir la vie éternelle ; 2° que nous en avons grandement besoin pour nous fortifier contre le démon ; 3° pour nous détacher de la vie et nous attacher à Dieu. Nous disons que pour avoir le grand bonheur de recevoir Jésus-Christ, bonheur si grand que tous les anges nous portent envie (ils peuvent l'aimer et l'adorer comme nous, mais ils n'ont pas le bonheur de le recevoir comme nous, ce qui semble nous élever au-dessus des anges) D'après cela, M.F., je vous laisse à penser avec quelle pureté, avec quel amour nous devons nous présenter à Jésus-Christ pour le recevoir. Nous devons communier pour recevoir les grâces dont nous avons besoin. Si nous avons besoin de l'humilité, de la patience et de la pureté ; eh bien ! M.F., nous trouverons tout cela dans la sainte communion, et toutes les vertus nécessaires à un chrétien. 4° Nous devons aller à la sainte Table, pour nous unir à Jésus-Christ, afin qu'il nous change en d'autres lui-même, ce qui arrive dans tous ceux qui le reçoivent saintement. Si nous communions souvent et dignement, nos pensées, nos désirs et aussi toutes nos actions et nos démarches ont la même fin que celles de Jésus-Christ lorsqu'il était sur la terre. Nous aimons Dieu, nous sommes touchés des misères spiri-tuelles et même temporelles du prochain, nous ne pen-sons nullement à nous attacher à la terre ; notre cœur et notre esprit ne pensent et ne respirent plus que le ciel.
Oui, M.F., pour faire une bonne communion, il faut avoir une foi vive touchant ce grand mystère ; ce sacre-ment étant un « mystère de foi, » il faut croire vérita-blement que Jésus-Christ est réellement présent dans la sainte Eucharistie, qu'il y est vivant et glorieux comme dans le ciel. Autrefois, M.F., avant de donner la sainte communion, le prêtre, tenant la sainte Eucharistie entre ses doigts, disait à haute voix : « Croyez, M.F., que le Corps adorable et le Sang précieux de Jésus-Christ est véritablement dans ce sacrement. » Alors tous les fidèles répondaient : « Oui, nous le croyons . » O quel bonheur pour un chrétien de venir s'asseoir à la table des vierges et de manger le pain des forts !... Non, M.F., il n'y a rien qui nous rende si redoutables au démon que la sainte communion, et, bien plus, elle nous conserve non seulement la pureté de l'âme, mais encore celle du corps. Voyez sainte Thérèse, qui était devenue si agréable à Dieu par la sainte communion qu'elle faisait si souvent et si dignement, qu'un jour Jésus-Christ lui apparut, et lui dit qu'elle lui plaisait tant que, quand il n'y aurait point de ciel, il en créerait un pour elle seule. Nous voyons dans sa vie qu'un dimanche de Pâques, après la sainte communion, elle fut si ravie en Dieu, qu'étant revenue à elle-même, elle se sentit la bouche toute pleine du sang adorable de Jésus-Christ qui semblait sortir de ses veines ; ce qui lui communiqua tant de douceur, qu'elle crut mourir d'amour. « Je vis, nous dit-elle, mon divin Sauveur qui me dit : Ma fille, je veux que ce sang adorable qui te cause tant d'amour soit employé à te sauver ; ne crains jamais que ma miséricorde te manque. Lorsque j'ai répandu ce sang précieux, je n'ai éprouvé que douleur et amertume ; mais, pour toi, en le recevant, il ne te communiquera que douceur et amour. » Plusieurs fois, lorsqu'elle avait le grand bonheur de communier, les anges descendaient en foule du ciel et semblaient faire leurs délices de s'unir à elle pour louer le Sauveur qu'elle avait le bonheur de porter dans son cœur. Bien des fois l'on a vu sainte Thérèse prise par les anges à la Table sainte, ils la portaient sur une haute tribune.
Oh ! M.F., si nous avions une fois bien compris combien ce bonheur est grand, nous n'aurions pas besoin d'être sollicités à venir partager ce bonheur. Sainte Gertrude demandait un jour à Jésus-Christ ce qu'il fallait faire pour le recevoir le plus dignement possible. Jésus-Christ lui répondit qu'il fallait avoir autant d'amour que tous les saints ensemble, et que son seul désir serait récompensé. Voulez-vous savoir, M.F., comment vous devez vous comporter quand vous voulez avoir le bonheur de recevoir le bon Dieu ? Faites comme ce bon chrétien qui communiait tous les huit jours ; il en employait trois en actions de grâces et trois à se préparer. Eh bien ! qui vous empêche de faire de même toutes vos actions pour cela. Pendant ce temps-là, entretenez-vous avec Jésus-Christ, qui règne dans votre cœur ; pensez qu'il va venir sur l'autel, et que, de là, il va venir dans votre cœur pour visiter votre âme et l'enrichir de toutes sortes de biens et de bonheur. Il faut implorer la sainte Vierge, les anges et les saints, afin qu'ils prient le bon Dieu pour nous, que nous le recevions autant dignement qu'il nous sera possible. Ce jour-là il faut venir plus de bonne heure à la sainte Messe, et l'entendre encore mieux que les autres fois. II faut que notre esprit et notre cœur soient sans cesse au pied du tabernacle, qu'ils soupirent con-tinuellement après cet heureux moment, il faut que nos pensées ne soient plus de ce monde, mais toutes pour le ciel, et que nous soyons tellement abîmés dans la pensée de Dieu que nous semblions être morts au monde. Il faut avoir vos Heures ou votre Chapelet et dire vos actes avec autant de ferveur que vous pourrez, pour ranimer en vous la foi, l'espérance et un grand amour pour Jésus-Christ qui va, dans un instant, de votre cœur faire son tabernacle, ou, si vous voulez, un petit ciel. Mon Dieu, quel bonheur et quel honneur pour des misérables comme nous ! Nous devons lui témoigner un grand respect. Être si misérable !... Mais nous espérons qu'il aura tout de même pitié de nous. Après avoir dit vos actes, il faut offrir votre communion pour vous ou pour d'autres ; vous vous levez pour aller à la sainte Table avec beaucoup de modestie, ce qui annonce que vous allez faire quelque chose de grand ; vous vous mettez à genoux et vous vous efforcez de ranimer en vous la foi qui vous fasse sentir la grandeur de votre bonheur. Il faut que votre esprit et votre cœur soient tout à Dieu. Vous prenez bien garde de ne pas tourner la tête, vous tenez vos yeux à moitié fermés, les mains jointes, et vous dites votre : « Je confesse à Dieu. » Si vous attendez pour communier, il faut vous exciter à un grand amour pour Jésus-Christ, en le priant bien humblement qu'il daigne venir dans votre pauvre et misérable cœur.
Après que vous avez eu le grand bonheur de commu-nier, il faut vous lever avec modestie, retourner à votre place, vous mettre à genoux et ne pas prendre de suite un livre ou votre chapelet ; il faut vous entretenir un moment avec Jésus-Christ, que vous avez le bonheur d'avoir dans votre cœur, où, pendant un quart d'heure, il est en corps et en âme, comme pendant sa vie mor-telle. O bonheur infini ! qui est celui qui pourra jamais le comprendre !... Hélas ! presque personne ne le com-prend !... Après que vous avez demandé au bon Dieu toutes les grâces que vous désirez pour vous et pour les autres, il faut reprendre vos Heures et continuer. Ayant dit vos actes après la communion, il faut inviter la sainte Vierge, tous les anges et tous les saints à remer-cier le bon Dieu pour vous. Il faut bien prendre garde de ne pas cracher, au moins d'une bonne demi-heure après la sainte communion. I1 ne faut pas sortir de suite après la sainte Messe, mais rester un instant pour demander au bon Dieu de bien vous affermir dans vos bonnes résolutions. Lorsque vous sortez de l'église, il ne faut pas vous arrêter à causer ; mais, pensant au bonheur que vous avez de renfermer Jésus-Christ, il faut vous en aller chez vous. Si vous avez un petit moment entre les offices, il faut l'employer à faire une bonne lecture ou à faire une visite au Saint-Sacrement, pour remercier le bon Dieu de la grâce qu'il vous a faite le matin, et vous entretenir des affaires du monde tant moins que vous pouvez. Il faut tellement veiller sur toutes vos pensées, vos paroles et vos actions, que vous conserviez la grâce du bon Dieu toute votre vie.
Que faut-il conclure de cela, M.F. ?... Rien autre, sinon que tout notre bonheur consiste à mener une vie digne de recevoir souvent Jésus-Christ, puisque c'est par là que nous pouvons espérer le ciel, que je vous souhaite...
7ème dimanche après la Pentecôte
Sur la fausse et vraie Vertu
A fructibus eorum cognoscetis eos.
Vous les connaîtrez à leurs fruits.
(S.Matth., VII,16.)
Jésus-Christ pouvait-il, M.F., nous donner des preuves plus claires et plus certaines pour nous faire connaître et distinguer les bons chrétiens d'avec les mauvais qu'en nous disant que nous les connaîtrons, non à leurs paroles, mais à leurs œuvres. « Un bon arbre, nous dit-il, ne peut porter de mauvais fruits, comme un mauvais arbre n'en peut porter de bons. » Oui, M.F., un chrétien qui n'a qu'une fausse dévotion, une vertu affectée et qui n'est qu'extérieure, malgré toutes les précautions que prendra pour se contrefaire, ne tardera pas de laisser paraître de temps en temps les dérèglements de cœur, soit dans ses paroles, soit dans ses actions. Non, M.F., rien de si commun que ces vertus en apparences c'est-à-dire cette hypocrisie. Ce qui est d'autant plus déplorable, c'est que presque personne ne veut le reconnaître. Faudra-t-il, M.F., les laisser dans un état malheureux qui les conduit sûrement en enfer ? Non, M.F., non, essayons du moins de leur en faire apercevoir quelque chose. Mais, mon Dieu ! qui sont ceux qui vont se reconnaître coupables ? Hélas ! presque per-sonne ! Cette instruction va donc être encore pour les aveugler davantage ? Cependant, malgré cela, M.F., je vais vous parler comme si vous deviez tous en profiter.
Pour bien vous faire connaître l'état malheureux de ces pauvres chrétiens, qui peut-être se damnent en fai-sant le bien, ne connaissant pas bien la manière de le faire, je vais vous montrer 1° quelles sont les conditions pour avoir une véritable vertu ; 2° quels sont les défauts de celle qui n'a que l'apparence. Écoutez bien cette ins-truction, qui peut grandement vous servir dans tout ce que vous ferez par rapport à Dieu.
Si vous me demandez, M.F., pourquoi est-ce qu'il y a si peu de chrétiens qui agissent uniquement dans la vue de plaire à Dieu ? En voici la raison toute pure. C'est que la plus grande partie des chrétiens sont ensevelis dans l'ignorance la plus épouvantable, qu'ils font humainement tout ce qu'ils font. De sorte que si vous compariez leurs intentions avec celles des païens, vous ne trouveriez aucune différence. Eh ! mon Dieu ! que de bonnes œuvres perdues pour le ciel ! D'autres, qui ont quelques lumières de plus, ne cherchent que l'estime des hommes, et tâchent de se contrefaire autant qu'ils peuvent : leur extérieur semble être bon, tandis que « leur intérieur est rempli d'ordures et de dupli-cité » Oui, M.F., nous verrons au jugement que la plus grande partie des chrétiens n'ont eu qu'une religion de caprice ou d'humeur, c'est-à-dire, de penchants, et que très peu n'ont cherché que Dieu seul dans ce qu'ils ont fait.
Nous disons d'abord qu'un chrétien qui veut travailler
sincèrement à son salut, ne doit pas se contenter de faire de bonnes œuvres ; mais il lui faut encore savoir pour qui il les fait et comment il doit les faire.
En second lieu, nous disons qu'il n'est pas assez de paraître vertueux aux yeux du monde, mais qu'il faut encore l'être dans le cœur. Si, maintenant, M.F., vous me demandez comment nous pourrons connaître qu'une vertu est véritable et qu'elle nous conduira au ciel, M.F., le voici : écoutez-le bien, gravez-le bien dans votre cœur ; afin que chaque action que vous ferez, vous puissiez connaître si elle sera récompensée pour le ciel. Je dis que pour qu'une action plaise à Dieu, il faut qu'elle ait trois conditions : la première, qu'elle soit intérieure et parfaite ; la deuxième, qu'elle soit humble et sans retour sur soi-même ; la troisième, qu'elle soit constante et persévérante : si dans tout ce que vous faites, vous trouvez ces conditions, vous êtes sûrs de travailler pour le ciel.
I. - Nous avons dit qu'il faut qu'elle soit intérieure : il ne suffit donc pas qu'elle paraisse au dehors. Non, sans doute, M.F., il faut qu'elle prenne naissance dans le cœur, et que la charité seule en soit l'âme et le principe, puisque saint Grégoire nous dit que tout ce que Dieu demande de nous doit être fondé sur l'amour que nous lui devons ; notre extérieur ne doit donc être que comme un instrument pour manifester ce qui se passe au--dedans de nous. Aussi, M.F., toutes les fois que nos paroles et nos actions ne sont pas produites par le mouvement de notre cœur, nous ne sommes que des hypocrites aux yeux de Dieu.
Ensuite, nous disons que notre vertu doit encore être parfaite : c'est-à-dire, que ce n'est pas assez de nous attacher à la pratique de quelques vertus, parce que notre penchant nous y porte ; mais nous devons les embrasser toutes, c'est-à-dire, toutes celles qui sont compatibles avec notre état. Saint Paul nous dit, que nous devons faire d'abondantes provisions de toutes sortes de bonnes œuvres pour notre sanctification. Allons plus loin, M.F., et nous verrons combien de personnes se trompent en faisant le bien et marchent du côté de l'enfer. Il y en a qui se rassurent dans quelques vertus qu'ils pratiquent, parce que leur penchant les y porte, comme par exemple : une mère se refiera sur ce qu'elle fait quelques aumônes, qu'elle est assidue à faire ses prières, fréquenter les sacrements, à faire même des lectures de piété ; mais elle voit, sans chagrin, ses en-fants s'éloigner des sacrements. Ses enfants ne font point de pâques ; mais cette mère leur donne de temps en temps la permission pour aller dans les plaisirs, les danses, les mariages et quelquefois les veillées ; elle aime à faire paraître ses filles, elle croit que si elles ne fréquentent pas ces lieux de débauches, elles seront inconnues, qu'elles ne trouveront pas à s'établir. Oui, sans doute, qu'elles seront inconnues, mais aux libertins ; oui, M.F., elles ne pourront pas trouver à s'établir avec des personnes qui les maltraiteront comme de viles esclaves. Mais cette mère aime à les voir bien parées ; mais cette mère aime à les voir en la compagnie de quel-ques jeunes gens qui sont plus riches qu'elles. Après quelques prières et quelques bonnes œuvres qu'elle fera, elle se croit dans le chemin du ciel. Allez, ma mère, vous n'êtes qu'une aveugle et une hypocrite, vous n'avez qu'une apparence de vertu. Vous vous rassurez de ce que vous faites quelques visites au Saint-Sacrement sans doute, cela est bon ; mais votre fille est à la danse ; mais elle est au cabaret avec des libertins, et il n'y a sorte de saletés qu'ils ne vomissent ; mais votre fille, la nuit, est dans des lieux où elle ne devrait pas être. Allez, mère aveugle et réprouvée, sortez et quittez votre prière ; ne voyez-vous pas que vous faites comme les Juifs, qui ployaient les genoux devant Jésus-Christ pour faire semblant de l'adorer ? Eh ! quoi, vous venez adorer le bon Dieu, tandis que vos enfants sont après le cruci-fier ! Pauvre aveugle, vous ne savez pas ce que vous dites ni ce que vous faites ; votre prière n'est qu'une injure que vous faites à Dieu. Commencez à aller cher-cher votre fille qui perd son âme ; ensuite, vous revien-drez demander à Dieu votre conversion.
Un père croit que c'est assez que de maintenir le bon ordre dans sa maison, il ne veut pas que l'on jure ni que l'on prononce des paroles sales : cela est très bien ; mais il ne se fait pas scrupule de laisser ses garçons dans les jeux, les foires et les plaisirs. Mais ce même père laisse travailler ses ouvriers le dimanche, sous le moindre prétexte, ou même pour ne pas contrarier ses moissonneurs ou ses batteurs. Cependant, vous le voyez à l'église adorer le bon Dieu, même bien prosterné ; il tâche de renvoyer les moindres distractions. Dites-moi, mon ami, de quel œil pensez-vous que le bon Dieu puisse regarder ces personnes ? Allez, mon ami, vous êtes un aveugle ; allez vous instruire de vos devoirs, et ensuite vous viendrez présenter vos prières à Dieu. Ne voyez-vous pas que vous faites les fonctions de Pilate, qui reconnaît Jésus-Christ et qui le condamne. Vous verrez ce voisin qui est charitable, qui fait des aumônes, qui est touché de la misère de son prochain : cela est assez bien ; mais il laisse vivre ses enfants dans la plus grande ignorance ; peut-être ne savent-ils pas même ce qu'il faut faire pour être sauvé. Allez, mon ami, vous êtes un aveugle ; vos aumônes et votre sensibilité vous conduisent à grands pas en enfer. Celui-ci a assez de bonnes qualités, il aime même à rendre service à tout le monde ; mais il ne peut plus souffrir sa pauvre femme ni ses pauvres enfants, qu'il accable d'injures et peut--être même de mauvais traitements. Allez, mon ami, votre religion ne vaut rien. Celui-là se croit assez sage parce qu'il n'est pas un blasphémateur, un voleur, ni même un impudique ; mais il ne se met pas en peine de se corriger de ces pensées de haine, de vengeance, d'envie et de jalousie qui le travaillent presque chaque jour. Mon ami, votre religion ne peut que vous perdre. Nous en verrons d'autres, qui sont de toutes les pratiques de piété, qui se font un grand scrupule de laisser quel-ques prières qu'ils ont coutume de dire ; ils se croiront perdus de ne pas communier en certains jours où ils ont l'habitude de le faire ; mais un rien les impatiente, les fait murmurer ; une parole qui n'aura pas été dite comme ils voudraient leur fait naître une froideur ; ils ont peine à voir de bonne grâce leur prochain, ils aiment à n'avoir rien à faire avec vous, sous différents prétextes ils évitent votre compagnie, ils trouveront qu'on agit mal à leur égard. Allez, pauvres hypocrites, allez vous convertir ; ensuite vous aurez recours aux sacrements, que, dans cet état, sans le savoir, vous ne faites que pro-faner avec votre dévotion mal entendue.
Un père est sans doute louable de corriger ses enfants lorsqu'ils offensent le bon Dieu ; mais peut-on le louer de ce qu'il ne se corrige pas lui-même des vices qu'il reprend dans ses enfants ? Non, sans doute : ce père n'a qu'une religion fausse qui le jette dans l'aveuglement ! L'on ne peut que louer un maître qui reprend ses domes-tiques de leurs vices ; mais peut-on le louer lorsqu'on l'entend jurer et blasphémer lui-même dans quelque chose fâcheuse qui lui arrive ? Non, M.F., non, c'est un homme qui n'a jamais connu sa religion ni ses devoirs.
Celui-ci fera l'homme sage, instruit, il reprendra les défauts qu'il apercevra dans son voisin : cela est bon ; mais que penserez-vous de lui en lui voyant beaucoup plus de défauts qu'à celui qu'il reprend ? « D'où vient cette conduite, nous dit saint Augustin, si ce n'est de ce qu'il n'est qu'un hypocrite, qui ne connaît nullement sa religion. » Allez, mon ami, vous n'êtes qu'un pharisien, toutes vos vertus ne sont que de fausses vertus ; tout ce que vous faites, que vous croyez être bien, ne sert qu'à vous tromper. Nous verrons bien encore ce jeune homme fréquenter les offices et même, peut-être, les sacrements ; mais nous le voyons aussi fréquenter les cabarets et les jeux. Cette jeune fille paraîtra bien aussi, de temps en temps, à la sainte Table ; mais elle paraîtra aussi dans les danses, les assemblées où les bons chrétiens ne se trouvent jamais. Allez, pauvre hypocrite, allez, fantôme de chrétienne, un jour viendra où vous verrez que vous n'aurez travaillé qu'à vous perdre. Un chrétien, M.F., qui veut se sauver ne se contente pas d'observer un commandement, de remplir une ou deux de ses obliga-tions ; mais il observe tous les commandements de Dieu, et ensuite il remplit toutes les obligations de son état.
II. - En deuxième lieu, nous avons dit qu'il fallait que notre vertu fût humble, sans retour sur soi-même. Jésus-Christ nous dit de « ne jamais faire nos actions avec l'intention d'être loué des hommes : » si nous vou-lons en recevoir la récompense, il faut cacher autant que nous pouvons le bien qu'il a mis en nous, crainte que le démon d'orgueil ne nous ravisse le mérite du bien que nous faisons. - Mais, peut-être, pensez-vous, le bien que nous faisons, nous le faisons bien pour le bon Dieu et non pour le monde. - Mon ami, je ne le sais pas : il y en a beaucoup qui se trompent là-dessus ; je crois qu'il serait facile de vous montrer que vous n'avez qu'une religion extérieure, et non dans l'âme. Dites--moi, n'est-ce pas que vous éprouveriez moins de peine si l'on savait que vous jeûnez aux jours prescrits par l'Église que si l'on savait que vous ne jeûnez pas ? N'est--ce pas que vous éprouveriez moins de chagrin si l'on vous voyait faire l'aumône que si l'on vous voyait pren-dre quelque chose à votre voisin ? Laissons le scandale de côté. N'est-ce pas que vous aimeriez mieux que l'on vous vit prier que de vous entendre jurer (supposons que vous ayez fait l'un et l'autre) ? N'est-ce pas que vous préféreriez que l'on vous vît faire la prière ou donner de bons conseils à vos enfants, que si l'on vous entendait leur conseiller de se venger de leurs ennemis ? - Oui, sans doute, me direz-vous, cela ne ferait pas autant de peine. - Et pourquoi cela ? sinon parce que nous n'a-vons qu'une fausse religion, et que nous ne sommes que des hypocrites et rien autre.
Cependant nous voyons que les saints faisaient tout le contraire ; pourquoi encore ? sinon parce qu'ils con-naissaient leur religion, et qu'ils ne cherchaient qu'à s'humilier ; afin d'attirer sur eux les miséricordes du Seigneur. Hélas ! que de pauvres chrétiens qui n'ont qu'une religion de penchants, de caprices et d'habitude, et rien autre ! - Mais, me direz-vous, cela est bien un peu fort. - Oui, sans doute, c'est un peu fort ; mais ce n'en est pas moins la vérité. Pour vous donner une hor-reur infinie de ce maudit péché d'hypocrisie, je vais vous montrer où ce malheureux péché nous conduit, par un exemple qui est bien digne d'être gravé dans vos cœurs.
Nous lisons dans l'histoire que saint Palémon et saint Pacôme vivaient dans une grande sainteté. Une nuit qu'ils veillaient et qu'ils avaient fait le feu, il survint un solitaire qui voulait demeurer avec eux. L'ayant reçu près d'eux pour s'unir ensemble afin de prier le bon Dieu, au milieu de leur discours, il leur dit : « Si vous avez la foi, avancez-vous hardiment et tenez-vous de-bout sur ces charbons ardents, et prononcez lentement l'Oraison dominicale. » Ces bons saints, voyant que ce solitaire leur faisait une telle proposition, et pen-sant qu'il n'y avait qu'un orgueilleux ou un hypocrite qui pût dire cela : « Mon frère, lui dit saint Palémon, priez Dieu ; vous êtes tenté, gardez-vous bien de faire cette folie ni de nous jamais rien proposer de sem-blable. Notre Sauveur ne nous a-t-il pas dit qu'il ne faut jamais tenter Dieu, et c'est vraiment le tenter que de lui demander un miracle de cette manière. » Ce pauvre aveugle et ce pauvre hypocrite, au lieu de pro-fiter de ce bon conseil, son esprit s'élève encore davan-tage par la vanité de ses prétendues bonnes œuvres ; il s'avance hardiment et se tient sur le feu sans que personne le lui commande, le démon coopérant avec lui, comme étant l'ennemi des hommes... Le bon Dieu, que son orgueil avait fait retirer de lui, permit au dé-mon, par un jugement secret et effroyable, qu'il fût garanti du feu, ce qui l'aveugla encore davantage, se croyant être déjà parfait et un grand saint. Le lende-main matin, il quitta les deux solitaires en leur repro-chant leur peu de foi : « Vous avez vu, leur disait-il, ce que peut faire celui qui a la foi. » Mais, hélas ! peu de temps après, le démon, voyant, que cet homme était à lui et craignant de le perdre, voulut s'assurer sa vic-time et lui faire mettre le sceau à sa réprobation. Il prit la figure d'une femme richement parée, frappa à la porte de sa cellule, lui disait qu'il était poursuivi par ses créanciers, qu'il craignait de tomber dans quelque mal-heur, n'ayant pas de quoi les payer, et qu'il avait re-cours à lui comme bien charitable. « Je vous supplie, lui dit-elle, de me recevoir dans votre cellule, afin que je sois garantie de ce péril. » Ce pauvre homme, ayant abandonné le bon Dieu, le démon lui ayant tiré les yeux de l'âme, ne voyait plus le danger auquel il s'ex-posait ; il la reçut dans sa cellule. Un moment après, il se sentit horriblement tenté contre la sainte vertu de pureté, et il s'arrêta à ces pensées. Il s'approcha même de cette prétendue femme, qui n'était autre chose que le démon, pour lui parler plus familièrement, et même il la toucha. Le démon lui tombe dessus, le prend, le traîne dans le chemin, où il le bat avec tant de force que son corps fut tout fracassé. Il le laissa sur le pavé où il resta fort longtemps comme mort. Quelques jours après, il reprit un peu de force, et se repentant de sa faute, il retourna trouver les deux saints pour leur faire part du malheur qui lui était arrivé. Après leur avoir conté tout cela avec beaucoup de larmes, il leur dit « Ah ! mes Pères, je confesse bien que tout ne m'est arrivé que par ma faute ; c'est bien moi qui suis cause de ma perte, parce que je n'étais qu'un orgueilleux et un hypocrite, qui voulais passer pour plus sage que je n'étais. Je vous prie bien, en grâce, de m'assister du secours de vos prières, car je crains que si le démon me reprend, il ne me mette en pièces. » Pendant qu'ils pleuraient tous les trois ensemble, tout à coup, voilà le démon qui se saisit de lui, l'emporte avec une rapi-dité épouvantable à travers les forêts jusqu'à la ville de Panople, où il y avait un fourneau. Il le précipita de-dans, où il fut brûlé à l'heure même . Eh bien ! M.F., d'où lui vint ce châtiment si affreux ? Hélas ! c'est que son cœur manquait d'humilité, il est vrai ; mais il était un hypocrite et ne connaissait pas sa religion.
Hélas ! que de personnes qui font beaucoup de bonnes œuvres, et, qui ne laissent pas d'être perdues, parce qu'elles ne connaissent pas leur religion. Un certain nombre feront bien des prières, fréquentent même sou-vent les sacrements ; mais conservent toujours les mê-mes habitudes et finissent par se familiariser avec le bon Dieu et avec le péché. Hélas ! que le nombre en est grand ! Voyez cet homme qui semble être un bon chré-tien, faites-lui apercevoir qu'il a fait tort à quelqu'un, faites-lui apercevoir ses défauts ou quelque injustice dont il s'est rendu coupable dans son cœur, de suite il se monte et ne peut plus vous voir. La haine et la rancune s'ensuivent... Voyez un autre : vous ne jugerez pas bon de le faire approcher de la sainte Table, il vous répondra grossièrement et conservera de la haine contre vous, comme si l'on était cause qu'il ait fait mal. D'autres, s'il leur arrive quelque chagrin, de suite ils abandonnent les sacrements, les offices. Si un habitant a quelque diffi-culté avec son pasteur, qui lui aura dit quelque chose pour le bien de son âme ; de suite, voilà la haine ; il en parlera mal, il aimera à en entendre dire du mal, il tour-nera tout en mal ce qu'on lui dira. D'où peut venir tout cela, M.F. ? Hélas ! c'est que cette personne n'a qu'une fausse dévotion et rien autre. Une autre fois ce sera une personne à qui vous aurez refusé l'absolution ou la sainte communion ; elle se révolte contre son confesseur, vous serez à ses yeux pire qu'un démon. Cependant, dans un temps de paix, vous la voyez servir Dieu avec ferveur ; elle vous parlera de Dieu comme un ange revêtu d'un corps humain. Et pourquoi donc, M.F., cette incons-tance ? Hélas ! c'est qu'elle n'est qu'une hypocrite, qui ne se connaît pas, qui peut-être ne se connaîtra jamais et qui ne veut pas même qu'on la regarde comme telle. L'on en voit d'autres qui, sous prétexte qu'elles ont quelque apparence de vertu, si on se recommande à leurs prières pour obtenir quelques grâces ; dès qu'elles auront fait quelques prières, elles leur demanderont s'ils ont obtenu ce qu'ils demandaient. Si elles ont été exaucées, vous les voyez qui redoublent leurs prières elles pensent que peut-être elles peuvent bien faire des miracles. Mais, si elles n'ont pas obtenu ce qu'elles demandaient, vous les voyez se décourager, perdre le goût de la prière. Allez, pauvre aveugle, vous ne vous êtes jamais connue, vous n'êtes qu'une hypocrite. Une autre parlera du bon Dieu avec empressement ; si vous applaudissez, les larmes même tomberont de ses yeux ; mais si vous lui dites un mot qui la pique un peu, vous la voyez se monter la tête ; elle a peur de se montrer telle qu'elle est, et elle vous conservera une haine dans son cœur, combien de temps. Pourquoi cela ? sinon parce que sa religion n'est qu'une religion de caprice et de penchant. Vous trompez le monde, et vous vous trompez vous-même ; mais vous ne tromperez pas le bon Dieu, qui, un jour, vous fera bien voir que vous n'avez été qu'une hypocrite.
Voulez-vous savoir ce que c'est qu'une fausse vertu ? en voici un bel exemple. Nous lisons dans l'histoire, qu'un solitaire étant venu trouver saint Sérapion pour se recommander à ses prières, saint Sérapion lui dit de prier pour lui ; mais l'autre lui dit avec des paroles qui annonçaient l'humilité la plus profonde, qu'il ne méritait pas ce bonheur, qu'il était trop pécheur. Le saint lui dit de s'asseoir à côté de lui, mais l'autre lui répondit qu'il en était indigne. Le saint, pour connaître si vraiment ce solitaire était tel qu'il voulait bien le faire croire, lui dit : « Mon ami, je crois que vous feriez beaucoup mieux de rester dans votre solitude que de courir le désert. » Ceci le mit dans une colère épou-vantable. « Mon ami, lui dit le saint, vous me disiez tout à l'heure que vous êtes un si grand pécheur que vous ne voulez pas même vous asseoir à côté de moi, et maintenant, parce que je vous dis une parole pleine de charité, vous vous mettez en colère. Allez, mon ami, vous n'avez qu'une fausse vertu ou, plutôt, vous n'en avez point . » Hélas, M.F., qu'il y en a qui sont de ce nombre ! qui semblent, à leurs paroles, être des saints, et qui, à la moindre parole qui ne leur convient pas, s'emportent et se font connaître tels qu'ils sont dans l'âme.
Si nous voyons que ce péché est si mauvais, voyons aussi que le bon Dieu le punit bien rigoureusement, comme vous allez le voir dans un exemple. Nous lisons dans l'Écriture sainte que le roi Jéroboam envoya sa femme vers le prophète Ahias, pour le consulter sur la maladie de son fils, l'ayant fait déguiser, avec toute l'apparence d'une personne de piété. Il usait de cet artifice, crainte que le peuple ne s'aperçût qu'il consul-tait le prophète du vrai Dieu et qu'on ne remarquât le peu de confiance qu'il avait en ses idoles. Il est vrai que nous pouvons bien quelquefois tromper les hom-mes, mais jamais le bon Dieu. Lorsque cette femme entra dans le logis du prophète, sans même qu'il la vit, il lui cria : « Femme de Jéroboam, pourquoi feignez--vous d'être une autre que vous n'êtes ? Venez, hypo-crite, je vais vous annoncer une méchante nouvelle de la part du Seigneur. Oui, une méchante nouvelle, écou-tez-là : le Seigneur m'a commandé de vous dire qu'il va faire tomber sur la maison de Jéroboam toutes sortes de maux ; il en fera périr jusqu'aux animaux même ; ceux de sa maison qui mourront dans les campagnes seront mangés des oiseaux, ceux qui mourront dans la ville seront mangés des chiens. Allez, femme de Jéroboam, allez annoncer cela à votre mari. Et dans le moment même que vous mettrez le pied dans la ville, votre enfant mourra. » Tout cela arriva comme le prophète l'avait dit : pas un n'échappa à la vengeance du Seigneur.