LIVRE DIX-SEPTIÈME : DE DAVID À JÉSUS-CHRIST
LIVRE DIX-SEPTIÈME : DE DAVID À JÉSUS-CHRIST
CHAPITRE PREMIER.
DU TEMPS DES PROPHÈTES.
CHAPITRE II.
CE NE FUT PROPREMENT QUE SOUS LES ROIS, QUE LA PROMESSE DE DIEU TOUCHANT LA TERRE DE CHANAAN FUT ACCOMPLIE.
CHAPITRE III.
LES TROIS SORTES DE PROPHÉTIES DE L'ANCIEN TESTAMENT SE RAPPORTENT TANTÔT À LA JÉRUSALEM TERRESTRE, TANTÔT À LA JÉRUSALEM CÉLESTE, ET TANTÔT À L'UNE ET À L'AUTRE.
CHAPITRE IV.
FIGURE DU CHANGEMENT DE L'EMPIRE ET DU SACERDOCE D'ISRAËL, ET PROPHÉTIES D'ANNE, MÈRE DE SAMUEL, LAQUELLE FIGURAIT L'ÉGLISE.
CHAPITRE V.
ABOLITION DU SACERDOCE D'AARON NIÉDITE A HÉLI.
CHAPITRE VI.
DE L'ÉTERNITÉ PROMISE AU SACERDOCE ET AU ROYAUME DES JUIFS, AFIN QUE, LES VOYANT DÉTRUITS, ON RECONNUT QUE CETTE PROMESSE CONCERNAIT UN AUTRE ROYAUME ET UN AUTRE SACERDOCE DONT CEUX-LA ÉTAIENT LA FIGURE.
CHAPITRE VII.
DE LA DIVISION DU ROYAUME D'ISRAËL PRÉDITE PAR SAMUEL A SAÜL, ET DE CE QU'ELLE FIGURAIT .
CHAPITRE VIII.
LES PROMESSES DE DIEU A DAVID TOUCHANT SALOMON NE PEUVENT S'ENTENDRE QUE DE JÉSUS-CHRIST.
CHAPITRE IX.
DE LA PROPHÉTIE DU PSAUME QUATRE-VINGT-HUITIÈME, LAQUELLE EST SEMBLABLE A CELLE DE NATHAN DANS LE SECOND LIVRE DES ROIS.
CHAPITRE X.
LA RAISON DE LA DIFFÉRENCE QUI SE RENCONTRE ENTRE CE QUI S'EST PASSÉ DANS LE ROYAUME DE LA JÉRUSALEM TERRESTRE ET LES PROMESSES DE DIEU, C'EST DE FAIRE VOIR QUE CES PROMESSES REGARDAIENT UN AUTRE ROYAUME ET UN PLUS GRAND ROI.
CHAPITRE XI.
DE LA SUBSTANCE DU PEUPLE DE DIEU, LAQUELLE SE TROUVE EN JÉSUS-CHRIST FAIT HOMME, SEUL CAPABLE DE DÉLIVRÉR SON AME DE L'ENFER.
CHAPITRE XII.
COMMENT IL FAUT ENTENDRE CES PAROLES DU PSAUME QUATRE-VINGT-HUITIÈME : « OU SONT, SEIGNEUR, LES ANCIENNES MISÉRICORDES ETC. »
CHAPITRE XIII.
LA PAIX PROMISE A DAVID PAR NATHAN N'EST POINT CELLE DU RÈGNE DE SALOMON.
CHAPITRE XIV.
DES PSAUMES DE DAVID.
CHAPITRE XV.
S'IL CONVIENT D'ENTRER ICI DANS L'EXPLICATION DES PROPHÉTIES CONTENUES DANS LES PSAUMES TOUCHANT JÉSUS-CHRIST ET SON ÉGLISE.
CHAPITRE XVI.
LE PSAUME QUARANTE-QUATRE EST UNE PROPHÉTIE, TANTÔT EXPRESSIVE ET TANTÔT FIGURÉE, DE JÉSUS-CHRIST ET DE SON ÉGLISE.
CHAPITRE XVII.
DU SACERDOCE ET DE LA PASSION DE JÉSUS-CHRIST PRÉDITS AUX CENT NEUVIÈME ET VINGT-UNIÈME PSAUMES.
CHAPITRE XVIII.
DE LA MORT ET DE LA RÉSURRECTION DU SAUVEUR PRÉDITES DANS LES PSAUMES TROIS, QUARANTE, QUINZE ET SOIXANTE-SEPT.
CHAPITRE XIX.
LE PSAUME SOIXANTE-HUIT MONTRE L'OBSTINATION DES JUIFS DANS LEUR INFIDÉLITÉ.
CHAPITRE XX.
DU RÈGNE ET DES VERTUS DE DAVID, ET DES PROPHÉTIES SUR JÉSUS-CHRIST QUI SE TROUVENT DANS LES LIVRES DE SALOMON.
CHAPITRE XXI.
DES ROIS DE JUDA ET D'ISRAËL APRÈS SALOMON.
CHAPITRE XXII.
IDOLÂTRIE DE JÉROBOAM.
CHAPITRE XXIII.
DE LA CAPTIVITÉ DE BABYLONE ET DU RETOUR DES JUIFS.
CHAPITRE XXIV.
DES DERNIERS PROPRÈTES DES JUIFS.
CHAPITRE PREMIER.
DU TEMPS DES PROPHÈTES.
Comment se sont accomplies et s'accomplissent encore les promesses de Dieu à Abraham à l'égard de sa double postérité, le peuple juif, selon la chair, et toutes les nations de la terre, selon la foi, c'est ce que le progrès de la Cité de Dieu, selon l'ordre des temps, va nous découvrir. Nous avons fini le livre précédent au règne de David; voyons maintenant ce qui s'est passé depuis ce règne, dans la mesure où peut nous le permettre le dessein que nous nous sommes proposé en cet ouvrage. Tout le temps écoulé depuis que Samuel commença à prophétiser jusqu'à la captivité de Babylone et au rétablissement du temple, qui arriva soixante-dix ans après, ainsi que Jérémie l'avait prédit 1, tout ce temps, dis-je, est le temps des Prophètes. Bien que nous puissions avec raison appeler prophètes Noé et quelques autres patriarches qui l'ont précédé ou suivi jusqu'aux Rois, à cause de certaines choses qu'ils ont faites ou dites en esprit de prophétie touchant la Cité de Dieu, d'autant plus qu'il y en a quelques-uns parmi eux à qui l'Ecriture sainte donne ce nom, comme Abraham 2 et Moïse 3, toutefois, à proprement parler, le temps des Prophètes ne commence que depuis Samuel, qui, par le commandement de Dieu, sacra d'abord roi Saül, et ensuite David, après la réprobation de Saül. Mais nous n'en finirions pas de rapporter tout ce que ces Prophètes ont prédit de Jésus-Christ, tandis que la Cité de Dieu se continuait dans le cours des siècles. Si l'on voulait surtout considérer attentivement l'Ecriture sainte, dans les choses même qu'elle semble ne rapporter qu'historiquement des Rois, on trouverait qu'elle n'est pas moins attentive, si elle ne l'est plus, à prédire l'avenir qu'à raconter le passé. Or, qui ne voit avec un peu de réflexion quel
1. Jérém. XX, 11. - 2. Gen. XX, 7. - 3. Deut. XXXIV, 10.
travail ce serait d'entreprendre cette sorte de recherche, et combien il faudrait de volumes pour s'en acquitter comme il faut? En second lieu, les choses même qui ont indubitablement le caractère prophétique sont en si grand nombre touchant Jésus-Christ et le royaume des cieux, qui est la Cité de Dieu, que cette explication passerait de beaucoup les bornes de cet ouvrage. Je tâcherai donc, avec l'aide de Dieu, de m'y contenir de telle sorte, que, sans omettre le nécessaire, je ne dise rien de superflu.
CHAPITRE II.
CE NE FUT PROPREMENT QUE SOUS LES ROIS, QUE LA PROMESSE DE DIEU TOUCHANT LA TERRE DE CHANAAN FUT ACCOMPLIE.
Nous avons dit au livre précédent que Dieu promit deux choses à Abraham : l'une, que sa postérité posséderait la terre de Chanaan, ce qui est signifié par ces paroles : « Allez en la terre que je vous montrerai, et je vous ferai Père d'un grand peuple »; et l'autre, beaucoup plus excellente et qui regarde une postérité, non pas charnelle, mais spirituelle, qui le rend père, non du seul peuple juif, mais de tous les peuples qui marchent sur les traces de sa foi. Celle-ci est exprimée en ces termes : « En vous seront bénies toutes les nations de la terre 1 ». Ces deux promesses lui ont été faites beaucoup d'autres fois, comme nous l'avons montré. La postérité charnelle d'Abraham, c'est-à-dire le peuple juif, était donc déjà établi dans la terre promise, et, maître des villes ennemies, il vivait sous la domination de ses rois. Ainsi, les promesses de Dieu commencèrent dès lors à être accomplies en grande partie, non-seulement celles qu'il avait faites aux trois patriarches, Abraham, Isaac et Jacob, mais encore celles qu'il fit à Moïse, par qui le peuple
1. Gen. XLI, 1-3.
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hébreu fut délivré de la captivité d'Egypte et à qui toutes les choses passées furent révélées, lorsqu'il conduisait ce peuple dans le désert. Toutefois, ce ne fut ni sous Jésus fils de Navé 1, ce fameux capitaine qui fit entrer les Hébreux dans la terre promise, et qui la divisa, selon l'ordre de Dieu, entre les douze tribus, ni sous les Juges, que s'accomplit la promesse que Dieu avait faite de donner aux Israélites toute la terre de Chanaan, depuis le fleuve d'Egypte jusqu'au grand fleuve d'Euphrate 2. Elle ne le fut que sous David et sous son fils Salomon, dont le royaume et toute cette étendue. Ils subjuguèrent, en effet, tous ces peuples et en firent leurs tributaires. Ce fut donc sous ces princes que la postérité d'Abraham se trouva établie en la terre de Chanaan, de sorte qu'il ne manquait plus rien à l'entier accomplissement des promesses de Dieu à cet égard, sauf cet unique point que les Juifs la posséderaient jusqu'à la fin des siècles; mais il fallait pour cela qu'ils demeurassent fidèles à leur Dieu. Or, comme Dieu savait qu'ils ne le seraient pas, il. se servit des châtiments temporels dont il les affligea pour exercer le petit nombre des fidèles qui étaient parmi eux, afin qu'ils instruisissent à l'avenir les fidèles des autres nations en qui il voulait accomplir l'autre promesse par l'incarnation de Jésus-Christ et la publication du Nouveau Testament.
CHAPITRE III.
LES TROIS SORTES DE PROPHÉTIES DE L'ANCIEN TESTAMENT SE RAPPORTENT TANTÔT À LA JÉRUSALEM TERRESTRE, TANTÔT À LA JÉRUSALEM CÉLESTE, ET TANTÔT À L'UNE ET À L'AUTRE.
Ainsi toutes les prophéties, tant celles qui ont précédé l'époque des Rois que celles qui l'ont suivie, regardent en partie la postérité charnelle d'Abraham, et en partie cette autre postérité en qui sont bénis tous les peuples cohéritiers de Jésus-Christ par le Nouveau Testament, et appelés à posséder la vie éternelle et le royaume des cieux. Elles se rapportent moitié à la servante qui engendre des esclaves, c'est-à-dire à la Jérusalem terrestre, qui est esclave avec ses enfants, et moitié à la cité libre, qui est la vraie Jérusalem, étrangère
1. Comp. saint Augustin, Quœst. in Jesum Nase, qu. 21, et saint Jérôme, Epist. CXXIX, ad Dardanun,
2.Gen. XV, 18.
ici-bas en quelques-uns de ses enfants et éternelle dans les cieux; mais il y en à qui se rapportent à l'une et à l'autre, proprement à la servante et figurativement à la femme libre.
Il y a donc trois sortes de prophéties, les unes relatives à la Jérusalem terrestre, les autres à la céleste, et les autres à toutes les deux. Donnons-en des exemples. Le prophète Nathan 1 fut envoyé à David pour lui reprocher son crime et lui en annoncer le châtiment. Qui doute que ces avertissements du ciel et autres semblables, qui concernaient l'intérêt de tous ou celui de quelques particuliers, n'appartinssent à la cité de la terre? Mais lorsqu'on lit dans Jérémie : « Voici venir le temps, dit le Seigneur, que je ferai une nouvelle alliance qui ne sera pas semblable à celle que je fis avec leurs pères, lorsque je les pris par la main pour les tirer d'Egypte; car ils ne l'ont pas gardée, et c'est pourquoi je les ai abandonnés, dit le Seigneur. Mais voici l'alliance que je veux faire avec la maison d'Israël : « Après ce temps, dit le Seigneur, je déposerai mes lois dans leur esprit; je les écrirai dans leur coeur, et mes yeux les regarderont et je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple 2». Il est certain que c'est là une prophétie de cette Jérusalem céleste où Dieu même est la récompense des justes et où l'unique et souverain bien est de le posséder et d'être à lui. Mais lorsque l'Ecriture appelle Jérusalem la Cité de Dieu et annonce que la maison de Dieu s'élèvera dans son enceinte, cela se rapporte à l'une et l'autre cité : à la Jérusalem terrestre, parce que cela a été accompli, selon la vérité de l'histoire, dans le fameux temple de Salomon, et à la céleste, parce que ce temple en était la figure. Ce genre de prophétie mixte, dans les livres historiques de l'Ancien Testament, est fort considérable ; il a exercé et exerce encore beaucoup de commentateurs de l'Ecriture qui cherchent la figure de ce qui doit s'accomplir en la postérité spirituelle d'Abraham dans ce qui a été prédit et accompli pour sa postérité charnelle. Quelques uns portent ce goût si loin qu'ils prétendent qu'il n'y a rien en ces livres de ce qui est arrivé après avoir été prédit, ou même sans l'avoir été, qui ne doive se rapporter allégoriquement à la Cité de Dieu et à ses enfants qui sont
1. II Rois, XII, 1. - Jérém. XXX, 31-33; Hébr. VIII, 8-10.
2. Voyez l'écrit de saint Augustin coutre Fauste le manichéen, aux livres XII et XVI.
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étrangers en cette vie. Si cela est, il n'y aura pins que deux sortes de prophéties dans tous les livres de l'Ancien Testament, les unes relatives à la Jérusalem céleste, et les autres aux deux Jérusalem, sans qu'aucune se rapporte seulement à la terrestre. Pour moi, comme il ma semble que ceux-là se trompent fort qui excluent toute allégorie des livres historiques de l'Ecriture, j'estime aussi que c'est beaucoup entreprendre que de vouloir en trouver partout. C'est pourquoi j'ai dit qu'il vaut mieux distinguer trois sortes de prophéties, sans blâmer toutefois ceux qui, conservant la vérité de l'histoire, cherchent à trouver partout quelque sens allégorique. Quant aux choses qui ne peuvent se rattacher ni à l'action des hommes ni à celle de Dieu, il est évident que l'Ecriture n'en parle pas sans dessein, et il faut conséquemment tâcher de les rappeler à un sens spirituel.
CHAPITRE IV.
FIGURE DU CHANGEMENT DE L'EMPIRE ET DU SACERDOCE D'ISRAËL, ET PROPHÉTIES D'ANNE, MÈRE DE SAMUEL, LAQUELLE FIGURAIT L'ÉGLISE.
La suite des temps amène la Cité de Dieu jusqu'à l'époque des Rois, alors que, Saül ayant été réprouvé, David monta sur le trône, et que ses descendants régnèrent longtemps après lui dans la Jérusalem terrestre. Ce changement, qui arriva en la personne de Saül et de David, figurait le remplacement de l'Ancien Testament par le Nouveau, où le sacerdoce et la royauté ont été changés par le prêtre et le roi nouveau et immortel, qui est Jésus-Christ. Le grand-prêtre Héli réprouvé et Samuel mis en sa place et exerçant ensemble les fonctions de prêtre et de juge, et d'autre part, David sacré roi au lieu de Saül, figuraient cette révolution spirituelle. La mère de Samuel, Anne, stérile d'abord, et qui depuis eut tant de joie de sa fécondité, semble ne prophétiser autre chose, quand, ravie de son bonheur, elle rend grâces à Dieu et lui consacre son fils avec la même piété qu'elle le lui avait voué. Voici comme elle s'exprime : « Mon coeur a été affermi dans sa confiance au Seigneur, et mon Dieu a relevé ma force et ma gloire. Ma bouche a été ouverte contre mes ennemis, et je me suis réjouie de votre salut. Car il n'est point de saint comme le Seigneur, il n'est point de juste comme notre Dieu, il n'est de saint que vous. Ne vous glorifiez point, et ne parlez point autrement; qu'aucune parole fière et superbe ne sorte de votre bouche, puisque c'est Dieu qui est le maître des sciences, et qui forme et conduit ses desseins. Il a détendu l'arc des puissants, et les faibles ont été revêtus de force. Ceux qui ont du pain en abondance sont devenus languissants, et ceux qui étaient affamés se sont élevés au-dessus de la terre, parce que celle qui était stérile est devenue mère de sept enfants, et celle qui avait beaucoup d'enfants est demeurée sans vigueur. C'est Dieu qui donne la mort et qui redonne la vie; c'est lui qui mène aux enfers et qui en ramène. Le Seigneur rend pauvre ou riche, abaisse ou élève ceux qu'il lui plaît. Il élève de terre le pauvre, et tire le misérable du fumier, afin de le faire asseoir avec les princes de son peuple et de lui donner pour héritage un trône de gloire. Il donne à qui fait un voeu de quoi le faire, et il a béni les années du juste, parce que l'homme n'est pas fort par sa propre force. Le Seigneur désarmera son adversaire, le Seigneur qui est saint. Que le sage ne se glorifie point de sa sagesse, ni le puissant de sa puissance, ni le riche de ses richesses; mais que celui qui eut se glorifier se glorifie de connaître Dieu et de rendre justice au milieu de la terre. Le Seigneur est monté aux cieux et a tonné; il jugera les extrémités de la terre, parce qu'il est juste. C'est lui qui donne la vertu à nos rois, et il exaltera la gloire et la puissance de son Christ 1 ».
Croira-t-on que c'est là le discours d'une simple femme qui se réjouit de la naissance de son fils, et sera-t-on assez aveugle pour ne pas voir qu'il est beaucoup au-dessus de sa portée? En un mot, quiconque fait attention à ce qui est déjà accompli de ces paroles, ne reconnaît-il pas clairement que le Saint- Esprit, par le ministère, de cette femme (dont le nom même, en hébreu, signifie grâce), a prédit la religion chrétienne, la Cité de Dieu, dont Jésus-Christ est le roi et le fondateur, et enfin la grâce même de Dieu, dont les superbes s'éloignent pour tomber par terre et dont les humbles sont remplis pour se relever? Il ne resterait qu'à prétendre que cette femme n'a rien prédit, et que ce sont de simples actions de grâces qu'elle rend à Dieu pour lui avoir
1. I Rois, II, 1-10 sec. LXX.
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donné un fils; mais que signifie en ce cas ce qu'elle dit : « Il a détendu l'arc des puissants,
et les faibles ont été revêtus de force. Ceux qui ont du pain en abondance sont devenus languissants, et ceux qui étaient affamés se sont élevés au-dessus de la terre, parce que
celle qui était stérile est devenue mère de sept enfants, et celle qui avait beaucoup d'enfants
n'a plus de vigueur? » Est-ce qu'Anne a eu sept enfants? Elle n'en avait qu'un quand elle
disait cela, et n'en eut en tout que cinq, trois garçons et deux filles 1. Bien plus, comme il
n'y avait point encore de rois parmi les Juifs, qui la porte à dire : « C'est lui qui donne la
force à nos rois, et qui relèvera la gloire et la puissance de son Christ », si ce n'est pas
là une prophétie?
Que 1'Eglise de Jésus-Christ, la cité du grand roi, pleine de grâces, féconde en enfants, répète donc ce qu'elle reconnaît avoir prophétisé d'elle il y a si longtemps par la bouche
de cette pieuse mère! qu'elle répète: « Mon coeur a été affermi dans sa confiance au Seigneur, et mon Dieu a relevé ma force et ma gloire ». Son coeur a été vraiment affermi sa puissance a été vraiment augmentée, parce qu'elle ne l'a pas mise en elle-même, mais dans le Seigneur son Dieu. « Ma bouche a été ouverte contre mes ennemis » ; et en effet, la parole de Dieu n'est point captive au milieu des chaînes et de la captivité. « Je me suis réjouie de votre salut ». Ce salut, c'est Jésus-Christ lui-même, que le vieillard Siméon, selon le témoignage de l'Evangile, embrasse tout petit, mais dont il reconnaît la grandeur, quand il s'écrie : «Seigneur, vous laisserez aller votre serviteur en paix, parce que mes yeux ont vu votre salut 2». Que l'Eglise répète donc: « Je me suis réjouie de votre salut; car il n'est point de saint comme le Seigneur, il n'est point de juste comme notre Dieu » ; Dieu, en effet, n'est pas seulement saint et juste, mais la source de la sainteté et de la justice. « Il n'est de saint que
vous »; car personne n'est saint que par lui. Ne vous glorifiez point, et ne parlez point
hautement; qu'aucune parole fière et superbe ne sorte de votre bouche, puisque c'est Dieu qui est le maître des sciences, et personne ne sait ce qu'il sait ». Entendez que celui qui n'étant rien se croit quelque chose, se trompe soi-même 3»; car ceci
1. 1 Rois, II, 20. - 2. Luc, II, 29 et 30. - 3. Galat. VI, 3.
s'adresse aux ennemis de la Cité de Dieu, qui appartiennent à Babylone, à ceux qui présument trop de leurs forces et se glorifient en eux-mêmes au lieu de se glorifier en Dieu. De ce nombre sont aussi les Israélites charnels, citoyens de la Jérusalem terrestre, qui, comme dit l'Apôtre, « ne connaissant point la justice de Dieu 1 », c'est-à-dire la justice que Dieu donne aux hommes, lui qui seul est juste et rend juste, « et voulant établir leur propre justice», c'est-à-dire prétendant qu'ils l'ont acquise par leurs propres forces sans la tenir de lui, « ne sont point soumis à la justice de Dieu », parce qu'ils sont superbes et qu'ils croient pouvoir plaire à Dieu par leur propre mérite, et non par la grâce de celui qui est le Dieu des sciences, et par conséquent l'arbitre des consciences, où il voit que toutes les pensées des hommes ne sont que vanité, à moins que lui-même ne les leur inspire, « Il forme et conduit ses desseins». Quels des. seins, sinon ceux qui vont à terrasser les superbes et à relever les humbles? Ce sont ces desseins qu'il exécute lorsqu'il dit : « L'arc des puissants a été détendu, et les faibles ont été revêtus de force » . L'arc a été détendu, c'est-à-dire que Dieu a confondu ceux qui se croyaient assez forts par eux-mêmes pour accomplir les commandements de Dieu, sans avoir besoin de son secours. Et ceux-là « sont revêtus de force » qui crient à Dieu dans le fond de leur coeur: « Ayez pitié de moi, Seigneur, parce que je suis faible 2 ». - « Ceux qui ont du pain en abondance sont devenus languissants, et ceux qui étaient e affamés se sont élevés au-dessus de la terre». Qui sont ceux qui ont du pain en abondance, sinon ceux même qui se croient puissants, c'est-à-dire les Juifs, à qui les oracles de la parole de Dieu ont été confiés? Mais, parmi ce peuple, les enfants de la servante sont devenus languissants, parce que dans ces pains, c'est-à-dire dans la parole de Dieu, que la seule nation juive avait reçue alors, ils ne goûtent que ce qu'il y a de terrestre; au lieu que les Gentils, à qui ces pains n'avaient pas été donnés, n'en ont pas eu plutôt mangé que la faim dont ils étaient pressés les a fait élever au-dessus de la terre pour y savourer tout ce qu'ils renferment de céleste et de spirituel. Et comme si l'on demandait la cause d'un événement si étrange : « C'est, dit-elle, que
1. Rom. X, 3. - 2. Ps. VI, 3.
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celle qui était stérile est devenue mère de sept enfants, et que celle qui avait beaucoup enfants est demeurée sans vigueur ». Paroles qui montrent bien que tout ceci n'est qu'une prophétie à ceux qui savent que la perfection de toute l'Eglise est marquée dans l'Ecriture par le nombre sept. C'est pourquoi l'apôtre saint Jean écrit à sept Eglises 1, c'est-à-dire à toute l'Eglise; et Salomon dit, dans les Proverbes, que « la Sagesse s'est bâti une « maison et l'a appuyée sur sept colonnes 2 ». La Cité de Dieu était réellement stérile chez toutes les nations, avant la naissance de ces enfants qui l'ont rendue féconde. Nous voyons, au contraire, que la Jérusalem terrestre, qui avait un si grand nombre d'enfants, est devenue sans vigueur, parce que les enfants de la femme libre, qui étaient dans son sein, faisaient toute sa force, et qu'elle n'a plus que la lettre sans l'esprit.
« C'est Dieu qui donne la mort et qui redonne la vie ». Il a donné la mort à celle qui avait beaucoup d'enfants, et redonné la vie à celle qui était stérile et qui a engendré sept enfants. On peut l'entendre aussi, et mieux encore, en disant qu'il rend la vie à ceux même à qui il avait donné la mort, comme ces paroles qui suivent semblent le confirmer : « C'est lui qui mène aux enfers et qui en ramène ». Ceux à qui l'Apôtre dit: « Si vous êtes morts avec Jésus-Christ, cherchez les choses du ciel où Jésus-Christ est assis à la droite de Dieu » » ; ceux-là, dis-je, sont tués par le Seigneur pour leur salut, et c'est pour eux que l'Apôtre ajoute : « Goûtez les choses du ciel, et non pas celles de la terre , afin qu'eux-mêmes soient ceux qui, pressés de la faim , se sont élevés au-dessus de la terre». Car saint Paul dit encore: « Vous êtes morts » ; et voilà comment Dieu fait mourir ses fidèles pour leur salut: « Et votre vie, ajoute cet Apôtre, est cachée avec Jésus-Christ et Dieu ». Et voilà comment il leur redonne la vie. Mais sont-ce les mêmes qu'il mène aux enfers et qu'il en ramène ? Les deux choses sont indubitablement accomplies en celui qui est notre chef, avec qui l'Apôtre dit que notre vie est cachée en Dieu. Car « celui qui n'a pas épargné son propre fils, mais l'a livré à la mort pour tout le monde 4 », l'a certainement fait mourir de cette façon; et
1. Apoc. I, 4. - 2. Prov. IX, 1. - 3. Coloss. III, 1. - 4. Rom. VIII, 32.
d'autre part, comme il l'a ressuscité, il lui a redonné la vie. Il l'a aussi mené aux enfers, et l'en a ramené, puisque c'est lui-même qui dit dans le Prophète: « Vous ne laisserez point mon âme dans les enfers 1 ». C'est cette pauvreté du Sauveur qui nous a enrichis. En effet, « c'est le Seigneur qui rend pauvre ou riche ». La suite nous explique ce que cela signifie : « Il abaisse, est-il dit, et il élève ». Il abaisse les superbes et élève les humbles. Tout le discours de cette sainte femme, dont le nom signifie grâce, ne respire autre chose que ce qui est dit dans cet autre endroit de l'Ecriture : « Dieu résiste aux superbes, et « donne sa grâce aux humbles ».
L'Evangéliste ajoute: « Il relève le pauvre 2». Ces paroles ne peuvent s'entendre que de celui qui, étant riche, s'est rendu pauvre pour l'amour de nous, afin que sa pauvreté nous enrichît 3 ». Dieu ne l'a relevé sitôt de terre qu'afin de garantir son corps de corruption4. J'estime qu'on peut encore lui attribuer ce qui suit: «Et il tire l'indigent de son fumier».
En effet, ce fumier d'où il a été tiré s'entend fort bien des Juifs qui ont persécuté Jésus-
Christ, au nombre desquels se range saint Paul lui-même, dans le temps où il persécutait l'Eglise. « Ce que je considérais alors comme un gain, dit-il, je l'ai regardé depuis comme une perte, à cause de Jésus-Christ, et non-seulement comme une perte, mais comme du fumier, pour gagner Jésus-Christ 5 ». Ce pauvre a donc été relevé de terre au-dessus de tous les riches, et ce misérable tiré du fumier au-dessus des plus opulents, afin de tenir rang parmi les puissants du peuple, à qui il dit : « Vous serez assis sur douze trônes 6 », et à qui, selon l'expression de notre sainte prophétesse, « il donne pour héritage un trône de gloire ». Ces puissants avaient dit: « Vous voyez que nous avons tout quitté pour vous suivre7 ». Il fallait
qu'ils fussent bien puissants pour avoir fait un tel voeu ; mais de qui avaient-ils reçu la force de le faire, sinon de celui dont il est dit ici : « Il donne de quoi vouer à celui qui fait un voeu ?» Autrement, ils seraient de ces puissants dont l'arc a été détendu. « Il donne, dit l'Ecriture, à qui fait un voeu de quoi le faire », parce que personne ne pourrait rien vouer à Dieu comme il faut, s'il ne recevait
1. Ps. XV, 10. - 2. Jac., IV, 6. - 3. II Cor. VIII, 9. - 4. Ps. XV, 10 . - 5. Philipp. III, 7 et 8. - 6. - Matt. XIX, 28 . - 7. Ibid. 27.
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de lui ce qu'il lui voue. « Et il a béni les années du juste », afin, sans doute, qu'il vive sans fin avec celui à qui il est dit: « Vos années ne finiront point 1 ». Là, les années demeurent fixes, au lieu qu'ici elles passent, ou plutôt elles périssent. Elles ne sont pas avant qu'elles viennent, et quand elles sont venues, elles ne sont plus, parce qu'elles viennent en s'écoulant. Des deux choses exprimées en ces paroles : « Il donne à qui fait un voeu de quoi le faire, et il a béni les années du juste », nous faisons l'une et nous recevons l'autre; mais on ne reçoit celle-ci de sa bonté que lorsqu'on a fait la première par sa grâce, « attendu que l'homme n'est pas fort par sa propre force » . « Le Seigneur désarmera son adversaire » , c'est-à-dire l'envieux qui veut empêcher un homme d'accomplir son voeu. Comme l'expression est équivoque, l'on pourrait entendre par son adversaire l'adversaire de Dieu. Véritablement, lorsque Dieu commence à nous posséder, notre adversaire devient le sien, et nous le surmontons, mais non pas par nos propres forces, car ce que l'homme a de forces ne vient pas de lui « Le Seigneur donc désarmera son adversaire, le Seigneur qui est saint », afin que cet adversaire soit vaincu par les saints que le Seigneur, qui est le saint des saints, a faits saints.
Ainsi, « que le sage ne se glorifie point de sa sagesse, ni le puissant de sa puissance, ni le riche de ses richesses ; mais que celui qui veut se glorifier se glorifie de connaître Dieu et de faire justice au milieu de la terre ». Ce n'est pas peu connaître Dieu, que de savoir que la connaissance qu'on en a est un don de sa grâce. Aussi bien, « qu'avez-vous, dit l'Apôtre, que vous n'ayez point reçu? Et si vous l'avez reçu, pourquoi .vous glorifiez-vous, comme si l'on ne vous l'eût point donné 2 ? » c'est-à-dire comme si vous le teniez de vous-même. Or, celui-là pratique la justice qui vit bien, et celui-là vit bien qui observe les commandements de Dieu, « qui ont pour fin la charité qui naît d'un coeur pur, d'une bonne conscience et d'une foi sincère 3 ». Cette charité vient de Dieu, comme le témoigne l'apôtre saint Jean 4 ; et par conséquent le pouvoir de pratiquer la justice vient aussi de lui. Mais qu'est-ce que
1. Ps. CI, 28. - 2. I Cor. IV, 7. - 3. I Tim. I, 5. - 4. I Jean, IV, 7.
ceci veut dire: Au milieu de la terre? Est-ce que ceux qui habitent les extrémités de la terre ne doivent point pratiquer la justice ? J'estime que par ces mots : au milieu de la terre, l'Ecriture veut dire : tant que nous vivons dans ce corps, afin que personne ne s'imagine qu'après cette vie il reste encore du temps pour accomplir la justice qu'on n'a pas pratiquée ici-bas, et pour éviter le jugement de Dieu. Chacun, dans cette vie, porte sa terre avec soi ; et la terre commune reçoit cette terre particulière à la mort de chaque homme, pour la lui rendre au jour de la résurrection. Il faut donc pratiquer la vertu et la justice au milieu de la terre, c'est-à-dire tandis que notre âme est enfermée dans ce corps de terre, afin que cela nous serve pour l'avenir, « lorsque chacun recevra la récompense du bien et du mal qu'il aura fait par le corps 1 ». Par le corps, dit l'Apôtre, c'est-à-dire pendant le temps qu'il a vécu dans le corps ; car les pensées de blasphème auxquelles on consent ne sont produites par aucun membre du corps; et cependant on ne laisse pas d'en être coupable. Nous pouvons fort bien entendre de la même sorte cette parole du psaume: « Dieu, qui est notre roi avant tous les siècles, a accompli l'oeuvre de notre salut au milieu de la terre 2 », attendu que le Seigneur Jésus est notre Dieu, et il est avant les siècles, parce que les siècles ont été faits par lui. Il a accompli l'oeuvre de notre salut au milieu de la terre, lorsque le Verbe s'est fait chair 3 et qu'il a habité dans un corps de terre.
« Le Seigneur est monté aux cieux, et il a tonné ; il jugera les extrémités de la terre, parce qu'il est juste ». Cette sainte femme observe dans ces paroles l'ordre de la profession de foi des fidèles. Notre-Seigneur Jésus. Christ est monté au ciel, et il viendra de là juger les vivants et les morts. En effet, comme dit l'Apôtre : « Qui est monté, si ce n'est celui qui est descendu jusqu'aux plus basses parties de la terre ? Celui qui est descendu est le même que celui qui est monté au-dessus de tous les cieux, afin de remplir toutes choses de la présence de sa majesté4 ». Il à donc tonné par ses nuées qu'il à remplies du Saint. Esprit, quand il est monté aux cieux. Et c'est de ces nuées qu'il parle dans le prophète Isaïe 5, quand il menace la Jérusalem esclave, c'est
1. II Cor. V, 10 . - 2. Ps. LXXII, 12. - 3. Jean, I, 14. - 4. Ephés. IV, 9. - 5. Isa. V, 6.
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à-dire la vigne ingrate, d'empêcher qu'elles ne versent la pluie sur elle. « Il jugera les extrémités de la terre », c'est-à-dire même les extrémités de la terre. Et ne jugera-t-il point aussi les autres parties de la terre, lui qui indubitablement doit juger tous les hommes? Mais peut-être il vaut mieux entendre par les extrémités de la terre l'extrémité de la vie de l'homme. L'homme en effet ne sera pas jugé sur l'état où il aura été au commencement ou au milieu de sa vie, mais sur celui où il se trouvera vers le temps de sa mort; d'où vient cette parole de l'Evangile, « qu'il n'y aura de sauvé que celui qui persévérera jusqu'à la fin 1 ». Celui donc qui persévère jusqu'à la fin à pratiquer la justice au milieu de la terre ne sera pas condamné, quand Dieu jugera les extrémités de la terre. « C'est lui qui donne la force à nos rois », afin de ne les pas condamner dans son jugement. Il leur donne la force de gouverner leur corps en rois, et de vaincre le monde par la grâce de celui qui a répandu son sang pour eux. « Et il relèvera la gloire et la puissance de son Christ ». Comment le Christ relèvera-t-il la gloire et la .puissance de son Christ? car celui dont il est dit auparavant : « Le Seigneur est monté aux cieux et a tonné », est celui-là même dont il est, dit ici qu'il relèvera la gloire et la puissance de son Christ. Quel est donc le Christ de son Christ ? Est-ce qu'il relèvera la gloire et la puissance de chaque fidèle, comme notre sainte prophétesse le dit elle-même au commencement de ce cantique: « Mon Dieu a relevé ma force et ma gloire? » Dans le fait, nous pouvons fort bien appeler des Christs tous ceux qui ont été oints du saint chrême, qui tous, néanmoins, avec leur chef, ne sont qu'un même Christ. Voilà la prophétie d'Anne, mère du grand et illustre Samuel; en lui était figuré alors le changement de l'ancien sacerdoce, qui est accompli aujourd'hui ; car elle qui avait beaucoup d'enfants est devenue sans vigueur, afin que celle qui était stérile et qui est devenue mère de sept enfants eût un nouveau sacerdoce en Jésus-Christ.
CHAPITRE V.
ABOLITION DU SACERDOCE D'AARON NIÉDITE A HÉLI.
L'homme de Dieu qui fut envoyé au grand
1. Matt. x, 22.
prêtre Héli et que l'Ecriture ne nomme pas, mais que son ministère doit faire indubitablement
reconnaître pour prophète, parle de ceci plus clairement. Voici ce que porte le texte sacré: «Un homme de Dieu vint trouver Héli et lui dit: Voici ce que dit le Seigneur : Je me
suis fait connaître à la maison de votre père, lorsqu'elle était captive de Pharaon en Egypte, et je l'ai choisie entre toutes les tribus d'Israël pour nie faire des prêtres qui montassent à mon autel, qui m'offrissent de l'encens et qui portassent l'éphod ; et j'ai donné à la maison de votre père, pour se nourrir, tout ce que les enfants d'Israël m'offrent en sacrifice. Pourquoi donc avez-vous foulé aux pieds mon encens et mes sacrifices, et pourquoi avez-vous fait plus de cas de vos enfants que de moi, en souffrant qu'ils emportassent les prémices de tous les
sacrifices d'Israël? C'est pourquoi voici ce que dit le Seigneur et le Dieu d'Israël; J'avais résolu que votre maison et la maison de votre père passeraient éternellement en ma présence. Mais je n'ai garde maintenant d'en user de la sorte. Car je glorifierai ceux qui me glorifient; et ceux qui me méprisent deviendront méprisables. Voici venir le temps que j'exterminerai votre race et celle de votre père, de sorte qu'il n'en demeurera pas un seul qui exerce les fonctions
de la prêtrise, dans ma maison. Je les bannirai tous de mon autel, afin que ceux qui resteront de votre maison sèchent en voyant ce changement. Ils périront tous par l'épée; et la marque de cela, c'est que vos enfants Ophni et Phinées mourront tous deux en un même jour. Je me choisirai un prêtre fidèle, qui fera tout ce que mon coeur et mon âme désirent, et je lui construirai une maison durable qui passera éternellement en la présence de mon Christ. Quiconque restera de votre maison viendra l'adorer avec une petite pièce d'argent et lui dira;
Donnez-moi, je vous prie, quelque part en votre sacerdoce, afin que je mange du pain 1».
On ne peut pas dire que cette prophétie, qui prédit si clairement le changement de l'ancien sacerdoce, ait été accomplie en La personne de SamueL Quoiqu'il ne fût pas d'une autre tribu que celle que Dieu avait destinée pour servir à l'autel, il n'était pas pourtant de
1. I Rois, II, 27 et seq.
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la famille d'Aaron, dont la postérité était désignée pour perpétuer le 1; et par conséquent tout ceci était la figure du changement qui devait se faire par Jésus-Christ, et appartenait proprement à l'Ancien Testament, et figurativement au Nouveau; je dis quant à l'événement de la chose, et non quant aux paroles. Il y eut encore depuis des prêtres de la famille d'Aaron, comme Sadoch et Abiathar, sous le règne de David, et plusieurs autres, longtemps avant l'époque où ce changement devait s'accomplir en la personne de Jésus-Christ. Mais à présent quel est celui qui contemple ces choses des yeux de la foi et qui n'avoue qu'elles sont accomplies? Il ne reste en effet aux Juifs ni tabernacle, ni temple, ni autel, ni sacrifice, ni par conséquent aucun de ces prêtres qui, selon la loi de Dieu, devraient être de la famille d'Aaron, comme le rappelle ici le Prophète: « Voici ce que dit le Seigneur et le Dieu d'Israël: J'avais résolu que votre maison et la maison de votre père passeraient éternellement en ma présence; mais je n'ai garde maintenant d'en user de la sorte. Car je glorifierai ceux qui me glorifient; et ceux qui me méprisent deviendront méprisables ». Par la maison de votre père, il n'entend pas parler de celui dont Héli avait pris immédiatement naissance, mais d'Aaron, le premier grand prêtre dont tous les autres sont descendus. Ce qui précède le montre clairement : « Je me suis fait connaître, dit-il, à la maison de votre père, lorsqu'elle était captive de Pharaon en Egypte, et je l'ai choisie entre toutes les tribus d'Israël pour les fonctions du sacerdoce ». Qui était ce père d'Héli dont la famille, après la captivité d'Egypte, fut choisie pour le sacerdoce, sinon Aaron? C'est donc de cette race que Dieu dit ici qu'il n'y aura plus de prêtre à l'avenir: et c'est ce que nous voyons maintenant accompli. Que notre foi y fasse attention, les choses sont présentes; on les voit, on les touche, et elles sautent aux yeux, malgré qu'on en ait. « Voici, dit le Seigneur, venir le temps que j'exterminerai votre race et celle de votre père, en sorte qu'il n'en demeurera pas un seul qui exerce les fonctions de la prêtrise dans ma maison ». Je les bannirai tous de mon autel, afin que ceux qui resteront de votre maison sèchent « en voyant ce changement ». Ce temps prédit
1. Voyez sur ce point les Rétractations, livre II ch. 43, n. 2.
est venu. Il n'y a plus de prêtre selon l'ordre d'Aaron; et quiconque reste de cette famille, lorsqu'il considère le sacrifice des chrétiens établis par toute la terre et qu'il se voit dépouillé d'un si grand honneur, sèche de regret et d'envie.
Ce qui suit appartient proprement à la maison d'Héli: « Tous ceux qui resteront de votre maison périront par l'épée; et la marque de cela, c'est que vos enfants Ophni et Phinées mourront tous deux en un seul jour ». Le même signe donc qui marquait le sacerdoce enlevé à sa maison marquait aussi qu'il devait être aboli dans la maison d'Aaron. La mort des enfants d'Héli ne figurait la mort d'aucun homme, mais celle du sacerdoce même dans la famille d'Aaron. Ce qui suit se rapporte au grand prêtre, dont Samuel devint la figure en succédant à Héli, et par conséquent on doit l'entendre de Jésus-Christ, le véritable grand prêtre du Nouveau Testament: « Et je me choisirai un prêtre fidèle, qui fera tout ce que mon coeur et mon âme désirent, et je lui construirai une maison durable ». Cette maison est la céleste et éternelle Jérusalem. « Et elle passera, dit-il, éternellement en la présence de mon Christ », c'est-à-dire elle paraîtra devant lui, comme il a dit auparavant de la maison d'Aaron : « J'avais résolu que votre maison et la maison de votre père passeraient éternellement en ma présence». On peut encore entendre qu'elle passera de la mort à la vie pendant tout le temps de notre mortalité, jusqu'à la fin des siècles. Quand Dieu dit : « Qui fera tout ce que mon coeur et mon âme désirent », ne pensons pas que Dieu ait une âme, lui qui est le créateur de l'âme; c'est ici une de ces expressions figurées de l'Ecriture, comme quand elle donne à Dieu des mains, des pieds, et les autres membres du corps. Au surplus, de peur qu'on né s'imagine que c'est selon le corps qu'elle dit que l'homme à été fait à l'image de Dieu, elle donne aussi à Dieu des ailes, organe dont l'homme est privé, et elle dit: « Seigneur, mettez-moi à l'ombre de vos ailes 1 », afin que les hommes reconnaissent que tout cela n'est dit que par métaphore de cette nature ineffable.
« Et quiconque restera de votre maison viendra l'adorer ». Ceci ne doit pas s'entendre proprement de la maison d'Héli, mais
1. Ps. XVI, 10.
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de celle d'Aaron, qui a duré jusqu'à l'avénement de Jésus-Christ et dont il en reste encore aujourd'hui quelques débris. A l'égard de la maison d'Héli, Dieu avait déjà dit que tous ceux qui resteraient de cette maison périraient par l'épée. Comment donc ce qu'il dit ici peut-il être vrai: « Quiconque restera de votre maison viendra l'adorer », à moins qu'on ne l'entende de toute la famille sacerdotale d'Aaron? Si donc il existe de ces restes prédestinés dont un autre prophète dit : « Les restes seront sauvés 1 » ; et l'Apôtre : « Ainsi, en ce temps même, les restes ont été sauvés selon l'élection de la grâce 2 » ; si, dis-je, il est quelqu'un qui reste de la maison d'Aaron, indubitablement il croira en Jésus-Christ, comme du temps des Apôtres plusieurs de cette nation crurent en lui; et encore aujourd'hui, l'on en voit quelques-uns, quoique en petit nombre, qui embrassent la foi et en qui s'accomplit ce que cet homme de Dieu ajoute « Il viendra l'adorer avec une petite pièce d'argent ». Qui viendra-t-il adorer, sinon ce souverain prêtre qui est Dieu aussi? Car dans le sacerdoce établi selon l'ordre d'Aaron, on ne venait pas au temple ni à l'autel pour adorer le grand prêtre. Que veut dire cette petite pièce d'argent, si ce n'est cette parole abrégée de la foi dont l'Apôtre fait mention après le Prophète, quand il dit: « Le Seigneur fera une parole courte et abrégée sur la terre 3? » Or, que l'argent se prenne pour la parole de Dieu, le Psalmiste en témoigne, lorsqu'il dit: « Les paroles du Seigneur sont pures, c'est de l'argent qui a passé par le feu 4 ».
Que dit donc celui qui vient adorer le prêtre de Dieu et le prêtre-Dieu? « Donnez-moi, je vous prie, quelque part en votre sacerdoce, afin que je mange du pain». Ce qui signifie:
Je ne prétends rien à la dignité de mes pères, puisqu'elle est abolie; faites-moi seulement part de votre sacerdoce. « Car j'aime mieux être méprisable dans la maison du Seigneur 5 » ; entendez: pourvu que je devienne un membre de votre sacerdoce, quel qu'il soit. Il appelle ici sacerdoce le peuple même dont est souverain prêtre le médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ homme. C'est à ce peuple que l'apôtre saint Pierre dit: « Vous êtes le peuple saint et le sacerdoce royal 6 ».
1. Isa. X,22. - 2. Rom. XI, 5. - 3. Rom. IX, 28; Isa. X, 23.- 4. Ps. XI, 7. - 5. Ps. LXXXIII, 11. - 6. I Pierre, II, 9.
Il est vrai que quelques-uns, au lieu de votre sacerdoce, traduisent votre sacrifice, mais cela signifie toujours le même peuple chrétien. De là vient cette parole de l'Apôtre : « Nous ne sommes tous ensemble qu'un seul pain et qu'un seul corps en Jésus-Christ 1 » ; et celle-ci encore : « Offrez vos corps à Dieu comme une hostie vivante 2 ». Ainsi, quand cet homme de Dieu ajoute: « Pour manger du pain », il exprime heureusement le genre même du sacrifice dont le prêtre lui-même dit: « Le pain que je donnerai pour la vie du monde, c'est ma chair 3 ». C'est là le sacrifice qui n'est pas selon l'ordre d'Aaron, mais selon l'ordre de Melchisédech. Que celui qui lit ceci l'entende. Cette confession est en même temps courte, humble et salutaire « Donnez-moi quelque part en votre sacerdoce, « afin que je mange du pain». C'est là cette petite pièce d'argent, parce que la parole du Seigneur, qui habite dans le coeur de celui qui croit, est courte et abrégée. Comme il avait dit auparavant qu'il avait donné pour nourriture à la maison d'Aaron les victimes de l'Ancien Testament, il parle ici de manger du pain, parce que c'est le sacrifice des chrétiens dans le Nouveau.