Dites-moi, M.F., auriez-vous jamais pu penser que voire perte causât tant de larmes et de douleurs à notre divin Sauveur ? Ah ! qui ne serait pas touché ?... Un Dieu qui pleure la perte d'une âme avec tant de larmes, qui ne cesse de lui crier : Mon ami, où vas-tu perdre ton âme et ton Dieu ? Arrête ! arrête ! Ah ! regarde mes larmes, mon sang qui coule encore : faut-il que je meure une seconde fois pour te sauver ? Me voici. Oh ! anges du ciel, descendez sur la terre, venez pleurer avec moi la perte de cette âme ! Oh ! qu'un chrétien est malheureux, s'il persévère encore à courir vers les abîmes, malgré la voix que son Dieu lui fait entendre continuellement !
Mais, me direz-vous, personne ne nous tient ce langage. - Oh ! mon ami, si vous ne vouliez pas boucher vos oreilles, vous entendriez sans cesse la voix de votre Dieu qui vous poursuit. Dites-moi, mon ami, que sont donc ces remords de conscience, lorsque vous êtes tombé dans le péché ? Pourquoi donc ces troubles, ces tempêtes qui vous agitent ? Pourquoi donc cette crainte et cette frayeur où vous êtes, où vous vous croyez sans cesse près d'être écrasé par les foudres du ciel ? Combien de fois n'avez-vous pas ressenti, même en péchant, une main invisible qui semblait vous repousser en vous disant : Malheureux, où vas-tu ? Ah ! mon fils, pourquoi veux-tu te damner ?... Ne conviendrez-vous pas avec moi qu'un chrétien qui méprise tant de grâces, mérite d'être abandonné et réprouvé, parce qu'il n'a pas écouté la voix de Dieu, ni profité de ses grâces ? Mais non, M.F., c'est Dieu seul que cette âme ingrate méprise et à qui elle semble vouloir ôter la vie ; et toutes les créatures demandent vengeance ; et c'est précisément Dieu seul qui veut la sauver, et s'oppose à tout ce qui pourrait lui nuire, en veillant à sa conservation, comme si elle était seule dans le monde, et que son bonheur dépendît du sien. Tandis que le pécheur lui plante le poignard dans le sein, Dieu lui tend une main, pour lui dire qu'il veut lui pardonner. Les tonnerres et les foudres du ciel semblent se jeter au pied du trône de Dieu, pour le prier en grâce de leur permettre de l'écraser. Ah ! non, non, leur dit ce divin Sauveur, cette âme m'a coûté trop cher, je l'aime encore, quoique pécheresse. Mais, Seigneur, reprennent ces foudres, elle ne dit que pour vous outrager ? N'importe, je veux la conserver, parce que je sais qu'un jour elle m'aimera : c'est pour cela que je veux veiller à sa conservation.
Ah ! M.F., seriez-vous si durs que de n'être pas touchés de tant de bonté de la part de notre Dieu ? Eh bien ! M.F., allons plus loin. Vous allez voir un autre spectacle de l'amour de Dieu pour ses créatures et surtout pour un pécheur converti. Le Seigneur nous parle par la bouche du prophète Isaïe. Il va même jusqu'à vouloir encore cacher nos péchés, en nous disant que Dieu traite le pécheur qui l'outrage, comme une mère traite un enfant dépourvu de la raison. Vous voyez, nous dit-il, cet enfant privé de raison, tantôt il est de mauvaise humeur, tantôt il s'impatiente, il crie, il s'irrite, il va jusqu'à frapper de ses petites mains le sein de sa mère qui le porte ; il s'efforce de satisfaire sa faible colère. Eh bien ! nous dit-il, quelle vengeance croyez-vous que cette mère tirera de la témérité de cet enfant ? La voici : elle le serrera et le pressera encore plus tendrement sur son cœur : elle redouble ses caresses ; elle le flatte, elle lui présente sa mamelle et son lait, pour tâcher d'apaiser sa petite humeur : voilà toute sa vengeance. Eh bien ! nous dit ce prophète, si cet enfant avait la connaissance de ce qu'il fait, que devrait-il penser en voyant tant de douceur de la part de cette mère ? Donnons-lui pour un moment le langage de la raison que la nature lui a refusé. Que pensera-t-il et que jugera-t-il de tout cela, lorsqu'il sera revenu de sa colère ? Il est vrai qu'il sera tout étonné de la témérité qu'il a eue de s'irri-ter contre celle qui le tenait entre ses bras, qui n'avait qu'à ouvrir la main pour le laisser tomber par terre et l'écraser. Mais en même temps, craindra-t-il que cette bonne mère refuse de pardonner ses petites fureurs ? Ne verra-t-il pas au contraire qu'elles sont déjà pardonnées, puisqu'elle le caresse plus tendrement et qu'elle pouvait si bien se venger ? Oui, nous dit ce saint prophète, voilà la manière dont Dieu traite le pécheur au milieu même de ses plus grands désordres. Oui, nous dit-il encore, le Seigneur vous aime tant, quoique pécheurs, qu'il vous porte entre ses mains jusque dans votre vieillesse. Non, non, dit-il, quand une mère aurait le courage d'abandonner son enfant , pour moi je ne pourrais jamais abandonner une de mes créatures.
Hélas ! M.F., rien de plus facile à concevoir. Dieu ne semble-t-il pas fermer les yeux sur nos péchés ? Ne voit-on pas, tous les jours, des pécheurs qui ne semblent vivre que pour l'outrager, et qui font tous leurs efforts pour perdre les autres, soit par leurs mauvais exemples, soit par leurs railleries, soit par leurs paroles déshonnêtes ? Ne semblerait-il pas que l'enfer les a envoyés pour arracher ces âmes d'entre les mains de Dieu même, pour les jeter en enfer ? Vous en convenez tous avec moi. Eh bien ! Dieu n'a-t-il pas soin de ces malheureux qui ne vivent que pour le faire souffrir et lui ravir des âmes ? Ne fait-il pas pour eux tout ce qu'il fait pour les plus justes ? Ne commande-t-il pas au soleil de les éclairer, à la terre de les nourrir ? Aux animaux, les uns, de les nourrir, les autres, de les vêtir, ou de les soulager dans leurs travaux ? Ne commande-t-il pas à tous les hommes de les aimer comme eux-mêmes ? Oui, M.F., il semble que Dieu, de son côté, s'épuise à nous faire du bien pour gagner notre amour, et d'un autre côté, il semble que le pécheur emploie tout ce qui est en lui pour faire la guerre à Dieu et le mépriser ! Ô mon Dieu ! que l'homme est aveugle ! qu'il connaît peu ce qu'il fait en péchant, en se révoltant contre un si bon père, un ami si charitable !
En déplorant notre aveuglement, que devons-nous conclure de tout cela, chrétiens ? C'est que, si Dieu est si bon que de nous donner l'espérance d'une nouvelle année, nous devons faire tout ce que nous pourrons pour la passer saintement, et que, pendant cette année, nous pouvons encore gagner l'amitié de notre Dieu, réparer le mal que nous avons fait, non seulement cette année qui vient de passer, mais dans toute notre vie, et nous assurer une éternité de bonheur, de joie et de gloire. Oh ! si l'année prochaine nous avions le bonheur de pouvoir dire que cette année a été toute pour le bon Dieu ! Quel trésor nous aurions amassé ! C'est ce que je .....
ÉPIPHANIE
Sur les Rois Mages
Vidimus stellam ejus, et venimus adorare eum.
Nous avons vu son étoile, et nous sommes venus l'adorer.
(S.Matth., II, 2.)
Jour heureux pour nous, M.F., jour à jamais mémorable, où la miséricorde du Sauveur nous a tirés des ténèbres de l'idolâtrie pour nous appeler à la connaissance de la foi, dans la personne des Mages, qui viennent de l'Orient adorer et reconnaître le Messie pour leur Dieu et leur Sauveur en notre nom. Oui, M.F., ils sont nos pères et nos modèles dans la foi. Heureux si nous sommes fidèles à les imiter et à les suivre ! Oh ! s'écriait avec des transports d'amour et de reconnaissance saint Léon, pape : « Anges de la cité céleste, prêtez-nous vos flammes d'amour pour remercier le Dieu des miséricordes de notre vocation au christianisme et au salut éternel. » Célébrons, M.F., nous dit ce grand saint, avec allégresse, les commencements de nos heureuses espérances. Mais, à l'exemple des Mages, soyons fidèles à notre vocation, sans quoi, tremblons que Dieu ne nous fasse subir le même châtiment qu'aux Juifs qui étaient son peuple choisi. Depuis Abraham jusqu'à sa venue, il les avait conduits comme par la main , et partout, s'était montré leur protecteur et leur libérateur ; et ensuite il les rejeta et les repoussa à cause du mépris qu'ils avaient fait de ses grâces. Oui, M.F., cette précieuse foi nous sera enlevée et sera transportée dans d'autres pays, si nous n'en pratiquons pas les œuvres. Eh bien ! M.F., voulons-nous conserver parmi nous ce précieux dépôt ? Suivons fidèlement les traces de nos pères dans la foi.
Pour nous donner une faible idée de la grandeur du bienfait de notre vocation au christianisme, nous n'avons qu'à considérer ce qu'étaient nos ancêtres avant la venue du Messie, leur Dieu, leur Sauveur, leur lumière et leur espérance. Ils étaient livrés à toutes sortes de crimes et de désordres, ennemis de Dieu même, esclaves du démon, victimes vouées aux vengeances éternelles. Pouvons-nous bien, M.F., ah ! pouvons-nous bien réfléchir sur un état si déplorable, sans remercier ce Dieu de bonté de toute la plénitude de notre cœur, de nous avoir bien voulu appeler à la connaissance de la vraie religion, et d'avoir fait tout ce qu'il a fait pour nous sauver ? O faveur, ô grâce inestimable, si précieuse et si peu connue dans le malheureux siècle où nous vivons, où la plupart ne sont chrétiens que de nom ! Eh bien ! M.F., qu'avons-nous fait à Dieu pour avoir été préférés à tant d'autres qui ont péri, et qui périssent encore tous les jours, dans l'ignorance et le péché ? Hélas ! que dis-je ? Nous sommes encore peut-être plus indignes de ce bonheur que ce peuple infortuné des Juifs. Si nous sommes nés dans le sein de l'Église catholique, pendant que tant d'autres périssent en dehors, c'est par un effet de la bonté de Dieu pour nous. Parlons donc de la vocation à la foi. Considérant la foi dans les Mages, nous verrons qu'ils en pratiquaient les œuvres et que leur fidélité à la grâce fut prompte, généreuse et persévérante. Ensuite nous comparerons notre foi si faible à celle des Mages qui était si vive. Enfin nous parlerons de la reconnaissance que nous devons à Dieu pour le don de la foi qu'il nous a accordé. Pourrions-nous jamais assez remercier le Seigneur d'un tel bonheur ?
I. - 1° Nous disons d'abord que la fidélité des Mages à la grâce fut prompte. En effet, à peine ont-ils aperçu l'étoile miraculeuse, que, sans rien examiner, ils partent pour aller chercher leur Sauveur, si pressés, si brûlants du désir d'arriver au terme où la grâce figurée par l'étoile les appelle, que rien ne peut les retenir. Hélas ! M.F., que nous sommes éloignés de les imiter ! Depuis combien d'années Dieu nous appelle-t-il par sa grâce, en nous donnant la pensée de quitter le péché, de nous réconcilier avec lui ? Mais toujours nous sommes insensibles et rebelles. Oh ! quand arrivera ce jour heureux où nous ferons comme les Mages, qui quittèrent et abandonnèrent tout pour se donner à Dieu !
2° En deuxième lieu, M. .F., nous disons que leur fidélité à leur vocation fut généreuse, puisqu'ils surmontèrent toutes les difficultés et tous les obstacles qui s'y opposaient, pour suivre l'étoile. Hélas ! que de sacrifices n'ont-ils pas à faire ? Il faut abandonner leur pays, leur maison, leur famille, leur royaume, ou pour mieux dire, il faut s'éloigner de tout ce qu'ils ont de plus cher au monde, il faut s'attendre à supporter les fatigues de longs et pénibles voyages, et cela, dans la plus rigoureuse saison de l'année : tout semblait s'opposer à leur dessein. Combien de railleries n'eurent-ils pas à essuyer de la part de leurs égaux, ainsi même que du peuple ! Mais non ! rien n'est capable de les arrêter dans une démarche si importante. Et voilà précisément, M.F., en quoi consiste le mérite de la foi, de renoncer à tout, et de sacrifier ce que l'on a de plus cher pour obéir à la voix de la grâce qui nous appelle.
Hélas ! M.F., s'il nous fallait faire, pour gagner le ciel, des sacrifices comme ceux des Mages, que le nombre des élus serait petit ! Mais non, M.F., faisons seulement autant que nous faisons pour les affaires temporelles, et nous sommes sûrs de gagner le ciel. Voyez : un avare travaillera nuit et jour pour ramasser ou gagner de l'argent. Voyez un ivrogne : il s'épuisera et souffrira la semaine entière pour avoir quelque argent afin de boire le dimanche. Voyez ces jeunes gens aux plaisirs ! Ils feront deux ou trois lieues dans le dessein de trouver quelque plaisir fade et bien mêlé d'amertume. Ils viendront la nuit, au mauvais temps. Arrivés chez eux, au lieu d'être plaints, ils seront grondés, du moins si les parents n'ont pas encore perdu le souvenir que Dieu leur demandera un jour compte de leur âme. Et vous voyez vous-mêmes que dans tout cela, il y a bien des sacrifices à faire ; et cependant rien ne rebute, et l'on vient à bout de tout ;. les uns par fraude, les autres par ruse, tout se fait. Mais hélas, M.F., quand c'est pour ce qui regarde notre salut, que faisons-nous ? Presque tout nous paraît impraticable. Avouons, M.F., que notre aveuglement est bien déplorable, de faire tout ce que nous faisons pour ce misérable monde et de ne rien vouloir faire pour assurer notre bonheur éternel.
Voyons encore, M.F., jusqu'à quel point les Mages portent leur générosité. Arrivés à Jérusalem, l'étoile qui les avait conduits dans leur voyage disparut de devant eux. Ils se croyaient, sans doute, dans le lieu où était né le Sauveur qu'ils venaient` adorer, et pensaient que tout Jérusalem était au comble de la plus grande joie, de la naissance de son libérateur. Quel étonnement ! quelle surprise pour eux, M.F. ! non seulement Jérusalem ne donne aucun signe de joie, elle ignore même que son libérateur est né. Les Juifs sont aussi surpris de voir venir les Mages adorer le Messie que les Mages sont étonnés qu'un tel événement leur soit annoncé. Quelle épreuve pour leur foi ! En fallait-il davantage pour les faire renoncer à leur démarche et retourner le plus secrètement possible dans leur pays, de crainte de servir de fable à tout Jérusalem ? Hélas ! M.F., voilà ce que plusieurs d'entre nous auraient fait, si leur foi avait été mise à une semblable épreuve. Ce ne fut pas sans mystère que l'étoile disparut : c'était pour réveiller la foi des Juifs qui fermaient les yeux sur un tel événement ; il fallait que des étrangers vinssent pour leur reprocher leur aveuglement.
Mais tout cela, bien loin d'ébranler les Mages, ne fait, au contraire, que les affermir dans leur résolution. Abandonnés en apparence de cette lumière, se rebuteront-ils nos saints rois ? Vont-ils tout laisser ? Oh ! non, M.F. : si c'était nous, oui ; sans doute qu'il en faudrait même bien moins. Ils se retournent d'un autre côté, ils vont consulter les docteurs qu'ils savaient avoir entre les mains les prophéties qui leur désignaient le lieu et le moment où le Messie naîtrait, et ils leur demandent dans quel lieu le nouveau Roi des Juifs doit naître. Foulant aux pieds tout respect humain, ils pénètrent jusque dans le palais d'Hérode, et lui demandent où est ce roi nouvellement né, lui déclarant, sans nulle crainte, qu'ils sont venus pour l'adorer. Que le roi s'offense de ce langage, rien n'est capable de les arrêter dans une démarche si importante : ils veulent trouver leur Dieu à quelque prix que ce soit. Quel courage, M.F., quelle fermeté ! Oh ! M.F., où en sommes-nous, nous qui craignons une petite raillerie ? Un qu'en dira-t-on nous empêche de remplir nos devoirs de religion et de fré-quenter les sacrements. Combien de fois n'avons-nous pas rougi de faire le signe de la croix avant et après nos repas ? Combien de fois le respect humain ne nous a-t-il pas fait transgresser les lois de l'abstinence et du jeûne, dans la crainte d'être remarqué et de passer pour un bon chrétien ? Où en sommes-nous, M.F. ? Oh ! quelle honte lorsque, au jour du jugement,- le Sauveur confrontera notre conduite avec celle des Mages, nos pères dans la foi, qui ont tout quitté et tout sacrifié plutôt que de résister à la voix de la grâce qui les appelait.
3° Voyez encore combien fut grande leur persévérance. Les docteurs de la loi leur disent que toutes les prophéties annonçaient que le Messie devait naître dans Bethléem et que le temps était arrivé. A peine ont-ils reçu la réponse, qu'ils partent pour cette ville. Ne devaient-ils pas s'attendre qu'il leur allait arriver ce qui arriva à la sainte Vierge et à saint Joseph ? Que le concours serait si grand qu'ils ne trouveraient point de place ? Pouvaient-ils même douter que les Juifs qui, depuis quatre mille ans, attendaient le Messie ne courussent en foule se jeter aux pieds de cette crèche, pour le reconnaître pour leur Dieu et leur libérateur ? Mais non, M.F., personne ne se donne le moindre mouvement : les Juifs sont dans les ténèbres, et ils y restent. Belle image du pécheur, qui ne cesse d'entendre la voix de Dieu qui lui crie, par la voix de ses pasteurs, de quitter son péché pour se donner à lui, et n'en demeure que plus coupable et plus endurci .
Mais revenons aux saints rois Mages, M.F. Ils partent seuls de Jérusalem ; comme ils sont exacts ! Oh ! quelle foi ! Dieu les laissera-t-il sans récompense ? Non, sans doute. A peine sont-ils sortis de la ville, que ce flambeau, c'est-à-dire cette étoile miraculeuse, reparaît devant eux, semble les prendre par la main pour les faire arriver dans ce pauvre réduit de misère et de pauvreté. Elle s'arrête et semble leur dire : Voilà celui que je suis allé vous annoncer. Voilà celui qui est attendu. Oui, entrez : vous le verrez. Il est celui qui est engendré de toute éternité, et qui vient de naître, c'est-à-dire, qui vient de prendre un corps humain qu'il doit sacrifier pour sauver son peuple. Que cet appareil de misère ne vous rebute point. II est lié avec des bandelettes : mais c'est lui-même qui lance la foudre du plus haut des cieux. Sa vue fait frémir l'enfer, parce que l'enfer y voit son vainqueur. Ces saints rois sentent, dans ce moment, leurs cœurs si brûlants d'amour qu'ils se jettent aux pieds de leur Sauveur et arrosent cette paille de leurs larmes.
Quel spectacle, que des rois reconnaissent pour leur Dieu et Sauveur un enfant couché dans une crèche entre deux vils animaux ! Oh ! que la foi est quelque chose de précieux ! Non seulement cet état de pauvreté ne les rebute pas ; mais ils n'en sont encore que plus touchés et édifiés. Leurs yeux semblaient ne plus pouvoir se rassasier de considérer le Sauveur du monde, le Roi du ciel et de la terre, le Maître de tout l'univers, dans cet état. Les délices dont leurs cœurs furent inondés furent tellement abondantes, qu'ils donnèrent à leur Dieu tout ce qu'ils avaient, et tout ce qu'ils pouvaient lui donner. Dès ce moment, ils consacrent à Dieu leurs personnes, ne voulant pas être maîtres, même de leurs personnes. Non contents de cette offrande, ils offrent encore tout leur royaume. Suivant la coutume des Orientaux, qui n'approchaient jamais les grands princes sans faire des présents, ils offrent à Jésus les plus riches productions de leur pays, c'est-à-dire : de l'or, de l'encens et de la myrrhe ; et, par ces présents, ils exprimaient parfaitement les idées qu'ils avaient conçues du Sauveur, reconnaissant sa divinité, sa souveraineté et son humanité. Sa divinité, par l'encens qui n'est dû qu'à Dieu seul ; son humanité, par la myrrhe qui sert à embaumer les corps ; sa souveraineté, par l'or qui est le tribut ordinaire dont on se sert pour payer les souverains. Mais cette offrande exprimait bien mieux encore les sentiments de leur cœur : leur ardente charité était manifestée par l'or qui en est le symbole ; leur tendre dévotion état figurée par l'encens ; les sacrifices qu'ils faisaient à Dieu d'un cœur mortifié, étaient représentés par la myrrhe.
Quelle vertu, M.F., dans ces trois Orientaux ! Dieu, en voyant la disposition de leurs cœurs, ne devait-il pas dire dès lors ce qu'il dit dans la suite des temps : qu'il n'avait point vu de " foi plus vive en tout Israël ! " En effet, les Juifs avaient le Messie au milieu d'eux, et ils n'y faisaient point attention ; les Mages, quoique fort éloignés ; venaient le chercher et le reconnaître pour leur Dieu. Les Juifs, dans la suite, le traitent comme le plus criminel que la terre eût jamais porté, et finissent par le crucifier dans le temps même qu'il donnait des preuves si évidentes de sa divinité ; tandis que les Mages le voient couché sur la paille, réduit à la plus vile condition, se jettent à ses pieds pour l'adorer, et le reconnaissent pour leur Dieu, leur Sauveur et leur libérateur. Oh ! que la foi est quelque chose de précieux ! Si nous avions le bonheur de bien le comprendre, quel soin n'aurions-nous pas de la conserver en nous !
II. - Lesquels imitons-nous, M.F., des Juifs ou des Mages ? Que voit-on dans la plupart des chrétiens ! Hélas ! une foi faible et languissante ; et combien qui n'ont pas même la foi des démons " qui croient qu'il y a un Dieu
et qui tremblent en sa présence ? " Il est bien facile de s'en convaincre. Voyez, M.F., si nous croyons que Dieu réside dans nos églises lorsque nous y causons, que nous tournons la tête de côté et d'autre, et que nous ne nous mettons pas seulement à genoux pendant qu'il nous montre l'excès de son amour, c'est-à-dire pendant la communion ou même la bénédiction. Croyons-nous qu'il y a un Dieu ? Oh ! non, M.F., ou, si nous le croyons, ce n'est que pour l'outrager. Quel usage, M.F., faisons-nous du don précieux de la foi et des moyens de salut que nous trouvons dans le sein de l'Église catholique ? Quelle ressemblance entre notre vie et la sainteté de notre religion ? Pouvons-nous dire, M.F., que notre profession est conforme aux maximes de l'Évangile, aux exemples que Jésus-Christ nous a donnés ? Estimons-nous, pratiquons-nous tout ce que Jésus-Christ estime et pratique ? C'est-à-dire, aimons-nous la pauvreté, les humiliations et les mépris ? Préférons-nous la qualité de chrétiens à tous les honneurs et à tout ce que nous pouvons posséder et désirer sur la terre ? Avons-nous pour les sacrements ce respect, ce désir et cet empressement à profiter des grâces que le Seigneur nous y prodigue ? Voilà, M.F., sur quoi chacun de nous doit s'examiner.
Hélas ! combien ne sont-ils pas grands et amers, les reproches que nous avons à nous faire sur ces différents points ? A la vue de tant d'infidélités et d'ingratitudes, ne devons-nous pas trembler que Jésus-Christ nous ôte comme aux Juifs ce don précieux de la foi, pour le transporter en d'autres royaumes ou on en ferait meilleur usage ? Pourquoi les Juifs ont-ils cessé d'être le peuple de Dieu ? N'est-ce pas à cause du mépris qu'ils ont fait de ses grâces ? Prenez garde, nous dit saint Paul , si vous ne demeurez pas fermes dans la foi, vous serez comme les Juifs, rejetés et repoussés.
Hélas ! M.F., qui ne tremblerait que ce malheur ne nous arrive, en considérant combien il y a peu de foi sur la terre ? En effet, M.F., quelle foi aperçoit-on parmi les jeunes gens qui devraient consacrer le printemps de leurs jours au Seigneur, pour le remercier de les avoir enrichis de ce dépôt précieux ? Ne les voit-on pas occupés, au contraire, les uns à satisfaire leur vanité, les autres à se contenter dans les plaisirs ? Ne sont-ils pas forcés d'avouer qu'il faudrait leur apprendre qu'ils ont une âme ? Il semble que Dieu ne la leur ait donnée que pour la perdre. - Quelle foi trouverons-nous parmi ceux qui ont atteint l'âge mûr, qui commencent à être désabusés des folies de la jeunesse ? Mais ne sont-ils pas tout occupés, nuit et jour, à augmenter leur fortune ? Pensent-ils à sauver leur pauvre âme, dont la foi leur dit que s'ils la perdent, tout est perdu pour eux ? Non, M.F., non, peu leur importe qu'elle soit perdue ou sauvée, pourvu qu'ils augmentent leurs richesses ! - Enfin, quelle foi aperçoit-on parmi les vieillards qui, dans quelques minutes, vont être cités à paraître devant Dieu pour rendre compte de leur vie, laquelle, peut-être, n'a été qu'un tissu de péchés ? Pensent-ils à profiter du peu de temps que Dieu, dans sa miséricorde, veut bien encore leur accorder, et qui ne devrait être consacré qu'à pleurer leurs fautes ? Ne les voit-on pas ; ne les entendra-t-on pas, autant de fois qu'ils en trouveront l'occasion, faire avec joie bruit des plaisirs qu'ils ont goûtés dans les folies de leur jeunesse ? Hélas ! M.F., nous serons donc forcés d'avouer que la foi est presque éteinte, ou plutôt, c'est ce que disent tous ceux qui n'ont pas encore abandonné leur âme à la tyrannie du démon. En effet, M.F., quelle foi peut-on espérer trouver dans un chrétien qui restera trois, quatre et six mois sans fréquenter les sacrements ? Hélas ! et combien qui restent une année entière, et bien d'autres, trois ou quatre ans ! Craignons, M.F., craignons d'éprouver les mêmes châtiments que Dieu a fait sentir à tant d'autres nations qui, peut-être bien, les avaient moins mérités que nous, ou en avaient fait meilleur usage que nous qui avions été mis à la place des Juifs, et d'où cependant la foi a été transportée ailleurs.
Et que devons-nous faire, M.F., pour avoir le bonheur de n'en être jamais privés ? Il faudra faire comme les Mages qui travaillèrent continuellement à rendre leur foi plus vive. Voyez, M.F., combien les Mages sont attachés à Dieu par la foi ! Lorsqu'ils sont aux pieds de la crèche, ils ne pensent plus à quitter leur Dieu. Ils font comme un enfant qui va se séparer d'un bon père, qui toujours retarde et hésite pour chercher des prétextes, afin de prolonger son bonheur. A mesure que le temps approche, les larmes coulent, le cœur se brise. De même les saints Rois. Quand il fallut quitter la crèche, ils pleuraient à chaudes larmes, ils semblaient être liés par des chaînes. D'un côté, ils étaient pressés par la charité d'aller annoncer ce bonheur à tout leur royaume ; de l'autre, ils étaient obligés de se séparer de celui qu'ils étaient venus chercher de si loin, et qu'ils avaient trouvé après tant de difficultés. Ils se regardaient les uns les autres pour voir celui qui partirait le premier. Mais l'ange leur dit qu'il fallait partir, aller annoncer cette heureuse nouvelle aux peuples de leurs royaumes, mais de ne pas retourner chez Hérode : - que, si Hérode leur avait dit de prendre tant de précautions, de si bien s'informer pour lui désigner le lieu de sa naissance, ce n'était que pour le faire mourir ; mais qu'il fallait passer par un autre chemin. Belle figure d'un pécheur converti qui a quitté le péché pour se donner à Dieu ; il ne doit plus reparaître dans le lieu où il allait auparavant. Ces paroles de l'ange les saisirent de la plus vive douleur. Dans la crainte d'avoir le malheur d'être la cause de sa mort, après avoir pris congé de Jésus, de Marie et de Joseph, ils partent le plus secrètement possible, ne suivent point le grand chemin, de peur de donner quelques soupçons. Au lieu d'aller coucher dans les auberges, ils passent les nuits au pied des arbres, au coin des rochers, et font à peu près trente lieues de cette manière.
A peine sont-ils arrivés dans leur pays qu'ils annoncent à toutes leurs principautés leur dessein de quitter et d'abandonner tout ce qu'ils possédaient, ne pouvant se résoudre à posséder quelque chose, après avoir vu leur Dieu dans une si grande pauvreté ; et ils s'estiment infiniment heureux de pouvoir l'imiter au moins en cela. Les nuits sont employées à la prière, et les jours à courir les maisons de ville en ville, pour faire part à tous du bonheur qu'ils avaient, de tout ce qu'ils avaient vu dans cette étable, des larmes que ce Dieu naissant avait déjà répandues pour pleurer leurs péchés. Ils exerçaient des pénitences rigoureuses sur leurs corps ; ils ressemblaient à trois anges qui parcouraient les provinces de leur pays .pour préparer les voies du Seigneur ; ils ne pouvaient parler du doux Sauveur sans verser des larmes continuelles, et chaque fois qu'ils s'entretenaient ensemble de ce moment heureux où ils étaient dans cette étable, il leur semblait mourir d'amour. Oh ! ne pouvaient-ils pas, M.F., se dire comme les disciples d'Emmaüs : « Nos cœurs ne nous semblaient-ils pas tout brûlants d'amour », lorsque nous étions prosternés à ses pieds dans ce pauvre réduit de misère ? Ah ! s'ils avaient eu le bonheur que nous avons maintenant, de l'emporter dans leur cœur, ne se seraient-ils pas écriés avec les mêmes transports d'amour que dans la suite saint François : « Oh ! Seigneur, diminuez votre amour, ou .bien augmentez mes forces, je ne puis plus y tenir ? » Oh ! avec quel grand soin ne l'auraient-ils pas conservé ? S'il leur avait dit qu'un seul péché le leur ferait perdre, n'auraient-ils pas cent fois préféré de mourir que de s'attirer un tel malheur ? Oh ! que leurs vies furent pures et édifiantes pendant les quatre-vingt-quatorze ans qu'ils survécurent à la naissance du Sauveur !
Saint Thomas, nous dit-on, après l'Ascension du Sauveur, alla annoncer l'Évangile dans leur pays. Il les trouva tous les trois. Depuis qu'ils étaient sortis de l'étable, ils n'avaient cessé d'étendre la foi dans leur pays. Saint Thomas, ravi de les voir si remplis de l'esprit de Dieu et déjà élevés à une si haute sainteté, trouva tous les cœurs déjà disposés à recevoir la grâce du salut, par les soins qu'avaient pris les saints Rois. Il leur raconta tout ce que le Sauveur avait fait et enduré depuis qu'ils avaient eu le bonheur de le voir dans la crèche, qu'il avait vécu jusqu'à l'âge de trente ans, travaillé dans l'obscurité, qu'il était soumis à la sainte Vierge et à saint Joseph, qu'ils avaient vécu à côté de lui, et que saint Joseph était mort longtemps avant lui ; mais que la sainte Vierge vivait encore, que c'était un des disciples de Jésus qui en avait soin. Il leur raconta que le Sauveur avait souffert pendant les trois dernières années de sa vie tout ce que l'on aurait pu faire souffrir au plus grand criminel du monde : que quand il allait annoncer qu'il était venu pour les sauver, qu'il était le Messie attendu depuis tant de siècles, qu'il leur apprenait ce qu'il fallait faire pour profiter des grâces qu'il leur apportait, on le chassait des assemblées, à coups de pierres. Il avait parcouru beaucoup de pays en guérissant les malades qu'on lui apportait, ressuscitant les morts et délivrant les personnes possédées du démon. La cause de sa mort fut un de ceux qu'il avait choisis pour annoncer l'Évangile, qui, étant dominé par l'avarice, le vendit trente deniers. On l'avait lié comme un criminel, attaché à une colonne, où il avait été frappé d'une manière si cruelle, qu'il n'était plus reconnaissable. Il avait été traîné par les rues de Jérusalem, chargé d'une croix qui le faisait tomber à chaque pas ; son sang arrosait les pierres où il passait, et, à mesure qu'il tombait, les bourreaux le relevaient à coups de pieds et de bâtons ; qu'ils avaient fini par le crucifier, et que, bien loin de se venger de tant d'outrages, il n'avait cessé de prier pour eux ; qu'il avait expiré sur cette croix, où les passants et les Juifs le chargeaient de malédictions. Puis, trois jours après, il était ressuscité ainsi qu'il l'avait prédit lui-même ; et quarante jours après, il était monté au ciel. Thomas en avait été témoin, ainsi que les Apôtres qui avaient suivi Jésus dans sa mission.
Au récit de tout ce que le Sauveur avait souffert, les saints Rois semblaient ne plus pouvoir vivre. On l'a fait mourir, ce tendre Sauveur, disaient-ils ! Ah ! a-t-on bien pu être aussi cruel ? Et il les a encore pardonnés ! Oh ! qu'il est bon ! oh ! qu'il est miséricordieux ! Et ils ne pouvaient retenir ni leurs larmes, ni leurs sanglots, tant ils, étaient pénétrés de douleur. Saint Thomas les baptisa, les ordonna prêtres, et les consacra évêques, afin qu'ils eussent plus de pouvoir pour étendre la foi après leur consécration. Ils étaient si animés de l'amour de Dieu, qu'ils criaient à tous ceux qu'ils rencontraient : Venez, M.F., venez, nous vous dirons ce qu'a souffert ce Messie que nous avons vu autrefois dans cette crèche.