246. 2 Comme le principal mystère qu'on célèbre et qu'on
honore en cette dévotion est le mystère de l'Incarnation, où
on ne peut voir Jésus-Christ qu'en Marie, et incarné dans son
sein, il est plus à propos de dire l'esclavage de Jésus en
Marie, de Jésus résidant et règnant en Marie, selon cette
belle prière de tant de grands hommes: O Jésus, vivant en
Marie, venez et vivez en nous, en votre esprit de sainteté,
etc.
247. 3 Cette manière de parler montre davantage l'union
intime qu'il ya a entre Jésus et Marie. Ils sont unis si
intimement, que l'un est tout dans l'autre: Jésus est tout en
Marie, et Marie toute en Jésus; ou plutôt, elle n'est plus,
mais Jésus tout seul en elle; et on séparerait plutôt la
lumière du Soleil, que Marie de Jésus. En sorte qu'on peut
nommer Notre-Seigneur Jésus de Marie, et la Sainte Vierge
Marie de Jésus.
248. Le temps ne me permettant pas de m'arrêter ici pour
expliquer les excellences et les grandeurs du mystère de Jésus
vivant et règnant en Marie, ou de l'Incarnation du Verbe, je
me contenterai de dire en trois mots que c'est ici le premier
mystère de Jésus-Christ, le plus caché, le plus relevé et le
moins connu; que c'est en ce mystère que Jésus, de concert
avec Marie, dans son sein, qui est pour cela appelé des saints
aula sacramentorum, la salle des secrets de Dieu, a choisi
tous les élus; que c'est en ce mystère qu'il a opéré tous les
mystères de sa vie qui ont suivi, par l'acceptation qu'il en
fit: Jesus ingrediens mundum dicit: Ecce venio ut faciam,
voluntatem tuam etc.; et, par conséquent, que ce mystère est
un abrégé de tous les mystères, qui renferme la volonté et la
grâce de tous; enfin, que ce mystère est le trône de la
miséricorde, de la libéralité et de la gloire de Dieu. Le
trône de sa miséricorde pour nous, parce que, comme on ne peut
approcher de Jésus que par Marie, on ne peut voir Jésus ni lui
parler que par l'entremise de Marie. Jésus, qui exauce
toujours sa chère Mère, y accorde toujours sa grâce et sa
miséricorde aux pauvres pécheurs: Adeamus ergo cum fiducia ad
thronum gratiae. C'est le trône de sa libéralité pour Marie,
parce que, tandis que ce nouvel Adam a demeuré dans ce vrai
paradis terrestre, il y a opéré tant de merveilles en cachette
que ni les anges, ni les hommes ne les comprennent point;
c'est pourquoi les saints appellent Marie la magnificence de
Dieu: Magnificentia Dei, comme si Dieu n'était magnifique
qu'en Marie: Solummodo ibi magnificus [est] Dominus. C'est le
trône de sa gloire pour son Père, parce que c'est en Marie que
Jésus-Christ a parfaitement calmé son Père, irrité contre les
hommes; qu'il a parfaitement réparé la gloire que le péché lui
avait ravie, et que, par le sacrifice qu'il y a fait de sa
volonté et de lui-même, il lui a donné plus de gloire que
jamais ne lui avaient donné tous les sacrifices de l'ancienne
loi, et enfin qu'il lui a donné une gloire infinie, que
jamais il n'avait encore reçue de l'homme.
[Grande dévotion à l'Ave Maria et au chapelet]
249. Cinquième pratique. - Ils auront une grande dévotion à
dire l'Ave Maria, ou la Salutation angélique, dont peu de
chrétiens, quoique éclairés, connaissent le prix, le mérite,
l'excellence et la nécessité. Il a fallu que la Sainte Vierge
ait apparu plusieurs fois à de grands saints fort éclairés
pour leur en montrer le mérite, comme à saint Dominique, à
saint Jean de Capistran, au bienheureux Alain de la Roche. Ils
ont composé des livres entiers des merveilles et de l'efficace
de cette prière pour convertir les pécheurs; ils ont publié
hautement, ils ont prêché publiquement que le salut du monde
ayant commencé par l'Ave Maria, le salut de chacun en
particulier était attaché à cette prière; que c'est cette
prière qui a fait porter à la terre sèche et stérile le fruit
de vie, et que c'est cette même prière, bien dite, qui doit
faire germer en nos âmes la parole de Dieu et porter le fruit
de vie, Jésus-Christ; que l'Ave Maria est une rosée céleste
qui arrose la terre, c'est-à-dire l'âme pour la faire porter
son fruit en son temps; et qu'une âme qui n'est pas arrosée
par cette prière ou rosée céleste ne porte point de fruit et
ne donne que des ronces et des épines, et est prête d'être
maudite.
250. Voici ce que la Très Sainte Vierge révéla au bienheureux
Alain de la Roche, comme il est marqué dans son livre De
dignitate Rosarii, et depuis par Cartagena: Sache, mon fils,
et fais-le connaître à tous, qu'un signe probable et prochain
de la damnation éternelle est d'avoir de l'aversion, de la
tiédeur et de la négligence à dire la Salutation angélique,
qui a réparé tout le monde: Scias enim et secure intelligas et
inde late omnibus patefacias, quod videlicet signum probabile
est et propinquum aeternae damnationis horrere et attediari ac
negligere Salutationem angelicam, totius mundi reparativam (De
dignit., cap 11). Voilà des paroles bien consolantes et bien
terribles, qu'on aurait peine à croire si nous n'en avions
pour garants ce saint homme et saint Dominique devant lui, et
depuis plusieurs grands personnages, avec l'expérience de
plusieurs siècles. Car on a toujours remarqué que ceux qui
portent la marque de la réprobation, comme tous les hérétiques
et impies, orgueilleux et mondains, haïssent ou méprisent
l'Ave Maria et le chapelet. Les hérétiques apprennent et
récitent encore le Pater, mais non pas l'Ave Maria, ni le
chapelet; c'est leur horreur: ils porteraient plutôt un
serpent sur eux qu'un chapelet. Les orgueilleux aussi, quoique
catholiques, comme ayant les mêmes inclinations que leur père
Lucifer, méprisent ou n'ont que de l'indifférence pour l'Ave
Maria, et regardent le chapelet comme un dévotion de
femmelette qui n'est bonne que pour les ignorants et ceux qui
ne savent point lire. Au contraire, on a vu, par expérience,
que ceux et celles qui ont d'ailleurs de grandes marques de
prédestination aiment, goûtent et récitent avec plaisir l'Ave
Maria; et que plus ils sont à Dieu, et plus ils aiment cette
prière. C'est ce que la Sainte Vierge dit aussi au bienheureux
Alain, en suite des paroles que je viens de citer.
251. Je ne sais pas comment cela se fait ni pourquoi, mais
cela est pourtant vrai; et je n'ai pas un meilleur secret,
pour connaître si une personne est de Dieu, que d'examiner si
elle aime à dire l'Ave Maria et le chapelet. Je dis: elle
aime; car il peut arriver qu'une [personne] soit dans
l'impossibilité naturelle ou même surnaturelle de le dire,
mais elle l'aime toujours et elle l'inspire aux autres.
252. AMES PREDESTINEES, ESCLAVES DE JESUS EN MARIE, apprenez
que l'Ave Maria est la plus belles de toutes les prières après
le Pater; c'est le plus parfait compliment que vous puissiez
faire à Marie, puisque c'est le compliment que le Très-Haut
lui envoya faire par un archange pour gagner son coeur; et il
fut si puissant sur son coeur, par les charmes secrets dont il
est plein, que Marie donna son consentement à l'Incarnation du
Verbe, malgré sa profonde humilité. C'est par ce compliment
aussi que vous gagnerez infailliblement son coeur, si vous le
dites comme il faut.
253. L'Ave Maria bien dit, c'est-à-dire avec attention,
dévotion et modestie, est, selon les saints, l'ennemi du
diable, qui le met en fuite, et le marteau qui l'écrase, la
sanctification de l'âme, la joie des anges, la mélodie des
prédestinés, le cantique du Nouveau Testament, le plaisir de
Marie et la gloire de la Très Sainte Trinité. L'Ave Maria est
une rosée céleste qui rend l'âme féconde; c'est un baiser
chaste et amoureux qu'on donne à Marie, c'est une rose
vermeille qu'on lui présente, c'est une perle précieuse qu'on
lui offre, c'est un coup d'ambroisie et de nectar divin qu'on
lui donne. Toutes ces comparaisons sont des saints.
254. Je vous prie donc instamment, par l'amour que je vous
porte en Jésus et en Marie, de ne vous pas contenter de
réciter la petite couronne de la Sainte Vierge, mais encore
votre chapelet, et même, si vous en avez le temps, votre
rosaire, tous les jours, et vous bénirez, à l'heure de votre
mort, le jour et l'heure que vous m'avez cru; et, après avoir
semé dans les bénédictions de Jésus et de Marie, vous
recueillerez des bénédictions éternelles dans le ciel: Qui
seminat in benedictionibus, de benedictionibus et metet. [2 Co
9,6]
[Récitation du Magnificat]
255. Sixième pratique. - Pour remercier Dieu des grâces qu'il
a faites à la Très Sainte Vierge, ils diront souvent le
Magnificat, à l'exemple de la bienheureuse Marie d'Oignies et
de plusieurs autres saints. C'est la seule prière et le seul
ouvrage que la Sainte Vierge ait composé, ou plutôt que Jésus
a fait en elle, car il parlait par sa bouche. C'est le plus
grand sacrifice de louange que Dieu ait reçu dans la loi de
grâce. C'est d'un côté le plus humble et le plus
reconnaissant, et de l'autre le plus sublime et le plus relevé
de tous les cantiques: il y a dans ce cantique des mystères si
grands et si cachés, que les anges en ignorent. Gerson, qui a
été un docteur si pieux et si savant, après avoir employé une
grande partie de sa vie à composer des traités si pleins
d'érudition et de piété sur les matières les plus difficiles,
n'entreprit qu'en tremblant, vers la fin de sa vie,
d'expliquer le Magnificat, afin d'en couronner tous ses
ouvrages. Il nous rapporte, dans un volume in-folio qu'il en a
composé, plusieurs choses admirable du beau et divin cantique.
Entre autres choses, il dit que la Très Sainte Vierege le
récitait souvent elle-même, et particulièrement après la
Sainte Communion, pour action de grâces. Le savant Benzonius,
en expliquant le même Magnificat, rapporte plusieurs miracles
opérés par sa vertu, et il dit que les diables tremblent et
s'enfuient quand ils entendent ces paroles du Magnificat:
Fecit potentiam in brachio suo, dispersit superbos mente
cordis sui.
[Le mépris du monde]
256. Septième pratique. - Les fidèles serviteurs de Marie
doivent beaucoup mépriser, haïr et fuir le monde corrompu, et
se servir des pratiques de mépris du monde que nous avons
données dans la première partie.
Pratiques particulières et intérieures pour ceux qui veulent
devenir parfaits.
257. Outre les pratiques extérieures qu'on vient de rapporter,
lesquelles il ne faut pas omettre par négligence ni mépris,
autant que l'état et condition de chacun le permet, voici des
pratiques intérieures bien sanctifiantes pour ceux que le
Saint-Esprit appelle à une haute perfection.
C'est en quatre mots, de faire toutes ses actions PAR
MARIE, AVEC MARIE, EN MARIE et POUR MARIE, afin de les faire
plus parfaitement par Jésus-Christ, avec Jésus-Christ, en
Jésus et pour Jésus.
[Faire toutes ses actions par Marie]
258. 1 Il faut faire ses actions par Marie, c'est-à-dire
qu'ils faut qu'ils obéissent en toutes choses à la Très Sainte
Vierge, et qu'ils se conduisent en toutes choses par son
esprit, qui est le Saint-Esprit de Dieu. Ceux qui sont
conduits de l'esprit de Dieu sont enfants de Dieu: Qui spiritu
Dei aguntur, ii sunt filii Dei. Ceux qui sont conduits par
l'esprit de Marie sont enfants de Marie, et, par conséquent,
enfants de Dieu, comme nous avons montré, et parmi tant de
dévots à la Sainte Vierge, il n'y a de vrais et fidèles dévots
que ceux qui se conduisent par son esprit. J'ai dit que
l'esprit de Marie était l'esprit de Dieu, parce qu'elle ne
s'est jamais conduite par son propre esprit, mais toujours par
l'esprit de Dieu, qui s'en est tellement rendu le maître qu'il
est devenu son propre esprit. C'est pourquoi saint Ambroise
dit: Sit in singulis, etc.: Que l'âme de Marie soit en chacun
pour glorifier le Seigneur; que l'esprit de Marie soit en
chacun pour se réjouir en Dieu. Qu'une âme est heureuse quand,
à l'exemple d'un bon frère Jésuite, nommé Rodriguez, mort en
odeur de sainteté, elle est toute possédée et gouvernée par
l'esprit de Marie, qui est un esprit doux et fort, zélé et
prudent, humble et courageux, pur et fécond!
259. Afin que l'âme se laisse conduire par cet esprit de
Marie, il faut: 1 Renoncer à son propre esprit, à ses propres
lumières et volontés avant de faire quelque chose: par
exemple, avant de faire oraison, dire ou entendre la sainte
Messe, communier, etc.; parce que les ténèbres de notre propre
esprit et la malice de notre propre volonté et opération, si
nous les suivons, quoiqu'elles nous paraissent bonnes,
mettraient obstacle à l'esprit de Marie. 2 Il faut se livrer
à l'esprit de Marie pour en être mus et conduits de la manière
qu'elle voudra. Il faut se mettre et se laisser entre ses
mains virginales, comme un instrument entre les mains de
l'ouvrier, comme un luth entre les mains d'un bon joueur. Il
faut se perdre et s'abandonner en elle, comme un pierre qu'on
jette dans la mer: ce qui se fait simplement et en un instant,
par une seule oeillade de l'esprit, par un petit mouvement de
la volonté, ou verbalement, en disant, par exemple: Je renonce
à moi, je me donne à vous, ma chère Mère. Et quoiqu'on ne
sente aucune douceur sensible dans cet acte d'union, il ne
laisse pas d'être véritable: tout comme si on disait ce qu'à
Dieu ne plaise: Je me donne au diable, avec autant de
sincérité, quoiqu'on le dît sans changement sensible, on n'en
serait pas moins véritablement au diable. 3 Il faut, de temps
en temps, pendant son action et après l'action, renouveler le
même acte d'offrande et d'union; plus on le fera, et plus tôt
on se sanctifiera, et plus tôt on arrivera à l'union à Jésus-
Christ, qui suit toujours nécessairement l'union à Marie,
puisque l'esprit de Marie est l'esprit de Jésus.
[Faire toutes ses actions avec Marie]
260. 2 Il faut faire ses actions avec Marie: c'est-à-dire
qu'il faut, dans ses actions, regarder Marie comme un modèle
accompli de toute vertu et perfection que le Saint-Esprit a
formé dans un pure créature, pour imiter selon notre petite
portée. Il faut donc qu'en chaque action nous regardions comme
Marie l'a faite ou la ferait, si elle était en notre place.
Nous devons pour cela examiner et méditer les grandes vertus
qu'elle a pratiquées pendant sa vie, particulièrement: 1. sa
foi vie, par laquelle elle a cru sans hésiter la parole de
l'ange; elle a cru fidèlement et constamment jusqu'au pied de
la croix sur le Calvaire; 2. son humilité profonde, qui l'a
fait se cacher, se taire, se soumettre à tout et se mettre la
dernière; 3. sa pureté toute divine, qui n'a jamais ni n'aura
jamais de pareille sous le ciel, enfin toutes ses autres
vertus.
Qu'on se souvienne, je le répète une deuxième fois, que
Marie est le grand et l'unique moule de Dieu, propre à faire
des images vivantes de Dieu, à peu de frais et en peu de
temps; et qu'une âme qui a trouvé ce moule, et qui s'y perd,
est bientôt changée en Jésus-Christ, que ce moule représente
au naturel.
[Faire toutes ses actions en Marie]
261. 3 Il faut faire ses actions en Marie.
Pour bien comprendre cette pratique il faut savoir:
1 Que la Très Sainte Vierge est le vrai paradis
terrestre du nouvel Adam, et que l'ancien paradis terrestre
n'en était que la figure. Il y a donc, dans ce paradis
terrestre, des richesses, des beautés, des raretés et des
douceurs inexplicables, que le nouvel Adam, Jésus-Christ, y a
laissées. C'est en ce paradis qu'il a pris ses complaisances
pendant neuf mois, qu'il a opéré ses merveilles et qu'il a
étalé ses richesses avec la magnificence d'un Dieu. Ce très
saint lieu n'est composé que d'une terre vierge et immaculée,
dont a été formé et nourri le nouvel Adam, sans aucune tache
ni souillure, par l'opération du Saint-Esprit, qui y habite.
C'est en ce paradis terrestre où est véritablement l'arbre de
vie qui a porté Jésus-Christ, le fruit de vie; l'arbre de
science du bien et du mal qui a donné la lumière au monde. Il
y a, en ce lieu divin, des arbres plantés de la main de Dieu
et arrosés de son onction divine, qui ont porté et portent
tous les jours des fruits d'un goût divin; il y a des
parterres émaillés de belles et différentes fleurs des vertus,
qui jettent une odeur qui embaume même les anges. Il y a dans
ce lieu des prairies vertes d'espérance, des tours imprenables
de force, des maisons charmantes de confiance, etc. Il n'y a
que le Saint-Esprit qui puisse faire connaître la vérité
cachée sous ces figures de choses matérielles. Il y a encore
en ce lieu un air pur, sans infection, de pureté; un beau
jour, sans nuit, de l'humanité sainte; un beau soleil, sans
ombre, de la Divinité; une fournaise ardente et continuelle de
charité, où tout le fer qui [y] est mis est embrasé et changé
en or; il y a un fleuve d'humilité qui sourd de la terre et
qui, se divisant en quatre branches, arrose tout ce lieu
enchanté; ce sont les quatre vertus cardinales.
262. [2] Le Saint-Esprit, par la bouche des saints Pères,
appelle aussi la Sainte Vierge: 1. la porte orientale, par où
le grand prêtre Jésus-Christ entre et sort dans le monde; il y
est entré la première fois par elle, et il viendra la seconde;
2. le sanctuaire de la Divinité, le repos de la très Sainte
Trinité, le trône de Dieu, la cité de Dieu, l'autel de Dieu,
le temple de Dieu, le monde de Dieu. Toutes ces différentes
épithètes et louanges sont très véritables, par rapport aux
différentes merveilles de grâces que le Très-Haut a faites en
Marie. Oh! quelles richesses! Oh! quelle gloire! Oh! quel
plaisir! Oh! quel bonheur de pouvoir entrer et demeurer en
Marie, où le Très-Haut a mis le trône de sa gloire suprème!
263. Mais qu'il est difficile à des pécheurs comme nous sommes
d'avoir la permission et la capacité et la lumière pour entrer
dans un lieu si haut et si saint, qui est gardé non par un
chérubin, comme l'ancien paradis terrestre, mais par le Saint-
Esprit même qui s'en est rendu le maître absolu, de laquelle
il dit: Hortus conclusus soror mea sponsa, hortus conclusus,
fons signatus. Marie est fermée; Marie est scellée; les
misérables enfants d'Adam et d'Eve, chassés du paradis
terrestre, ne peuvent entrer à celui-ci que par une grâce
particulière du Saint-Esprit, qu'ils doivent mériter.
264. Après que, par sa fidélité, on a obtenu cette insigne
grâce, il faut demeurer dans le bel intérieur de Marie avec
complaisance, s'y reposer en paix, s'y appuyer avec confiance,
s'y cacher avec assurance et s'y perdre sans réserve, afin que
dans ce sein virginal: 1. l'âme soit nourrie du lait de sa
grâce et de sa miséricorde maternelle; 2. y soit délivrée de
ses troubles, craintes et scrupules; 3. y soit en sûreté
contre tous ses ennemis, le démon, le monde et le péché, qui
n'y ont jamais eu entrée: c'est pourquoi elle dit que ceux qui
opèrent en elle ne pècheront point: Qui operantur in me, non
peccabunt, c'est-à-dire ceux qui demeurent en la Sainte Vierge
en esprit ne feront point de péché considérable; 4. afin
qu'elle soit formée en Jésus-Christ et que Jésus-Christ soit
formé en elle: parce que son sein est, comme disent les Pères,
la salle des sacrements divins, où Jésus-Christ et tous les
élus ont été formés: Homo et homo natus est in ea.
[Faire toutes ses actions pour Marie]
265. 4 Enfin il faut faire toutes ses actions pour Marie,
Car, comme on s'est tout livré à son service, il est juste
qu'on fasse tout pour elle comme un valet, un serviteur et un
esclave; non pas qu'on la prenne pour la dernière fin de ses
services, qui est Jésus-Christ seul, mais pour sa fin
prochaine et son milieu mystérieux, et son moyen aisé pour
aller à lui. Ainsi qu'un bon serviteur et esclave, il ne faut
pas demeurer oisif; mais il faut, appuyé de sa protection,
entreprendre et faire de grandes choses pour cette auguste
Souveraine. Il faut défendre ses privilèges quand on les lui
dispute; il faut soutenir sa gloire quand on l'attaque; il
faut attirer tout le monde, si on peut, à son service et à
cette vraie et solide dévotion; il faut parler et crier contre
ceux qui abusent de sa dévotion pour outrager son Fils; il ne
faut prétendre d'elle, pour récompense de ses petits services,
que l'honneur d'appartenir à une si aimable Princesse, et le
bonheur d'être par elle uni à Jésus, son Fils, d'un lien
indissoluble dans le temps et l'éternité.
GLOIRE A JESUS EN MARIE!
GLOIRE A MARIE EN JESUS!
GLOIRE A DIEU SEUL!
[SUPPLEMENT]
MANIERE DE PRATIQUER CETTE DEVOTION
DANS LA SAINTE COMMUNION
AVANT LA COMMUNION
266. 1 Vous vous humilierez profondément devant Dieu. 2 Vous
renoncerez à votre fond tout corrompu et à vos dispositions,
quelques bonnes que votre amour-propre vous les fasse voir. 3
Vous renouvellerez votre consécration en disant: Tuus totus
ego sum, et omnia mea tua sunt: Je suis tout à vous ma chère
Maîtresse, avec tout ce que j'ai. 4 Vous supplierez cette
bonne Mère de vous prêter son coeur, pour y recevoir son Fils
dans ses mêmes dispositions. Vous lui représenterez qu'il y va
de la gloire de son Fils de n'être pas mis dans un coeur aussi
souillé que le vôtre et aussi inconstant, qui ne manquerait
pas de lui ôter de sa gloire ou de le perdre; mais si elle
veut venir habiter chez vous pour recevoir son Fils, elle le
peut par le domaine qu'elle a sur les coeurs; et que son Fils
sera par elle bien reçu sans souillure et sans danger d'être
outragé ni perdu: Deus in medio ejus non commovebitur. Vous
lui direz confidemment que tout ce que vous lui avez donné de
votre bien est peu de chose pour l'honorer, mais que, par la
sainte communion, vous voulez lui faire le même présent que le
Père éternel lui a fait, et qu'elle en sera plus honorée que
si vous lui donniez tous les biens du monde; et qu'enfin
Jésus, qui l'aime uniquement, désire encore prendre en elle sa
complaisance et son repos, quoique dans votre âme plus sale et
plus pauvre que l'étable, où Jésus ne fit pas difficulté de
venir parce qu'elle y était. Vous lui demanderez son coeur par
ces tendres paroles: Accipio te in mea omnia. Praebe mihi cor
tuum, o Maria!
DANS LA COMMUNION
267. 2 Prêt de recevoir Jésus-Christ, après le Pater, vous
lui direz trois fois: Domine, non sum dignus, etc., comme si
vous disiez, la première fois, au Père éternel, que vous
n'êtes pas digne, à cause de vos mauvaises pensées et
ingratitudes à l'égard d'un si bon Père, de recevoir son Fils
unique, mais que voici Marie, sa servante: Ecce ancilla
Domini, qui fait pour vous, et qui vous donne une confiance et
espérance singulière auprès de sa Majesté: Quoniam
singulariter in spe constituisti me.
268. Vous direz au Fils: Domine, non sum dignus, etc., que
vous n'êtes pas digne de le recevoir à cause de vos paroles
inutiles et mauvaises et votre infidélité en son service; mais
cependant que vous le priez d'avoir pitié de vous parce que
vous l'introduirez dans la maison de sa propre Mère et de la
vôtre, et que vous ne le laisserez point aller qu'il ne soit
venu loger chez elle: Tenui eum, nec dimittam, donec
introducam illum in domum matris meae, et in cubiculum
genitrix meae (Cant 3,4). Vous le prierez de se lever et de
venir dans le lieu de son repos et dans l'arche de sa
sanctification: Surge, Domine, in requiem tuam, tu et arca
santificationis tuae. [Vous lui direz] que vous ne mettez
aucunement votre confiance dans vos mérites, votre force et
vos préparations, comme Esaü, mais dans celles de Marie, votre
chère Mère, comme le petit Jacob dans les soins de Rébecca;
que, tout pécheur et Esaü que vous êtes, vous osez vous
approcher de sa sainteté, appuyé et orné des mérites et vertus
de sa sainte Mère.
269. Vous direz au Saint-Esprit: Domine, non sum dignus, que
vous n'êtes pas digne de recevoir le chef-d'oeuvre de sa
charité, à cause de la tiédeur et iniquité de vos actions et
de vos résistances à ses inspirations, mais que toute votre
confiance est Marie, sa fidèle Epouse; et dites avec saint
Bernard: Haec maxima mea fiducia; haec tota ratio spei meae.
Vous pourrez même le prier de survenir encore en Marie, son
Epouse indissoluble; que son sein est aussi pur et son coeur
aussi embrasé que jamais; et que sans sa descente dans votre
âme, ni Jésus ni Marie n'y seront point formés, ni dignement
logés.
APRS LA COMMUNION
270. Après la sainte communion, étant intérieurement
recueilli, et les yeux fermés, vous introduirez Jésus-Christ
dans le coeur de Marie. Vous le donnerez à sa Mère, qui le
recevra amoureusement, le placera honorablement, l'adorera
profondément, l'aimera parfaitement, l'embrassera étroitement,
et lui rendra, en esprit et en vérité, plusieurs devoirs qui
nous sont inconnus dans nos ténèbres épaisses.
271. Ou bien vous vous tiendrez profondément humilié dans
votre coeur, en la présence de Jésus résidant en Marie. Ou
vous vous tiendrez comme un esclave à la porte du palais du
Roi, où il est à parler à la Reine; et tandis qu'ils se
parlent l'un à l'autre, sans avoir besoin de vous, vous irez
en esprit au ciel et par toute la terre, prier les créatures
de remercier, adorer et aimer Jésus et Marie en votre place:
Venite, adoremus, venite, etc.
272. Ou bien, vous demanderez vous-même à Jésus en union de
Marie, l'avènement de son règne sur la terre par sa sainte
Mère, ou la divine sagesse, ou l'amour divin, ou le pardon de
vos péchés, ou quelque autre grâce, mais toujours par Marie et
en Marie; disant en vous regardant de travers: Ne respicias,
Domine, peccata mea. Seigneur, ne regardez pas mes péchés; sed
oculi tui videant aequitates Mariae: mais que vos yeux ne
regardent en moi que les vertus et mérites de Marie. Et en
vous souvenant de vos péchés, vous ajouterez: Inimicus homo
hoc fecit: C'est moi, qui suis le plus [grand] ennemi que j'ai
sur les bras, qui ai fait ces péchés; ou bien: Ab homine
iniquo et doloso erue me, ou bien: Te oportet crescere, me
autem minui: Mon Jésus, il faut que vous croissiez dans mon
âme et que je décroisse. Marie, il faut que vous croissiez
chez moi, et que je sois moins que je n'ai été. Crescite et
multiplicamini: O Jésus et Marie, croissez en moi, et
multipliez-vous au dehors dans les autres.
273. Il y a une infinité d'autres pensées que le Saint-Esprit
fournit, et vous fournira si vous êtes bien intérieur,
mortifié et fidèle à cette grande et sublime dévotion que je
viens de vous enseigner. Mais souvenez-vous que plus vous
laisserez agir Marie dans votre communion, et plus Jésus sera
glorifié; et vous laisserez plus agir Marie pour Jésus, et
Jésus en Marie, que vous vous humilierez plus profondément et
vous les écouterez avec paix et silence, sans vous mettre en
peine de voir, goûter, ni sentir; car le juste vit partout de
la foi, et particulièrement dans la sainte communion, qui est
une action de foi: Justus meus ex fide vivit.