Thérèse de Lisieux "La Sacristine"
Tableau de sa soeur Céline (1869-1959)
1913
"23 Jésus lui répondit : Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole, et mon Père l'aimera ; nous viendrons à lui, et nous ferons notre demeure chez lui.
24 Celui qui ne m'aime pas ne garde point mes paroles. Et la parole que vous entendez n'est pas de moi, mais du Père qui m'a envoyé.
25 Je vous ai dit ces choses pendant que je demeure avec vous.
26 Mais le consolateur, l'Esprit Saint, que le Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses, et vous rappellera tout ce que je vous ai dit.
27 Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. Je ne vous donne pas comme le monde donne. Que votre coeur ne se trouble point, et ne s'alarme point."
Jean 14 : 23-27 (Louis Segond)
Portrait de Sainte-Thérèse de l'Enfant-Jésus
d'après un tableau de sa soeur Céline Martin
(Sœur Geneviève de la Sainte-Face)
"Ce qui m'attire vers la patrie des cieux
c'est l'appel du Seigneur, c'est l'espoir de l'aimer enfin
comme je l'ai tant désiré, et la pensée que je pourrai le faire aimer
d'une multitude d'âmes qui les béniront éternellement."
(écriture de la petite Thérèse)
"Vivre d'amour !"
Air du cantique : Il est à moi !
"Au soir d'amour, parlant sans parabole,
Jésus disait : « Si quelqu'un veut m'aimer,
« Fidèlement qu'il garde ma parole,
« Mon Père et moi viendrons le visiter ;
« Et, de son cœur, faisant notre demeure,
« Notre palais, notre vivant séjour,
« Rempli de paix, nous voulons qu'il demeure
« En notre amour. »
Vivre d'amour, c'est te garder toi-même,
Verbe incréé ! Parole de mon Dieu !
Ah! tu le sais, divin Jésus, je t'aime !
L'Esprit d'amour m'embrase de son feu.
C'est en t'aimant que j'attire le Père,
Mon faible cœur le garde sans retour ;
O Trinité ! vous êtes prisonnière
De mon amour.
Vivre d'amour, c'est vivre de ta vie,
Roi glorieux, délices des élus !
Tu vis pour moi caché dans une hostie...
Je veux pour toi me cacher, ô Jésus !
A des amants il faut la solitude,
Un cœur à cœur qui dure nuit et jour ;
Ton seul regard fait ma béatitude,
Je vis d'amour!
Vivre d'amour, ce n'est pas sur la terre
Fixer sa tente au sommet du Thabor ;
Avec Jésus, c'est gravir le Calvaire,
C'est regarder la croix comme un trésor !
Au ciel, je dois vivre de jouissance,
Alors l'épreuve aura fui sans retour :
Mais, ici-bas, je veux dans la souffrance
Vivre d'amour !
Vivre d'amour, c'est donner sans mesure,
Sans réclamer de salaire ici-bas ;
Ah! sans compter je donne, étant bien sûre
Que lorsqu'on aime on ne calcule pas.
Au Cœur divin, débordant de tendresse,
J'ai tout donné ! légèrement je cours...
Je n'ai plus rien que ma seule richesse :
Vivre d'amour !
Vivre d'amour, c'est bannir toute crainte,
Tout souvenir des fautes du passé.
De mes péchés je ne vois nulle empreinte,
Au feu divin chacun s'est effacé.
Flamme sacrée, ô très douce fournaise,
En ton foyer je fixe mon séjour ;
Jésus, c'est là que je chante à mon aise :
Je vis d'amour !
Vivre d'amour, c'est garder en soi-même
Un grand trésor en un vase mortel.
Mon Bien-Aimé ! ma faiblesse est extrême !
Ah ! je suis loin d'être un ange du ciel.
Mais, si je tombe à chaque heure qui passe,
Me relevant, m'embrassant tour à tour,
Tu viens à moi, tu me donnes ta grâce,
Je vis d'amour !
Vivre d'amour, c'est naviguer sans cesse,
Semant la joie et la paix dans les cœurs ;
Pilote aimé ! la charité me presse,
Car je te vois dans les âmes, mes sœurs.
La charité, voilà ma seule étoile :
A sa clarté, je vogue sans détour ;
J'ai ma devise écrite sur ma voile :
« Vivre d'amour ! »
Vivre d'amour, lorsque Jésus sommeille,
C'est le repos sur les flots orageux.
Oh! ne crains pas, Seigneur, que je t'éveille,
J'attends en paix le rivage des cieux...
La Foi bientôt déchirera son voile,
Et mon Espoir ne comptera qu'un jour ;
La Charité gonfle et pousse ma voile,
Je vis d'amour !
Vivre d'amour, c'est, ô mon divin Maître !
Te supplier de répandre tes feux
En l'âme élue et sainte de ton prêtre ;
Qu'il soit plus pur qu'un séraphin des cieux !
Protège-la ton Eglise immortelle,
Je t'en conjure à chaque instant du jour.
Moi, son enfant, je m'immole pour elle,
Je vis d'amour !
Vivre d'amour, c'est essuyer ta Face,
C'est obtenir des pécheurs le pardon.
O Dieu d'amour ! qu'ils rentrent dans ta grâce,
Et qu'à jamais ils bénissent ton Nom !
Jusqu'à mon cœur retentit le blasphème ;
Pour l'effacer je redis chaque jour :
O Nom sacré ! je t'adore et je t'aime,
Je vis d'amour !
Vivre d'amour, c'est imiter Marie
Baignant de pleurs, de parfums précieux
Tes pieds divins, qu'elle baise ravie,
Les essuyant avec ses longs cheveux ;
Puis, se levant, dans une sainte audace,
Ton doux Visage elle embaume à son tour :
Moi, le parfum dont j'embaume ta Face,
C'est mon amour !
« Vivre d'amour, quelle étrange folie !
Me dit le monde, ah ! cessez de chanter ;
Ne perdez pas vos parfums, votre vie ;
Utilement, sachez les employer ! »
—T'aimer, Jésus, quelle perte féconde !
Tous mes parfums sont à toi sans retour.
Je veux chanter en sortant de ce monde :
Je meurs d'amour !
Mourir d'amour, c'est un bien doux martyre,
Et c'est celui que je voudrais souffrir.
O Chérubins ! accordez votre lyre,
Car, je le sens, mon exil va finir...
Dard enflammé, consume-moi sans trêve,
Blesse mon cœur en ce triste séjour.
Divin Jésus, réalise mon rêve :
Mourir d'amour !
Mourir d'amour, voilà mon espérance !
Quand je verrai se briser mes liens,
Mon Dieu sera ma grande récompense ;
Je ne veux point posséder d'autres biens.
De son amour je suis passionnée ;
Qu'il vienne enfin m'embraser sans retour !
Voilà mon ciel, voilà ma destinée :
Vivre d'amour !..."
"25 février 1895."
Source : "HISTOIRE D'UNE ÂME ÉCRITE PAR ELLE-MÊME" (The Story of a Soul), "POÉSIES", "Première partie" (2ème poème), Imprimatur le 18 février 1911, Bayeux (Calvados) ["Bajocis, 18ª Februarii 1911", "A. QUIRIÉ, vic. gen."].
Septembre 1894