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Blog Parousie de Patrick ROBLES (Puget-Théniers, Alpes-Maritimes - FRANCE)

Sermons du Saint Curé d'Ars 6

Saint-Pierre et Saint-Paul, El Greco

Nous pouvons convenir que cet état du Sauveur doit être bien consolant pour les pauvres, puisqu'ils ont un Dieu pour leur père, leur modèle et leur ami. Mais les pauvres doivent, s'ils veulent recevoir la récompense promise aux pauvres, qui est le royaume des cieux, ils doivent imiter leur Sauveur, endurer, supporter leur pauvreté en esprit de pénitence, ne point murmurer, ne point porter envie aux riches, mais au contraire, les plaindre, parce qu'ils sont beaucoup en danger pour leur salut ; ils ne doivent pas médire contre eux, mais suivre l'exemple de Jésus-Christ qui s'est réduit à la dernière misère bien volontairement. Il ne se plaint pas, au contraire, il verse des larmes sur le malheur des riches ; par là, M.F., il a guéri les deux plaies que le péché nous a faites.
3? « Il va plus loin, il veut encore guérir la troisième plaie que le péché nous a faite, qui est la sensualité. La sensualité consiste dans l'amour déréglé des plaisirs que nous goûtons par les sens. C'est de cette funeste passion que naissent l'excès dans le boire et le manger, l'amour de ses aises, des commodités, de la vie molle, et l'impureté ; en un mot, tout ce que la loi de Dieu nous a défendu. Que fait notre Sauveur pour nous guérir de cette dangereuse maladie et de ce vice ? Il naît, M.F., dans les souffrances, les larmes et les mortifications ; il nait, durant la nuit, dans la saison la plus rigoureuse de l'année ; à peine est-il né, qu'il est couché sur une poignée de paille et dans une pauvre étable toute ouverte. Ah ! homme sensuel, gourmand, impudique, entrez dans ce réduit de misère, et vous verrez ce que fait un Dieu pour vous guérir ! Croyez-vous, M.F., que c'est là votre Dieu, votre Sauveur, votre tendre Rédempteur ? - Oui, me direz-vous. - Mais, si vous le croyez, vous devez l'imiter. Hélas ! que notre vie est éloignée de la sienne ! Hélas ! vous le voyez, M.F., il souffre, et vous ne voulez rien souffrir ; il se sacrifie pour votre salut, et vous ne voulez rien faire pour le gagner. Hélas ! comment vous comportez-vous dans son service ? Tout vous rebute ; tout vous incommode ; à peine vous voit-on faire vos Pâques ; vos prières sont ou manquées, ou mal faites ; à peine vous voit-on assister aux saints offices ; encore, M.F., comment vous y comportez-vous ? Ah ! que les larmes, que les souffrances de ce divin Enfant vous sont de terribles menaces ! Malheur à vous !
Ah ! malheur à vous qui riez maintenant, parce qu'un jour viendra où vous verserez des larmes ; et ces larmes seront d'autant plus cuisantes, qu'elles ne tariront jamais ! « Le royaume des cieux, nous dit-il, souffre violence ; il n'est que pour ceux qui se la font continuellement . » « Heureux, nous dit ce tendre Sauveur, heureux ceux qui pleurent en ce monde, parce qu'un jour ils seront consolés ! » Que celui qui prend Jésus-Christ pour modèle depuis son berceau jusqu'à la croix, est heureux ! Qu'il a de quoi s'encourager ! qu'il a de quoi imiter ! que d'armes puissantes pour repousser le démon ! Disons mieux : la vie d'imitation de Jésus-Christ est une vie de saint.
L'histoire nous en fournit un bel exemple : nous y voyons qu'une veuve qui avait peu de biens, mais qui avait de la vertu et du zèle pour le salut de ses enfants, avait une fille âgée de dix ans, nommée Dorothée. Cette petite fille était vive, portée à la dissipation ; la mère craignait que cette enfant ne se perdît avec ses petites compagnes ; elle la mit en pension chez une maîtresse bien vertueuse, pour la former à la vertu. Elle y fit des progrès admirables dans la piété, et retint dans son cœur tous les bons avis que sa bonne maîtresse lui avait donnés ; mais surtout celui de se proposer Jésus-Christ pour modèle dans toutes ses actions. Lorsqu'elle fut rendue à sa mère, elle fut l'exemple et la consolation de toute sa famille. Elle ne se plaignait jamais de rien ; elle était patiente, douce, obéissante, toujours contente, d'une humeur égale dans ses travaux et dans les croix qui lui arrivaient, chaste, ennemie de toute vanité, respectant tout le monde, ne parlant mal de personne, aimant à rendre service, toujours unie à Dieu. Une telle conduite la rendit bientôt un objet d'estime à toute la paroisse ; mais, comme d'ordinaire, les faux sages, qui sont aveugles et orgueilleux, en furent fâchés, parce que, sans le savoir, ils ne sont vertueux et sages que parce, que tous les estiment ; ils ne peuvent en souffrir d'autres, par crainte qu'on ne fasse plus attention à eux, et que l'on ne tourne toute l'estime du côté des autres.
C'est ce qui arriva à cette jeune fille. Quelques compagnes envieuses entreprirent de noircir sa réputation, la traitèrent d'hypocrite et de fausse dévote. Mais Dorothée recevait cela sans se plaindre ; elle le souffrait pour l'amour de Jésus-Christ et ne laissait pas de toujours bien aimer celles qui la calomniaient. Plus tard, son innocence fut connue, et tout le monde en eut encore plus d'estime.
Le curé de la paroisse, admirant en elle les heureux effets de la grâce et le fruit que faisait cette jeune fille parmi celles qui la fréquentaient, lui dit un jour : « Dorothée, je vous prie de me dire en confiance comment vous vivez, comment vous vous comportez avec vos compagnes. » - « Monsieur, lui répondit-elle, il me semble que je fais peu de chose, en comparaison de ce que je devrais faire. Je me suis toujours souvenue d'un avis que ma maîtresse m'a donné, lorsque je n'avais encore que douze ans. Elle me répétait souvent de me proposer Jésus-Christ pour modèle dans toutes mes actions et dans toutes mes peines. C'est ce que j'ai tâché de faire. Voici comment je le fais : Lorsque je m'éveille et que je me lève, je me représente l'enfant Jésus qui, à son réveil, s'offrait à Dieu son Père en sacrifice ; pour l'imiter, je m'offre en sacrifice à Dieu, en lui consacrant ma journée, et tous mes travaux, et toutes mes pensées. Lorsque je prie, je me représente Jésus priant son Père au jardin des Olives la face contre terre, et, dans mon cœur, je m'unis à cette divine disposition. Lorsque je travaille, je pense que Jésus-Christ, aussi fatigué, travaille pour mon salut ; et, loin de me plaindre, j'unis avec amour et avec résignation mes travaux aux siens. Quand on me commande quelque chose, je me représente Jésus-Christ qui était soumis, obéissant à la sainte Vierge et à saint Joseph, et, dans ce moment, j'unis mon obéissance à la sienne. Si l'on me commande quelque chose de dur et de pénible, je pense aussitôt que Jésus-Christ s'est soumis à la mort de la croix pour nous sauver ; ensuite, j'accepte de bon cœur tout ce qu'on me commande, quelque difficile que ce soit. Si l'on parle de moi, si l'on me dit des duretés et des injures, je ne réponds rien, je souffre en patience, me souvenant que Jésus-Christ a souffert en silence et sans se plaindre les humiliations, les calomnies, les tourments et les opprobres les plus cruels ; je pense alors que Jésus était innocent et ne méritait pas ce qu'on lui faisait souffrir, au lieu que moi, je suis une pécheresse et j'en mérite bien plus que l'on ne peut m'en faire souffrir. Lorsque je prends mes repas, je me représente Jésus prenant les siens avec modestie et frugalité pour travailler ensuite à la gloire de son Père. Si je mange quelque chose de dégoûtant, je pense aussitôt au fiel que Jésus-Christ a goûté sur la croix, et je lui fais le sacrifice de ma sensualité. Quand j'ai faim, ou que je n'ai pas de quoi me rassasier, je ne laisse pas que d'être contente, en me souvenant que Jésus-Christ a passé quarante jours et quarante nuits sans manger, et qu'il a souffert une faim cruelle pour mon amour et pour expier les intempérances des hommes. Lorsque je prends quelques moments de récréation, que je suis à causer avec quelqu'un, je me représente combien Jésus-Christ était doux, affable avec tous. Si j'entends de mauvais discours, ou que je vois faire quelque péché, j'en demande aussitôt pardon à Dieu, en me représentant combien Jésus-Christ avait le cœur percé de douleur, quand il voyait son Père offensé. Lorsque je pense aux péchés sans nombre que l'on commet dans le monde, combien Dieu est outragé sur la terre, j'en gémis en soupirant ; je m'unis aux dispositions de Jésus-Christ, qui disait à son Père en parlant de l'homme : « Ah ! mon Père, le monde ne vous connaît pas . » Lorsque je vais me confesser, je me représente Jésus qui pleure mes péchés au jardin des Oliviers et sur la Croix. Si j'assiste à la sainte Messe, j'unis aussitôt mon esprit et mon cœur aux saintes intentions de Jésus, qui se sacrifie sur l'autel pour la gloire de son Père, pour l'expiation des péchés des hommes et pour le salut de tous. Lorsque j'entends chanter quelque cantique et que j'entends chanter les louanges de Dieu, je me réjouis en Dieu, je me représente ce glorieux cantique et cette heureuse soirée que Jésus-Christ passa avec ses apôtres, après l'institution du sacrement adorable. Lorsque je vais prendre mon repos, je me représente Jésus-Christ qui ne prenait le sien qu'afin de retrouver de nouvelles forces pour la gloire de son Père, ou bien je me représente que mon lit est bien différent de la croix sur laquelle Jésus-Christ se coucha comme un agneau, en offrant à Dieu son esprit et sa vie ; ensuite je m'endors en disant ces paroles de Jésus-Christ sur la Croix : « Mon Père, je remets mon esprit entre vos mains . » Le curé, ne pouvant se lasser d'admirer tant de lumière dans une jeune villageoise, lui dit : « Ô Dorothée, que vous êtes heureuse ! que de consolations n'avez-vous pas dans votre état ! » - « Il est vrai que j'ai des consolations dans le service de Dieu ; mais je vous avoue que j'ai bien des combats à soutenir : il me faut faire de grandes violences, pour supporter les railleries de ceux qui se moquent de moi, et pour surmonter mes passions qui sont très vives. Si le bon Dieu me fait des grâces, il permet aussi que j'aie bien des tentations ; tantôt je suis dans le chagrin ; tantôt le dégoût pour la prière m'accable. » - « Que faites-vous, lui dit le curé, pour surmonter vos répugnances et vos tentations ? » - « Lorsque je suis, lui dit-elle, dans les tortures de l'esprit, je me représente le Sauveur au jardin des Olives, abattu, torturé et affligé jusqu'à la mort ; ou bien je me le représente délaissé et sans consolation sur la croix ; et, m'unissant à lui, je dis aussitôt ces paroles, qu'il prononça lui-même dans le jardin des Olives : « Mon Dieu, que votre volonté soit faite . » Quant à mes tentations, lorsque je sens quelque attrait d'aller dans certaines compagnies, dans les veillées, dans les danses et les divertissements dangereux, ou bien lorsque j'ai de violentes tentations de consentir à quelque péché, je me représente Jésus-Christ qui me dit ces paroles : Eh ! quoi, ma fille, veux-tu donc me quitter, pour te livrer au monde et à ses plaisirs ? Veux-tu me reprendre ton cœur, pour le donner à la vanité et au démon ? N'y a-t-il pas déjà assez de personnes qui m'offensent ? Veux-tu te mettre de leur parti et abandonner mon service ? Aussitôt je lui réponds du fond du cœur : Non, mon Dieu, jamais je ne vous abandonnerai ; je vous serai fidèle jusqu'à la mort ! « Où irais-je, Seigneur, en vous quittant, puisque vous avez les paroles de la vie éternelle . » Ces paroles me remplissent, dans le moment, de force et de courage. » - « Dans les conversations que vous avez avec vos compagnes, lui dit le curé, de quoi vous entretenez-vous ? » - « Je les entretiens des mêmes choses dont j'ai pris la liberté de vous entretenir ; je leur dis de se proposer Jésus-Christ pour modèle dans toutes leurs actions, de se souvenir, dans leurs prières, dans leurs repas, dans le travail, dans les conversations, dans les peines de la vie, comme Jésus-Christ se comporterait lui-même dans ces occasions, et de toujours s'unir à ses divines intentions ; je leur dis que je me sers de cette sainte pratique et que je m'en trouve bien, qu'il n'y a rien de plus grand et de plus noble que de vouloir suivre et imiter Jésus-Christ, et qu'il n'y a rien de plus doux que de servir un si bon Maître. »
Oh ! heureuse, M.F., l'âme qui a pris Jésus-Christ pour son guide, son modèle et son bien-aimé ! Que de grâces, que de consolations qui ne se trouvent jamais dans le service du monde ! Voilà, M.F., les consolations que vous auriez, si vous vouliez vous donner la peine de bien élever vos enfants, et leur inspirer, non pas la vanité et l'amour des plaisirs du monde, mais la résolution de prendre Jésus-Christ pour modèle dans tout ce qu'ils font. Oh ! les enfants heureux ! Oh ! les parents chéris de Dieu !

II. - Oui, M.F., ce n'est pas seulement pour nous racheter que Jésus-Christ est venu, mais encore pour nous servir d'exemple. Il nous dit : « Je suis venu chercher et sauver ce qui était perdu ; » et dans un autre endroit, il nous dit : « Je vous ai donné l'exemple, afin que vous fassiez ce que vous voyez que j'ai fait . » Lorsque saint Jean baptisait Jésus-Christ au Jourdain, il entendit le Père éternel qui dit : « Voici mon Fils bien-aimé, écoutez-le . » Il veut que nous écoutions ses paroles, et que nous imitions ses vertus. Il ne les a pratiquées que pour nous montrer ce que nous devions faire. Puisque les chrétiens sont les enfants de Dieu, ils doivent marcher sur les traces de leur maître qui est Jésus-Christ lui-même. Saint Augustin nous dit qu'un chrétien qui ne veut pas imiter Jésus-Christ, ne mérite pas de porter le nom de chrétien. Il nous dit dans un autre endroit : L'homme est créé pour imiter Jésus-Christ, qui s'est fait homme afin de se rendre visible et pour que nous puissions l'imiter. Au jour du jugement, nous serons examinés pour voir si notre vie a été conforme à celle de Jésus-Christ, depuis sa naissance jusqu'à sa mort. Tous les saints qui sont entrés dans le ciel, n'y sont entrés que parce qu'ils ont imité Jésus-Christ.
En premier lieu, un bon chrétien doit imiter sa charité, qui est une vertu qui nous porte à aimer Dieu de tout notre cœur et le prochain comme nous-même. Jésus-Christ aime son Père depuis l'instant de sa conception jusqu'à sa mort, en disant : « Je fais toujours le bon plaisir de mon Père . » Il ne s'est pas contenté de le dire, mais il a donné sa vie pour réparer les outrages que le péché lui avait faits. Il aime son prochain, non seulement comme lui-même, mais plus que lui-même, puisqu'il a donné son sang et sa vie pour nous tirer de l'enfer. Nous devons, à l'exemple de Jésus-Christ, aimer le bon Dieu de tout notre cœur, le préférer à tout, ne rien aimer que par rapport à lui. Nous devons aimer notre prochain comme nous-même, c'est-à-dire lui souhaiter tout ce que nous voudrions que l'on nous souhaitât à nous-même, faire tout ce qui dépend de nous pour l'aider à sauver sa pauvre âme.
En deuxième lieu, il nous faut imiter sa pauvreté et son détachement des choses de la vie. Vous voyez, M.F., qu'il naît pauvre, qu'il a vécu pauvre, et qu'il est mort pauvre, puisqu'avant de mourir, il a permis qu'on lui arrachât tous ses habits. Pendant toute sa vie, il n'a jamais rien eu à lui en particulier. Ah ! bel exemple du mépris des choses de la terre !
En troisième lieu, nous devons imiter sa douceur. Il nous dit : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur . » Saint Bernard nous dit qu'il a la douceur dans son nom, qui est celui de Jésus . Lorsque les apôtres voulaient faire descendre le feu du ciel sur une ville de Samarie, qui n'avait pas voulu recevoir le Sauveur :
« Voulez-vous, lui dirent ses disciples, que nous disions au feu du ciel de descendre sur cette ville ? » Notre-Seigneur leur répondit : « Vous ne savez pas ce que vous demandez ; le Fils de l'homme n'est pas venu sur la terre pour perdre les âmes, mais pour les sauver . » Imitons sa douceur envers Dieu, en recevant avec douceur tout ce qui nous viendra de sa part, peines, chagrins et autres maux. Soyons bons envers notre prochain, sachons ne point nous laisser aller à la colère contre lui, mais le traiter avec bonté, avec charité. Soyons aussi doux à l'égard de nous-même ; veillons à ne jamais agir par caprice, par colère ; si nous tombons dans quelque faute, il ne faut pas nous emporter contre nous-même, mais nous humilier profondément devant Dieu, et, sans trop nous tourmenter, continuer nos pratiques de religion. « Bienheureux, nous dit Jésus-Christ, ceux qui ont le cœur doux, parce qu'ils posséderont la terre », c'est-à-dire le cœur des hommes !
En quatrième lieu, nous devons imiter son humilité. Il nous dit lui-même : « Apprenez de moi que je suis humble de cœur. » Son humilité a été si grande, que, quoiqu'il fût roi de tout le monde, il voulut passer pour « le dernier de tous les hommes ! » Voyez combien il pratique l'humilité, en naissant dans une étable, abandonné de tout le monde. Il a voulu être circoncis, c'est-à-dire passer pour un pécheur, lui qui était la sainteté même, incapable de jamais pécher ; il a souffert qu'on l'appelât sorcier, magicien, séducteur ; il a toujours caché ce qui pouvait le faire estimer aux yeux des hommes. Il a voulu laver les pieds à ses apôtres, et même au traître Judas, quoiqu'il sût bien qu'il le devait trahir ; enfin, il a voulu être vendu comme un vil esclave, traîné la corde au cou par les rues de Jérusalem, comme s'il avait été le plus criminel du monde. Tâchez, M.F., d'imiter sa grande humilité en cachant le bien que vous faites, en souffrant avec patience les injures et les mépris, et toutes les persécutions que l'on pourra faire contre vous, à l'exemple de Jésus-Christ.
Nous devons encore imiter sa patience. Qu'il a été patient, de rester neuf mois renfermé dans le sein de sa mère, lui que le ciel et la terre ne peuvent contenir ! Quelle patience, de converser parmi les hommes, dont la plupart étaient endurcis et chargés de crimes ! Quelle patience pendant toute sa passion ! On le prend, on le lie, on le couvre de pierres, on le flagelle, on l'attache à la croix, on le fait mourir, sans qu'il ait dit une seule parole pour se plaindre. Imitons, M.F., cette patience lorsqu'on nous méprise et qu'on nous persécute à tort. Imitons encore sa prière. Il a prié en versant des larmes de sang.
Ah ! M.F., quel bonheur pour nous que la naissance, de ce divin Sauveur ! Nous n'avons qu'à marcher sur ses traces ; nous n'avons plus qu'à faire ce qu'il a fait lui-même. Quelle gloire pour des chrétiens, d'avoir en Jésus-Christ un modèle de toutes les vertus que nous devons pratiquer pour lui plaire et sauver notre âme ! Pères et mères, formez vos enfants sur ce beau modèle, proposez-leur souvent les vertus de Jésus-Christ pour exemple .
Heureuse nouvelle que, du ciel, l'ange nous annonce dans la personne des bergers, puisque avec elle nous avons tout : le ciel, le salut de notre âme, et notre Dieu ! Ce que je...

1er DIMANCHE DE L'ANNÉE

Sur la Sanctification du Chrétien

Domine, dimitte illam et hoc anno.
Seigneur, laissez-le encore une année sur la terre.
(S.Luc, XIII, 8.)

Un homme, nous dit le Sauveur du monde, avait un figuier planté dans sa vigne, et, venant pour y chercher du fruit, il n'en trouva point. Alors, il s'adressa au vigneron et lui dit : « Voilà déjà trois ans que je viens chercher du fruit à ce figuier sans en trouver ; coupez-le donc ; pourquoi occupe-t-il encore la terre ? » Le vigneron lui répondit : « Seigneur, laissez-le encore cette année, je labourerai autour, j'y mettrai du fumier ; peut-être portera-t-il du fruit ; sinon, vous le couperez et le jetterez au feu. »
Non, M.F., non, cette parabole n'a pas besoin d'explication. C'est précisément nous qui sommes ce figuier que Dieu a planté dans le sein de son Église, et de qui il avait droit d'attendre de bonnes œuvres ; mais jusqu'ici nous avons trompé son espérance. Indigné de notre conduite, il voulait nous ôter de ce monde et nous punir ; mais Jésus-Christ, qui est notre véritable vigneron, qui cultive nos âmes avec tant de soin, et qui est déjà notre médiateur, a demandé en grâce à son Père, de nous laisser encore cette année sur la terre, promettant à son Père qu'il redoublerait ses soins et qu'il ferait tout ce qu'il pourrait pour nous convertir. Mon Père, lui dit ce tendre Sauveur, encore cette année, ne les punissez pas si tôt ; je les poursuivrai continuellement, tantôt par les remords de la conscience qui les dévoreront, tantôt par des bons exemples, tantôt par de bonnes inspirations. Je chargerai mes ministres de leur annoncer que je suis toujours prêt à les recevoir, que ma miséricorde est infinie. Mais si, malgré tout cela, ils ne veulent pas vous aimer, bien loin de les défendre contre votre justice, moi-même je me tournerai contre eux, en vous priant de les ôter de ce monde et de les punir. Prévenons, M.F., un si grand malheur, et profitons de cette miséricorde qui est infinie. M.F., passons saintement l'année que nous allons commencer : et, pour cela, évitons tous ces désordres qui ont rendu nos années passées si criminelles aux yeux de Dieu. C'est ce que je vais vous montrer d'une manière simple et familière, afin que, le comprenant bien, vous puissiez en profiter.

I. - Pourquoi, M.F., notre vie est-elle remplie de tant de misères ? Si nous considérons bien la vie de l'homme, ce n'est autre chose qu'une chaîne de maux : les maladies, les chagrins, les persécutions, ou enfin les pertes de biens nous tombent sans cesse dessus ; de sorte que, de quelque côté que l'homme terrestre se tourne ou se considère, il ne trouve que croix et afflictions. Allez, interrogez depuis le plus petit jusqu'au plus grand, tous vous tiendront le même langage. Enfin, M.F., l'homme, sur la terre, à moins qu'il ne se tourne du côté de Dieu, ne peut être que malheureux. Savez-vous pourquoi, M.F. ? - Non, me direz-vous. - Eh bien ! mon ami, en voici la véritable raison : C'est que Dieu, ne nous ayant mis en ce monde que comme dans un lieu d'exil et de bannissement, il veut nous forcer par tant de maux à ne pas y attacher notre cœur et à soupirer après des biens plus grands, plus purs et plus durables que ceux que l'on peut trouver en cette vie. Pour mieux nous faire sentir la nécessité de porter nos vues vers les biens éternels, Dieu a donné à notre cœur des désirs si vastes et si étendus, que plus rien de créé n'est capable de le contenter : c'est à ce point que, s'il espère trouver quelque plaisir en s'attachant à des objets créés, à peine possède-t-il ce qu'il désirait avec tant d'ardeur, à peine l'a-t-il goûté, qu'il se tourne d'un autre côté, espérant, trouver quelque chose de mieux. Il est donc contraint et forcé d'avouer, par sa propre expérience, que c'est inutilement qu'il veut mettre son bonheur ici-bas dans les choses périssables. S'il espère avoir quelque consolation dans ce monde, ce ne sera qu'en méprisant les choses qui sont si passagères et de si peu de durée, et en tendant vers la fin noble et heureuse pour laquelle Dieu l'a créé. Voulez-vous être heureux, mon ami ? Regardez le ciel : c'est là où votre cœur trouvera de quoi se rassasier pleinement.
Pour vous prouver cela, M.F., je n'aurais qu'à interroger un enfant et à lui demander pour quelle raison Dieu l'a créé et mis au monde ; il me répondrait : Pour le connaître, l'aimer, le servir, et par ce moyen gagner la vie éternelle. - Mais ces biens, ces plaisirs, ces honneurs, qu'en devez-vous donc faire ? - Il me dirait encore : Tout cela n'existe que pour être méprisé, et tout chrétien qui est fidèle aux engagements qu'il a contractés avec Dieu sur les fonts sacrés du baptême, le méprise et le foule sous les pieds. - Mais, me direz-vous encore, que devons-nous donc faire ? De quelle manière devons-nous nous conduire, au milieu de tant de misères, pour arriver à la fin heureuse pour laquelle nous sommes créés ? - Eh ! mes amis, rien de plus facile ; tous les maux que vous éprouvez sont les véritables moyens pour vous y conduire : je vais vous le montrer d'une manière claire comme le jour dans son midi. D'abord, je vous dirai que Jésus-Christ, par ses souffrances et sa mort, a rendu tous nos actes méritoires, de sorte que, pour un bon chrétien, il n'y a pas un mouvement de notre cœur et de notre corps qui ne soit récompensé, si nous le faisons pour lui. - Peut-être pensez-vous encore : cela n'est pas assez clair ? - Eh bien ! si cela ne suffit pas, commençons la matière. Suivez-moi un instant, et vous allez savoir la manière de rendre toutes vos actions méritoires pour la vie éternelle, sans rien changer à votre manière d'agir. Il faut seulement tout faire en vue de plaire à Dieu, et j'ajouterai qu'au lieu de rendre vos actions plus pénibles en les faisant pour Dieu, au contraire elles n'en seront que plus douces et plus légères. Le matin, en vous éveillant, pensez aussitôt à Dieu, et faites vite le signe de la croix, en lui disant : Mon Dieu, je vous donne mon cœur, et puisque vous êtes si bon que de me donner encore un jour, faites-moi la grâce que tout ce que je ferai ne soit que pour votre gloire et le salut de mon âme. Hélas ! devons-nous dire en nous-mêmes, combien, depuis hier, sont tombés en enfer, qui peut-être étaient moins coupables que moi ! il faut donc, que je fasse mieux que je n'ai fait jusqu'à présent.
Dès ce moment, il faut offrir à Dieu toutes vos actions de la journée en lui disant : Recevez, ô mon Dieu, toutes les pensées, toutes les actions que je ferai en union avec ce que vous avez enduré pendant votre vie mortelle pour l'amour de moi. C'est ce que vous ne devez jamais oublier ; car, afin que nos actions soient méritoires pour le ciel, il faut que nous les ayons offertes au bon Dieu, sans quoi elles seront sans récompense. Quand l'heure de vous lever sera venue, levez-vous promptement : prenez bien garde de ne pas écouter le démon, qui vous tentera de rester encore quelque temps au lit, afin de vous faire manquer votre prière, ou de vous la faire faire avec distraction, par la pensée que l'on vous attend ; ou que votre ouvrage presse. Lorsque vous vous habillez, faites-le avec modestie ; pensez que Dieu a les yeux fixés sur vous, et que votre bon ange gardien est à côté de vous, comme vous ne pouvez pas en douter. Mettez-vous de suite à genoux, n'écoutez pas le démon qui vous dit encore de remettre votre prière à un autre moment, afin de vous faire offenser Dieu dès le matin ; au contraire, faites votre prière avec autant de respect et de modestie que vous le pourrez. Après votre prière, prévoyez les occasions que vous pourriez avoir d'offenser Dieu pendant la journée, afin d'éviter ce malheur. Prenez ensuite quelque résolution que vous vous efforcerez d'exécuter dès le premier moment, comme, par exemple, de faire votre travail en esprit de pénitence, d'éviter les impatiences, les murmures, les jurements, de retenir votre langue. Le soir, vous examinerez si vous y avez été fidèle ; si vous y avez manqué, il faut vous imposer quelque pénitence pour vous punir de vos infidélités, et vous êtes sûr que, si vous vous servez de cette pratique, vous serez bientôt venu à bout de vous corriger de tous vos défauts.
Lorsque vous allez travailler, au lieu de vous occuper de la conduite de l'un et de l'autre, occupez-vous de quelques bonnes pensées, comme de la mort, en pensant que bientôt vous allez sortir de ce monde ; vous examinerez quel bien vous y faites depuis que vous y êtes ; vous gémirez surtout des jours perdus pour le ciel, ce qui vous portera à redoubler vos bonnes œuvres, vos pénitences, vos larmes ; - ou bien, du jugement : que, peut-être avant que la journée finisse, vous allez rendre compte de toute votre vie, et que ce moment décidera de votre sort, ou éternellement malheureux, ou éternellement bienheureux ; - ou pensez au feu de l'enfer, dans lequel brûlent ceux qui ont vécu dans le péché ; ou au bonheur du paradis, qui est la récompense de ceux qui ont été fidèles à servir Dieu ; - ou bien, si vous voulez, entretenez-vous de la laideur du péché, qui nous sépare de Dieu, qui nous rend les esclaves du démon en nous jettant dans un abîme de maux éternels.
Mais, me direz-vous, nous ne pouvons pas faire toutes ces méditations. - Eh bien ! voyez la bonté de Dieu : vous ne savez pas méditer ces grandes vérités ? Eh bien ! faites quelques prières, dites votre chapelet. Si vous êtes père ou mère de famille, dites-le pour vos enfants, afin que le bon Dieu leur fasse la grâce d'être de bons chrétiens, qui feront votre consolation en ce monde et votre gloire en l'autre. Et les enfants doivent le dire pour leurs pères et mères, afin que Dieu les conserve et qu'ils les élèvent bien chrétiennement. Ou bien priez pour la conversion des pécheurs, afin qu'ils aient le bonheur de revenir à Dieu. Et par là, vous éviterez un nombre infini de paroles inutiles, ou peut-être même des propos qui souvent ne sont pas des plus innocents. Il faut, M.F., vous accoutumer de bonne heure à employer saintement le temps. Souvenez-vous que nous ne pouvons pas nous sauver sans y penser, et que, s'il y a une affaire qui mérite qu'on y pense, c'est bien l'affaire de notre salut, puisque Dieu ne nous a mis sur la terre que pour cela.
Il faut, M.F., avant de commencer votre travail, ne jamais manquer de faire le signe de la croix, et ne pas imiter ces gens sans religion qui n'osent pas se signer à cause qu'ils sont en compagnie. Offrez tout simplement vos peines au bon Dieu, et renouvelez de temps en temps cette offrande ; par là, vous aurez le bonheur d'attirer la bénédiction du Ciel sur vous et sur tout ce que vous ferez. Voyez, M.F., combien d'actes de vertu vous pouvez pratiquer en vous comportant de cette manière, sans rien changer à ce que vous faites. Si vous travaillez en vue de plaire à Dieu, d'obéir à ses commandements qui vous ordonnent de gagner votre pain à la sueur de votre front, voilà un acte d'obéissance ; si c'est pour expier vos péchés, vous faites un acte de pénitence ; si c'est afin d'obtenir quelque grâce pour vous ou pour d'autres, voilà un acte de confiance et de charité. Ô combien, M.F., nous pouvons mériter chaque jour le ciel en ne faisant que ce que nous faisons, mais en le faisant pour Dieu et le salut de notre âme ! Qui vous empêche, lorsque vous entendez sonner les heures, de penser à la brièveté du temps et de dire en vous-même : les heures passent et la mort s'avance, je cours vers l'éternité ; suis-je bien prêt à paraître devant le tribunal de Dieu ? Ne suis-je pas en état de péché ? Et, M.F., si vous aviez ce malheur, faites vite un acte de contrition pour témoigner à Dieu votre regret, et ensuite prenez vite la résolution d'aller vous confesser, pour deux raisons : la première, c'est que, si vous veniez à mourir dans cet état, vous seriez damné tout net ; et la seconde, c'est que toutes les bonnes œuvres que vous auriez faites seraient perdues pour le ciel. D'ailleurs, M.F., auriez-vous bien le courage de rester dans un état qui vous rend l'ennemi de votre Dieu, qui vous aime tant ? Lorsque vous vous reposez de vos fatigues, jetez les yeux vers ce beau ciel, qui vous est préparé, si vous avez le bonheur de servir Dieu comme vous le devez, en vous disant à vous-même : Ô beau ciel, quand aurai-je le bonheur de vous posséder !
Cependant, M.F., il est vrai de dire que le démon ne laisse pas de faire tout ce qu'il peut pour nous porter au péché ; puisque saint Pierre nous dit : « qu'il rôde sans cesse autour de nous comme un lion pour nous dévorer . » Il faut donc vous attendre, M.F., à ce que, tant que vous serez sur la terre, vous aurez des tentations. Mais, que devez-vous faire, lorsque vous sentez que le démon voudrait vous porter au mal ? Le voici : Vite avoir recours à Dieu en lui disant : « Mon Dieu, venez à mon secours ! Vierge sainte, aidez-moi, s'il vous plaît ! » ou bien : « Mon saint ange gardien, combattez pour moi l'ennemi de mon salut ! » Faites vite ces réflexions : A l'heure de la mort, voudrais-je avoir fait cela ? non, sans doute : eh bien ! il faut donc résister à cette tentation. Je pourrais bien maintenant me cacher aux yeux du monde ; mais Dieu me voit. Lorsqu'il me jugera, que vais-je lui répondre, si j'ai eu le malheur de commettre ce péché ? Il s'agit ici du paradis ou de l'enfer, lequel des deux veux-je choisir ? Croyez-moi, M.F., faites ces petites réflexions toutes les fois que vous serez tentés, et vous verrez que la tentation diminuera à mesure que vous lui résisterez, et vous en sortirez victorieux. Ensuite, vous éprouverez vous-mêmes que, s'il en coûte pour résister, l'on est ensuite bien dédommagé par la joie et les consolations que l'on éprouve après avoir chassé le démon. Je suis sûr que plusieurs d'entre vous se disent en eux-mêmes que cela est bien vrai.
Les pères et mères doivent accoutumer leurs enfants de bonne heure à résister à la tentation ; car l'on peut dire à tant de pères et de mères qu'il y a des enfants qui ont quinze et seize ans, et qui ne savent pas ce que c'est que de résister à une tentation, qui se laissent prendre aux pièges du démon comme des oiseaux dans les filets ! D'où vient cela, sinon de l'ignorance ou de la négligence des parents ? - Mais, peut-être me direz-vous : Comment voulez-vous que nous apprenions cela à nos enfants, quand nous ne le savons pas nous-mêmes ? - Mais, si vous n'êtes pas assez instruits, pourquoi êtes-vous donc entrés dans l'état du mariage, où vous saviez, ou du moins vous deviez savoir que, si le bon Dieu vous donnait des enfants, vous étiez obligés, sous peine de damnation, de les instruire de la manière dont ils devaient se conduire pour aller au ciel ? Mon ami, n'était-ce pas assez que votre ignorance vous perdît, sans en perdre d'autres avec vous ? Si du moins vous êtes parfaitement convaincu que vous n'avez pas assez de lumières, pourquoi ne vous faites-vous pas instruire de vos devoirs par ceux qui en sont chargés ? - Mais, me direz-vous, comment oser dire à mon pasteur que je suis peu instruit ? il se moquera de moi. - Il se moquera de vous ? M.F., vous vous trompez ; il se fera un plaisir de vous apprendre ce que vous devez savoir, et ce que vous devez enseigner à vos enfants.
Vous devez encore leur apprendre à sanctifier leur travail, c'est-à-dire, à le faire, ni pour devenir riches, ni pour se faire estimer du monde, mais pour plaire à Dieu, qui nous le commande pour expier nos péchés ; par là, vous aurez la consolation de les voir devenir des enfants sages et obéissants, qui feront votre consolation en ce monde et votre gloire dans l'autre : vous aurez le bonheur de les voir craignant Dieu et maîtres de leurs passions. Non, M.F., mon dessein n'est pas aujourd'hui de montrer aux pères et mères la grandeur de leurs obligations : elles sont si grandes et si terribles, qu'elles méritent bien une instruction tout entière. Je leur dirai seulement en passant qu'ils doivent tous bien faire leurs efforts pour leur inspirer la crainte et l'amour de Dieu ; que leurs âmes sont un dépôt que Dieu leur a confié, dont un jour il faudra rendre un compte bien rigoureux.
Enfin, l'on doit terminer la journée par sa prière du soir, que l'on doit faire en commun, autant qu'il est possible : car, M.F., rien n'est plus avantageux, que cette pratique de piété, parce que Jésus-Christ nous dit lui-même : « Si deux ou trois personnes s'unissent ensemble « pour prier en mon nom, je serai au milieu . » D'un autre côté, quoi de plus consolant, pour un père de famille, de voir chaque jour toute sa maison prosternée aux pieds de Dieu pour l'adorer et le remercier des bienfaits reçus pendant la journée, et, en même temps, pour gémir sur ses fautes passées ? N'a-t-il pas lieu d'espérer que tous passeront saintement la nuit ? Celui qui fait la prière ne doit pas aller trop vite, afin que les autres puissent le suivre, ni trop lentement, ce qui donnerait des distractions aux autres, mais tenir un juste milieu. A cette prière du soir, l'on doit ajouter un examen en commun, c'est-à-dire, s'arrêter un instant pour se remettre ses péchés devant les yeux. Voilà l'avantage de cet examen : il nous porte à la douleur de nos péchés ; il nous inspire la résolution de n'y plus retomber ; et, lorsque nous allons nous confesser, nous avons beaucoup plus de facilité à nous les rappeler : enfin, si la mort nous frappait, nous paraîtrions avec plus de confiance devant le tribunal de Dieu ; puisque saint Paul nous dit que, « si nous nous jugeons nous-mêmes, Dieu nous épargnera dans ses jugements . » II serait encore à souhaiter, qu'avant d'aller vous coucher, vous fissiez une petite lecture de piété, du moins pendant l'hiver : cela vous donnerait quelques bonnes pensées, qui vous occuperaient en vous couchant et en vous levant, et, par là, vous graveriez plus parfaitement les vérités de votre salut dans votre cœur. Dans les maisons où l'on ne sait pas lire, eh bien ! l'on peut dire le chapelet, ce qui attirerait la protection de la sainte Vierge. Oui, M.F., quand on a passé ainsi la journée, l'on peut prendre son repos en paix et s'endormir dans le Seigneur. Si pendant la nuit on s'éveille, on profite de ce moment pour louer et adorer Dieu. Voilà, M.F., le plan de vie que vous devez suivre, et le bon ordre que vous devez établir dans vos familles.

II. - Voyons maintenant les désordres les plus communs et les plus dangereux qu'il faut éviter, et ensuite les obligations de chaque état en particulier. Je dis d'abord que les péchés, les désordres les plus communs sont les veilles, les jurements, les paroles et les chansons déshonnêtes. Je dis d'abord les veilles : oui, M.F., oui, ces assemblées nocturnes sont ordinairement l'école où les jeunes gens perdent toutes les vertus de leur âge, et apprennent toutes sortes de vices. En effet, M.F., quelles sont les vertus de la jeunesse ? N'est-ce pas l'amour de la prière, la fréquentation des sacrements, la soumission à leurs parents, l'assiduité à leur travail, une admirable pureté de conscience, une vive horreur du péché honteux ? Telles sont, M.F., les vertus que les jeunes gens doivent s'efforcer d'acquérir. Eh bien ! M.F., moi, je vous dirai, que, quelque affermi que soit un jeune homme ou une jeune fille dans ces vertus, s'ils ont le malheur de fréquenter certaines veillées, ou certaines compagnies, ils les auront bientôt toutes perdues. Dites-moi, M.F., vous qui en êtes témoins, qu'y entend-on, sinon les paroles les plus sales et les plus honteuses ? Qu'y voit-on, si ce n'est des familiarités entre les jeunes personnes, qui font rougir la pudeur ? et j'ose dire que quand ce seraient des infidèles, ils n'en feraient pas davantage. Et des pères, et des mères en sont témoins, et n'en disent rien, et des maîtres et des maîtresses gardent le silence ! Un faux respect humain leur ferme la bouche ! Et vous êtes chrétiens, vous avez de la religion, et vous espérez d'aller un jour au ciel ! Ô mon Dieu, quel aveuglement ! Peut-on bien le concevoir ? Oui, pauvres aveugles, vous irez, mais ce sera en enfer : voilà où vous serez jetés.
Comment, vous vous plaignez de ce que vos bêtes périssent ? Vous avez sans doute oublié tous ces crimes qui se sont commis pendant cinq ou six mois de l'hiver dans vos écuries ? Vous avez oublié ce que dit l'Esprit-Saint : « que partout où le péché se commettra, la malédiction du Seigneur tombera . » Hélas ! combien de jeunes gens qui auraient encore leur innocence s'ils n'avaient pas été à certaines veillées et qui, peut-être, ne reviendront jamais à Dieu ! N'est-ce pas encore au sortir de là, que les jeunes gens s'en vont courir et former des liaisons, qui, le plus souvent, finissent par le scandale et la perte de la réputation d'une jeune fille ? N'est-ce pas là que ces jeunes libertins, après avoir vendu leur âme au démon, vont encore perdre celle des autres ? Oui, M.F., les maux qui en résultent sont incalculables. Si vous êtes chrétiens, et que vous désiriez sauver vos âmes et celles de vos enfants et de vos domestiques, vous ne devez jamais tenir de veillées chez vous, à moins que vous n'y soyez, vous, un des chefs de la maison, pour empêcher que Dieu ne soit offensé. Lorsque vous êtes tous entrés, vous devez fermer la porte et n'y laisser entrer personne. Commencez votre veillée en récitant une ou deux dizaines de votre chapelet pour attirer la protection de la sainte Vierge, ce que vous pouvez faire en travaillant. Ensuite bannissez toutes ces chansons lascives ou mauvaises : elles profanent votre cœur et votre bouche qui sont les temples de l'Esprit-Saint ; ainsi que tous ces contes qui ne sont que des mensonges, et qui, le plus ordinairement, sont contre des personnes consacrées à Dieu, ce qui les rend plus criminels. Et vous ne devez jamais laisser aller vos enfants dans les autres veillées. Pourquoi est-ce qu'ils vous fuient, sinon pour être plus libres ? Si vous êtes fidèles à remplir vos devoirs, Dieu sera moins offensé, et vous, moins coupables.
Il y a encore un désordre d'autant plus déplorable qu'il est plus commun, ce sont les paroles libres. Non, M.F., rien de plus abominable, de plus affreux que ces paroles. En effet, M.F., quoi de plus contraire à la sainteté de notre religion que ces paroles impures ? Elles outragent Dieu, elles scandalisent le prochain ; mais pour parler plus clairement, elles perdent tout. Il ne faut souvent qu'une parole déshonnête pour occasionner mille mauvaises pensées, mille désirs honteux, peut-être même pour faire tomber dans un nombre infini d'autres infamies, et pour apprendre aux âmes innocentes le mal qu'elles avaient le bonheur d'ignorer. Eh quoi ! M.F., un chrétien peut-il bien se laisser occuper l'esprit de telles horreurs ! un chrétien qui est le temple de l'Esprit-Saint, un chrétien qui a été sanctifié par l'attouchement du corps adorable et par le sang précieux de Jésus-Christ ! Ô mon Dieu, que nous connaissons peu ce que nous faisons en péchant ! Si Notre Seigneur nous dit que « l'on peut connaître un arbre à son fruit », jugez d'après le langage de certaines personnes quelle doit être la corruption de leur cœur. Et cependant rien de plus commun. Quelle est la conversation des jeunes gens ? N'est-ce pas ce maudit péché ? Ont-ils autre chose à la bouche ? Entrez, oserai-je dire avec saint Jean Chrysostome, entrez dans ces cabarets, c'est-à-dire, dans ces repaires d'impureté ; sur quoi roule la conversation, même parmi des personnes d'un certain âge ? Ne vont-ils pas jusqu'à se faire gloire à celui qui en dira le plus ? Leur bouche n'est-elle pas semblable à un tuyau dont l'enfer se sert pour vomir toutes les ordures de ses impuretés sur la terre, et entraîner les âmes à lui ? Que font ces mauvais chrétiens, ou plutôt ces envoyés des abîmes ? Sont-ils dans la joie ? Au lieu de chanter les louanges de Dieu, ce sont les chansons les plus honteuses, qui devraient faire mourir un chrétien d'horreur ! Ah ! grand Dieu ! qui ne frémirait pas en pensant au jugement que Dieu en portera ? Si, comme Jésus-Christ nous l'assure lui-même, une seule parole inutile ne restera pas sans punition, hélas ! quelle sera donc la punition de ces discours licencieux, de ces propos indécents, de ces horreurs infâmes qui font dresser les cheveux ?
Voulez-vous concevoir l'aveuglement de ces pauvres malheureux ? Écoutez ces paroles : « Je n'ai point de mauvaise intention, vous disent-ils ; et encore : « C'est pour rire, ce ne sont que des bagatelles et des bêtises qui ne font rien. » - Eh quoi ! M.F., un péché aussi affreux aux yeux de Dieu, un péché, dis-je, que le sacrilège seul peut surpasser ! c'est une bagatelle pour vous ! Oh ! c'est que votre cœur est gâté et pourri par ce vice odieux. Oh non ! non, l'on ne peut pas rire et badiner de ce que nous devrions fuir avec plus d'horreur qu'un monstre qui nous poursuit pour nous dévorer. D'ailleurs, M.F., quel crime d'aimer ce que Dieu veut que nous détestions souverainement ! Vous me dites que vous n'avez point de mauvaise intention : mais dites-moi aussi, pauvre et misérable victime des abîmes, ceux qui vous entendent en auront-ils moins de mauvaises pensées, et de désirs criminels ? Votre intention arrêtera-t-elle leur imagination et leur cœur ? Parlez plus clairement, en disant que vous êtes la cause de leur perte et de leur damnation éternelle. Oh ! que ce péché jette d'âmes en enfer ! L'Esprit-Saint nous dit que ce maudit péché d'impureté a couvert la surface de la terre .
Non, M.F., non, je ne vais pas plus loin en cette matière ; j'y reviendrai dans une instruction, où j'essaierai de vous le dépeindre, encore avec bien plus d'horreur. Je dis donc que les pères et mères doivent être très vigilants à l'égard de leurs enfants ou domestiques, ne jamais faire ni dire quelque chose qui puisse donner atteinte à cette belle vertu de pureté. Combien d'enfants et de domestiques qui ne se sont adonnés à ce vice que depuis que leurs pères et mères leur en ont donné l'exemple ! Ô combien d'enfants et de domestiques perdus par les mauvais exemples de leurs pères et mères, ou de leurs maîtres et maîtresses ! Ah ! il eût bien mieux valu pour eux qu'on leur plantât un poignard dans le sein !... Du moins, ils auraient eu le bonheur d'être en état de grâce, ils seraient allés au ciel, au lieu que vous les jetez en enfer.
Les maîtres doivent être très vigilants envers leurs domestiques. S'ils en ont quelques-uns qui soient libertins en paroles, la charité doit les porter à les reprendre deux ou trois fois avec bonté ; mais s'ils continuent, vous devez les chasser de chez vous, sinon vos enfants ne tarderont pas à leur ressembler. Disons même, un domestique de cette espèce est capable d'attirer toutes sortes de malédictions sur une maison.
Un autre désordre qui règne dans les ménages et entre les ouvriers, ce sont les impatiences, les murmures, les jurements. Eh bien, M.F., que gagnez-vous par vos impatiences et vos murmures ? Vos affaires en vont-elles mieux ? En souffrez-vous moins ? N'est-ce pas tout le contraire ? Vous en souffrez davantage, et ce qu'il y a `encore de plus malheureux, c'est que vous en perdez tout le mérite pour le ciel. Mais, me direz-vous peut-être, cela est bien bon pour ceux qui n'ont rien à endurer ; si vous étiez à ma place, vous feriez peut-être encore pis. Je conviens bien de tout cela, M.F., si nous n'étions pas chrétiens, si nous n'avions pas d'autre espérance que les biens et les plaisirs que nous pouvons goûter en ce monde ; si, dis-je, nous étions les premiers qui souffrions ; mais, depuis Adam jusqu'à présent, tous les saints ont eu quelque chose à souffrir, et, la plus grande partie, beaucoup plus que nous ; mais ils ont souffert avec patience, toujours soumis à la volonté de Dieu, et à présent, leurs peines sont finies, leur bonheur, qui est commencé, ne finira jamais. Ah ! M.F., regardons ce beau ciel, pensons au bonheur que Dieu nous y prépare, et nous endurerons tous les maux de la vie, en esprit de pénitence, avec l'espérance d'une récompense éternelle. Si vous aviez le bonheur, le soir, de pouvoir dire que votre journée est toute pour le bon Dieu !
Je dis que les ouvriers, s'ils veulent gagner le ciel, doivent souffrir avec patience la rigueur des saisons, la mauvaise humeur de ceux qui les font travailler ; éviter ces murmures et ces jurements si communs entre eux, et remplir fidèlement leur devoir. Les époux et les épouses doivent vivre en paix dans leur union, s'édifier mutuellement, prier l'un pour l'autre, supporter leurs défauts avec patience, s'encourager à la vertu par leurs bons exemples et suivre les règles saintes et sacrées de leur état, en pensant qu'ils sont « les enfants des saints », et que, par conséquent, ils ne doivent pas se comporter comme des païens qui n'ont pas le bonheur de connaître le vrai Dieu. Les maures doivent prendre les mêmes soins de leurs domestiques que de leurs enfants, en se rappelant ce que dit saint Paul, que « s'ils n'ont pas soin de leurs domestiques, ils sont pires que des païens , » et seront punis plus sévèrement au jour du jugement. Les domestiques sont pour vous servir et vous être fidèles, et vous devez les traiter non comme des esclaves, mais comme vos enfants et vos frères. Les domestiques doivent regarder leurs maîtres comme tenant la place de Jésus-Christ sur la terre. Leur devoir est de les servir avec joie, de leur obéir de bonne grâce, sans murmures, et soigner leur bien comme le leur propre. Les domestiques doivent éviter entre eux ces actes extrêmement familiers qui sont si dangereux et si funestes à l'innocence. Si vous avez le malheur de vous trouver dans une de ces occasions, vous devez la quitter, quoi qu'il vous en coûte : c'est précisément là où vous devez suivre le conseil que Jésus-Christ vous donne, en vous disant : « Si votre œil droit, ou votre main droite vous sont une occasion de péché, arrachez-les et les jetez loin de vous, parce qu'il vaut mieux aller au ciel avec un œil ou une main de moins, que d'être précipité en enfer avec tout votre corps ; » c'est-à-dire que, quelque avantageuse que soit la condition où vous êtes, il faut la quitter sans délai : sans quoi, jamais vous ne vous sauverez. Préférez, nous dit Jésus-Christ, votre salut, parce que c'est « la seule chose que vous devez avoir à cœur » . Hélas ! M.F., qu'ils sont rares ces chrétiens qui sont prêts à tout souffrir plutôt que d'exposer le salut de leur âme !
Oui, M.F., vous venez de voir en abrégé tout ce que vous devez faire pour vous sanctifier dans votre état : hélas ! que de péchés n'avons-nous pas à nous reprocher jusqu'à présent ! Jugeons-nous, M.F., d'après ces règles, tâchons d'y conformer désormais notre conduite. Et pourquoi, M.F., ne ferions-nous pas tout ce que nous pourrions pour plaire à notre Dieu qui nous aime tant ? Ah ! si nous prenions la peine de jeter nos regards sur la bonté de Dieu envers nous ! En effet, M.F., tous les sentiments de Dieu envers le pécheur ne sont que des sentiments de bonté et de miséricorde. Quoique pécheur, il l'aime encore. Il hait le péché, il est vrai ; mais il aime le pécheur, qui, quoique pécheur, ne laisse pas d'être son ouvrage, créé à sa ressemblance, et d'être l'objet de ses plus tendres soupirs de toute éternité. C'est pour lui qu'il a créé le ciel et la terre ; c'est pour lui qu'il a quitté les anges et les saints ; c'est pour lui que, sur la terre, il a tant souffert pendant trente-trois ans ; et c'est pour lui qu'il a établi cette belle religion si digne d'un Dieu, si capable de rendre heureux celui qui a le bonheur de la suivre !

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