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Blog Parousie de Patrick ROBLES (Puget-Théniers, Alpes-Maritimes - FRANCE)

Sermons du Saint Curé d'Ars 3



Je dis, M.F., que nous devons aimer le bon Dieu. Ah ! M.F., ne nous y trompons pas ; si nous n'aimons pas le bon Dieu dans ce monde, jamais nous n'aurons le bonheur de l'aimer dans l'autre. Ne vous a-t-on pas dit, lorsque vous êtes venus au catéchisme, que si vous ne sauviez pas votre âme, tout était perdu pour vous ? Que vous auriez beau pleurer pendant toute l'éternité, que vous n'avanceriez rien ? Ne vous a-t-on pas dit, en vous faisant distinguer le bien d'avec le mal, qu'un seul péché mortel pouvait vous perdre pour jamais ? Que le péché est le seul mal que vous ayez à craindre, puisqu'il n'y a que lui qui a le pouvoir de nous séparer de Dieu pour toute l'éternité, en nous jetant en enfer ? Ne vous a-t-on pas dit que nous mourrons un jour, et que chaque jour est peut-être le dernier pour nous ? Ne vous a-t-on pas fait ressouvenir qu'au moment où nous mourrons, nous serons jugés rigoureusement, et que tout ce que nous avons fait pendant notre vie de bien et de mal nous accompagnera au tribunal de Dieu ? N'avais je pas raison de vous dire que nous n'avons qu'à savoir ce que renferme notre catéchisme, et nous avons toute la science nécessaire pour nous sauver ? Lorsque vous êtes venus ici dans votre enfance, ne vous a-t-on pas dit qu'après ce temps qui finira bientôt, il en viendra un autre qui ne finira jamais, qui renfermera toutes sortes de biens ou de maux, selon que nous aurons bien ou mal fait ? Dites-moi, M.F., si toutes ces vérités étaient gravées dans nos cœurs, pourrions-nous vivre sans aimer le bon Dieu et sans faire tout ce qui dépend de nous pour éviter tous ces malheurs ?
Hélas ! M.F., que ces vérités ont fait trembler de saints, et converti de grands pécheurs, et ont poussé de pénitents à user de rigueur dans leurs pénitences et leurs macérations ! Nous lisons dans l'histoire, que saint Ambroise, écrivant à l'empereur Théodose, qui avait commis un péché plutôt par surprise que par malice, lui disait : « J'ai eu une vision où le bon Dieu m'a montré que, vous voyant venir à l'église, je devais vous en fermer la porte ; que votre péché vous avait rendu indigne d'y entrer. » Après la lecture de cette lettre, l'empereur commença à répandre des larmes en abondance ; cependant il alla selon sa coutume se présenter à la porte de l'église, dans l'espérance que l'évêque se laisserait toucher par ses larmes et son repentir. Mais l'évêque, bien loin de se laisser fléchir comme ces ministres lâches et complaisants, le voyant s'approcher de l'église, lui dit, selon l'ordre qu'il en avait reçu de Dieu, de s'arrêter, qu'il était indigne d'entrer dans la maison de Celui qu'il avait osé outrager, et de commencer à expier son péché. « Il est vrai, lui dit l'empereur, que je suis pécheur et indigne d'entrer dans le temple du Seigneur ; mais le bon Dieu voit mon repentir. David a bien péché et le Seigneur lui a bien pardonné. » - « Eh bien ! lui dit saint Ambroise, si vous avez imité David dans son péché, imitez-le dans sa pénitence. » L'empereur, sans rien répliquer à ces paroles, se retire ; les larmes coulent de ses yeux ; son cœur se brise de douleur ; il arrache ses habits royaux, en prend de pauvres et de déchirés, se jette la face contre terre, se livre à toute l'amertume de la douleur ; il fait retentir son palais des cris les plus déchirants. Ses sujets, le voyant dans une si grande désolation, n'ont le courage ni de le voir, ni de lui dire la moindre chose pour le consoler ; ils se contentent de mêler leurs larmes à celles de leur maître ; son palais est changé en un lieu de deuil, de larmes et de pénitences. Il ne se contenta pas de confesser son péché dans le tribunal de la pénitence, il l'avouait publiquement, afin que cette humiliation attirât sur lui les miséricordes de Dieu. Il était inconsolable de voir que ses sujets allaient à l'église et que lui-même en était privé. Si on lui permettait d'assister à une prière publique, il y paraissait de la manière la plus humiliante ; il n'était ni debout, ni à genoux comme les autres, mais le visage prosterné contre la terre qu'il trempait de ses larmes. Il s'arrachait les cheveux pour montrer la grandeur de sa douleur ; il prenait des pierres avec lesquelles il se meurtrissait la poitrine, en criant miséricorde. Il conserva toute sa vie le souvenir de son péché ; ses yeux versaient continuellement des larmes. Mais si vous me demandez, quelle fut la cause de tant de larmes, d'une si grande douleur et d'une pénitence si extraordinaire ? Hélas ! M.F., ce fut la seule pensée qu'un jour Dieu le citerait avec son péché, devant son tribunal où il serait jugé sans miséricorde.
Hélas ! M.F., si ces grandes vérités étaient bien gravées dans nos cœurs, pourrions-nous vivre sans travailler continuellement à apaiser la justice de Dieu que nos péchés ont irrité ? En effet, M.F., quel est celui qui, pensant qu'il n'est dans ce monde que pour sauver son âme, pourrait encore chercher à tromper, à faire tort à son prochain ? Quel est celui qui voudrait s'enrichir par des moyens injustes, s'il était bien convaincu que, tous ces biens qu'il ramasse aux dépens du salut de son âme ; dans quelque temps il va les laisser à des héritiers, peut-être à des ingrats, qui les dissiperont en débauches, sans peut-être faire la moindre prière pour le repos de son âme ? Mais quand bien même ils en feraient des bonnes œuvres si vous avez laissé votre âme dans le péché, ces bonnes œuvres ne vous tireront pas de l'enfer. Quel est celui qui pourrait encore se livrer aux amusements du monde, qui sont si courts et si funestes à notre salut, en perdant de vue la grande affaire de son éternité ? Quel est celui qui, étant bien persuadé qu'un seul péché mortel peut le damner, aurait le courage de le commettre ? ou, qui, ayant le malheur de l'avoir commis, pourrait encore rester dans un état si déplorable où la main de Dieu peut le frapper à chaque instant, et ne s'empresserait pas de vite avoir recours au sacrement de pénitence, seul remède que le bon Dieu nous offre dans sa miséricorde ? Quel est celui, M.F., qui, pensant qu'il peut mourir à tout moment, ne vivrait pas toujours en tremblant sur le bord de l'abîme ? Qui est celui qui s'attacherait si fort à la vie, pensant que peut-être demain il n'y sera plus ? Quel est celui, M.F., qui, étant très assuré qu'au moment où il ira paraître devant son Dieu, il sera jugé rigoureusement, ne craindrait pas toujours de subir un jugement si redoutable même aux plus justes ? Quel est celui, M.F., qui, étant très assuré qu'après cette vie périssable nous en aurons une autre heureuse ou malheureuse, selon que nous aurons bien ou mal vécu, ne mettrait pas tous ses soins à mériter les biens que le bon Dieu prépare à ceux qui l'ont aimé ?
Ah ! M.F., disons encore mieux, qui est-ce qui, méditant bien ces grandes vérités, ne vivrait et ne mourrait pas en saint ? Ô mon âme, s'écriait un saint pénitent, souviens-toi de tes péchés et de ces grandes vérités ; n'oublie jamais d'où tu viens, où tu vas, de qui tu as reçu l'être, à qui tu dois donner ton cœur, ce que tu as apporté en venant au monde et ce que tu emporteras en sortant de ton exil. Hélas ! M, F., nous n'aurons guère songé à tout cela jusqu'à présent ; hélas ! nous attendons, pour y penser, que nos larmes et nos pénitences soient sans fruit. Que nous serions heureux, M.F., si ces grandes vérités pouvaient dissiper les ténèbres qui nous aveuglent sur l'affaire de notre salut ! si nous avions le bonheur de bien être convaincus que nous n'avons été que pur néant et misérable ver de terre ; que nous ne sommes que pécheurs et coupables ; que nous serons un jour éternellement heureux si nous évitons le péché, et éternellement malheureux si nous suivons nos penchants ! Hélas ! M.F., pour nous préparer au terrible passage, nous n'avons peut-être que quelques instants. Rentrons dans nos cœurs, M.F., pour ne nous occuper que de ces grandes vérités, seules dignes de nous occuper, seules capables de nous convertir.
Laissons passer, M.F., ce qui passe et périt avec nous ; attachons-nous à ce qui est éternel et permanent. Disons à toutes les choses d'ici-bas, comme tous les saints : Non ! non ! vous ne m'êtes plus rien, puisque, peut-être demain, vous ou moi ne serons plus ; laissez-moi profiter du peu de temps qui me reste pour essayer si le bon Dieu voudra bien me pardonner. Ah ! non, non, je ne veux plus vivre que pour Dieu, en méprisant les biens périssables. Ah ! que ces saints ont bien compris ces grandes vérités ! et nous pouvons dire qu'ils en ont fait toute leur occupation. Nous lisons dans l'histoire de l'Église qu'un grand nombre de saints, pénétrés des vérités éternelles et du néant de ce monde, l'ont méprisé et abandonné, pour aller s'enfermer dans des monastères ou s'ensevelir dans le fond des forêts, pour avoir le moyen de méditer ces vérités avec plus de loisir. Et là, dans des antres sombres et obscurs, séparés du bruit et du tumulte du monde, ils ne s'occupaient que de ces vérités immuables ; et, pénétrés de ces grands sentiments, ils exerçaient sur leur corps toutes les rigueurs de la pénitence que leur amour pour Dieu pouvait leur inspirer. La prière, le jeûne et la discipline réduisaient leur corps à un état digne de la plus grande compassion. Une grande partie ne mangeaient que quelques racines qu'ils trouvaient en remuant la terre ; s'ils mangeaient quelques morceaux de pain, ils les détrempaient avec leurs larmes, se voyant forcés de soulager un corps qui était aussi mort que vivant. Ainsi passaient-ils leur vie qui n'était qu'un martyre continuel. Et quand après vingt, trente, quarante ou quatre-vingts ans de pénitence, ils arrivaient à la fin de leur course, encore tout effrayés, ils s'écriaient les uns aux autres en tremblant : Pensez-vous, mes amis, que Dieu aura encore pitié de nos âmes et qu'il se laissera fléchir ? Qu'il voudra encore nous accorder le pardon de nos péchés ? Pensez-vous que nous pourrons encore trouver grâce devant ce juge qui alors sera sans miséricorde ? Ah ! qui priera pour nous, pour adoucir la sévérité de notre juge ? Ah ! pouvons-nous encore espérer d'avoir un jour part au bonheur des enfants de Dieu ?
Oui, M.F., nous voyons que les saints pénitents, après avoir eu le bonheur de connaître ce que c'est que le péché, et combien le bon Dieu le punit rigoureusement dans l'autre vie, ne mettaient point de bornes à leurs pénitences. Saint Jérôme nous rapporte qu'une dame romaine, ayant quitté son mari à cause des vices auxquels il se livrait, crut qu'étant séparée par les lois, elle pouvait sans péché se remarier à un autre légitimement. Saint Jérôme nous dit que, lui ayant fait connaître son péché ; elle fut pénétrée d'une si grande douleur, couverte d'une telle confusion, qu'elle quitta sur-le-champ ses habits du monde et se revêtit d'un sac ; les cheveux épars, le visage, souillé, les mains toutes sales, la tête couverte de cendre et de poussière, les habits tout déchirés, la bouche fermée : dans ce triste état, elle va se jeter aux pieds du Saint-Père. Le Saint-Père et tous ceux qui furent témoins de ce spectacle, semblaient ne plus pouvoir vivre en voyant l'état où cette dame romaine s'était mise pour une faute d'ignorance. Rome, dit ce Père, faisait retentir son enceinte des cris les plus déchirants, et semblait vouloir partager les douleurs de cette grande pénitente. Elle avouait publiquement son péché, et toujours avec des torrents de larmes. Elle porta ses habits de pénitence toute sa vie ; sa douleur, sa pénitence la suivirent jusqu'au tombeau. Non contente de tout cela, elle vendit tous ses biens, qui étaient immenses, afin de vivre et de mourir, dans la plus grande pauvreté.
Mais, vous, vous demandez quelle fut donc la cause de tout cela ? Hélas ! la seule pensée qu'un jour elle serait sommée d'aller paraître avec son péché devant le tribunal de Jésus-Christ. Elle demandait en grâce à Dieu de prolonger sa vie de quelques jours, pour qu'elle eût le temps de faire pénitence. Hélas ! s'écriait-elle à chaque instant ; il faut que j'aille paraître devant le bon Dieu ; que vais-je devenir, si mon péché n'est pas effacé par mes larmes et ma pénitence ? Ô heureuse pénitence ! Ô larmes salutaires ! Venez à mon secours : c'est vous seules que je veux pour compagnes pendant tous les jours de ma vie.
Hélas ! M.F., nous dit le grand saint Jean Climaque , si la pensée de l'éternité a porté tant de saints à faire des pénitences si extraordinaires, quel sera donc notre sort à nous qui sommes si pécheurs et... point de pénitence ? Mon Dieu ! que votre justice sera terrible pour ces pauvres pécheurs qui n'auront rien sur quoi s'appuyer ! « Ah ! mes amis, nous dit-il, j'ai vu des pénitents dans un lieu que l'on ne peut ni voir ni même y penser sans verser des larmes ; dans un lieu, dis-je, dépourvu de tout secours humain, de toute consolation humaine : ce n'était qu'obscurité, que puanteur, que saleté ; tout y était si affreux, que l'on ne pouvait les voir sans pleurer de compassion. Ces illustres et saints pénitents ne voyaient dans ce lieu ni feu, ni vin, seulement quelques racines et quelques morceaux de pain dur et noir qu'ils arrosaient de leurs larmes. Lorsque je fus arrivé, nous dit saint Jean Climaque, dans ce lieu de pénitence que l'on nommait avec bien juste raison « le séjour de pleurs et de larmes, » je vis véritablement, si j'ose dire, ce que l'œil de celui qui néglige son salut n'a jamais vu, et ce que l'oreille de celui qui est paresseux dans ses devoirs n'a jamais entendu, et ce que le cœur de celui qui marche lâchement dans le chemin de la vertu n'a jamais pu comprendre ; car je vous assure que je vis des actions et j'entendis des paroles capables de fléchir la colère de Dieu. Les uns passaient les nuits entières, se tenant sur le bout de leurs pieds, et cela à la rigueur de l'hiver ; et, quand leur pauvre corps tombait de lassitude et de faiblesse : Ah ! maudit, se disaient-ils à eux-mêmes, puisque tu as eu le malheur de tant outrager le bon Dieu, il faut que tu souffres ou dans ce monde ou dans l'autre : choisis le parti que tu veux prendre ; les souffrances de ce monde ne sont que d'un moment, au lieu que celles de l'autre vie sont éternelles : J'en vis d'autres qui, les yeux toujours élevés vers le ciel, poussaient les cris les plus déchirants en demandant miséricorde ; d'autres, qui se faisaient lier les mains, même les doigts, pendant leur prière, comme des criminels qui se croyaient indignes de fixer le ciel, ils étaient tellement pénétrés de leur misère et de leur néant, qu'ils ne savaient par où commencer leurs prières ; ils s'offraient à Dieu comme des victimes prêtes à être immolées. L'on en voyait d'autres, revêtus d'un sac, couverts de cendre, couchés sur le carreau, se battre le front contre les pierres ; d'autres qui pleuraient avec tant de larmes, qu'ils formaient des ruisseaux. J'en vis qui étaient tellement couverts d'ulcères, qu'il en sortait une infection capable de faire mourir ceux qui étaient auprès d'eux. Ils avaient si peu soin d'eux, que leur corps ressemblait à une brassée d'os couverte d'une peau. De quelque côté que l'on se tournât, l'on n'entendait que des cris et des sanglots qui vous déchiraient les entrailles et faisaient couler vos larmes. Leurs cris les plus ordinaires étaient ceux-ci : Ah ! malheur à nous qui avons péché ! Les uns portaient leur rigueur si loin, qu'ils ne buvaient de l'eau que pour s'empêcher de mourir ; d'autres, quand ils mettaient quelque morceau de pain à leur bouche, le rejetaient aussitôt en disant qu'ils étaient indignes de manger le pain des enfants de Dieu après l'avoir tant outragé. Ils avaient toujours l'image de la mort présente à leur esprit et devant les yeux ; ils se disaient les uns aux autres : Hélas ! mes amis, qu'allons-nous devenir ? Croyez-vous que nous avançons un peu dans la route de la pénitence ? Oh ! que nos plaies sont profondes ! que nos dettes sont grandes ! que ferons-nous pour les acquitter ? Faisons, se disaient-ils, comme les Ninivites. Hélas ! que sait-on si le bon Dieu n'aura pas encore pitié de nous ? Faisons tout ce que nous pourrons pour essayer si le Seigneur voudra encore se laisser toucher ; courons dans la carrière de la pénitence, sans épargner ce corps de péché qui n'est qu'un abîme de corruption ; tuons ce maudit corps, comme il a voulu tuer nos pauvres âmes. C'était leur langage ordinaire ; il suffisait, nous dit saint Jean Climaque, de les regarder, pour pleurer amèrement : ils avaient les yeux abattus, enfoncés dans la tête, ils n'avaient plus de poils aux paupières ; leurs joues étaient tellement retirées, qu'il semblait que le feu les avait rôties, tant il leur était ordinaire de pleurer à chaudes larmes ; leur visage était si défiguré et si pâle, qu'ils ressemblaient à des morts qui seraient demeurés deux jours dans le tombeau. Il y en avait qui se meurtrissaient tellement la poitrine à coups de pierres, qu'à plusieurs, on voyait le sang leur sortir par la bouche ; plusieurs demandaient à leur supérieur de leur mettre les fers au cou et aux mains et des entraves aux pieds ; une partie les gardèrent jusqu'au tombeau. Ils étaient si humbles, ils aimaient tant le bon Dieu, ils avaient tant de douleur de leurs péchés, lorsqu'ils se voyaient sur le point d'aller paraître devant leur juge, qu'ils priaient en grâce leur supérieur de ne pas les ensevelir, mais de les jeter dans quelque rivière ou dans quelque bois pour servir de pâture aux loups et aux bêtes sauvages. Voilà, nous dit saint Jean Climaque, la manière dont vivaient ces âmes saintes et innocentes. Lorsque je fus de retour, continue le même saint, et que le supérieur vit que j'étais si défait, qu'à peine pouvait-il me reconnaître, et que je semblais ne plus pouvoir vivre : Eh bien ! mon père, me dit-il, avez-vous vu les travaux et les combats de nos généreux soldats ? Je ne pus lui répondre que par des larmes et des sanglots, tant ce genre de vie m'avait effrayé dans des corps humains.
Hélas ! M.F., où en sommes-nous ? Quels seraient notre sort et notre éternité si Dieu en demandait autant de nous ? Ah ! non, non, M.F., jamais de ciel pour nous, s'il en fallait autant ! Ah ! si du moins, sans faire ces grandes et épouvantables pénitences, nous avions seulement le bonheur de cesser de pécher et de commencer aujourd'hui à aimer le bon Dieu, nous pourrions encore espérer le même bonheur. Mon Dieu, que nous sommes aveugles sur notre bonheur éternel !- Hélas ! M.F., ces grands saints, que nous admirons sans avoir le courage de les imiter, dites-moi, avaient-ils un autre évangile à suivre ? Avaient-ils une autre religion à pratiquer ? Avaient-ils un autre Dieu à servir, une autre éternité à craindre ou à espérer ? Non, sans doute, M.F., mais ils avaient la foi que nous n'avons pas, que nous avons presque éteinte par la multitude de nos péchés : c'est qu'ils pensaient sérieusement au salut de leur pauvre âme, tandis que nous la laissons de côté, cette pauvre âme, qui est si pauvre et qui a tant coûté à Jésus-Christ, et qu'il nous est indifférent de sauver ou de damner. C'est qu'ils méditaient sans cesse sur ces grandes et terribles vérités de l'autre vie, la perte d'un Dieu, la grandeur du péché, une éternité heureuse ou malheureuse, l'incertitude de la mort, les abîmes redoutables des jugements de Dieu et les suites d'un avenir heureux ou malheureux, selon que nous aurons bien ou mal vécu ; tandis que nous, nous n'y pensons pas même : n'étant occupés que des choses de ce monde, nous laissons notre âme et le ciel de côté. En un mot, c'est qu'ils vivaient en pénitents et en saints, tandis que nous vivons en mondains, dans le péché et les plaisirs du monde, et... point de pénitence.
Ô aveuglement de l'homme, que tu es grand ! Qui pourra jamais te comprendre ? N'être dans ce monde que pour aimer le bon Dieu et sauver notre âme, et ne vivre que pour l'offenser et rendre notre âme malheureuse pendant l'éternité !... En effet, M.F., quelle a été notre vie jusqu'à présent ? A quoi avons-nous pensé depuis que nous sommes sur la terre ? A qui avons-nous donné notre cœur ? Qu'avons-nous fait pour Dieu, notre première et dernière fin ? Quel zèle, quelle ardeur, avons-nous eus pour la gloire de Dieu et le salut de notre pauvre âme, qui a tant coûté de souffrances à Jésus-Christ ? Combien, au contraire, n'avons-nous pas de reproches à nous faire ?
Hélas ! bien loin d'avoir employé toute notre vie à procurer la gloire de Dieu et à nous assurer le bonheur éternel, peut-être n'y avons-nous pas même pensé un seul jour, comme un chrétien doit le faire toute sa vie. Ah ! ingrats, est-ce pour cela que le bon Dieu nous a créés et mis sur la terre ? N'est-ce pas au contraire pour ne nous occuper que de lui et lui consacrer tous les mouvements de notre cœur ? Nous ne devrions vivre que pour lui, et peut-être n'avons-nous pas encore vécu un seul jour que nous puissions dire être tout pour lui et pour lui seul.
Hélas ! M.F., bientôt il nous faudra aller lui rendre compte de toutes nos actions. Qu'aurons-nous à lui présenter ? Qu'aurons-nous à répondre à ses interrogations lorsqu'il nous montrera, d'un côté, toutes les grâces qu'il nous a accordées pendant toute notre vie, et de l'autre, le peu de profit ou plutôt le mépris que nous en avons fait ? Est-il bien possible que, ayant entre les mains tant de grâces si précieuses, nous soyons encore si tièdes, si lâches et si languissants dans le service de Dieu ? Ah ! M.F., si des idolâtres et des païens avaient reçu autant de grâces que nous, ne seraient-ils pas devenus de grands saints ? Combien, M.F., de grands pécheurs, s'ils avaient été comblés de tant de bienfaits que nous, n'auraient-ils pas fait pénitence, comme les Ninivites, sous la cendre et le cilice ? Rappelons-nous, M.F., tout ce que le bon Dieu a fait pour nous depuis que nous sommes au monde. Combien sont morts sans avoir eu le bonheur de recevoir le saint Baptême ? Combien d'autres qui, après un seul péché mortel, ont été frappés de mort subite et sont tombés en enfer ! Oh ! combien de dangers même corporels dont Dieu, dans sa miséricorde, nous a préservés, préférablement à tant d'autres qui ont péri d'une manière extraordinaire ! Et combien de fois, après avoir eu le malheur de pécher, le bon Dieu ne nous a-t-il pas poursuivis par des remords de conscience, par de bonnes pensées ! Combien d'instructions, combien de bons exemples, qui semblaient nous reprocher notre indifférence pour notre salut !
Dites-moi, M.F., après tant de traits de la miséricorde du bon Dieu, qu'aurons-nous à lui répondre, lorsqu'il nous demandera compte du profit que nous en avons fait ? Ô triste pensée, M.F., pour un pécheur qui a tout méprisé, et qui n'a su profiter de rien ! Eh bien ! ingrats, va nous dire Jésus-Christ, est-ce que les vertus que je vous ai commandées étaient trop difficiles ? Ne pouviez-vous pas les pratiquer aussi bien que tant d'autres ? Dans quel état paraissez-vous devant moi ! Ne saviez-vous pas qu'un jour viendrait où je vous demanderais compte de tout ce que j'ai fait pour vous ? Eh bien ! misérable, rendez-moi compte de tout ce que ma miséricorde a fait pour vous ! Hélas ! M.F., qu'allons-nous répondre, ou plutôt quelle confusion pour nous !
Prévenons, M.F., ce moment si malheureux pour le pécheur, en profitant désormais des grâces que la bonté de Dieu veut bien encore nous accorder aujourd'hui. Je dis aujourd'hui, puisque peut-être demain, ou le bon Dieu nous aura abandonnés, ou nous ne serons plus dans ce monde. Savez-vous, M.F., le langage que nous allons tenir dans ce moment ? Le voici : Ah ! dirons-nous, je savais très bien que je n'étais sur la terre que pour un peu de temps, et cependant je n'ai vécu que pour le monde. En perdant la vie éternelle, je savais que quelques années finiraient ma course, et que mille ans n'auraient pas été trop longs pour me préparer à ce triste et terrible passage de ce monde à l'éternité où je pouvais entrer à chaque instant ; et, ce peu de temps, je ne l'ai employé qu'aux affaires du temps, aux amusements et à des riens. Voilà ce temps précieux que Dieu ne m'avait donné que pour m'assurer un bonheur éternel : il va disparaître à mes yeux, et l'éternité va commencer pour ne finir jamais. Sera-t-elle heureuse ou malheureuse ? Hélas ! qu'ai-je fait pour la mériter heureuse ? Ô temps perdu ! ô éternité oubliée ! ô cruelle méprise ! que tu jettes d'âmes en enfer ! ô aveuglement de l'homme, qui pourra te comprendre ? Quatre jours à passer dans ce monde, et une éternité entière dans l'autre : et ces quatre jours ont fait toute mon occupation, et, pour l'éternité, j'ai fait tout ce que j'ai pu pour l'effacer de ma mémoire ! Ô mon Dieu ! où est donc notre foi ? Où est notre raison, pour vivre comme nous vivons ?
Que devons-nous conclure de tout cela, M.F. ? C'est que, malgré que nous ayons tant méprisé de grâces, si nous voulons profiter de celles que le bon Dieu veut nous accorder dans sa miséricorde, non seulement nous pouvons racheter le temps passé, mais nous pouvons encore nous procurer un bonheur infini dans l'autre vie. Si le bon Dieu nous a conservé la vie malgré tant de péchés, ce n'est que parce qu'il voulait répandre sur nous la grandeur de ses miséricordes ; plus nous sommes pécheurs, plus il désire notre salut, afin que nous soyons comme autant d'instruments pour publier pendant toute l'éternité la grandeur de ses miséricordes sur les pécheurs.
Oui, M.F., il nous attend les bras ouverts ; il nous ouvre la plaie de son divin Cœur, pour nous cacher à la sévérité de la justice de son Père ; il nous présente tous les mérites de sa mort et passion, afin de payer pour nos péchés. Si notre retour est sincère, il se charge de répondre pour nous au tribunal de son Père, quand nous serons interrogés pour rendre compte de notre vie.
Heureux celui qui obéit à la voix de son Dieu qui l'appelle ! Heureux, M.F., celui qui n'aura jamais perdu de vue que sa vie est bien courte, qu'il peut mourir à chaque instant, et qu'après cette vie il sera jugé, pour une éternité de bonheur ou de malheur, pour le ciel ou l'enfer ! Ô mon Dieu ! si nous pensions sans cesse à nos fins dernières, pourrions-nous bien vivre dans le péché, pourrions-nous bien oublier ce temps à venir qui, une fois commencé, ne finira jamais ? Dites-moi, M.F., croyez-vous à cette éternité, vous qui depuis peut-être dix ou vingt ans êtes dans la haine de Dieu ? Croyez-vous à l'éternité, M.F., vous qui avez le bien d'autrui ? Ah ! non, non, si vous y croyiez, vous ne pourriez pas vivre comme vous vivez. Dites-moi, misérable ; qui depuis tant d'années avez des péchés cachés dans vos confessions, qui êtes coupable d'autant de sacrilèges que vous avez fait de communions ; hélas ! si vous le croyiez un petit peu, ne mourriez-vous pas d'horreur de vous-même en pensant qu'à tout moment vous êtes exposé à aller rendre compte de toutes ces turpitudes devant un juge qui sera sans miséricorde ? Oui, M.F., si nous avions le bonheur de bien méditer sur ce qui nous attend après ce monde qui est si court, il nous serait impossible de ne pas travailler toute notre vie en tremblant dans la crainte de ne pas réussir à sauver notre pauvre âme. Heureux, M.F., celui qui se tiendra toujours prêt ! C'est ce que je vous souhaite...

2ème DIMANCHE DE L'AVENT

Sur le respect humain

Beatus qui non fuerit scandatizatus in me.
Bienheureux celui qui ne prendra pas de moi un sujet de scandale (S.Matth., XI, 6.)

Rien, M.F., de plus glorieux et de plus honorable pour un chrétien que de porter le nom sublime d'enfant de Dieu, de frère de Jésus-Christ. Mais aussi rien n'est plus infâme que d'avoir honte de le manifester autant de fois que l'occasion s'en présente. Nous ne sommes pas étonnés de voir des hypocrites montrer autant qu'ils peuvent un extérieur de piété pour s'attirer l'estime et les louanges des hommes, tandis que leurs pauvres cœurs sont dévorés par les péchés les plus infâmes. Ils voudraient, ces aveugles, jouir des honneurs qui sont inséparables de la vertu, sans avoir la peine de la pratiquer. Nous sommes encore moins étonnés de voir de bons chrétiens cacher, autant qu'ils le peuvent, leurs bonnes œuvres aux yeux du monde, de crainte que la vaine gloire ne se glisse dans leur cœur et que les vains applaudissements des hommes ne leur en fassent perdre le mérite et la récompense. Mais, M.F., où trouvons-nous une lâcheté plus criminelle et une abomination plus détestable que la nôtre : que, faisant profession de croire en Jésus-Christ ; que, nous étant engagés par les serments les plus sacrés à marcher sur ses traces, à soutenir ses intérêts et sa gloire, aux dépens même de notre vie, nous soyons si lâches, qu'à la première occasion nous violions les promesses que nous lui avons faites sur les fonts sacrés du Baptême. Ah ! malheureux, que faisons-nous ? Qui est Celui que nous renions ? Hélas ! nous abandonnons notre Dieu, notre Sauveur, pour nous ranger parmi les esclaves du démon qui nous trompe et qui ne cherche que notre perte et notre malheur éternel. Oh ! maudit respect humain ! que tu entraînes d'âmes dans les enfers ! Mais pour mieux vous en faire sentir la bassesse, je vous montrerai : 1? Combien le respect humain, c'est-à-dire la honte de faire le bien, outrage le bon Dieu ; 2? Combien celui qui le commet annonce un esprit faible et borné.

I. - Nous ne parlerons pas, M.F., de tous ces impies de la première classe qui emploient leur temps, leur science et leur pauvre vie à détruire notre sainte religion, s'ils le pouvaient. Ces malheureux ne semblent vivre que pour anéantir les souffrances, les mérites de la mort et passion de Jésus-Christ. Ils ont employé, les uns leurs forces, les autres leur science, pour briser cette pierre sur laquelle Jésus-Christ a bâti son Église. Mais ces insensés vont se briser contre cette pierre de l'Église, qui est notre sainte religion, laquelle subsistera toujours malgré tous leurs efforts.
En effet, M.F., à quoi aboutit toute la furie des persécuteurs de l'Église, des Néron, des Maximien, des Dioclétien, et de tant d'autres qui ont cru que, par la force de leurs armes ; ils viendraient à bout de la faire disparaître de la terre. C'est bien tout le contraire : le sang de tant de martyrs n'a servi, comme dit Tertullien, qu'à faire fleurir la religion plus que jamais, et leur sang semblait une semence qui en produisait cent pour un. Malheureux ! que vous a fait cette belle et sainte religion, pour tant la persécuter, puisqu'elle seule peut rendre l'homme heureux sur la terre ? Hélas ! que de larmes et que de cris ils poussent maintenant dans les enfers, où ils reconnaissent bien clairement que cette religion, contre laquelle ils se sont déchaînés, les aurait conduits au ciel ! Mais, regrets inutiles et superflus !
Voyez encore ces autres impies qui ont fait tout ce qu'ils ont pu pour détruire notre sainte religion par leurs écrits, tels qu'un Voltaire, un Jean-Jacques Rousseau, un Diderot, un d'Alembert, un Volney et tant d'autres, qui n'ont passé leur vie qu'à vomir par leurs écrits tout ce que le démon pouvait leur inspirer. Hélas ! ils ont bien fait du mal, il est vrai ; ils ont perdu des âmes, en ont bien entraîné avec eux aux enfers ; mais ils n'ont pas pu détruire la religion, comme ils croyaient ; ils se sont brisés contre cette pierre. Mais ils n'ont pas brisé la pierre sur laquelle Jésus-Christ a bâti son Église et qui devra durer jusqu'à la fin du monde. Où sont maintenant ces pauvres impies ? Hélas ! en enfer, où ils pleurent leur malheur et celui de tous ceux qu'ils ont entraînés avec eux. Ne disons rien encore, M.F., de ces derniers impies, qui, sans se montrer ouvertement les ennemis de la religion parce qu'ils en pratiquent encore quelques points extérieurs, en font, malgré cela, de temps en temps de petites plaisanteries, par exemple, sur la vertu ou la piété de ceux qu'ils n'ont pas le courage d'imiter. Dites-moi, mon ami, que vous a fait cette religion que vous tenez de vos ancêtres, qu'ils ont pratiquée si fidèlement devant vos yeux, dont ils vous ont tant de fois dit qu'elle seule pouvait faire le bonheur de l'homme sur la terre, et, qu'en l'abandonnant, nous ne pouvions être que malheureux ? Et où pensez-vous, mon ami, que vous conduira votre petite impiété ? Hélas ! mon ami, en enfer, pour vous y faire pleurer votre aveuglement.
Ne disons rien encore de ces chrétiens qui ne sont chrétiens que de nom ; qui font leur devoir de chrétiens d'une manière si misérable, qu'ils vous feraient mourir de compassion. Voyez-en un, pendant sa prière faite avec ennui, dissipation, sans respect. Voyez-les à l'église, sans dévotion : l'office commence toujours trop tôt, et finit toujours trop tard ; le prêtre n'est pas encore descendu de l'autel, qu'ils sont déjà dehors. Pour la fréquentation des Sacrements, il ne faut pas leur en parler : s'ils s'en approchent quelquefois, c'est avec une certaine indifférence qui annonce qu'ils ne connaissent nullement ce qu'ils font. Tout ce qui a rapport au service de Dieu est fait avec un dégoût épouvantable. Mon Dieu ! que d'âmes perdues pour l'éternité ! Ô mon Dieu ! que le nombre de ceux qui entreront dans le royaume des cieux est petit, puisqu'il y en a si peu qui font ce qu'ils doivent pour le mériter ?
Mais, me direz-vous maintenant : Qui sont donc ceux qui se rendent coupables de respect humain ? M.F., écoutez-moi un instant, et vous allez le savoir. D'abord, je vous dirai avec saint Bernard que, de quelque côté que nous considérions le respect humain, qui est la honte de remplir ses devoirs de religion à cause du monde, tout nous démontre en lui le mépris de Dieu et de ses grâces et l'aveuglement de l'âme. Je dis en premier lieu, M.F., que la honte de faire le bien, de crainte d'être méprisé ou raillé de la part de quelques malheureux impies, ou de quelques ignorants, est un mépris affreux que nous faisons de la présence du bon Dieu devant lequel nous sommes et qui pourrait à l'heure même nous jeter en enfer. Pourquoi est-ce, M.F., que ces mauvais chrétiens vous raillent et tournent en ridicule votre dévotion ? Hélas ! M.F., en voici la véritable raison : c'est que n'ayant pas la force de faire ce que vous faites, ils vous en veulent de ce que vous réveillez les remords de leur conscience ; mais, soyez bien sûrs que dans le cœur ils ne vous méprisent pas, au contraire, ils vous estiment beaucoup. S'ils ont un bon conseil à prendre, où à demander une grâce auprès du bon Dieu, ce n'est pas à ceux qui font comme eux qu'ils auront recours, mais à ceux qu'ils ont raillés, du moins en paroles. Vous avez honte, mon ami, de servir le bon Dieu, par crainte d'être méprisé ? Mais, mon ami, regardez donc Celui qui est mort sur cette croix ; demandez-lui donc s'il a eu honte d'être méprisé, et de mourir de la manière la plus honteuse sur cette croix infâme. Ah ! ingrats que nous sommes envers Dieu, qui semble trouver sa gloire à faire publier de siècle en siècle qu'il nous choisit pour ses enfants. Ô mon Dieu ! que l'homme est aveugle et méprisable de craindre un misérable qu'en-dira-t-on, et de ne pas craindre d'offenser un Dieu si bon. Je dis encore que le respect humain nous fait mépriser toutes les grâces que le bon Dieu nous a méritées par sa mort et sa passion. Oui, M.F., par le respect humain, nous anéantissons toutes les grâces que le bon Dieu nous avait destinées pour nous sauver. Oh ! maudit respect humain, que tu entraînes d'âmes en enfer !
En deuxième lieu, je dis que le respect humain renferme l'aveuglement le plus déplorable. Hélas ! nous ne faisons pas attention à ce que nous perdons. Ah ! M.F., quel malheur pour nous ! nous perdons notre Dieu, que nul ne pourra jamais remplacer. Nous perdons le ciel avec tous ses biens et ses plaisirs ! Mais un autre malheur, c'est que nous prenons le démon pour notre père, et l'enfer avec tous ses tourments pour notre héritage et notre récompense. Nous changeons nos douceurs et nos joies éternelles contre des souffrances et des larmes. Ah ! mon ami, à quoi pensez-vous ? Quels seront vos regrets pendant toute l'éternité ! Ah ! mon Dieu ! peut-on bien y penser et vivre encore esclave du monde ?
Il est vrai, me direz-vous, que celui qui craint le monde pour remplir ses devoirs de religion est bien malheureux, puisque le bon Dieu nous a dit que celui qui aura honte de le servir devant les hommes, il ne voudra pas le reconnaître devant son Père au jour du jugement.
Mais mon Dieu ! craindre le monde, pourquoi donc ? puisque nous savons qu'il faut absolument être méprisé du monde pour plaire à Dieu. Si vous craigniez le monde, il ne fallait pas vous faire chrétien. Vous saviez bien que sur les fonts sacrés du baptême, vous prêtiez serment en présence de Jésus-Christ même ; que vous renonciez au démon et au monde ; que vous vous engagiez à suivre Jésus-Christ portant sa croix, chargé d'opprobres et de mépris. Si vous craignez le monde, eh bien ! renoncez à votre baptême et donnez-vous à ce monde à qui vous craignez tant de déplaire.
Mais, me direz-vous, quand est-ce que nous agissons par respect humain ? Mon ami, écoutez-moi bien. C'est un jour que vous étiez à la foire, ou dans une auberge où l'on mangeait de la viande un jour défendu et que l'on vous pria d'en manger ; que, vous contentant de baisser les yeux et de rougir, au lieu de dire que vous étiez chrétien, que votre religion vous le défendait, vous en mangeâtes comme les autres, en disant : Si je ne fais pas comme les autres, on se moquera de moi. - On vous raillera, mon ami ? Ah ! certes, c'est bien dommage ! - Eh ! me direz-vous, je ferai bien plus de mal, en étant la cause de toutes les mauvaises raisons que l'on dira contre la religion, que j'en ferais en mangeant de la viande. - Dites-moi, mon ami, vous ferez plus de mal ? Si les martyrs avaient craint tous ces blasphèmes, tous ces jurements, alors ils auraient donc tous renoncé à leur religion ? C'est tant pis pour ceux qui font mal. Hélas ! M.F., disons mieux : ce n'est pas assez que les autres malheureux aient crucifié Jésus-Christ par leur mauvaise vie ; il faut encore vous unir à eux pour faire souffrir Jésus-Christ davantage ? Vous craignez d'être raillé ? Ah ! malheureux, regardez Jésus-Christ sur la croix, et vous verrez ce qu'il a fait pour vous.
Vous ne savez pas quand vous avez renié Jésus-Christ ? C'est un jour qu'étant avec deux ou trois personnes, il semblait que vous n'aviez point de mains, ou que vous ne saviez pas faire le signe de la croix, et que vous regardiez si l'on avait les yeux sur vous, et que vous vous êtes contenté de dire votre Benedicite ou vos grâces dans votre cœur, ou bien que vous allâtes dans un coin pour les dire. C'est lorsque, passant vers une croix, vous fîtes semblant de ne pas la voir, ou bien vous disiez que ce n'est pas pour nous que le bon Dieu est mort.
Vous ne savez pas quand vous avez eu du respect humain ? C'est un jour que vous trouvant dans une société, où l'on disait de sales paroles contre la sainte vertu de pureté, ou contre la religion, vous n'osâtes pas reprendre ces personnes, et bien plus, dans la crainte que l'on vous raille, vous en avez souri.- Mais, me direz-vous, l'on est bien forcé, sans quoi l'on serait trop souvent raillé. - Vous craignez, mon ami, d'être raillé ? Ce fut bien aussi cette crainte qui porta saint Pierre à renier son divin Maître ; mais cela n'empêcha pas qu'il commît un gros péché qu'il pleura toute sa vie.
Vous ne savez pas quand vous avez eu du respect humain ? C'est un jour que le bon Dieu vous donna la pensée d'aller vous confesser, vous sentiez que vous en aviez bien besoin, mais vous pensâtes que l'on se moquerait de vous, que l'on vous traiterait de dévot. C'est une fois que vous aviez la pensée d'aller à la sainte Messe dans la semaine, et que vous pouviez y aller ; vous avez dit en vous-même que l'on se moquerait de vous et que l'on dirait : C'est bon pour ceux qui n'ont rien à faire qui ont de quoi vivre de leurs rentes.
Combien de fois ce maudit respect humain vous a empêché d'assister au catéchisme, à la prière du soir ! Combien de fois, étant chez vous, et faisant quelques prières ou quelques lectures de piété, vous êtes-vous caché voyant venir quelqu'un ! Combien de fois le respect humain vous a fait violer la loi du jeûne ou de l'abstinence, et n'oser pas dire que vous jeûniez, ou que vous ne faisiez pas gras ! Combien de fois vous n'avez pas osé dire votre Angelus devant le monde, ou vous vous êtes contenté de le dire dans votre cœur, ou vous êtes sorti pour le dire dehors ! Combien de fois vous n'avez point fait de prières le matin ou le soir, parce que vous vous êtes trouvé avec des personnes qui n'en faisaient point ; et tout cela, de crainte que l'on ne se moquât de vous !
Allez, pauvre esclave du monde, attendez l'enfer où vous serez précipité ; vous aurez bien le temps de regretter le bien que le monde vous a empêché de faire.
Ah ! mon Dieu, quelle triste vie mène celui qui veut plaire au monde et au bon Dieu ! Non, mon ami, vous vous trompez. Outre que vous vivrez toujours malheureux, vous ne viendrez jamais à bout de plaire au monde et au bon Dieu ; cela est aussi impossible que de mettre fin à l'éternité. Voici le conseil que j'ai à vous donner, et vous serez moins malheureux : ou donnez-vous tout au bon Dieu, ou tout au monde ; ne cherchez, et ne suivez qu'un maître, et, une fois à sa suite, ne le quittez pas.
Vous ne vous rappelez donc pas ce que Jésus-Christ vous dit dans l'Évangile : Vous ne pouvez servir Dieu et le monde, c'est-à-dire que vous ne pouvez pas suivre le monde avec ses plaisirs, et Jésus-Christ avec sa croix. N'est-ce pas que vous avez bonne grâce d'être tantôt à Dieu et tantôt au monde ! Parlons plus clairement : il faudrait que votre conscience, que votre cœur vous permit d'être le matin à la table sainte et le soir à la danse ; une partie du jour à l'église et le reste dans les cabarets ou dans les jeux ; un moment parler du bon Dieu, et un autre moment dire des saletés ou bien des calomnies contre le prochain ; une fois, faire du bien à votre voisin, et un autre moment lui faire tort, c'est-à-dire, qu'avec les bons vous ferez le bien, parlerez du bon Dieu, avec les méchants vous ferez le mal.
Ah ! M.F., que la compagnie des méchants nous fait faire de mal ! Que de péchés nous éviterions, si nous avions le bonheur de fuir les gens sans religion ! Saint Augustin nous dit que plusieurs fois, s'étant trouvé avec les méchants, il avait eu honte de n'avoir pas autant de malice qu'eux, et, afin qu'on ne le blâmât pas, il disait le mal même qu'il n'avait pas fait . Pauvre aveugle ! que vous êtes à plaindre ! quelle triste vie !.... Oh ! maudit respect humain, que tu entraînes d'âmes dans les enfers ! Oh ! que de crimes dont tu es la cause ! Ah ! qu'il est coupable le mépris que nous faisons des grâces que le bon Dieu veut nous accorder pour nous sauver ! Hélas ! combien ont commencé leur réprobation par le respect humain, parce que, à mesure qu'ils ont méprisé les grâces que le bon Dieu leur voulait donner, la foi s'est éteinte en eux ; et, peu à peu, ils ont moins senti la grandeur du péché, la perte du ciel, les outrages qu'ils faisaient à Dieu par le péché. Ils ont fini par tomber en paralysie, c'est-à-dire qu'ils n'ont plus connu l'état malheureux de leur pauvre âme : ils restent dans le péché, et la plus grande partie y périssent.
Nous lisons dans l'Évangile que Jésus-Christ, dans ses missions, comblait de toute sorte de grâces les lieux où il passait. Tantôt c'était un aveugle à qui il rendait la vue ; tantôt c'étaient des sourds qu'il faisait entendre ; ici, c'est un lépreux qu'il guérit, là c'est un mort à qui il rend la vie. Cependant nous voyons qu'il y en a très peu qui publient les bienfaits qu'ils viennent de recevoir ; ils le font seulement au moment où ils sont aux pieds de Jésus-Christ. Et d'où vient cela, M.F. ? C'est qu'ils craignaient les Juifs, parce qu'il fallait être amis ou des Juifs ou de Jésus-Christ ; quand ils étaient auprès de Jésus-Christ, ils le reconnaissaient ; et quand ils étaient avec les Juifs, ils semblaient les approuver par leur silence. Voilà précisément ce que nous faisons : quand nous sommes seuls, que nous réfléchissons sur tous les bienfaits que nous avons reçus du bon Dieu, nous ne pouvons nous empêcher de lui témoigner notre reconnaissance d'être nés chrétiens, d'avoir été confirmés ; mais, quand nous sommes avec les libertins, nous semblons être de leur sentiment en applaudissant par nos sourires ou notre silence à leurs impiétés. Oh ! quelle indigne préférence, s'écrie saint Maxime ! Ah ! maudit respect humain, que d'âmes tu traînes en enfer ! Hélas ! M.F., quel tourment n'éprouvera pas une personne qui veut plaire et vivre ainsi, comme nous en avons un bel exemple dans l'Évangile. Nous y lisons que le roi Hérode s'était épris d'un amour profane pour Hérodiade. Cette barbare courtisane avait une fille qui dansa devant lui avec tant de grâce, qu'il lui promit la moitié de son royaume. Mais la malheureuse se garda bien de la lui demander, ce n'était pas assez ; étant allée trouver sa mère pour prendre conseil sur ce qu'il fallait dire au roi, la mère, plus infâme que sa fille, lui présenta un plat : « Va, lui dit-elle, demander au roi qu'il mette la tête de Jean-Baptiste dans ce plat, afin que tu me l'apportes ; » et cela, parce que saint Jean-Baptiste lui reprochait sa mauvaise vie. Le roi, à cette demande, fut saisi de frayeur ; car, d'un côté, il estimait saint Jean-Baptiste, il regrettait la mort d'un homme qui était si digne de vivre. Que fera-t-il ? Quel parti prendra-t-il ? Ah ! maudit respect humain, que vas-tu faire ? Il ne voudrait pas faire mourir saint Jean-Baptiste ; mais, d'un autre côté, il a peur qu'on se moque de lui, de ce qu'étant roi, il ne tient pas sa parole. Allez, dit ce malheureux roi à un bourreau, allez couper la tête de Jean-Baptiste ; j'aime mieux laisser crier ma conscience que si l'on se moquait de moi. Mais quelle horreur ! quand la tête parut dans la salle, les yeux et la bouche, quoique fermés, semblaient lui reprocher son crime et le menacer des châtiments les plus terribles. A ce spectacle, il frémit et pâlit. Hélas ! que celui qui se laisse conduire par le respect humain est à plaindre !
Il est vrai que le respect humain ne nous empêche pas toujours de faire de bonnes œuvres. Mais combien de bonnes œuvres dont le respect humain nous fait perdre le mérite ! Combien de bonnes œuvres que nous ne ferions pas, si nous n'espérions pas en être loués et estimés du monde ! Combien de gens ne viennent à l'église que par respect humain, en pensant que, dès qu'une personne ne pratique plus la religion, du moins à l'extérieur, l'on n'a plus confiance en elle, comme on dit : Où il n'y a point de religion, il n'y a point de conscience ! Combien de mères qui semblent avoir soin de leurs enfants seulement pour être estimées aux yeux du monde ! Combien qui se réconcilient avec leurs ennemis, parce qu'ils craignent qu'on perde la bonne estime que l'on a d'eux ! Combien de personnes qui ne seraient pas si bien, si elles ne savaient pas qu'elles y gagnent d'être louées du monde ? Combien qui sont plus réservées dans leurs paroles et plus modestes à l'église à cause du monde ! Oh ! maudit respect humain, que tu gâtes de bonnes œuvres qui conduiraient tant de chrétiens au ciel, et qui ne feront que les pousser en enfer !
Mais, me direz-vous, il y a bien à faire, pour que le monde ne se mêle de rien dans tout ce que l'on fait. Mais, M.F., nous n'attendons pas notre récompense du monde, mais de Dieu seul : si l'on me loue, je sais bien que je ne le mérite pas, étant si pécheur ; si l'on me méprise, il n'y a rien d'extraordinaire pour un pécheur comme moi qui ai tant de fois méprisé le bon Dieu par mes péchés ; j'en mérite bien davantage. D'ailleurs, Jésus-Christ ne nous a-t-il pas dit : Bienheureux ceux qui seront méprisés et persécutés ? Et qui sont ceux qui vous méprisent ? Hélas ! quelques pauvres pécheurs qui n'ont pas le courage de faire ce que vous faites, qui, pour cacher un peu leur honte, voudraient que vous fissiez comme eux ; c'est un pauvre aveugle qui, bien loin de vous mépriser, devrait passer sa vie à pleurer son malheur. Ses railleries vous montrent combien il est à plaindre et digne de compassion. Il fait comme une personne qui a perdu l'esprit, qui court les forêts, qui se roule par terre ou se jette dans les précipices en criant à tous ceux qui la voient de faire comme elle ; elle a beau crier, vous la laissez faire, et vous la plaignez, parce qu'elle ne connaît pas son malheur. De même, M.F., laissons ces pauvres malheureux crier et railler les bons chrétiens ; laissons les insensés dans leur démence ; laissons les aveugles dans leurs ténèbres ; écoutons les cris et les hurlements des réprouvés ; mais ne craignons rien, suivons notre route ; ils se font beaucoup de mal, sans point nous en faire ; plaignons-les, et marchons à notre ordinaire.
Savez-vous pourquoi les autres vous raillent ? C'est qu'ils voient que vous les craignez et qu'un rien vous fait rougir. Ce n'est pas votre piété qu'ils raillent, mais seulement votre inconstance et votre lâcheté à suivre votre chef. Voyez les gens du monde : avec quelle audace ils suivent leur chef ! Ne se font-ils pas gloire d'être libertins, ivrognes, adroits, vindicatifs ? Voyez un impudique : craint-il de vomir ses saletés devant le monde ? Pourquoi cela, M.F. ? C'est parce qu'ils sont contraints à suivre leur maître qui est le monde ; ils ne pensent et ne cherchent qu'à lui plaire ; ils ont beau souffrir, rien ne peut les arrêter. Voilà, M.F., ce que vous feriez, si vous vouliez en faire autant. Vous ne craindriez ni le monde ni le démon ; vous ne chercheriez et ne voudriez que ce qui pourrait plaire à votre Maître, qui est Dieu lui-même. Convenez avec moi que les mondains sont beaucoup plus constants à tous les sacrifices qu'ils font pour plaire à leur maître, qui est le monde, que nous, à faire ce que nous devons pour plaire à notre Maître, qui est notre Dieu.

 

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