Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Blog Parousie de Patrick ROBLES (Puget-Théniers, Alpes-Maritimes - FRANCE)

Sermons du Saint Curé d'Ars 11


M.F., si vous désirez le savoir, les voici ; écoutez-le bien, afin que vous puissiez les connaître, les combat-tre et les vaincre avec la grâce du bon Dieu. Je vous dirai d'abord que ceux du dehors viennent se joindre à ceux du dedans, afin de mieux exercer leur fureur sur les chrétiens. Oui, M.F., toutes les créatures que le Seigneur a faites pour l'usage de l'homme, servent ou à son salut ou à sa perte, selon l'usage qu'il en fait. Si vous voulez vous en convaincre, écoutez-moi un instant. Voyez un pauvre qui, dans sa pauvreté, gagnerait si sûrement le ciel. Mais, hélas ! que fait-il ? Ce que fit le mauvais lar-ron, qui de la croix descendit en enfer, au lieu de monter au ciel : il murmure, il se plaint, il porte envie aux riches, il en dit du mal et les traite de cruels, de tyrans ; les croix et les afflictions, qui sont des grâces bien grandes de la part du bon Dieu, le portent au désespoir. D'un autre côté, voyez les riches et ceux qui sont en santé. Au lieu d'en remercier le bon Dieu, et de faire un bon usage des biens qu'il leur a donnés en en faisant part aux pauvres, afin de pouvoir racheter leurs péchés, que font-ils ? Les biens les rendent orgueilleux et les portent à vivre dans un oubli entier de leur salut. Oui, M.F., dans quelque état que nous soyons, nous ren-controns partout des ennemis à combattre. Ici, ce sont de mauvais discours que nous entendons ; là, ce sont de mauvais exemples que nous voyons ; disons mieux, M.F., soit que nous veillions, soit que nous dormions, soit que nous buvions ou mangions, nous avons partout des pièges à éviter et des tentations à combattre, dans les plaisirs même les plus innocents, dans la compagnie des personnes même les plus vertueuses que nous fréquentons, dans nos œuvres les plus saintes, jusque dans nos prières. Hélas ! combien de distractions ! combien de pensées d'orgueil ! combien de fois nous nous sommes préférés à d'autres que nous avons crus moins bons que nous ! Dans nos confessions, hélas ! combien de détours pour paraître moins coupables que nous sommes ! combien de fois avons-nous eu la pensée de changer de confesseur pour éprouver moins de confusion ! Hélas ! que de sacrilèges dans nos communions ! Hélas ! que de vues humaines ! combien de fois nous sommes plus modestes en public, et si nous étions seuls, nous le serions moins. Dans nos jeûnes, que d'hypocrisies ! combien de fois nous faisons semblant de jeûner, et nous mangeons étant seuls ! Dans nos aumônes, combien de fois avons-nous cherché l'applaudissement des hommes ! Hélas ! M.F., que de pièges à éviter ! que de tentations à combattre ! Oui, M.F., le démon qui a juré notre perte, roule sans cesse autour de nous pour nous faire tomber dans ses filets. Oui, M.F., il se sert de tout ce qui nous environne pour nous porter au mal. Voici la manière dont le démon nous tente : il examiné tous les mouvements de notre cœur. À celui qui est sujet à l'orgueil, il met devant les yeux ou dans l'esprit tout ce qui est capable de lui en donner ; il lui fait croire que tout ce qu'il fait est bien fait ou bien dit ; il lui fait apercevoir qu'il est bien adroit, bien propre, bien économe, bien charitable. À celui qui aime l'argent, il fait envisager le bonheur de ceux qui sont riches, combien ils sont exempts de misère, qu'ils peuvent faire ce qu'ils veulent, qu'ils sont aimés et respectés de tout le monde. À celui qui est sujet au vice de l'impureté, il met sans cesse dans l'esprit les plaisirs des sens, de sorte que presque tout ce qu'il voit les lui rappelle ; d'autres dont le cœur est sensible, tantôt il les porte à l'orgueil, tantôt au désespoir. À ceux qui ont quelque apparence de vertu, il fait croire que l'on a bonne opinion d'eux ; ils aiment quand on se recommande à leurs prières ; ils se croient capables et dignes de grandes choses ; ils pensent quelquefois qu'ils pourraient bien faire des miracles. Hélas ! M.F., qu'il y en a peu qui échappent à tous ces pièges, et par conséquent, qu'il y en a peu qui iront au ciel !
Mais, me direz-vous peut-être, qui pourra connaître tous ces artifices ? Qui pourra les dévoiler ? - M.F., le voici : ceux-là seuls qui les sentent, qui les combattent et qui leur résistent. Eh bien ! M.F., voilà en partie les ennemis de notre salut. Jugez vous-mêmes s'ils sont à craindre. Jugez-en, mais encore mieux par les maux qu'ils vous ont faits jusqu'à présent et par l'état où ils vous ont réduits. Repassez dans votre esprit toutes les années de votre vie, et voyez chacun si depuis votre jeunesse vous n'avez pas été la victime, l'esclave et le malheureux jouet du démon, ce maudit Satan, et encore du monde et de vos penchants. Hélas ! M.F., qui pourrait compter toutes les mauvaises pensées que le démon vous a données et toutes les images dont il a tâché de salir votre imagination, et tous les mouvements déréglés qu'il a excités dans vous-mêmes ? Oui, M.F., si nous voulions sincèrement travailler à notre salut, nous sentirions véritablement ce que nous dit saint Jean : que « tout ce qui est dans le monde n'est que concupiscence de la chair, que concupiscence des yeux et qu'orgueil de la vie » ; que partout nous portons en nous-mêmes le germe de tous les vices, et que chacun de nous peut être tenté et séduit par son mauvais penchant ; que tout ce qui nous environne peut nous être une occasion de péché, et que le démon acharné à notre perte emploie tantôt nos mauvaises inclinations pour nous faire abuser des créatures, et tantôt les créatures pour exciter nos mauvaises inclinations. Hélas ! M.F., si nous connaissions bien le danger où nous sommes sans cesse de nous perdre, nous serions dans une frayeur continuelle. Nous dirions avec saint Paul : « Ah ! Seigneur, quand est-ce que j'aurai le bonheur d'être délivré de ce misérable corps qui semble ne m'être donné que pour me tourmenter et m'humilier et pour être un instrument de mille misères ! » Nous dirions bien encore avec le saint roi David : « Ah ! Seigneur, mon Dieu ! qui me donnera des ailes comme à la colombe pour voler » et m'enfuir de ce monde si misérable, où je ne rencontre que pièges et tentations de toute espèce !
Oui, M.F., dans tout ce que nous voyons, dans tout ce que nous entendons, dans tout ce que nous disons et faisons, nous nous sentons portés au mal. Si nous sommes à table, c'est la sensualité, la gourmandise et l'intempérance ; si nous prenons quelque moment de récréation, c'est la légèreté et les entretiens inutiles ; si nous travaillons, c'est la plupart du temps l'intérêt, l'avarice ou l'envie qui nous conduit, ou même la vanité ; si nous prions, c'est la négligence, les distractions, le dégoût et l'ennui ; si nous sommes dans quelque peine ou quelque affliction, ce sont les plaintes et les murmures ; si nous sommes dans la prospérité, c'est l'orgueil, l'amour-propre et le mépris du prochain ; les louanges nous enflent le cœur, les injures nous portent à la colère. Eh bien ! M.F., voilà ce qui a fait trembler les plus grands saints, voilà ce qui a peuplé les déserts de tant de solitaires, voilà quels sont les motifs de tant de larmes, de tant de prières, de tant de pénitences. Il est vrai que les saints qui étaient cachés dans les forêts, n'étaient pas exempts de tentations : mais au moins ils étaient éloignés de tant de mauvais exemples dont nous sommes environnés continuellement et qui perdent tant, d'âmes. Cependant, nous voyons dans leur vie qu'ils veillaient, qu'ils priaient et tremblaient sans cesse, tandis que nous, pauvres aveugles, nous sommes tranquilles au milieu de tant de dangers de nous perdre ! Hélas ! M.F., une partie ne connaît pas même ce que c'est que d'être tenté, parce que nous ne résistons presque jamais, du moins bien rarement. Hélas ! M.F., d'après cela, qui de nous échappera à tous ces dangers ? « Qui de nous sera sauvé ? » Non, M.F., une personne qui voudrait réfléchir à tout cela ne pourrait plus vivre, tant elle serait effrayée. Cependant, M.F., ce qui doit nous consoler et nous rassurer, c'est que nous avons affaire à un bon père qui ne permettra jamais que nos combats soient au-dessus de nos forces, et qui, chaque fois que nous aurons recours à lui, nous aidera à combattre et à vaincre.

II. - Nous avons dit que nous verrions les moyens que nous devons employer pour vaincre nos ennemis et sortir victorieux du combat. Il est très certain, M.F., que l'homme, dans son origine, n'était pas comme il est aujourd'hui, un composé de bien et de mal, de vices et de péchés. Son âme, sortie pure des mains de son Créateur, n'était pas sujette à toutes ces misères. Mais l'homme s'étant révolté contre son Dieu, dès ce moment même, il ne fut plus maître de lui-même : sa chair corrompue par le péché se révolta contre l'esprit. De là est venu ce mélange de bien et de mal, de bonnes et de mauvaises inclinations que nous trouvons chacun en nous-même. Les bonnes viennent du bon Dieu, qui est le père de nos âmes, et les mauvaises viennent du démon, le grand ennemi du bon Dieu et de nos âmes. Mais, pensez-vous peut-être en vous-mêmes : que devons-nous donc faire pour vaincre sûrement nos ennemis ? - M.F., vous n'avez que trois choses à faire ; les voici : « Veiller, fuir et prier. » Si vous êtes fidèles à ces trois avis, tout l'enfer déchaîné contre vous ne vous pourra rien. Mais expliquons, M.F., ces trois points si essentiels, parce que notre salut en dépend.
?? Je dis premièrement que nous devons veiller ; ce n'est pas seulement moi qui vous le dis, mais c'est Jésus-Christ lui-même qui vous le dit. « Si le père de famille, nous dit-il, savait à quelle heure les voleurs doivent venir, il ne s'endormirait pas ; mais il veillerait, pour ne pas laisser piller sa maison ; » il fermerait bien toutes les portes, il serait bien attentif au moindre bruit, il n'ouvrirait à personne sans bien le connaître, il serait continuellement sur ses gardes. Voilà, M.F., ce que Jésus-Christ veut que nous fassions par rapport à notre âme. Cette maison que le bon Dieu veut que nous gardions, c'est notre âme : ces voleurs, ce sont les démons, le monde et nos penchants ; parce que nous voyons et nous sentons nous-mêmes que ces voleurs sont toujours autour de nous, pour nous tenter et pour essayer de nous perdre. Nous devons donc toujours nous tenir sur nos gardes, afin qu'ils ne puissent jamais nous surprendre. - Mais, me direz-vous, comment pourrons-nous veiller continuellement sur nous-mêmes ? - M.F., le voici c'est, si nous prenons garde à toutes les pensées qui se présentent à notre esprit, à tous les mouvements qui s'élèvent dans notre cœur, à toutes les paroles qui sortent de notre bouche, et à tous les discours qui frappent nos oreilles, pour voir et examiner si, dans tout cela, il n'y a rien qui puisse déplaire au bon Dieu et blesser notre pauvre âme. Nous veillons sur nous-mêmes, M.F., lorsque dans toutes nos entreprises, dans toutes nos actions, dans toutes nos démarches, nous examinons devant le bon Dieu quels sont les motifs et les intentions qui nous font agir : si c'est l'orgueil, la vanité, l'intérêt, la haine, la vengeance ou bien des intentions tout humaines, toutes charnelles ou impures.
Oui, M.F., une personne qui veille sur elle-même, est comme une personne sage, qui est obligée de marcher dans un sentier fort étroit, fort glissant et bordé de précipices ; voyez comme elle marche avec précaution, comme elle prend garde où elle met les pieds, comme elle fait attention à tous ses pas. Prenez garde, nous dit saint Paul, à la manière dont vous marchez dans la voie du salut , c'est-à-dire à la manière dont vous parlez et vous agissez, à la moindre de vos pensées, au moindre de vos désirs, à la plus petite de vos actions. Prenez bien garde à vos yeux, si les objets sur lesquels ils se portent ne sont pas capables de donner la mort à votre âme ; prenez bien garde à votre langue, de crainte qu'elle ne soit un glaive qui ne tue votre pauvre âme. - Mais, me direz-vous, quelles sont donc les personnes qui prennent toutes ces précautions ? Nous sommes bien tous perdus, s'il faut prendre toutes ces mesures. - Nous ne sommes pas, il faut espérer, tous perdus ; mais il est toujours vrai de dire que, s'il y en a si peu qui suivent tout cela, il y en aura aussi bien peu qui arriveront au ciel. Voici, M.F., ce que nous devons faire : tous les matins après notre prière, il faut prévoir les occasions que nous aurons, d'offenser le bon Dieu, afin de pouvoir les éviter, et demander au bon Dieu la grâce et la force de ne point succomber ; le soir, il nous faut nous rendre compte à nous-mêmes, pour voir si nous avons été fidèles à nos résolutions : si nous sommes tombés, il faut, sans nous décourager, en gémir devant le bon Dieu, et lui demander de nouveau la grâce d'être plus fermes à l'avenir. Non, M.F., rien de plus avantageux que cette pratique pour nous procurer le bonheur de nous corriger, de nous faire apercevoir nos fautes ; ce n'est que de cette manière que nous viendrons à bout de nous donner au bon Dieu. Comment voulez-vous que nous puissions connaître nos péchés et les quitter, si nous ne rentrons en nous-mêmes, au moins une ou deux fois chaque jour ? Hélas ! M.F., malgré notre vigilance, que de péchés nous allons trouver à la mort, que nous n'avions pas vus pendant notre vie ! D'après cela, je vous laisse à penser dans quel état va se trouver une pauvre personne qui aura passé une partie de sa vie sans revenir sur ses pas. Hélas ! quel étonnement et quelle frayeur, ou plutôt quel désespoir ! Tenez, M.F., voyez un homme qui veut con-server sa santé ; voyez combien il prend de précautions pour éloigner tous les dangers ; il se prive de tout ce qui peut nuire à sa santé. Et pourquoi ; M.F., ne faisons--nous pas de même pour notre pauvre âme ? N'est-elle pas encore plus précieuse que notre corps ?
2? En second lieu, nous avons dit qu'avec ce remède, qui est de veiller sans cesse sur tous les mouvements de notre cœur, il faut encore fuir avec grand soin tout ce qui peut nous porter au mal, ou nous refroidir dans le service de Dieu.
Oui, M.F., si nous voulons nous conserver pour le ciel, nous devons fuir et éviter toutes les occasions pro-chaines du péché, c'est-à-dire les personnes dangereuses, et les lieux où ordinairement nous offensons le bon Dieu, quand nous y sommes ; il ne faut nous y trouver qu'au-tant que nous ne pouvons mieux faire. Vous allez dans une veillée, où presque toute la soirée se passe à médire, à calomnier le prochain, à dire de mauvaises raisons, à chanter de mauvaises chansons. Et pourquoi, M.F., y allez-vous ? - Mais, me direz-vous, il faut bien aller en quelque endroit. - Cela est bien vrai ; mais toutes les veillées ne sont pas de même : si vous y allez volontai-rement, au jour du jugement vous allez vous trouver coupables de tous les péchés qui se sont commis en votre présence. Vous ne le croyez pas ? Mais, au jour du juge-ment, vous le verrez. Hélas ! que vous serez fâchés de vous être rendus coupables de tant de péchés, et cela par votre seule présence ! Combien de fois vous avez cher-ché la compagnie d'une telle personne qui, par ses ma-nières ou sa présence, vous donnait de mauvaises pensées, faisait naître en vous de mauvais désirs ! Puisqu'elle est pour vous une occasion de péché, vous devez la fuir ; sinon, vous faites mal, parce que vous vous exposez à la tentation. Vous ne devez plus compter sur vos résolu-tions, parce que vous y avez tant de fois manqué ; d'ail-leurs votre propre expérience vous en a appris bien plus que je ne pourrais vous en apprendre et même plus que je n'oserais vous en dire. Il est vrai que souvent, ce qui est une occasion de péché pour les uns ne l'est pas pour les autres ; c'est à chacun de nous à examiner nos dispositions particulières, afin de nous conduire de manière à ne pas donner la mort à notre âme, mais à la conserver pour le ciel. Je vais vous montrer cela d'une manière encore plus claire.
J'appelle mauvaise compagnie, M.F., cet homme sans religion qui ne s'embarrasse ni des commandements de Dieu, ni de ceux de l'Église, qui ne connaît ni Carême, ni Pâques, qui ne vient presque jamais à l'église, ou, s'il y vient, ce n'est que pour scandaliser les autres par ses manières si peu religieuses : vous devez le fuir, sans quoi vous ne tarderez pas de lui ressembler, même sans vous en apercevoir ; il vous apprendra par ses mauvais discours, ainsi que par ses mauvais exemples, à mépriser les choses les plus saintes et à négliger vos devoirs les plus sacrés. Il commencera à tourner en ridicule votre piété, à faire quelque plaisanterie sur la religion et sur ses ministres ; il vous débitera quelques calomnies sur les prêtres et sur la confession, au point qu'il vous fera perdre entièrement le goût pour la fréquentation des sacrements ; il ne parlera des instructions de vos pasteurs que pour les tourner en ridicule ; et, vous êtes sûrs que, si vous le fréquentez quelque temps, vous verrez que, sans vous en apercevoir, vous allez perdre le goût pour tout ce qui a rapport au salut de votre âme. J'appelle mauvaise compagnie, M.F., ce jeune ou ce vieux mal-embouché qui n'a que de sales paroles à la bouche. Prenez bien garde, M.F., cette personne a la peste ! Si vous la fréquentez, vous êtes sûrs qu'elle vous la donnera et que, sans un miracle de la grâce, vous mourrez ; le démon se servira de ce misérable pour salir votre imagination et pourrir votre cœur. J'appelle mauvaise compagnie, M.F., ce joueur ou cet ivrogne de profession : quelque sobre et bien rangé que vous soyez, il vous aura bientôt perdu en vous faisant manger votre argent dans les jeux et les cabarets ; vous finirez par devenir la désolation de votre famille et le scandale de toute la paroisse. J'appelle mauvaise compagnie, M.F., cette personne curieuse, inquiète et médisante, qui veut savoir tout ce qui se passe dans les maisons, qui est toujours prête à juger ce qui ne la regarde pas. Le Saint-Esprit nous dit que ces personnes non seulement sont odieuses à tout le monde, mais encore qu'elles sont maudites du Seigneur . Fuyez-les, M.F., sans quoi vous allez faire comme elles. Vous-même y périrez : « Dis-moi qui tu fréquentes, je te dirai qui tu es. »
Si les mauvaises compagnies sont si à craindre, M.F., les mauvais livres ne le sont pas moins. Il ne faut souvent que la lecture d'un mauvais livre pour perdre une personne. Hélas ! M.F., combien de personnes, de pauvres misérables, qui ont chez eux des cahiers de chansons mauvaises, et qui les prêtent aux uns et aux autres ! Hélas ! quel sera leur jugement ? Que vont-ils répondre lorsque le bon Dieu va leur montrer qu'ils ont tant perdu d'âmes par les mauvaises chansons qu'ils ont prêtées ou par celles qu'ils ont chantées ? Ne conviendrez-vous pas avec moi, M.F., que si nous ne fuyons pas toutes ces sortes de personnes, nous sommes à peu près sûrs de nous perdre pour l'éternité ?
3? Mais voici le dernier moyen que nous devons prendre pour vaincre l'ennemi de notre salut : c'est la prière. Oui, M.F., c'est elle qui rend efficaces tous les autres moyens que nous pouvons prendre et dont nous venons de parler ; sans elle, c'est-à-dire, sans la prière, toutes nos précautions ne nous serviront de rien. C'est ce que je vais vous montrer d'une manière bien sensible, et cela par un exemple.
Nous lisons dans l'Écriture sainte que, pendant que Josué combattait dans la plaine contre les Amalécites, Moïse était en prière sur la montagne, ayant les bras étendus et les mains élevées vers le ciel. Tant que ses mains étaient ainsi élevées vers le ciel, le peuple de Dieu battait les ennemis ; mais dès que ses bras fatigués de lassitude tombaient, les ennemis avaient le dessus. L'on fut obligé de lui soutenir les bras jusqu'à la fin du combat, et les Amalécites furent défaits et taillés en pièces, non par la valeur des combattants, mais par les prières du serviteur de Dieu . Cet exemple nous montre, M.F., que la prière est non seulement bien efficace, mais encore de toute nécessité pour vaincre les ennemis de notre salut. D'ailleurs, M.F., voyez tous les saints : ils ne se contentaient pas de veiller et de combattre pour vaincre les ennemis de leur salut, et de fuir tout ce qui pouvait leur servir de tentation ; mais ils passaient toute leur vie à prier, non seulement le jour, mais bien souvent la nuit tout entière. Oui, M.F., nous aurons beau veiller sur nous-mêmes, sur tous les mouvements de notre cœur, nous aurons beau fuir, si nous ne prions pas, si nous n'avons pas continuellement recours à là prière, tous nos autres moyens ne nous serviront de rien, nous serons vaincus. Nous voyons que, dans le monde, il y a beaucoup d'occasions que nous ne pouvons pas fuir ; comme par exemple, un enfant ne peut pas fuir la compagnie de ses parents à cause de leurs mauvais exemples ; mais il peut prier, la prière le soutiendra.
Mais encore, supposons que nous pouvons fuir les personnes qui donnent les mauvais exemples, nous ne pouvons pas nous fuir nous-mêmes, qui sommes notre plus grand ennemi. Le pourrions-nous, si le Seigneur ne veille pas à notre conservation, toutes nos mesures ne nous serviront de rien . Non, M.F., nous ne trouverons pas un pécheur qui se soit converti sans avoir eu recours à la prière ; pas un qui ait persévéré sans avoir eu grandement recours à la prière ; et vous ne trouverez pas un chrétien damné qui n'ait commencé sa réprobation par le défaut de prière. Nous voyons aussi combien le démon craint celui qui prie, puisqu'il n'y a point de moment où il nous tente davantage que celui où nous prions ; il fait tout ce qu'il peut pour nous empêcher de prier. Lorsque le démon veut perdre une personne, il commence par lui inspirer un grand dégoût pour la prière ; quelque bonne chrétienne qu'elle soit, s'il vient à bout de lui faire quitter ou mal faire, ou négliger sa prière, il est sûr de l'avoir. Si vous voulez encore mieux le comprendre, dites-moi, depuis quel temps est-ce que vous ne résistez plus aux tentations que le démon, vous donne, et que vous laissez la porte de votre cœur ouverte à tout venant ? N'est-ce pas depuis que vous laissez vos prières, ou que vous ne les faites que par habitude, par routine seulement, ou pour vous débarrasser, et non pour plaire au bon Dieu ? Oui, M.F., dès que nous laissons nos prières, nous courons à grands pas vers l'enfer : de telle sorte que jamais nous ne reviendrons au bon Dieu, si nous n'avons pas recours à la prière. Oui, M.F., avec une prière bien faite, nous pouvons commander au ciel et à la terre, tout nous obéira. Écoutez ce que Jésus-Christ nous dit lui-même pour nous montrer la nécessité de recourir à la prière : Tout est possible à la prière, nous dit-il, tout est promis à la prière bien faite . Voyez les Apôtres : avec la prière, ils faisaient marcher les paralytiques, ils faisaient entendre les sourds, marcher les boiteux , voir les aveugles, et ils ressuscitaient les morts .
Voulons-nous, M.F., n'être pas vaincus par le démon, notre cruel ennemi ? Ayons recours sans cesse à la prière. Mais il faut prier comme il faut, mais il faut que notre prière parte du fond de notre cœur, et non pas du bout des lèvres, comme nous le faisons presque toujours. Il faut encore que nous soyons bien persuadés que de nous-mêmes nous ne pouvons ni combattre ni vaincre, et que nous avons absolument besoin de la grâce de Dieu, et que cette grâce ne nous sera donnée que par la prière bien faite. Mais si nous avons le malheur d'être vaincu par le démon, sans nous décourager, il faut retourner au combat et ne plus compter sur nos résolutions, comme nous avons fait peut-être jusqu'à présent mais tout sur la bonté de Jésus-Christ, qui combattra avec nous et qui nous aidera à renverser notre ennemi.
Concluons, M.F., en disant que toutes les fois que nous avons péché, cela a été toujours parce que nous n'avons pas assez veillé sur nous-mêmes, pas assez fui les compagnies et les lieux qui pouvaient nous porter au mal, ou que nous n'avons pas prié, ou bien que nous avons mal prié. Heureux, M.F., celui qui, à l'heure de la mort, pourra dire comme saint Paul : « J'ai bien combattu, mais avec la grâce de Dieu j'ai toujours résisté à la tentation ; me voilà au bout de ma course, mes combats sont finis, j'attends avec confiance la couronne de justice que le Seigneur, si bon qu'il est, a promise à tous ceux qui auront combattu et persévéré jusqu'à la fin . » C'est le bonheur que je vous souhaite.
LA SEXAGÉSIME

Sur la parole de Dieu

Beau qui audiunt verbum Pei, et custodiunt illud.
Bienheureux celui qui écoute la parole de Dieu et qui la met en pratique.
(S. Luc, XI, 28.)

Nous lisons dans l'Évangile, M.F., que le Sauveur du monde instruisait le peuple, lui disait des choses si merveilleuses et si étonnantes, qu'une femme du milieu de la foule éleva la voix et s'écria : « Bienheureux est le sein qui vous a porté et les mamelles qui vous ont nourri ; » mais Jésus-Christ reprit aussitôt : « Bien plus heureux est celui qui écoute la parole de Dieu et qui observe ce qu'elle lui commande. » Cela vous étonne peut-être, M.F., que Jésus-Christ nous dit que celui qui écoute la parole de Dieu avec un vrai désir d'en profiter est plus agréable à Dieu que celui qui le reçoit dans la sainte communion ; oui sans doute, M.F., nous n'avons jamais bien compris combien la parole de Dieu est un don précieux. Hélas ! M.F., si nous l'avions bien compris, avec quel respect, avec quel amour nous devrions l'entendre ! M.F., ne nous y trompons pas nécessairement la parole de Dieu produira en nous des fruits, ou bons ou mauvais ; ils seront bons, si nous y apportons de bonnes dispositions, c'est-à-dire, un vrai désir d'en profiter et de faire tout ce qu'elle nous prescrira ; ils seront mauvais, si nous venons l'entendre avec indifférence, dégoût même, peut-être avec mépris ou cette parole sainte nous éclairera, nous montrera nos devoirs, ou elle nous aveuglera et nous endurcira. Mais pour mieux vous le faire comprendre, je vais vous montrer : 1? combien sont grands les avantages que nous retirons de la parole de Dieu ; 2? comment les chrétiens ont l'habitude de la recevoir ; et 3? les dispositions que nous devons y apporter pour avoir le bonheur d'en profiter.

I. - Pour vous faire comprendre combien est grand le prix de la parole de Dieu, je vous dirai que tout l'établissement et les progrès de la religion catholique sont l'ouvrage de la parole de Dieu jointe à la grâce qui l'accompagne toujours. Oui, M.F., nous pouvons encore dire qu'après la mort de Jésus-Christ sur le Calvaire, et le saint Baptême, il n'y a point de grâce que nous recevions dans notre sainte religion, qui peut l'égaler : ce qui est facile à comprendre. Combien de personnes qui sont allées au ciel sans avoir reçu le sacrement de Pénitence ! Combien d'autres sans avoir reçu celui du Corps adorable et du Sang précieux de Jésus-Christ ! et combien d'autres qui sont dans le ciel, qui n'ont reçu ni celui de la Confirmation ni celui de l'Extrême-Onction ! Mais pour l'instruction qui est la parole de Dieu, dès que nous avons l'âge capable de nous faire instruire, il nous est aussi difficile d'aller au ciel sans être instruits que sans être baptisés. Hélas ! M.F., nous verrons malheureusement au jugement que le plus grand nombre des chrétiens damnés, l'auront été parce qu'ils n'ont pas connu leur religion. Allez, M.F., interrogez tous les chrétiens réprouvés, et demandez-leur pourquoi ils sont en enfer. Tous vous répondront que leur malheur vient ou de ce qu'ils n'ont pas voulu écouter la parole de Dieu ou de ce qu'ils l'ont méprisée. - Mais, me direz-vous peut-être, que fait en nous cette parole sainte ? - Le voici : elle est semblable à cette colonne de feu qui conduisait les Juifs lorsqu'ils étaient dans le désert, qui leur montrait le chemin par où ils devaient passer, qui s'arrêtait lorsqu'il fallait que le peuple s'arrêtât et marchait quand il fallait qu'il marchât ; de sorte que ce peule n'avait qu'à être fidèle à la suivre et il était sûr de ne pas s'égarer dans sa marche . Oui, M.F., elle fait la même chose à notre égard : elle est un beau flambeau qui brille devant nous, qui nous conduit dans toutes nos pensées, nos desseins et nos actions ; c'est elle qui allume notre foi, qui fortifie notre espérance, qui enflamme notre amour pour Dieu et pour le prochain ; c'est elle qui nous fait comprendre la grandeur de Dieu, la fin heureuse pour laquelle nous sommes créés, les bontés de Dieu, son amour pour nous, le prix de notre âme, la grandeur de la récompense qui nous est promise ; oui, c'est elle qui nous dépeint la grandeur du péché, les outrages qu'il fait à Dieu, les maux qu'il nous prépare pour l'autre vie ; c'est elle qui nous fait frissonner à la vue du jugement qui est réservé aux pécheurs, par la peinture effrayante qu'elle nous en fait ; oui, M.F., c'est cette parole qui nous porte à croire sans rien examiner toutes les vérités de notre sainte religion où tout est mystère, et cela en réveillant notre foi. Dites-moi, n'est-ce pas après une instruction que l'on sent son cœur ému et plein de bonnes résolutions ? Hélas ! celui qui méprise la parole de Dieu est bien à plaindre, puisqu'il rejette et méprise tous les moyens de salut que le bon Dieu nous présente pour nous sauver. Dites-moi, M.F., de quoi se sont servis les patriarches et les prophètes, Jésus-Christ lui-même et tous les apôtres, ainsi que tous ceux qui les ont secondés, pour établir et augmenter notre sainte religion, n'est-ce pas de la parole de Dieu ? Voyez Jonas, lorsque le Seigneur l'envoya à Ninive ; que fit-il ? rien autre, sinon que de lui annoncer la parole de Dieu en lui disant que dans quarante jours tous ses habitants périraient . N'est-ce pas cette parole sainte qui changea les cœurs des hommes de cette grande ville, qui, de grands pécheurs, en fit de grands pénitents ? Que fit saint Jean-Baptiste pour commencer à faire connaître le Messie, le Sauveur du monde ? N'est-ce pas en leur annonçant la parole de Dieu ? Que fit Jésus-Christ lui-même en parcourant les villes et les campagnes, continuellement environné de foules de peuple qui le suivaient jusque dans le désert ? De quel moyen se servait-il pour apprendre la religion qu'il voulait établir, sinon de cette parole sainte ? Dites-moi, M.F., qui a porté tous ces grands du monde à quitter leurs biens, leurs parents et toutes leurs aises ? N'est-ce pas en entendant la parole de Dieu qu'ils ont ouvert les yeux de l'âme et compris le peu de durée et la caducité des choses créées, qu'ils se sont mis à chercher les biens éternels ? Un saint Antoine, un saint François, un saint Ignace.......... Dites-moi, qui peut porter les enfants à avoir un grand respect pour leurs père et mère, les leur faisant regarder comme tenant la place de Dieu même ? N'est-ce pas les instructions qu'ils ont reçues dans les catéchismes, que leur pasteur leur a faites, en faisant voir la grandeur de la récompense qui est attachée à un enfant sage et obéissant ? Eh ! qui sont les enfants, M.F., qui méprisent leurs parents ? Hélas ! M.F., combien de pauvres enfants ignorants, et qui de l'ignorance sont conduits dans l'impureté et le libertinage, et qui souvent finissent par faire mourir leurs pauvres parents ou de chagrin ou d'une autre manière plus mauvaise encore ! Qui peut, M.F., porter un voisin à avoir une grande charité pour son voisin, sinon une instruction qu'il aura entendue, où on lui aura montré combien la charité est une action agréable à Dieu ? Qui a porté tant de pécheurs à sortir du péché ? N'est-ce pas quelque instruction qu'ils ont entendue, où on leur a dépeint l'état malheureux d'un pécheur qui tombe entre les mains d'un Dieu vengeur ? Si vous en voulez la preuve, écoutez-moi un instant et vous en serez convaincus.
Il est rapporté dans l'histoire qu'un ancien officier de cavalerie passait dans un de ses voyages par un lieu où le Père Bridaine donnait une mission. Curieux d'entendre un homme dont la réputation était si grande et qu'il ne connaissait pas, il entre dans une église où le Père Bridaine était à faire la peinture effrayante de l'état d'une âme dans le péché, l'aveuglement où le pécheur était d'y persévérer, le moyen facile que le pécheur avait d'en sortir par une bonne confession générale. Le militaire en fut si touché, ses remords de conscience furent si forts ou plutôt lui devinrent si insupportables, qu'à l'instant même il forma la résolution de se confesser et de faire une confession de toute sa vie. Il attend le missionnaire au pied de la chaire en le priant en grâce de lui faire faire une confession de toute sa vie. Le Père Bridaine le reçut avec une grande charité. « Mon Père, lui dit le militaire, je resterai tant que vous voudrez ; je viens de concevoir un grand désir de sauver mon âme. » Il fait sa confession avec tous les sentiments de piété et de douleur que l'on pouvait attendre d'un pécheur qui se convertit ; il disait lui-même que chaque fois qu'il accusait un péché il lui semblait ôter un poids énorme de sa conscience. Quand il eut fini sa confession, il se retira d'auprès du père Bridaine, pleurant à chaudes larmes. Les gens étonnés de voir ce militaire verser tant de larmes, lui demandaient quelle était la cause de son chagrin et de ses larmes : « Ah ! mes amis, qu'il est doux de verser des larmes d'amour et de reconnaissance, moi, qui ai vécu si longtemps dans la haine de mon Dieu ! »
Hélas ! que l'homme est aveugle de ne pas aimer le bon Dieu et de vivre son ennemi, tandis qu'il est si doux de l'aimer ! Ce militaire va trouver le Père Bridaine qui était à la sacristie, et là, en présence de tous les autres missionnaires, il voulut leur faire part de ses sentiments : « Messieurs, leur dit-il, écoutez-moi, et vous, Père Bridaine, souvenez-vous-en : Je ne crois pas que dans ma vie j'aie tant goûté de plaisir et si pur et si doux que celui que je goûte depuis que j'ai le bonheur d'être en état de grâce ; non, je ne crois pas en vérité que Louis XV, que j'ai servi pendant trente-six ans, puisse être si heureux que moi ; non, je ne crois pas que, malgré tous les plaisirs qui l'assiègent et tout l'éclat du trône qui l'environne, il soit si content que je le suis maintenant. Depuis que j'ai déposé l'horrible fardeau de mes péchés, dans ma douleur et dans le dessein de faire pénitence, je ne changerais pas maintenant mon sort pour tous les plaisirs et toutes les richesses du monde. » A ces mots, il se jette aux pieds du Père Bridaine, lui serre la main : « Ah ! mon Père, quelles actions de grâces pourrai-je rendre au bon Dieu pendant toute ma vie, de m'avoir conduit dans ce pays comme par la main ! Hélas ! mon Père, je ne pensais nullement à faire ce que vous avez eu la charité de me faire faire. Non, mon Père, jamais je ne pourrai vous oublier ; je vous prie en grâce de demander au bon Dieu pour moi que toute ma vie ne soit plus qu'une vie de larmes et de pénitence. » Le Père Bridaine et tous les autres missionnaires qui étaient témoins de cette aventure fondaient en larmes, en disant : « Oh ! que le bon Dieu a de grâces pour ceux qui ont un cœur docile à sa voix ! Oh ! que d'âmes se damnent et qui, si elles avaient le bonheur d'être instruites, seraient sauvées ! » Ce qui faisait que le Père Bridaine demandait au bon Dieu, avant ses entretiens, qu'il embrasât tellement son cœur que ses paroles fussent semblables au feu dévorant qui brûle d'amour les cœurs des pécheurs les plus endurcis et les plus rebelles à la grâce. Eh bien ! M.F., qui fut la cause de la conversion de ce soldat ? Rien autre que la parole de Dieu qu'il entendit et qui trouva son cœur docile à la voix de la grâce. Hélas ! que de chrétiens se convertiraient s'ils avaient le bonheur d'apporter de bonnes dispositions à écouter la parole de Dieu ! Que de bonnes pensées et de bons désirs elle ferait naître dans leur cœur, que de bonnes œuvres elle leur ferait faire pour le ciel !
Avant d'aller plus loin, M.F., il faut que je vous cite un trait qui est arrivé au même Père Bridaine faisant une mission à Aix en Provence ; il y a en cela quelque chose d'assez singulier. Le missionnaire se mettait à table avec un confrère, lorsqu'un officier frappa avec empressement au logis des missionnaires : tout essoufflé, il demande avec un visage altéré le chef de la compagnie. Le Père Bridaine s'étant approché : « Père Bridaine, » lui dit à l'oreille l'officier avec une certaine émotion et d'un ton sévère qui montrait combien son âme était agitée. Le missionnaire étant entré avec lui, l'officier ferme la porte, arrache ses bottes, jette son chapeau loin de lui, tire son épée. « Je vous avoue, disait ensuite le Père Bridaine à ses compagnons, que tout cela m'effraya : son silence, son œil hagard, son serrement de main, sa précipitation et son trouble, me firent juger que c'était un homme à qui j'avais arraché l'objet de sa passion, et que, pour s'en venger, il venait sûrement m'ôter la vie ; mais je fus bientôt détrompé en voyant ce militaire se jeter à mes genoux, le visage collé contre terre, prononçant ces mots avec assurance : « Il n'est pas question de me laisser, mon Père, ni de différer davantage, vous voyez à vos pieds le plus grand pécheur que la terre ait pu porter depuis le commencement du monde ; je suis un monstre. Je viens de bien loin pour me confesser à vous, et à présent ; sans quoi, je ne sais plus ce que je deviens. » Le Père Bridaine lui dit avec bonté : « Mon ami, un instant, je reviens de suite. » « Mon Père, lui répond le soldat en pleurant à chaudes larmes, répondez-vous de mon âme pendant ce délai ? Sachez, mon Père, que je suis en poste depuis vingt-sept lieues ; il y a bien longtemps que je ne vis pas et que le cœur me crève, je ne puis plus y tenir ; ma vie et l'enfer semblent n'être qu'une même chose ; mon tourment dure depuis que je vous ai entendu prêcher dans un tel endroit, où vous avez si bien dépeint l'état de mon âme, qu'il m'a été impossible de ne pas croire que le bon Dieu ne vous avait fait faire cette instruction que pour moi seul ; cependant, lorsque j'entrai dans cette église où vous prêchiez, ce n'était que par curiosité que j'y fus, et c'est. précisément là que le bon Dieu m'attendait. Que je suis heureux, mon Père, de pouvoir me délivrer de ces remords de conscience qui me dévorent ! prenez le temps qu'il faudra mettre pour bien faire ma confession, je resterai ici autant que vous voudrez ; mais il faut que vous me soulagiez à l'instant, car ma conscience est un bourreau qui ne me laisse point de repos ni le jour ni la nuit ; enfin, mon Père, je veux me convertir tout de bon ; l'entendez-vous, mon Père ? Vous ne sortirez point d'ici que je ne vous aie déchargé mon cœur. Si vous voulez me refuser cela, je crois que je vais mourir de chagrin à vos pieds. »
« Mais il dit cela, nous dit le Père Bridaine, en versant des larmes en abondance. Je fus si touché, nous dit-il encore, d'une scène aussi touchante, que je l'embrasse, je le bénis, je mêle mes larmes avec les siennes ; je ne pensais plus à aller manger ; je l'encourageai, autant qu'il me fut possible, de tout espérer de la grâce du bon Dieu qui s'était déjà montrée à lui d'une manière particulière ; je restai quatre heures de suite à entendre sa confession ; il semblait m'arroser de ses larmes, ce qui me portait à ne pas pouvoir retenir les miennes ; je ne le quittai que pour aller annoncer la parole de Dieu. »
Ce généreux militaire resta quelque temps auprès du Père Bridaine, pour recevoir les avis qui lui étaient nécessaires pour avoir le bonheur de persévérer. Avant de quitter le Père Bridaine, il le pria de lui pardonner les larmes qu'il lui avait causées : « Cependant, mon Père, lui dit le militaire, les vôtres n'étaient rien en comparaison des miennes. Je tremblais tous les jours que la mort ne m'enlevât dans l'état où j'étais, il me semblait que la terre allait s'ouvrir sous mes pieds pour m'engloutir tout vivant en enfer. Vous pensez, mon Père, que quand on a de pareils ennemis à sa suite et qu'on y réfléchit sérieusement, l'on ne peut pas rester tranquille, quand encore on aurait un cœur aussi dur que l'airain. Maintenant, mon Père, je voudrais mourir, tant j'ai de joie d'être bien avec le bon Dieu. » Il ne pouvait plus quitter le Père Bridaine, il lui baisa les mains, il l'embrassa. Le Père Bridaine, voyant un tel miracle de la grâce, ne put, de son côté, s'empêcher de verser des larmes : leurs derniers adieux faisaient couler les larmes de tous ceux qui en furent témoins. « Adieu, mon Père, dit le militaire au Père Bridaine, après le bon Dieu, c'est à vous que je dois le ciel. » Retourné dans son pays, il ne pouvait se contenter de publier combien le bon Dieu avait été bon pour lui, il finit sa vie dans les larmes et la pénitence et mourut en saint, six mois après sa conversion.

Retour à l'accueil
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article