Blog Parousie de Patrick ROBLES (Puget-Théniers, Alpes-Maritimes - FRANCE)
II. - Mais examinons plutôt, M.F., qui sont ceux qui apportent de bonnes dispositions pour entendre cette parole de vie. Hélas ! M.F., vous venez de voir, par les paroles mêmes de Jésus-Christ, que très peu apportent les dispositions nécessaires pour en bien profiter. Savez-vous ce que c'est qu'une personne qui n'est pas nourrie de cette parole sainte ou qui en abuse : elle est semblable à un malade sans médecin, à un voyageur égaré et sans guide, à un pauvre sans ressource ; disons mieux, M.F., qu'il est tout à fait impossible d'aimer Dieu et de lui plaire sans être nourri de cette parole divine. Qu'est-ce qui peut nous porter à nous attacher à Lui, sinon parce que nous le connaissons ? Et qui peut nous le faire connaître avec toutes ses perfections, ses beautés et son amour pour nous, sinon la parole de Dieu, qui nous apprend tout ce qu'il a fait pour nous et les biens qu'il nous prépare pour l'autre vie, si nous ne cherchons qu'à lui plaire ? Qui peut nous porter à quitter, à pleurer nos péchés, sinon la peinture effrayante que le Saint-Esprit nous en fait dans les saintes Écritures ? Qui peut nous porter à tout sacrifier ce que nous avons de plus cher au monde, pour avoir le bonheur de conserver les biens du ciel, sinon les tableaux mêmes que nous en font les prédicateurs ? Si vous en doutez, M.F., demandez à saint Augustin ce qui a commencé à le faire rougir au milieu de ses infamies : n'est-ce pas le tableau effrayant que fit saint Ambroise dans un sermon où il montra toute l'horreur du vice d'impureté, combien il dégradait Monime, et combien l'outrage qu'il faisait à Dieu était affreux .
Qu'est-ce qui porta sainte Pélagie, cette fameuse courtisane qui, par sa beauté et encore plus par les dérèglements de sa vie, avait tant perdu d'âmes, qu'est-ce qui la porta à embrasser la plus rude pénitence pour le reste de sa vie ?... Un jour qu'elle était suivie par une troupe de jeunes gens empressés à lui faire la cour, s'étant parée magnifiquement, mais d'un air qui ne respirait que la mollesse et la volupté, dans cet étalage de mondanité, elle se trouve de passer près de la porte d'une église où se trouvaient plusieurs évêques qui s'entretenaient des affaires de l'Église. Les saints prélats, indignés de ce spectacle, en détournèrent la vue ; cependant l'un d'entre eux, appelé Nonus, regarda fixement cette comédienne et dit en gémissant : « Ah ! que cette femme qui prend tant de soin pour plaire aux hommes sera notre condamnation, à nous qui prenons si peu de soin pour plaire au bon Dieu ! » Le saint prélat ayant pris son diacre par la main, le mena dans sa cellule ; lorsqu'ils y furent arrivés, il se dota le visage contre terre et dit en se frappant la poitrine et en pleurant amèrement : « O Jésus-Christ, mon maître, ayez pitié de moi ; faut-il que pendant toute ma vie je n'aie pas autant pris de soin pour parer mon âme qui est si précieuse, qui vous a tant coûté, que cette courtisane en a pris en un seul jour pour parer son corps et pour plaire au monde ! »
Le lendemain, le saint évêque étant monté en chaire, peignit d'une manière si effroyable les maux que faisait cette courtisane, le nombre d'âmes que sa mauvaise vie traînait en enfer... son discours fut prononcé avec des larmes en abondance. Justement Pélagie était dans l'église, qui écoutait le sermon que faisait le saint évêque ; elle en fut tellement touchée, ou plutôt épouvantée, qu'elle résolut sur-le-champ de se convertir. Elle va trouver le saint prélat sans se ménager davantage, elle se jette aux pieds du saint évêque en présence de toute l'assemblée, lui demande avec tant d'instances et de larmes le Baptême, que l'évêque, la voyant si bien repentante, lui administra non seulement le Baptême, mais encore la Confirmation et la Communion. Après cela, Pélagie distribua tous ses biens aux pauvres, donna la liberté à tous ses esclaves, se couvrit d'un cilice, quitta secrètement la ville d'Antioche et alla se renfermer dans une grotte sur la montagne des Oliviers, près de Jérusalem. Le diacre du saint évêque désirait aller à Jérusalem en pèlerinage ; son évêque lui dit, avant son départ, de s'informer là-bas s'il n'y avait pas une fille cachée dans une grotte depuis quatre ans. En effet, quand le diacre fut arrivé à Jérusalem, il demanda si l'on savait quelque fille recluse depuis quatre ans, dans une grotte aux environs de la ville. Le diacre la trouva sur la montagne dans une cellule qui n'avait d'ouverture que par une petite fenêtre presque toujours fermée. La pénitence épouvantable que faisait Pélagie l'avait tellement changée, que le diacre ne put la reconnaître ; il lui dit qu'il venait lui rendre visite de la part de l'évêque Nonus ; elle répondit simplement, en versant des larmes, que l'évêque Nonus était un saint et qu'elle se recommandait bien à ses prières ; et elle ferma la fenêtre aussitôt comme étant indigne de voir le jour après avoir tant offensé le bon Dieu et perdu tant d'âmes. Les solitaires lui dirent tous qu'elle exerçait sur son corps des tourments, qui faisaient frayeur aux solitaires les plus austères. Le diacre, avant de partir, voulut encore avoir une fois le bonheur de la voir ; mais il la trouva morte . Eh bien ! M.F., qui tira cette pauvre malheureuse du milieu de ses infamies pour en faire une si grande pénitente ? Eh ! bien, M.F., une seule instruction fit ce changement en elle. Mais encore, M.F., d'où vient cela ? C'est, M.F., que la parole de Dieu trouva son cœur bien disposé à recevoir cette semence ; c'est que cette parole tomba dans la bonne terre.
Savez-vous, M.F. ; ce que nous sommes ? Le voici : nous sommes ces grands du monde, qui sont dans l'abondance de tout ce que le cœur peut désirer, qui épuisent leur connaissance à créer de nouvelles inventions pour faire trouver de nouveaux goûts dans les viandes qu'on leur sert, qui malgré cela ne trouvent rien de bon. Si une personne qui souffre de la faim était témoin de cela, ne dirait-elle pas en pleurant : « Ah ! si j'avais ce qu'ils méprisent tant, que je serais heureuse ! » Hélas ! M.F., nous pouvons bien dire la même chose si des pauvres idolâtres et des païens avaient la moitié ou le quart de cette parole que l'on nous distribue si souvent et dont nous faisons si peu de cas ou plutôt que nous méprisons, que nous entendons avec ennui et dégoût, hélas ! que de larmes ils répandraient, que de pénitences, que de bonnes œuvres et que de vertus ils auraient le bonheur de pratiquer ! Oui, M.F., cette parole sainte est perdue pour ces pécheurs qui sont livrés à la dissipation, qui n'ont point de règle de vie, dont l'esprit et le cœur sont semblables à un grand chemin par où tout le monde passe, qui ne savent pas seulement ce que c'est que de rejeter une mauvaise pensée. Un moment, c'est une bonne pensée ou un bon désir qui les occupe ; un autre moment, c'est une mauvaise pensée et un mauvais désir ; tout à l'heure, vous les entendiez chanter les louanges de Dieu dans l'église ; dans un autre moment, vous les entendrez chanter les chansons les plus infâmes dans les cabarets ; ici vous les voyez dire du bien de leurs voisins, et là vous les voyez avec ceux qui déchirent leur réputation ; un jour ils donneront de bons conseils, demain ils en porteront d'autres à se venger. D'après cela, M.F., s'ils écoutent la parole de Dieu, ce n'est que par habitude et peut-être même avec mauvaise intention, pour critiquer celui qui est si charitable que de l'annoncer. Mais ils l'écoutent comme l'on écoute une fable ou une chose très indifférente. Hélas ! que peut faire la parole de Dieu dans des cœurs si mal disposés, sinon les endurcir davantage ? Mon Dieu, que votre sainte parole, qui ne nous est donnée que pour nous aider à nous sauver, précipite d'âmes dans les enfers !
Je vous ai bien dit, en commençant, que la parole de Dieu porte toujours du fruit bon ou mauvais, selon nos dispositions. Voilà, M.F., l'état d'une personne qui ne combat pas ses penchants, qui ne cherche pas à se garantir de ses passions qui la maîtrisent : à mesure que la parole de Dieu tombe, l'orgueil passe, la foule aux pieds ; le désir de vengeance passe, l'écrase ; Tes mauvaises pensées et les mauvais désirs viennent l'enfoncer dans le bourbier ; après quoi, le démon qui règne dans ce pauvre cœur, à la première occasion, enlève le reste de l'impression qu'a pu faire en nous la parole de Dieu. Voilà, M.F., ce que nous dit premièrement l'Évangile : je ne sais pas si vous l'avez bien compris, mais pour moi je tremble quand j'entends saint Augustin nous dire que nous sommes aussi coupables d'entendre la parole de Dieu sans un vrai désir d'en profiter, que les Juifs lorsqu'ils flagellèrent Jésus-Christ et le roulèrent sous leurs pieds. Hélas ! M.F., nous n'avons jamais pensé que nous commettions une espèce de sacrilège, lorsque nous ne voulions pas profiter de cette parole sainte.
Cependant, M.F., cela n'est pas positivement vos dispositions, du moins pour un grand nombre : nous prenons encore de belles résolutions de changer de vie ; quand nous entendons prêcher, nous disons en nous-mêmes : il faut tout de bon mieux faire. Voilà qui est très bien ; mais dès que le bon Dieu nous envoie quelque épreuve, nous oublions nos résolutions et nous continuons notre même genre de vie. Nous avons résolu d'être moins attachés aux biens de ce monde ; mais le moindre tort qu'on nous fasse, nous cherchons à nous rattraper, nous disons du mal des personnes qui nous ont fait tort et nous conservons la haine ; nous avons peine à voir ces personnes, nous ne voulons plus leur rendre service. Nous pensons que maintenant nous voulons bien pratiquer l'humilité, parce que nous avons entendu dans une instruction combien l'humilité est une belle vertu, combien elle nous rend agréables à Dieu ; mais à la première occasion qui se présente, qu'on nous méprise, nous nous fâchons, nous disons du mal de nos contradicteurs, et si jamais nous leur avons fait quelque bien, nous le leur reprochons. Voilà, M.F., ce que nous faisons. Plusieurs fois nous avons résolu de bien faire, mais aussitôt que nous avons l'occasion, nous n'y pensons plus et nous continuons notre route ordinaire. Ainsi passe notre pauvre vie, dans les résolutions et dans les chutes continuelles, de sorte que nous nous retrouvons toujours les mêmes. Hélas ! M.F., cette semence est donc perdue pour le plus grand nombre des chrétiens et ne peut servir qu'à leur condamnation ! - Mais, peut-être, me direz-vous que, autre fois, la parole de Dieu était plus puissante, ou ceux qui l'annonçaient étaient plus éloquents. - Non, M.F., la parole du bon Dieu a autant de pouvoir à présent que dans les autres temps, et ceux qui l'annonçaient étaient aussi simples qu'à présent. Écoutez saint Pierre dans ses prédications : « Écoutez-moi bien, leur dit ce saint apôtre, le Messie que vous avez fait souffrir, que vous avez fait mourir, est ressuscité pour le bonheur de tous ceux qui croient que le salut vient de Lui. » A peine eût-il dit cela, que tous ceux qui étaient présents fondirent en larmes et poussèrent de grands cris en disant : « Ah ! grand Apôtre, que ferons-nous pour obtenir notre pardon ? » « Mes enfants, leur dit saint Pierre, si vous voulez que vos péchés vous soient pardonnés, faites pénitence, confessez vos péchés, ne péchez plus, et le même Jésus-Christ que vous avez crucifié, qui est ressuscité, vous pardonnera . » Dans une seule prédication, trois mille se donnèrent à Dieu et quittèrent leur péché pour jamais . Dans une autre, cinq mille renoncèrent à leur idolâtrie pour s'attacher à une religion qui ne demande que des sacrifices continuels ; ils suivirent courageusement la route que Jésus-Christ leur avait marquée.
De quel secret, M.F., les apôtres se sont-ils servis pour changer le monde de face ? - Le voici : « Voulez-vous, dirent les apôtres, plaire à Dieu et sauver votre âme, que celui qui se livre au vice de l'impureté y renonce et vive d'une manière pure et agréable à Dieu ; que celui qui a le bien de son prochain le rende ; que celui qui veut du mal à son prochain se réconcilie avec lui. » Écoutez saint Thomas : « Je vous avertis de la part de Jésus-Christ même que les hommes subiront un jugement après leur mort, sur le bien et le mal qu'ils auront fait, les pécheurs iront passer leur éternité dans le feu de l'enfer pour y souffrir à jamais ; mais celui qui aura été fidèle à observer la loi du Seigneur, son sort sera tout le contraire ; au sortir de cette vie, il entrera dans le ciel pour y jouir de toutes sortes de délices et de bonheur. » Écoutez saint Jean, le disciple bien-aimé : « Mes enfants, aimez-vous tous comme Jésus-Christ vous a aimés, soyez charitables les uns envers les autres comme Jésus-Christ l'a été pour nous, Lui qui a souffert et qui est mort pour votre bonheur ; supportez-vous les uns les autres ; pardonnez-vous vos faiblesses comme il vous pardonne à tous . » Dites-moi, pouvons-nous trouver quelque chose de plus simple ? Eh bien, M.F., ne vous dit-on pas les mêmes vérités ? Ne vous dit-on pas comme saint Pierre, que Jésus-Christ est mort pour vous, qu'il est encore prêt à vous pardonner, si vous voulez vous repentir et quitter le péché ! Cependant ce furent ces paroles qui firent répandre tant de larmes et convertirent tant de païens et de pécheurs ! Ne vous dit-on pas aussi, comme saint Jean-Baptiste, que si vous avez le bien du prochain, il faut le rendre, sans quoi jamais vous n'entrerez dans le ciel ? Ne vous dit-on pas aussi que si vous vous livrez au vice d'impureté, il faut le quitter et mener une vie pure ? Ne vous dit-on pas encore que, si vous vivez et mourez dans le péché, vous irez en enfer ? Et pourquoi donc, M.F., ces paroles ne produisent plus les mêmes effets, c'est-à-dire, que cette parole sainte ne nous convertit pas ? Hélas ! M.F., disons-le en gémissant : ce n'est pas qu'elle a moins de puissance qu'autrefois, mais c'est que cette divine semence tombe dans des cœurs endurcis et impénitents, et qu'à peine y est-elle tombée, le démon l'étouffe. Comme cette divine parole ne parle que de sacrifices, de mortifications, de détachement du monde et de soi-même et que, de son côté, l'on ne veut pas faire tout cela, l'on reste dans le péché, l'on y persévère, et l'on y meurt. Convenez avez moi combien il faut être endurci pour rester dans le péché, sachant très bien que, si nous venons à mourir dans cet état, nous n'avons que l'enfer pour partage ! On nous le dit sans cesse, et malgré cela, nous restons pécheurs comme nous le sommes, nous attendons la mort avec tranquillité, quoique nous soyons très certains que notre sort ne peut être que celui d'un réprouvé. O mon Dieu ! quel malheureux état que celui d'un pécheur qui n'a plus la foi !
III. - Mais, me direz-vous, que faut-il donc faire pour profiter de la parole de Dieu, afin qu'elle nous aide à nous convertir ? - Ce qu'il faut faire, M.F., le voici.
Vous n'avez qu'à examiner la conduite de ce peuple qui venait écouter Jésus-Christ ; il venait de fort loin, avec un vrai désir de pratiquer tout ce que Jésus-Christ lui commanderait ; ils abandonnaient toutes les choses temporelles, ils ne pensaient pas même aux besoins du corps, très persuadés que celui qui allait nourrir leur âme, nourrirait aussi leur corps ; ils étaient mille fois plus empressés à chercher les biens du ciel que ceux de la terre ; ils oubliaient tout pour ne penser qu'à faire ce que leur disait Jésus-Christ . Voyez-les écoutant Jésus-Christ ou les apôtres : leurs yeux et leurs cœurs sont tout à cela ; les femmes ne pensent nullement à leur ménage ; le marchand perd de vue son commerce ; le laboureur oublie ses terres ; les jeunes personnes foulent aux pieds leurs parures ; ils écoutent avec avidité leurs paroles et font tout ce qu'ils peuvent pour les bien graver dans leur cœur. Les hommes les plus sensuels abhorrent leurs plaisirs infâmes pour ne plus penser qu'à faire souffrir leur corps, la sainte parole de Dieu fait toute leur occupation ; ils y pensent et ils la méditent, ils aiment à en parler et à en entendre parler. Eh bien ! M.F., voyez si, toutes les fois que vous entendez la parole de Dieu, vous y portez les mêmes dispositions que ces personnes. M.F., êtes-vous venus écouter cette parole sainte avec empressement, avec joie et un vrai désir d'en profiter ? Étant ici, avez-vous oublié toutes vos affaires temporelles, pour ne penser qu'aux besoins de votre âme ? Avant d'entendre cette parole sainte, avez-vous demandé au bon Dieu de bien la comprendre, de la bien graver dans vos cœurs ? Avez-vous regardé ce moment comme le plus heureux de votre vie, puisque Jésus-Christ nous dit lui-même, que sa parole sainte est préférable à la sainte communion ? Avez-vous été bien prêts à faire tout ce qu'elle vous commandait ? L'avez-vous entendue avec attention, avec respect ; non comme la parole d'un homme, mais comme la parole de Dieu même ? Après l'instruction, avez-vous remercié le bon Dieu de la grâce qu'il vous a faite de vous instruire Lui-même par la bouche de ses ministres ? Hélas ! mon Dieu, s'il y en a si peu qui apportent ces dispositions, ne soyons pas étonnés, M.F., de ce que cette sainte parole produit si peu de fruit. Hélas ! combien y en a-t-il qui ne sont ici qu'avec peine, avec ennui ! qui dorment, qui bâillent ! combien qui fouilleront un livre, qui causeront ! et l'on en voit d'autres qui portent encore plus loin leur impiété, qui, par une espèce de mépris, sortent dehors en méprisant la sainte parole et celui qui l'annonce. Combien d'autres qui, même étant dehors, disent que le temps leur a duré et qu'ils ne retourneront pas ! et enfin d'autres qui, bien loin, en s'en retournant chez eux, de s'occuper de ce qu'ils ont entendu et de le bien méditer, l'oublient entièrement et n'y repensent que pour dire que ce n'est jamais fini, ou pour critiquer celui qui a eu la charité de l'annoncer ! Qui sont ceux qui, étant arrivés chez eux, font part à ceux qui n'ont pu venir de ce qu'ils ont entendu ? Quels sont les pères et mères qui demandent à leurs enfants ce qu'ils ont retenu de la parole sainte qu'ils ont entendue, et qui leur expliquent ce qu'ils n'ont pas compris ? Mais, hélas ! M.F., on regarde la parole de Dieu comme si peu de chose, que presque point ne s'accusent de ne l'avoir pas écoutée avec attention. Hélas ! que de péchés dont la plupart des chrétiens ne s'accusent jamais ! Mon Dieu, que de chrétiens damnés ! Qui sont ceux qui se sont dit à eux-mêmes : Que cette parole est belle ! qu'elle est véritable ! voilà tant d'années que je l'entends, et que l'on me fait voir l'état de mon âme, et, comme toucher du doigt que, si la mort me frappait, je serais perdu ! cependant je reste toujours dans le péché. O mon Dieu ! que de grâces méprisées, que de moyens de salut dont j'ai abusé jusqu'à présent ! mais c'en est fait, je vais changer tout de bon, je vais demander au bon Dieu la grâce de ne jamais entendre cette sainte parole sans y être bien préparé. Non, je ne veux plus dire en moi-même, comme je l'ai fait jusqu'à présent, que cela est pour un tel ou une telle ; non, je dirai que c'est pour moi qu'on l'annonce, je vais tâcher d'en profiter autant que je le pourrai.
Que conclure de tout cela, M.F. ? Le voici : C'est que la parole divine est un des plus grands dons que le bon Dieu peut nous faire, puisque sans l'instruction, il est impossible de se sauver. Que si nous voyons tant d'impies dans le malheureux temps où nous vivons, ce n'est que parce qu'ils ne connaissent pas leur religion, puisqu'à une personne qui la connaît, il est impossible de ne pas l'aimer et de ne pas pratiquer ce qu'elle nous commande. Quand vous voyez quelque impie qui méprise la religion, vous pouvez dire : « Voilà un ignorant qui méprise ce qu'il ne connaît pas, » puisque, M.F., cette parole divine a tant converti de pécheurs. Tâchons, M.F., de l'entendre toujours avec un plaisir d'autant plus grand que le salut de notre âme y est attaché et que par elle nous découvrons combien notre destinée est heureuse, combien la récompense qu'elle nous promet est grande, puisqu'elle dure toute l'éternité. C'est le bonheur que je vous...
MERCREDI DES CENDRES
Sur la Pénitence
Penitemini igitur et convertimini ut deleantur peccata vestra.
Convertissez-vous donc et faites pénitence afin que vos péchés soient effacés.
(Actes des apôtres, III, 19.)
Voilà, M.F., la seule ressource que saint Pierre annonce aux Juifs coupables de la mort de Jésus-Christ. Oui, M.F., leur dit ce grand apôtre, votre crime est horrible, parce que vous avez abusé de la prédication de l'Évangile et des exemples de Jésus-Christ, que vous avez méprisé ses bienfaits et ses prodiges, et que non contents de tout cela, vous l'avez rejeté et condamné à la mort la plus cruelle et la plus infâme. Après un tel crime, quelle ressource peut-il vous rester, sinon celle de la conversion et celle de la pénitence ? A ces paroles, tous ceux qui étaient présents fondirent en larmes et s'écrièrent : « Hélas ! que ferons-nous, grand apôtre, pour obtenir miséricorde ? » Saint Pierre, pour les consoler, leur dit : « M.F. ; ne désespérez pas ; le même Jésus que vous avez crucifié est ressuscité, et bien plus, il est devenu le salut de tous ceux qui espèrent en lui ; il est mort pour la rémission de tous les péchés du monde. Faites pénitence et convertissez-vous, et vos péchés seront effacés. » Voilà, M.F., le même langage que l'Église tient à tous les pécheurs qui sont touchés de la grandeur de leurs péchés et qui désirent revenir sincèrement à Dieu. Hélas ! M.F., combien parmi nous sont bien plus coupables que les Juifs, parce que ceux-ci n'ont fait mourir Jésus-Christ que par ignorance ! Combien qui ont renié et condamné Jésus-Christ à la mort par le mépris que nous faisons de sa parole sainte, par la profanation que nous avons faite de ses mystères, par l'omission de nos devoirs, par l'abandon des sacrements et par un profond oubli de Dieu et du salut de notre pauvre âme ! Eh bien ! M.F., quel remède peut-il nous rester dans cet abîme de corruption et de péché, dans ce déluge qui souille la terre et qui provoque la vengeance du ciel ? Point d'autre, M.F., que celui de la pénitence et de la conversion. Dites-moi, n'est-ce pas assez d'années passées dans le péché ? N'est-ce pas assez avoir vécu pour le monde et le démon ? N'est-il pas temps, M.F., de vivre pour le bon Dieu et pour nous assurer une éternité bienheureuse ? Que chacun de nous, M.F., se remette sa vie devant les yeux, et nous verrons que nous avons tous besoin de faire pénitence. Mais pour vous y engager, M.F., je vais vous montrer combien les larmes que nous répandons sur nos péchés, la douleur que nous en ressentons et les pénitences que nous en faisons, nous consolent et nous rassurent à l'heure de la mort ; en second lieu, nous verrons qu'après avoir péché, nous devons en faire pénitence en ce monde ou en l'autre ; en troisième lieu, nous examinerons de quelle manière on peut se mortifier pour faire pénitence.
I. - Nous disons, M.F. ; qu'il n'y a rien qui nous console plus pendant notre vie et qui nous rassure plus à l'heure de la mort que les larmes que nous répandons sur nos péchés, que la douleur que nous en ressentons et les pénitences que nous en faisons : ce qui est bien facile à comprendre, puisque c'est par là que nous avons le bonheur d'expier nos péchés, c'est-à-dire de satisfaire à la justice de Dieu. Oui, M.F., c'est par là que nous méritons de nouvelles grâces pour avoir le bonheur de persévérer. Saint Augustin nous dit qu'il faut de toute nécessité que le péché soit puni ou par celui qui l'a commis ou par celui contre qui il a été commis. Si vous ne voulez pas, nous dit-il, que le bon Dieu vous punisse, punissez-vous vous-mêmes. Nous voyons que Jésus-Christ lui-même, pour nous montrer combien la pénitence nous est nécessaire après le péché, se met au même rang que les pécheurs .
Il nous dit que, sans le baptême, personne n'entrera dans le royaume des cieux ; et, dans un autre endroit, que si nous ne faisons pas pénitence, nous périrons tous . Hélas ! M.F., cela est très facile à comprendre. Depuis que l'homme a péché, tous ses sens se sont révoltés contre la raison ; et par conséquent, si nous voulons que la chair soit soumise à l'esprit et à la raison, il faut la mortifier ; si nous voulons que notre corps ne fasse pas la guerre à notre âme, il faut le mortifier avec tous ses sens ; si nous voulons aller à Dieu, il faut mortifier notre âme avec toutes ses puissances. Et si vous voulez bien vous convaincre de la nécessité de la pénitence, vous n'avez qu'à ouvrir l'Écriture Sainte, et vous verrez que tous ceux qui ont péché et qui ont voulu revenir au bon Dieu, ont versé des larmes, se sont repentis de leurs péchés et ont fait pénitence.
Voyez Adam : dès qu'il eut péché il se livra à la pénitence afin de pouvoir fléchir la justice de Dieu. Sa pénitence dura plus de neuf cents ans ; et une pénitence qui fait frémir, tant elle paraît au-dessus des forces de la nature. Voyez David après son péché : il faisait retentir son palais de ses cris et de ses sanglots ; et il porta ses jeûnes à un tel excès, que ses pieds ne pouvaient plus le soutenir . Quand on voulait le consoler en lui disant que, puisque le Seigneur l'avait assuré que son péché lui était pardonné, il devait modérer sa douleur, il s'écriait : Ah ! malheureux, qu'ai-je fait ? j'ai perdu mon Dieu, j'ai vendu mon âme au démon ; ah ! non, non, ma douleur durera autant que ma vie, elle descendra avec moi dans le tombeau. Ses larmes coulaient avec tant d'abondance que son pain en était trempé et son lit en était arrosé .
Saint-Pierre... .
Pourquoi est-ce, M.F., que nous avons tant de répugnance pour la pénitence, et que nous avons si peu de douleur de nos péchés ? Hélas ! M.F., c'est que nous ne connaissons ni les outrages que le péché fait à Jésus-Christ, ni les maux qu'il nous prépare pour l'éternité. Nous sommes très convaincus qu'après le péché, il faut nécessairement faire pénitence. Mais voici ce que nous faisons : nous renvoyons tout cela à un temps bien éloigné, comme si nous étions maîtres du temps et des grâces du bon Dieu. Hélas ! M.F., qui de nous, étant dans le péché, ne tremblera pas, puisque nous n'avons pas un moment de sûr ? Hélas ! M.F., qui de nous ne frémira pas, en pensant qu'il y a une mesure de grâces après laquelle le bon Dieu n'en accorde plus ? Qui de nous ne frémira pas, en pensant qu'il y a une mesure de miséricorde après quoi c'est fini. Hélas ! qui de nous ne frémira pas, en pensant qu'il y a un certain nombre de péchés après lequel le bon Dieu abandonne le pécheur à lui-même ? Hélas ! M.F., quand la mesure est pleine, il faut qu'elle déborde. Oui, après que le pécheur a rempli tout cela, il faut qu'il soit puni et qu'il tombe en enfer malgré ses larmes et sa douleur... Croyez-vous, M.F., qu'après vous être roulés, traînés et baignés dans les impuretés et vos plus infâmes passions, croyez-vous, M.F., qu'après avoir vécu nombre d'années dans le péché malgré tous les remords que votre conscience vous a donnés pour vous faire revenir à Dieu ; croyez-vous, M.F., qu'après avoir vécu en impies et en libertins, méprisant tout ce que la religion a de plus saint et de plus sacré, vomissant contre elle tout ce que la corruption de votre cœur a pu engendrer ; croyez-vous que, quand vous voudrez dire : Mon Dieu pardonnez-moi, vous aurez tout fait ? que vous n'aurez plus qu'à entrer dans le ciel ? Non, non, M.F., ne soyons pas si téméraires, ni si aveugles que d'espérer cela. Hélas ! M.F., c'est précisément dans ce moment que s'accomplit cette terrible sentence de Jésus-Christ, qui nous dit : « Vous m'avez méprisé pendant votre vie, vous vous êtes raillés de mes lois, mais maintenant que vous voulez avoir recours à moi, que vous me cherchez, je vous tournerai le dos pour ne pas voir vos malheurs ; je me boucherai les oreilles pour ne pas entendre vos cris ; je m'enfuirai loin de vous, crainte de me laisser toucher par vos larmes. »
Hélas ! M.F., pour nous convaincre de tout cela, nous n'avons qu'à ouvrir l'Écriture Sainte et l'histoire où sont renfermées les actions de ces fameux impies ; nous verrons que ces châtiments sont plus terribles que vous ne pensez. Écoutez le fameux impie Antiochus. Se voyant frappé d'une manière visible par la main du Tout-Puissant, il s'humilie, il pleure en disant : « Il est juste, Seigneur, que la créature reconnaisse son Créateur . » Il promet à Dieu de faire pénitence, de réparer tous les maux qu'il a faits pendant sa vie, tous les maux qu'il a faits à Jérusalem, et qu'il donnera de grands biens pour entretenir le culte du Seigneur, qu'il se fera juif ; enfin que toute sa vie ne sera qu'une vie respectueuse de la loi de Dieu. Si vous l'aviez entendu, vous auriez dit en vous réjouissant : Voilà un pécheur qui est un saint pénitent. Cependant, nous entendons le Saint-Esprit nous dire : « Cet impie demande un pardon qui ne lui sera point accordé ; il pleure, mais en pleurant il descend dans les enfers. »
Mais pourquoi, M.F., aller si loin pour trouver des exemples effrayants de la justice de Dieu sur le pécheur qui a méprisé les grâces de Dieu. Voyez le spectacle que nous ont présenté les impies, ces incrédules et ces libertins du dernier siècle ; voyez leur vie impie, incrédule et libertine. N'ont-ils pas toujours vécu en impies, avec l'espérance que le bon Dieu les pardonnerait quand ils voudraient lui demander pardon. Voyez Voltaire. Toutes les fois qu'il se voyait malade, ne disait-il pas : Miséricorde ? Ne demandait-il pas pardon à ce même Dieu qu'il insultait lorsqu'il était en santé, contre lequel il ne cessait de vomir tout ce que la corruption de son cœur pouvait engendrer ? D'Alembert, Diderot et Jean-Jacques Rousseau, ainsi que tous ses autres compagnons de libertinage, croyaient que quand il serait de leur goût de demander pardon à Dieu, ils seraient pardonnés ; mais nous pouvons leur dire ce que le Saint-Esprit dit d'Antiochus : « Ces impies demandent un pardon qui ne leur doit pas être accordé . »
Et pourquoi, M.F., ces impies n'ont-ils pas été pardonnés malgré leurs larmes ? C'est que leur douleur ne venait pas du repentir, ni du regret de leurs péchés, ni de l'amour de Dieu, mais seulement de la crainte du châtiment.
Hélas ! M.F., quelque terribles et effroyables que soient ces menaces, elles ne font pas ouvrir les yeux à ceux qui marchent dans la même route. Hélas ! M.F., que celui qui, étant pécheur et impie, garde l'espoir qu'un jour il cessera de l'être, est malheureux et aveugle ! Hélas ! M.F., que le démon en conduit en enfer de cette manière ! la justice de Dieu les frappe dans le moment où ils n'y pensent nullement. Voyez Saül, il ne savait pas qu'en se moquant des ordres que lui donnait le prophète il allait mettre le sceau à sa réprobation et être abandonné de Dieu . Voyez Aman, s'il pensait qu'en préparant une potence pour Mardochée, il y serait lui-même attaché pour y perdre la vie . Voyez le roi Balthazar, s'il pensait que le crime qu'il commettait en buvant dans les vases sacrés que son père avait volés à Jérusalem, était le dernier crime que Dieu devait lui laisser commettre . Voyez encore les deux infâmes vieillards, s'ils doutaient la moindre chose du monde qu'en tentant la chaste Suzanne ils seraient lapidés et delà tomberaient en enfer . Non, sans doute. Cependant, M.F., quoique ces impies et ces libertins ne sachent rien de tout cela, ils ne laissent pas que d'arriver au point où leurs crimes, étant au comble, doivent nécessairement être punis.
Eh bien ! M.F., que pensez-vous de tout cela, vous surtout qui peut-être avez conçu le dessein épouvantable de rester dans le péché encore quelques années, peut-être jusqu'à la mort ? Cependant, ce sont ces exemples terribles qui ont porté tant de pécheurs à quitter le péché pour faire pénitence, qui ont peuplé les déserts de solitaires, rempli les monastères de saints religieux, et qui ont fait monter tant de martyrs sur les échafauds, avec plus de joie que des rois sur leurs trônes, de crainte d'éprouver les mêmes châtiments. Si vous en doutez, écoutez-moi un instant ; et si vous n'êtes pas encore endurci à ce point où le bon Dieu abandonne le pécheur à lui-même, vous allez sentir vos remords de conscience se réveiller et vous déchirer l'âme. Saint Jean Climaque nous rapporte qu'il alla un jour dans un monastère ; les religieux qui l'habitaient avaient tellement la grandeur de la justice divine imprimée dans leur cœur, ils avaient une telle crainte d'être arrivés à cet état où nos péchés ont lassé la miséricorde de Dieu, que leur vie eût été pour vous un spectacle capable de vous faire mourir de frayeur ; ils menaient une vie si humble, si mortifiée et si crucifiée ; ils sentaient tellement le poids de leurs fautes ; leurs larmes étaient si abondantes et leurs cris si perçants, que quand l'on aurait eu le cœur plus dur que des pierres, l'on n'aurait pu s'empêcher de verser des larmes. Lorsque j'eus ouvert la porte du monastère, nous dit le même saint, je vis des actions vraiment héroïques ; j'entendis des cris capables de faire violence au ciel ; if y avait des pénitents qui se condamnaient à rester toute la nuit sur le bout de leurs pieds ; et quand leur pauvre corps tombait de faiblesse, ils se reprochaient leur lâcheté : « Malheureux, se disaient-ils, si tu as si peu de courage pour satisfaire à la justice de Dieu, comment pourras-tu souffrir les flammes vengeresses de l'autre vie ? » D'autres, ayant toujours les yeux et les mains élevés vers le ciel, poussaient des cris capables de vous faire fondre en larmes, tant ils étaient pénétrés de la grandeur de leurs péchés ; d'autres se faisaient lier les mains derrière le dos comme des criminels ; ils se jugeaient indignes de regarder le ciel, se jetaient la face contre terre : « Ah ! mon Dieu, s'écriaient-ils, recevez, s'il vous plaît, nos larmes et nos douleurs. » Il y en avait qui étaient tellement couverts d'ulcères ; leur pauvre corps était si pourri et exhalait une odeur si puante qu'il était impossible de rester à côté d'eux sans mourir. Il y en avait qui ne buvaient de l'eau que pour s'empêcher de mourir ; ils avaient toujours l'image de la mort devant les yeux ; ils se disaient les uns aux autres : « Ah ! M.F., que deviendrons-nous ? Croyez-vous que nous avancions un peu dans la vertu ? » Courons, mes amis, dans la carrière de la pénitence, tuons ces maudits corps comme ils ont tué, nos pauvres âmes. Mais ce qui était le plus effrayant, c'est que, quand l'un d'entre eux était près de sortir de ce monde, tous les religieux étant près du mourant avec un visage abattu, les yeux baignés de larmes, s'adressaient à lui en lui disant : « Que pensez-vous de vous-même à présent que vous allez mourir ? Espérez-vous, croyez-vous que vos larmes et votre douleur et vos pénitences ont mérité votre pardon ? Ne craignez-vous pas d'entendre ces terribles paroles de la bouche de Jésus-Christ même : « Retirez-vous de moi, maudit ; allez au feu éternel. » « Hélas ! répondaient ces pauvres mourants, sait-on si nos larmes ont fléchi la juste colère de Dieu ? Que sait-on si nos péchés ont disparu aux yeux de Dieu ?
Que pouvons-nous faire ? Nous abandonner à la justice de Dieu. Ils priaient leur supérieur de ne point leur donner la sépulture, mais de les jeter à la voirie, afin de servir de pâture aux bêtes sauvages. »
Saint Jean Climaque nous dit que ce spectacle l'avait tant effrayé qu'il ne put rester qu'un mois au monastère : il ne pouvait plus vivre. Quand je fus de retour, dit-il, mon supérieur vit que j'étais si changé qu'à peine pouvait-il me reconnaître. Eh bien ! mon frère, me dit-il, vous avez vu les travaux et les combats de nos généreux soldats. Je ne pus lui répondre que par mes larmes, tant ce genre de vie m'avait effrayé et avait rendu mon corps si faible et si desséché.
Eh bien ! M.F., voilà des chrétiens comme nous et bien moins pécheurs que nous ; voilà, M.F., des pénitents qui n'attendaient que le même ciel que nous, qui n'avaient qu'une âme à sauver comme nous. Pourquoi donc, M.F., tant de larmes, tant de douleurs et tant de pénitences ? Hélas ! M.F., c'est qu'ils sentaient la grandeur du poids de leurs péchés, et combien l'outrage que le péché fait à Dieu est épouvantable ; voilà, M, F., ce qu'ont fait ceux qui ont compris la grandeur du malheur de perdre le ciel. O mon Dieu ! être insensible à tant de malheurs, n'est-ce pas le plus grand de tous les malheurs ? O mon Dieu ! des chrétiens qui m'entendent et qui ont la conscience chargée de péchés et qui n'ont point d'autre sort à attendre que celui des réprouvés ! Mon Dieu ! peuvent-ils bien vivre tranquilles ? Hélas ! que celui qui a perdu la foi est malheureux !
II. - Nous disons que nécessairement après le péché il faut faire une pénitence dans ce monde ou bien aller la faire dans l'autre.
Si l'Église a établi des jours de jeûne et d'abstinence, c'est pour nous faire ressouvenir qu'étant pécheurs nous devons faire pénitence, si nous voulons que le bon Dieu nous pardonne ; et bien plus, nous pouvons dire que le jeûne, la pénitence a commencé avec le monde. Voyez Adam ; voyons Moïse qui jeûna quarante jours. Nous voyons aussi Jésus-Christ, qui était la sainteté même, demeurer quarante jours dans un désert sans boire ni manger, pour nous montrer que notre vie ne doit être qu'une vie de larmes, de pénitence et de mortification. Hélas ! M.F., dès qu'un chrétien quitte les larmes, la douleur de ses péchés et la mortification, adieu la religion. Oui, M.F., pour conserver en nous la foi, il faut que nous soyons toujours occupés à combattre nos penchants et à gémir sur nos misères.
Voici un exemple qui va vous montrer combien nous devons prendre garde de ne pas donner à nos penchants tout ce qu'ils nous demandent. Nous lisons dans l'histoire qu'il y avait un époux qui avait une femme bien vertueuse et un fils qui marchait sur ses traces. Ils faisaient consister tout leur bonheur dans la prière et dans la fréquentation des sacrements. Les saints jours de dimanche, après les offices, ils n'avaient point d'autre occupation et d'autre plaisir que de faire du bien ; ils allaient visiter les malades et leur fournissaient tous les secours dont ils étaient capables. Étant chez eux, ils passaient leur temps à faire des lectures de piété capables de les animer dans le service de Dieu. Ils nourrissaient ainsi leurs âmes dans la grâce de Dieu, ce qui faisait tout leur bonheur. Mais comme le père était un impie et un libertin, il ne cessait de les blâmer et de se moquer d'eux, en disant que leur genre de vie lui déplaisait grandement et que cette manière de vivre ne pouvait convenir qu'à des personnes ignorantes ; il tâchait de leur mettre devant les yeux les livres les plus infâmes et les plus capables de les détourner du chemin de la vertu dans lequel ils marchaient. La pauvre mère pleurait d'entendre ce langage, et le fils en gémissait de son côté. Mais, à force de se voir persécutés, trouvant sans cesse ces livres devant eux, ils voulurent, malheureusement, voir ce qu'ils renfermaient ; et, hélas ! sans s'en apercevoir, ils prirent goût à ces lectures qui n'étaient remplies que d'ordures contre la religion et les bonnes mœurs. Hélas ! leurs pauvres cœurs, autrefois si bien au bon Dieu, furent bientôt tournés vers le mal ; leur manière de vivre changea entièrement ; ils commencèrent à abandonner toutes leurs pratiques ; il ne fut plus question ni de jeûne, ni de pénitence, ni de confession, ni de communion, de sorte qu'ils laissèrent tout à fait leurs devoirs de chrétiens. Le mari qui s'en aperçut fut très content de les voir tourner de son côté. Comme la mère était encore jeune, toute son occupation fut de se parer, de fréquenter les bals et les comédies et toute autre partie de plaisir qu'elle pouvait trouver.
Le fils, de son côté, suivait les traces de sa mère : il devint par la suite un grand libertin qui scandalisa autant son endroit qu'il l'avait édifié auparavant. Ce n'était plus que partie de plaisir et que débauche, de sorte que la mère et l'enfant faisaient des dépenses énormes ; leur fortune fut bientôt affaiblie. Le père, voyant qu'il tombait dans les dettes, voulut savoir si sa fortune pourrait suffire à leur laisser continuer ce genre de vie dont lui-même était l'auteur ; mais il fut bien surpris lorsqu'il vit que son bien ne pouvait pas même faire face à ses dettes. Alors une espèce de désespoir s'empara de lui, un bon matin il se lève, de sang-froid et même avec réflexion il charge trois pistolets, entre dans la chambre de sa femme, lui brûle la cervelle ; il passe dans la chambre de son fils, lui décharge le deuxième coup, et le dernier fut pour lui-même. Ah ! malheureux père, au moins si tu avais laissé cette pauvre femme et ce pauvre enfant dans la prière, les larmes et la pénitence, ils auraient été pour le ciel, tandis que tu les a jetés en enfer en y tombant toi-même. Eh bien ! M.F., quelle fut la cause de ce grand malheur, sinon qu'ils avaient cessé de pratiquer notre sainte religion ?
Hélas ! M.F., quel châtiment peut être comparable à celui d'une âme, à laquelle le bon Dieu enlève la foi en punition de ses péchés ? Oui, M.F., si nous voulons sauver nos âmes, la pénitence nous est aussi nécessaire pour persévérer dans la grâce de Dieu que la respiration pour vivre, pour conserver la vie du corps. Oui, M.F., soyons bien persuadés que, si nous voulons que notre chair soit soumise à notre esprit et à la raison, il faut nécessairement la mortifier ; si nous voulons que notre corps ne fasse pas la guerre à notre âme, il faut le mortifier avec tous ses sens ; si nous voulons que notre âme soit soumise à Dieu, il faut la mortifier avec toutes ses puissances.
Nous lisons dans l'Écriture Sainte que lorsque le Seigneur, commanda à Gédéon d'aller combattre contre les Madianites, il lui ordonna de commander à tous ses soldats timides et craintifs de se retirer. Plusieurs milliers se retirèrent. Il en restait encore dix mille. Le Seigneur dit à Gédéon : Vous avez encore trop de soldats ; faites une petite revue, et observez tous ceux qui prendront de l'eau seulement avec la main pour la porter à leur bouche mais sans s'arrêter ; ce sont ceux-là que vous conduirez au combat. De dix mille il n'y en eut que trois cents . Le Saint-Esprit donne cet exemple pour nous faire voir combien il y a peu de personnes qui pratiquent la mortification et qui seront sauvées.
Il est vrai, M.F., que la mortification ne consiste pas toute dans la privation du boire et du manger, quoiqu'il soit très nécessaire de ne pas tout accorder ce que demande notre corps, saint Paul nous disant : « Je traite durement mon corps, de crainte qu'après avoir prêché aux autres, je ne sois réprouvé moi-même. »
Mais il est aussi certain, M.F., qu'une personne qui aime ses plaisirs, qui cherche ses commodités, qui fuit l'occasion de souffrir, qui s'inquiète, qui murmure, qui gronde et qui s'impatiente à la moindre chose qui ne va pas selon ses désirs et ses volontés, n'a que le nom de chrétienne ; elle n'est bonne que pour déshonorer sa religion, puisque Jésus-Christ nous dit : « Que celui qui veut être à moi prenne sa croix et qu'il me suive ; qu'il renonce à lui-même ; qu'il prenne sa croix tous les jours de sa vie et qu'il me suive . » Il n'est pas douteux, M.F., qu'une personne sensuelle n'aura jamais ces vertus qui nous rendent agréables à Dieu et nous assurent le ciel. Si nous voulons avoir la plus belle de toutes les vertus, qui est la chasteté, sachons que c'est une rose qui ne se cueille que parmi les épines ; et par conséquent elle ne se rencontrera, ainsi que toutes les autres vertus, que dans une personne mortifiée. Nous lisons dans l'Écriture Sainte que l'ange Gabriel, étant apparu au prophète Daniel, lui dit : « Le Seigneur a écouté votre prière, parce qu'elle a été faite dans les jeûnes et la cendre ; » la cendre nous marque l'humilité. Nous lisons dans l'histoire que deux missionnaires jésuites étant couchés ensemble, il y en eut un qui, étant incommodé d'un rhume, cracha toute la nuit sur son compagnon sans le savoir. Le matin, voyant l'autre qui se lavait, il en fut extrêmement chagriné et lui en demanda pardon. L'autre lui dit : « Mon ami, vous ne pouviez pas cracher dans un endroit plus vil qu'en crachant sur moi. » Voilà, M.F., un exemple qui montre jusqu'à quel degré ce bon Père portait la mortification.
III. - Mais, me direz-vous, combien y a-t-il de sortes de mortifications ? - M.F., le voici, il y en a deux : l'une est intérieure, l'autre est extérieure, mais elles vont toujours ensemble.
Pour la mortification extérieure, elle consiste à mortifier notre corps avec tous ses sens :
1? Nous devons mortifier nos yeux : ne rien regarder par curiosité, ni différents objets qui pourraient nous porter à avoir quelques mauvaises pensées ; ne point lire de livres qui ne sont pas capables de nous porter à la vertu, qui, au contraire, ne peuvent que nous en détourner et éteindre le peu de foi que nous avons.
2? Nous devons mortifier nos oreilles ; ne point écouter avec plaisir toutes ces chansons, ces discours qui peuvent nous flatter et qui n'aboutissent à rien : c'est toujours un temps bien mal employé et ravi aux soins que nous devons donner à notre âme ; ne jamais prendre plaisir à écouter les médisances et les calomnies. Oui, M.F., nous devons nous mortifier en tout cela et ne pas être du nombre de ces personnes curieuses qui veulent savoir tout ce que l'on a dit, ce que l'on a fait, d'où l'on vient, ce que l'on veut, ce que l'on nous a dit.
3? Nous disons que nous devons nous mortifier dans notre odorat : ne jamais prendre plaisir à sentir ce qui peut satisfaire notre goût. Nous lisons dans là vie de saint François de Borgia qu'il n'a jamais senti les fleurs, mais qu'au contraire il mettait souvent dans sa bouche des pilules et les mâchait afin de se punir du plaisir qu'il pouvait avoir pris en sentant quelque bonne odeur ou en mangeant des mets délicats.
4° Je dis que nous devons mortifier notre bouche ; il ne faut pas manger par gourmandise, ni au-delà du nécessaire ; il ne faut donner au corps rien qui puisse exciter les passions ; ne jamais manger hors des repas sans une nécessité. Un bon chrétien ne fait jamais un repas sans se mortifier de quelque chose.
5? Un bon chrétien doit mortifier sa langue en ne parlant qu'autant qu'il est nécessaire pour remplir son devoir et pour la gloire de Dieu et le bien du prochain. Voyez Jésus-Christ : pour nous montrer combien le silence est une vertu qui lui est agréable et pour nous porter à l'imiter, il a gardé le silence pendant trente ans. Voyez la Sainte Vierge : l'Évangile nous montre qu'elle n'a parlé que quatre fois seulement, quand la gloire de Dieu et le salut du prochain le demandaient. Elle parla quand l'ange lui annonça qu'elle serait Mère de Dieu ; elle parla lorsqu'elle alla visiter sa cousine Elisabeth, pour lui faire part de son bonheur ; elle parla à son Fils, quand elle le retrouva dans le temple ; elle parla quand elle fut aux noces de Cana, lorsqu'elle représenta à son Fils le besoin de ces gens .
Nous voyons aussi que, dans toutes les communautés religieuses, un grand point de leurs règles est le silence : aussi, saint Augustin nous dit que celui qui ne pèche pas par la langue est parfait . Nous devons surtout mortifier notre langue lorsque le démon nous inspire de dire de mauvaises raisons, de mauvaises chansons, des médisances et des calomnies contre le prochain ; de même, ne pas dire des jurements, des paroles grossières.