Veut-il, ce Dieu de miséricorde, punir les hommes au temps du déluge à cause des crimes horribles dont ils s'étaient rendus coupables ? il ne le fait qu'à regret, dit l'Écriture. Ce repentir que Dieu témoigne, dit saint Am-broise, nous montre l'énormité des crimes dont les hommes avaient souillé la terre. Cependant, il se con-tente de dire : « Je les détruirai . » Pourquoi parler comme d'une chose à venir ? Est-ce que sa sagesse man-quait de moyens ? Non, sans doute ; mais il parle de cette punition comme chose à venir, afin de donner aux coupables le temps de désarmer sa colère. Il les avertit du malheur dont il les menace cent vingt ans avant qu'il arrive, afin de leur donner le temps de le détourner par la pénitence. II leur envoie Noé pour leur prêcher cette pénitence ; pour les assurer que s'ils changent de vie, lui-même changera de résolution. Le saint patriar-che demeure cent ans à bâtir cette arche ; afin que les hommes, voyant ce nouveau bâtiment, lui en deman-dent la raison et rentrent en eux-mêmes. Combien de délais ! combien de remises ! Dieu attend leur péni-tence. Enfin ils lassent sa patience. C'est ainsi que Dieu attend encore aujourd'hui à la pénitence ce misérable pécheur, qui sans cesse en voit mourir devant ses yeux un nombre infini des morts les plus effrayantes. Les uns sont précipités dans les eaux, les autres écrasés par la foudre du ciel ; d'autres, enlevés à la fleur de leur âge ; d'autres, arrachés du sein des plaisirs et d'une fortune florissante. Ce Dieu de bonté et de tendresse, qui désire, la conversion du pécheur avec empressement, permet, que ces bruits se répandent dans différentes parties du monde, comme une trompette qui annonce à tous les pécheurs de se tenir prêts, que leur tour sera bientôt venu, et que s'ils ne profitent pas de ces exemples pour rentrer en eux-mêmes, hélas ! peut-être, hélas ! vont-ils dans peu servir d'exemple aux autres. Mais ces miséra-bles pécheurs sont semblables à ces hommes dont parle l'Écriture, qui n'étaient nullement émus des menaces que Dieu leur faisait par la bouche du saint patriarche Noé .
« Ah ! pécheur, s'écrie un saint Père, pourquoi ne te rends-tu pas à la voix de ton Dieu qui t'appelle ? Il te tend la main pour t'arracher de cet abîme où tes péchés t'ont précipité ; reviens, il te promet ton pardon. » O qu'il est triste, M.F., de ne pas connaître son état déplorable ! Rendons-nous donc à la voix de celui qui ne nous appelle que pour nous guérir de ces maux dont notre pauvre âme est défigurée.
Nous disons que Dieu invite lui-même le pécheur à la pénitence. « O Jérusalem, tu as été une infidèle, tu t'es prostituée à l'amour impur des créatures ; néan-moins, reviens à moi et je te recevrai . » Ainsi par-lait le Seigneur, par la bouche du prophète Jérémie, à une pécheresse de l'Ancien Testament. Écoutons ce que nous dit encore ce divin Sauveur : « Pécheurs, vous vous êtes lassés dans la voix de l'iniquité, cependant, venez à moi et je vous soulagerai. Venez goûter et éprouver combien le Seigneur est doux, combien son joug est léger, combien ses commandements sont aima-bles . » O le bon Pasteur de nos âmes ! non content de rappeler ses brebis égarées, il va les chercher. Voyez-le, accablé de lassitude auprès du puits de Jacob, poursuivant une de ses brebis, dans la personne de la Sa-maritaine . Voyez-le dans la maison de Simon le lépreux, la poursuivant dans la personne de Madeleine car si elle vint trouver le Sauveur dans la maison de ce pharisien, ce ne fut que par un attrait de la grâce qui toucha son cœur et conduisit ses pas . Voyez-le dans Jéricho, faisant d'un Zachée, d'un pécheur public, un parfait pénitent . Voyez encore ses entrailles émues sur tous les pécheurs en général. « Je veux la miséri-corde et non le sacrifice, dit-il ; je suis venu appeler le pécheur et non le juste . » « O combien de fois, s'écrie-t-il, ô ingrate Jérusalem, n'ai-je pas voulu rassembler tes petits sous les ailes de ma miséricorde, comme une poule rassemble ses petits poussins sous les siennes, et tu n'as pas voulu . » N'est-ce pas encore cette même grâce, qui, tous les jours, presse et sollicite le pécheur de se convertir ?
3° Je dis que si le pécheur est assez heureux pour retourner à Dieu, il le recevra à la pénitence et lui par-donnera sans délai. Oui, M.F., si ce pécheur quitte ses crimes d'iniquités et revient sincèrement à Dieu, Dieu est tout prêt à lui pardonner. Voyons-le dans le plus consolant de tous les exemples que l'Évangile nous pro-pose, qui est celui de l'enfant prodigue. Il avait dissipé tout son bien en vivant comme un libertin et un débau-ché. Sa mauvaise vie le réduisit à une si grande misère qu'il était content de se nourrir des restes des pour-ceaux ; cependant personne ne lui en donnait. Enfin, vivement touché de sa misère, il tourne les yeux sur son malheureux état : il prend la résolution de retourner dans la maison de son père, où le dernier des esclaves était infiniment mieux que lui. Le voilà qui part. Il est encore fort éloigné lorsque son père l'aperçoit. Le voyant, il en est touché de compassion, il oublie son grand âge, court au-devant de lui, se jette à son cou et l'embrasse. « Ah ! mon père, que faites-vous ? J'ai péché contre le ciel et devant vous, je ne mérite plus d'être appelé votre fils, mettez-moi seulement au nombre de vos esclaves. - Non, non, mon fils, lui dit ce bon père, j'ou-blie tout le passé. Qu'on apporte sa première robe pour l'en revêtir, qu'on lui mette un anneau au doigt et des souliers à ses pieds ; qu'on tue le veau, qu'on se réjouisse ; mon fils était mort, il est ressuscité ; il était perdu, il est retrouvé . » Voilà la figure et voici la réalité. Dès que le pécheur prend la résolution de retourner à Dieu et de se convertir, à sa première démarche, la miséricorde est touchée de compassion ; elle court au-devant de lui, en le prévenant par sa grâce, elle le baise, en le favori-sant de ses consolations spirituelles, elle le rétablit dans son premier état, en lui pardonnant tous ses dérègle-ments passés.
« Mais, dira ce pécheur converti, Seigneur, j'ai dissipé tout le bien que vous m'aviez donné, je ne m'en suis servi que pour vous offenser. - N'importe, dira ce bon Père, je veux oublier tout le passé. Qu'on rende à ce pécheur converti sa première robe en le revêtant de Jésus-Christ, de sa grâce, de ses vertus, de ses mérites. » Voilà, M.F., la manière dont la justice de Dieu traite le pécheur. Avec quelle confiance et avec quel empresse-ment ne devons-nous pas retourner à Dieu, lorsque nous avons eu le malheur de l'abandonner en suivant les désirs corrompus de notre cœur. Pouvons-nous craindre d'en être rebuté, après tant de marques de tendresse et d'a-mour pour les plus grands pécheurs ?
Non, M.F., ne différons plus de retourner à Dieu ; les temps présent et à venir doivent nous faire trembler.
D'abord, le temps présent : si malheureusement nous sommes en état de péché mortel, nous sommes dans un danger imminent d'y mourir. L'Esprit-Saint nous dit : « Celui qui s'expose au danger y périra . » Ainsi, en vivant dans la haine de Dieu, nous avions bien lieu de craindre que la mort ne nous y surprenne. Puisque Dieu vous offre aujourd'hui sa grâce, pourquoi n'en pro-fitez-vous pas ? Dire que rien ne presse, que vous avez le temps, n'est-ce pas, M.F., raisonner comme des insen-sés ? Voyez, de quoi êtes-vous capables quand vous êtes malades ? Hélas ! de rien du tout ; vous ne pouvez pas seulement faire comme il faut un acte de contrition, parce que vous êtes tellement absorbés par vos souffrances, que vous ne pensez nullement à votre salut.
Eh bien, M.F., ne sommes-nous pas trop malheureux d'attendre à la mort pour nous convertir ? Faites du moins pour votre pauvre âme ce que vous faites pour votre corps qui n'est cependant qu'un monceau de pour-riture et qui, dans quelques moments, sera la pâture des plus vils animaux. Lorsque vous êtes dangereusement blessés, attendez-vous six mois ou un an pour y appli-quer les remèdes que vous croyez être nécessaires pour vous guérir ? Lorsque vous êtes attaqués par une bête féroce, attendez-vous d'être à moitié dévorés pour crier au secours ? N'implorez-vous pas, de suite, le secours de vos voisins ? Pourquoi, M.F., n'agissez-vous pas de même lorsque vous voyez votre pauvre âme souillée et défigurée par le péché, réduite sous la tyrannie des démons ? Pourquoi n'employez-vous pas aussitôt l'assis-tance du ciel et n'avez-vous pas recours à la pénitence ?
Oui, M.F., quelque grands pécheurs que vous soyez, vous ne voudriez pas mourir dans le péché. Eh bien ! puisque vous désirez quitter un jour le péché, pourquoi ne le quitteriez-vous pas aujourd'hui, puisque Dieu vous donne le temps et les grâces pour cela ? Croyez-vous que, dans la suite, Dieu sera plus disposé à vous pardonner, et que vos mauvaises habitudes seront moins difficiles à rompre ? Non, non, M.F., plus vous différerez votre retour à Dieu, plus votre conversion sera malaisée. Le temps, qui affaiblit tout, ne fait que fortifier nos mau-vais penchants.
Peut-être que vous vous rassurez sur le temps à venir. Hélas ! M.F., ne vous y trompez pas : les juge-ments de Dieu sont si redoutables que vous ne pouvez pas différer votre conversion d'une seule minute, sans vous exposer à être perdus pour jamais. L'Esprit-Saint nous dit, par la bouche du Sage, « que le Seigneur sur-prendra le pécheur dans sa colère . » Jésus-Christ nous dit lui-même « qu'il viendra comme un voleur de nuit, qui arrive dans le moment où l'on n'y pense pas . » I1 nous répète aussi ces paroles : « Veillez et priez continuellement, de crainte que quand je viendrai, je ne vous trouve endormis . » Jésus-Christ veut nous montrer par ces paroles que nous devons constamment veiller à ce que notre âme ne soit point trouvée en état de péché, quand la mort nous frappera. Faisons, M.F., comme les vierges sages, qui firent leurs provisions d'huile pour attendre l'arrivée de l'époux, afin d'être prêtes à partir lorsqu'il les appellerait. De même, faisons provision de bonnes œuvres, avant que Dieu nous appelle devant son tribunal. N'imitons pas ces vierges folles, qui attendirent l'arrivée de l'époux pour aller chercher de l'huile ; lorsqu'elles furent arrivées, la porte était fermée ; elles eurent beau prier l'époux de leur ouvrir ; il leur répondit qu'il ne les connaissait pas . Figure triste, mais bien sensible, M.F., du pécheur qui renvoie son retour à Dieu de jour en jour. Arrivé à la mort, il voudrait encore profiter de ce moment, mais il est trop tard, il n'y a plus de remède.
Oui, M.F., la seule incertitude du moment où Dieu nous citera à paraître devant lui, nous devrait faire trem-bler et nous engager à ne pas perdre un seul instant pour assurer notre salut. D'ailleurs, M.F., savons-nous le nombre de péchés que Dieu veut souffrir de nous, la mesure des grâces qu'il veut nous accorder, et enfin, jusqu'où doit aller sa patience ? Ne devons-nous pas craindre que le premier péché que nous commettrons ne mette le sceau à notre réprobation ! Puisque nous vou-lons nous sauver, pourquoi différer plus longtemps ? Combien d'anges et de millions d'hommes, qui n'ont commis qu'un seul péché mortel ! Cependant, ce seul péché sera cause qu'ils souffriront pendant toute l'éter-nité. Non, M.F., les voleurs ne sont pas punis égale-ment ; les uns vieillissent dans le brigandage ; d'autres, au premier crime, sont surpris et punis. Ne devons-nous pas craindre que la même chose ne nous arrive ? Il est vrai que vous vous rassurez sur ce que Dieu ne vous punit pas, quoique vous l'offensiez continuellement. Mais aussi, peut-être que c'est au premier péché que vous commettrez, qu'il vous attend pour vous frapper et vous précipiter dans les abîmes. Voyez un aveugle qui marche vers un précipice, le dernier pas qu'il fait n'est pas plus grand que le premier ; cependant, c'est ce pas qui le jette dans le précipice. Non, M.F., pour tomber en enfer, il n'est pas nécessaire de commettre de grands crimes, il suffit de continuer à vivre dans l'éloignement des sacrements pour être perdu à jamais. Allons, M.F., ne lassons plus la patience de Dieu, hâtons-nous de correspondre à sa bonté, qui ne veut que notre bonheur. Mais voyons, d'une manière encore plus particulière, ce que nous devons faire pour correspondre aux desseins que la miséricorde de Dieu a sur nous. II. - Nous disons que si la miséricorde de Dieu attend le pécheur à la pénitence, il ne faut pas lasser sa patience ; elle nous appelle, elle nous invite, nous de-vons aller au-devant d'elle ; elle nous reçoit et nous pardonne, nous devons lui demeurer fidèles. Ce sont là des devoirs de reconnaissance qu'elle demande de nous. Oui, Dieu attend et souffre le pécheur. Mais, hélas ! combien de pécheurs qui, au lieu de profiter de sa patience, pour rentrer en eux-mêmes, ajoutent péché sur péché ? Il y a dix, vingt ans, que Dieu attend ce misérable pécheur à la pénitence ; mais qu'il tremble, il n'y a plus qu'un petit filet par lequel la miséricorde suspend l'exécution de ses vengeances. Ah ! misérable pécheur, mépriserez-vous toujours les richesses de sa patience, de sa bonté et de sa longue tolérance ? Est-ce parce que Dieu vous attend à la pénitence, que vous ne la ferez jamais ? N'est-ce pas, au contraire, dit le saint Apôtre, cette bonté divine qui doit vous engager à ne plus différer ? « Cependant, dit-il, par la dureté et l'impé-nitence de votre cœur, vous vous amassez des trésors de colère pour le jour de la manifestation du Sei-gneur . » En effet, quelle dureté pareille à celle d'un homme qui n'est point amolli par la douceur et la ten-dresse d'un Dieu qui, depuis tant d'années, l'attend à la pénitence ? C'est donc le pécheur seul qui est cause de sa perte. Oui, Dieu a fait tout ce qu'il devait faire pour son salut, il lui a fait la grâce de le connaître, il lui a appris à discerner le bien d'avec le mal, il lui a mani-festé les richesses de son cœur pour l'attirer à lui, il l'a même menacé des rigueurs de son jugement pour l'en-gager à se convertir ; si donc le pécheur meurt dans l'impénitence, il ne peut s'en prendre qu'à lui-même. Profitons, M.F., de la miséricorde que Dieu met à nous attendre à la pénitence. Ah ! ne lassons plus sa patience par des délais continuels de conversion.
2° Nous disons que quand la miséricorde de Dieu nous appelle, il faut que nous allions au-devant d'elle. « Dieu, dit saint Ambroise, s'engage à nous pardonner ; mais il faut que notre volonté s'unisse à celle de Dieu ; il veut nous sauver, il faut que nous le voulions aussi, parce que l'une de ces volontés n'a son effet que conjointe-ment unie à l'autre : celle de Dieu commence l'ouvrage, le conduit et le consomme ; et celle de l'homme doit concourir à l'accomplissement de ses desseins. Nous devons être dans la même disposition que saint Paul au commencement de sa conversion, ainsi qu'il nous l'apprend dans son épître aux Galates. « Vous avez ouï parler de ma conduite et de mes actions toutes crimi-nelles. Avant que Dieu m'eût fait la grâce de me convertir, je persécutais l'Église de Dieu d'une manière si cruelle que j'en ai horreur toutes les fois que j'y pense ; qui eût cru que la miséricorde divine eût choisi ce moment pour m'appeler à elle ? Ce fut pour lors que je me vis tout environné d'une lumière éclatante, et que j'entendis une voix qui me dit : Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? Je suis ton Sauveur et ton Dieu, contre qui tu tournes ta rage et tes persécutions . » Oui, M.F., nous pouvons dire que ce qui arriva une fois, d'une manière si éclatante à saint Paul, arrive encore tous les jours en faveur du pécheur. Sa grâce le cherche et le poursuit, même lorsque ce misérable l'offense. S'il veut avouer la vérité, il sera forcé de convenir que toutes les fois qu'il est prêt à faire le mal, la voix de Dieu se fait entendre au fond de son cœur, pour s'op-poser à ses desseins criminels. Que doit faire ce pécheur ? Il doit obéir à la voix du ciel, et dire comme le saint homme Job : « Seigneur, vous avez comptez mes pas dans mes égarements ; mais voici que je reviens à vous, daignez me faire miséricorde . »
3° Nous disons que si Dieu reçoit le pécheur et lui pardonne, ce pécheur doit lui demeurer fidèle. Plus de rechutes dans ses désordres : il doit renoncer entièrement aux péchés qui lui ont été pardonnés ; n'être plus à charge à la miséricorde divine, qui condamne autant les conversions inconstantes qu'elle se réjouit de celles qui sont solides et persévérantes ; il doit gémir le reste de ses jours, pour avoir tant attendu de se donner à Dieu ; il doit continuellement bénir le nom du Seigneur, d'avoir fait éclater en lui son infinie miséricorde, en l'arrachant de cet abîme où ses péchés l'avaient précipité. Tels doivent être les sentiments d'un pécheur véritablement converti.
Nous venons de voir combien est grande la miséri-corde de Dieu ; ainsi, quelque pécheurs que nous soyons, ne désespérons jamais de notre salut, parce que la bonté de Dieu surpasse infiniment notre malice. Mais aussi n'en abusons pas ; « car, dit le Prophète, la miséricorde divine est pour ceux qui la craignent et non pour ceux qui la méprisent . » Le juste doit espérer en la misé-ricorde de Dieu ; mais il lui faut persévérer, afin qu'elle recouvre en lui ses droits en récompensant ses mérites. Le pécheur doit pareillement espérer à la miséricorde de Dieu ; mais, qu'il fasse pénitence. Afin que notre conversion soit sincère, nous devons joindre l'espérance à la pénitence : car faire pénitence sans espérer, c'est le partage des démons, et espérer sans faire pénitence, la présomption du libertin. Heureux, M.F., si nous corres-pondons aux soins, à l'empressement et aux grâces que Dieu ne cesse de nous prodiguer pour nous faire opérer notre salut ! Ce que je vous souhaite.
4ème dimanche après la Pentecôte
Sur l'Espérance
Diliges Dominant Deum tuum.
Vous aimerez le Seigneur votre Dieu.
(S.Matthieu, XXII, 37.)
Il est vrai, M.F., que saint Augustin nous dit que, quand il n'y aurait point de ciel à espérer, point d'enfer à craindre, il ne laisserait pas que d'aimer le bon Dieu, parce qu'il est infiniment aimable et qu'il mérite d'être aimé ; cependant le bon Dieu, pour nous encourager à nous attacher à lui et à l'aimer par-dessus toutes choses, nous promet une récompense éternelle. Si nous nous acquittons dignement d'une si belle fonction, qui fait tout le bonheur de l'homme sur la terre, nous préparons notre félicité et notre gloire dans le ciel. Si la foi nous apprend que Dieu voit tout, et qu'il est témoin de tout ce que nous faisons et souffrons, la vertu d'espérance nous fait endurer nos peines avec une entière soumission à sa sainte volonté, par la pensée que nous en serons récompensés pendant toute l'éternité. Nous voyons aussi que ce fut cette belle vertu qui soutint les martyrs au milieu de leurs tourments, les solitaires dans les rigueurs de leurs pénitences, et les saints infirmes et malades dans leurs maladies. Oui, M.F., si la foi nous découvre partout Dieu présent, l'espérance nous fait faire tout ce que nous faisons dans la seule vue de plaire au bon Dieu, par la pensée heureuse d'une récompense éternelle. Puisque, M.F., cette vertu adoucit tant nos maux, voyons tous ensemble en quoi consiste cette belle et précieuse vertu d'espérance.
Si, M.F., nous avons le bonheur de connaître par la foi, qu'il y a un Dieu qui est notre Créateur, notre Sau-veur et notre souverain Bien, qui ne nous a créés que pour le connaître, l'aimer, le servir et le posséder ; l'es-pérance nous apprend que, quoique indignes de ce bonheur, nous pouvons l'espérer par les mérites de Jésus-Christ. Pour rendre, M.F., nos actions dignes d'être récompensées, il faut trois choses, que voici : la foi, qui nous y fait voir Dieu présent ; l'espérance, qui nous les fait faire dans la seule vue de lui plaire, et l'amour, qui nous attache à lui comme à notre souverain Bien. Oui, M.F., nous ne connaîtrons jamais le degré de gloire que chaque action nous procurera dans le ciel, si nous la faisons bien purement pour le bon Dieu ; les saints mêmes qui sont dans le ciel ne le comprennent pas. En voici un exemple bien frappant. Nous lisons dans la vie de saint Augustin, qu'écrivant à saint Jérôme pour lui demander de quelle expression il fallait se servir pour mieux faire sentir la grandeur du bonheur dont les saints jouissent dans le ciel ; dans le moment qu'il mettait, selon sa coutume, au commencement de toutes ses lettres : « Salut en Jésus-Christ Notre-Seigneur », sa chambre fut éclairée d'une lumière tout extraordinaire qui était plus belle que le soleil dans son midi et très odoriférante ; il en fut si charmé, qu'il manqua mourir de plaisir. Dans le même instant, il entendit sortir de cette lumière une voix qui lui dit : « Ah ! mon cher ami Augustin, tu me crois encore sur la terre ; grâce à Dieu, je suis dans le ciel. Tu veux me demander de quel terme l'on pourrait se servir pour mieux faire sentir le bonheur dont jouissent les saints ; sache, mon cher ami, que ce bonheur est si grand, et si au-dessus de tout ce qu'une créature peut penser, qu'il te serait plus facile de compter toutes les étoiles qui sont au firmament, de mettre l'eau de toutes les mers dans une fiole, et de tenir toute la terre dans ta main, que de pouvoir comprendre la félicité du moindre des bienheureux dans le ciel. Il m'est arrivé ce qui arriva à la reine de Saba ; elle avait conçu une grande idée du roi Salomon d'après le bruit de sa réputation ; mais, après avoir vu par elle-même le bel ordre qui régnait dans son palais, la magnificence sans égale, la science et les connaissances de ce roi, elle en fut si étonnée et si ravie, qu'elle s'en retourna chez elle en disant que tout ce qu'on lui avait dit n'était rien en com-paraison de ce qu'elle avait vu elle-même. J'en ai fait de même pour la beauté du ciel et le bonheur dont jouissent les saints ; je croyais avoir compris quelque chose de ces beautés qui sont renfermées dans le ciel et du bonheur dont les saints y jouissent ; malgré toutes les pensées les plus sublimes que j'ai pu produire, tout cela n'est rien en comparaison de ce bonheur qui est le partage des bienheureux. »
Nous lisons dans la vie de sainte Catherine de Sienne, que le bon Dieu lui fit voir quelque chose de la beauté du ciel et de sa félicité. Elle en fut si ravie qu'elle tomba en extase. Étant revenue à elle-même, son confes-seur lui demanda ce que le bon Dieu lui avait fait voir. Elle lui dit que le bon Dieu lui avait fait voir quelque chose de la beauté du ciel et du bonheur dont les saints y jouissent ; mais qu'il était impossible d'en dire la moindre chose, tant cela surpassait tout ce que nous pouvons penser. Eh bien ! M.F., voilà où nous conduisent nos bonnes actions si nous les faisons dans la vue de plaire à Dieu ; voilà les biens que la vertu d'espérance nous fait désirer et attendre.