Blog Parousie de Patrick ROBLES (Puget-Théniers, Alpes-Maritimes - FRANCE)
II. - Oui, M.F., un chrétien qui se connaît bien, tout doit le porter à s'humilier. Je veux dire trois choses : la considération des grandeurs de Dieu, les abaissements de Jésus-Christ et notre pro-pre misère. 1? quel est celui, M.F., qui pourrait considérer la grandeur d'un Dieu, sans s'anéantir en sa présence, en pensant que, de rien, il a créé le ciel par une seule parole, et qu'un seul de ses regards pourrait tout anéantir ? Un Dieu qui est si grand, et dont la puissance n'a point de borne, un Dieu rempli de toutes sor-tes de perfections, un Dieu avec son éternité sans fin, sa justice si grande, sa providence qui gouverne tout avec tant de sagesse et qui pourvoit à nos besoins avec tant de soin ! tandis que nous-mêmes, nous ne sommes qu'un vil néant ! O mon Dieu ! ne de-vrions-nous pas, à bien plus forte raison, craindre, comme saint Martin, que la terre ne s'ouvrît sous nos pieds pour nous engloutir, tant nous sommes indignes de vivre ? A cette vue, M.F., ne feriez-vous pas comme cette grande pénitente dont il est parlé dans la vie de saint Paphnuce ? Ce bon vieillard, dit l'auteur de sa vie, étant allé trouver cette pécheresse, fut bien surpris de l'entendre parler de Dieu. Le saint abbé lui dit : « Savez-vous bien qu'il y a un Dieu ? » - « Oui, lui dit-elle ; de plus, je sais qu'il y a un royaume pour ceux qui vivent selon ses commandements, et un enfer où les méchants seront jetés pour y brûler, » - « Si vous connaissez toutes ces choses, comment, en perdant tant d'âmes, vous exposiez-vous donc à y brûler ? » La pécheresse connaissant à ces paroles que c'était un homme de Dieu, se jeta à ses pieds fondant en larmes : « Mon père, lui dit-elle, donnez-moi telle pé-nitence que vous voudrez, et je la ferai. » Il la renferma dans une cellule, en lui disant : « Étant si criminelle que vous l'êtes, vous ne méritez pas de prononcer le nom du bon Dieu ; vous vous contenterez de vous tourner vers l'orient, et, pour toute prière, vous direz : O vous qui m'avez créée, ayez pitié de moi ! » Voilà toute sa prière. Sainte Thaïs passa trois ans à faire cette prière, à verser des larmes et pousser des sanglots le jour et la nuit. O mon Dieu ! que l'humilité nous fait bien connaître ce que nous som-mes ! 2? Nous disons que l'anéantissement de Jésus-Christ doit nous humilier encore bien davantage. « Quand je considère, nous dit saint Augustin, un Dieu, qui, depuis son incarnation jusqu'à la croix, n'a mené qu'une vie d'humiliations et d'ignominies, un Dieu méconnu sur la terre, moi je craindrais de m'humilier ? Un Dieu cherche les humiliations, moi, ver de terre, je voudrais m'éle-ver ? » Mon Dieu ! de grâce, détruisez cet orgueil qui nous éloi-gne tant de vous.
Le troisième motif, M.F., qui doit nous humilier, c'est notre propre misère. Nous n'avons qu'à la regarder un peu de près, nous y trouverons une infinité de sujets de nous humilier. Le prophète Michée nous, dit : « Que nous portons au milieu de nous le prin-cipe et les motifs de notre humiliation. Ne savons-nous pas, dit-il, que le néant est notre origine, qu'une infinité de siècles se sont écoulés avant que nous fussions, et que, de nous-mêmes, nous n'aurions jamais pu sortir de cet affreux et impénétrable abîme ? Pouvons-nous ignorer que tout créés que nous sommes, nous avons un violent penchant vers le néant, et qu'il faut que la main puissante de celui qui nous en a tirés, nous empêche d'y retomber, et que, si le bon Dieu cessait de nous regarder et de nous soutenir, nous serions effacés de dessus la terre, avec la même rapidité qu'une paille emportée par une furieuse tempête ? » Qu'est-ce donc que l'homme pour se vanter de sa naissance et de ses autres avantages ? » Hélas ! nous dit le saint homme Job, que sommes-nous ? ordure avant de naître, misère quand nous venons au monde, infection quand nous en sortons. Nous naissons d'une femme, nous dit-il , nous vivons peu de temps ; pendant notre vie, quoiqu'elle soit bien courte, nous pleurons beaucoup, la mort ne tarde guère à nous frapper. » - « Voilà notre partage, nous dit saint Grégoire, pape, jugez d'après cela, si nous pouvons trouver lieu de nous élever dans la moindre chose du monde ? de sorte que celui qui ose avoir la témérité de croire qu'il est quelque chose, est un insensé, qui ne s'est jamais connu, parce que, nous connaissant tels que nous sommes, nous ne pouvons qu'avoir hor-reur de nous-mêmes. »
Mais nous n'avons pas moins sujet de nous humilier dans l'ordre de la grâce. Quelques dons et quelques talents que nous ayons, nous les tenons tous de la main libérale du Seigneur, qui les donne à qui il lui plaît, et, par conséquent, nous ne pouvons pas nous en glorifier. Un concile nous a déclaré que l'homme, bien loin d'être l'auteur de son salut, n'est capable que de se per-dre, et qu'il n'a de soi-même que le péché et le mensonge. Saint Augustin nous dit que toute notre science consiste à savoir que nous ne sommes rien, et que tout ce que nous avons nous le te-nons de Dieu.
Enfin, je dis que nous devons nous humilier par rapport à la gloire et au bonheur que nous attendons dans l'autre vie, car, de nous-mêmes, nous ne pouvons pas le mériter. Si le bon Dieu est si bon que de nous le donner, nous ne pouvons compter que sur la miséricorde de Dieu et sur les mérites infinis de Jésus-Christ son Fils. Comme enfants d'Adam, nous ne méritons que l'enfer. Oh ! que le bon Dieu est charitable de nous donner l'espérance de tant de biens, à nous qui n'avons rien fait pour les mériter !
Que devons-nous conclure de cela ? M.F., le voici c'est de bien demander au bon Dieu, tous les jours, l'humilité, c'est-à-dire, qu'il nous fasse la grâce de connaître que nous ne sommes rien de nous-mêmes, et que les biens, soit du corps, soit de l'âme, nous viennent de lui... Pratiquons l'humilité toutes les fois que nous le pouvons ; .... soyons bien persuadés qu'il n'y a point de vertu plus agréable à Dieu que l'humilité, et qu'avec elle, nous aurons toutes les autres. Quelque pécheurs que nous soyons, nous sommes sûrs qu'avec l'humilité, le bon Dieu nous pardonnera. Oui, M.F., atta-chons-nous à cette belle vertu ; c'est elle qui nous unira à Dieu, qui nous fera vivre en paix avec notre prochain, qui rendra nos croix moins pesantes, qui nous donnera cette grande espérance que nous verrons Dieu un jour. Il nous dit lui-même : « Bienheureux les pauvres d'esprit, parce qu'ils verront Dieu ! » C'est ce que je vous souhaite.
17ème DIMANCHE APRÈS LA PENTE-CÔTE
Sur l'amour de Dieu
Diliges Dominum Deum tuum.
Vous aimerez le Seigneur votre Dieu.
(S. Luc, X, 27.)
Nous lisons dans l'Évangile, M.F., qu'un jeune homme s'étant présenté devant Jésus-Christ, lui dit : « Maître, que faut-il faire pour avoir la vie éternelle ? » Jésus-Christ lui répondit : « Qu'est-il écrit dans la loi ? » - « Vous aimerez le Seigneur votre Dieu, lui répondit le jeune homme, de tout votre cœur, de toute votre âme et de toutes vos forces, et le prochain comme vous-même. » - « Mais je fais tout cela. » - « Eh bien ! lui repartit Jé-sus-Christ, vendez votre bien, donnez-le aux pauvres, et vous au-rez un trésor dans le ciel. » Ce mot de vendre son bien pour le donner aux pauvres, le chagrina grandement. Jésus-Christ voulait lui montrer que c'est par les œuvres et non par les paroles que nous faisons voir si nous aimons véritablement le bon Dieu. Si, pour l'aimer, nous dit saint Grégoire, il suffisait de dire qu'on l'aime, cet amour divin ne serait pas aussi rare qu'il l'est, parce qu'il n'y a pas une personne qui, étant interrogée si elle aime le bon Dieu, ne réponde aussitôt qu'elle l'aime de tout son cœur : le juste le dira et le pécheur aussi, encore le juste ne le dira-t-il qu'en tremblant, à l'exem-ple de saint Pierre ; au lieu que le pécheur le dira peut-être avec un ton d'assurance, qui semblera répon-dre de sa sincérité ; mais il se trompe grandement, parce que l'amour de Dieu ne consiste pas dans les paroles, mais dans les œuvres . Oui, M.F., aimer le bon Dieu de tout son cœur est une chose si juste, si raisonnable, et, en quelque sorte, si naturelle, que ceux d'entre nous dont la manière de vivre lui est le plus opposée, ne laissent pas que de prétendre et d'être persuadés qu'ils l'aiment. Pourquoi tous croient-ils qu'ils aiment le bon Dieu, quoique leur conduite soit tout à fait opposée à cet amour divin ? Ah ! M.F., c'est que tout le monde cherche son bonheur, et que cet amour seul peut nous le procurer ; voilà pourquoi l'on veut se persuader que l'on aime le bon Dieu. Cependant rien de si rare que cet amour divin. Voyons donc en quoi consiste cet amour, et à quoi nous pouvons connaître si nous aimons Dieu. Pour mieux le comprendre, considérons, d'un côté, ce que Jésus-Christ a fait pour nous, et de l'autre, ce que nous devons faire pour lui.
I. - Il est très certain, M.F., que le bon Dieu ne nous a créés que pour l'aimer et le servir. Toutes les créatures qui sont sur la terre sont créées pour l'homme, mais l'homme est créé pour aimer le bon Dieu. Pourquoi est-ce, M.F., que le bon Dieu nous a donné un cœur dont les désirs sont si vastes et si étendus, que rien de créé n'est capable de le rassasier ? C'est afin de nous forcer, en quelque sorte, à ne nous attacher qu'à lui et à n'aimer que lui ; parce qu'il n'y a que lui qui puisse nous contenter. Quand l'homme posséderait l'univers entier, il ne sera jamais pleinement satisfait ; il lui restera toujours quelque chose à désirer, de sorte que rien de créé ne pourra le remplir. Oui, nous sommes si persuadés que nous sommes créés pour être heureux, que nous ne cessons pas un seul instant de notre vie de chercher le bonheur, et de faire tout, ce qui dépend de nous pour nous le procurer. D'où vient donc que, malgré toutes nos recherches, toutes nos peines et tous nos soins, nous ne nous trouvons pas encore contents ? Hélas ! c'est que nous ne portons pas nos regards ni les mouvements de notre cœur vers l'objet qui seul est capable de remplir la vaste étendue de nos désirs, Dieu seul. Non, M.F., non, jamais vous ne pourrez vous contenter et être pleinement heureux, du moins autant qu'il est possible de l'être dans ce monde, si vous ne méprisez pas, au moins de cœur, les choses créées pour ne vous attacher qu'à Dieu seul. Nous devons donc appliquer tous nos soins et tous les mou-vements de notre cœur à ne désirer et à ne chercher que Dieu seul en tout ce que nous faisons, sans quoi, notre vie se passera à cher-cher vainement un bonheur que nous ne trouverons jamais. Nous nous sommes donc trompés jusqu'à présent ; puisque, malgré tout ce que nous avons fait pour être heureux, nous n'avons pas pu l'être. Croyez-moi, M.F., cherchez l'amitié du bon Dieu, et vous aurez trouvé votre bonheur. O mon Dieu ! que l'homme est aveu-gle de ne pas vous aimer ; puisque vous pouvez si bien contenter son cœur ! Mais, M.F., pour vous engager à aimer un Dieu si bon, si digne d'être aimé, et si capable de remplir toutes les affections de notre cœur, jetons un coup d'œil sur ce qu'il a fait pour nous ; suivons-le dans le cours de sa vie mortelle et jusqu'après sa mort.
Voyez-le, M.F., depuis le moment de son incarnation jus-qu'à l'âge de trente ans, ne sont-elles pas grandes, les preuves de son amour pour nous ? Qu'a-t-il fait dans son incarnation ? Il s'est fait homme comme nous et pour nous. Dans sa naissance il nous a élevés à la dignité la plus éminente à laquelle une pure créature puisse être élevée ; il est devenu notre frère !... O quel amour pour nous ! l'avons-nous jamais bien compris ?... Dans sa circoncision, il s'est fait notre Sauveur. Mon Dieu ! que votre charité est grande !... Dans son épiphanie, il est devenu notre lumière, notre guide. Dans sa présentation au temple, il est devenu notre pontife, notre docteur ; oh ! que dis-je, M.F. ? il s'est offert à son Père pour nous racheter tous. Plus tard, c'est-à-dire, dans la maison de saint Joseph, il est devenu notre modèle, pour l'amour et le respect que nous devons avoir pour nos parents et nos supérieurs. Disons mieux encore : il nous a montré comment nous devions mener une vie cachée et inconnue au monde, si nous voulions plaire à Dieu son Père. Suivons Jésus-Christ dans sa vie agissante, tout ce qu'il a fait, il l'a fait pour nous : ses prières, ses larmes, ses veilles, ses jeûnes, ses prédications, ses voyages, ses conversations, ses miracles ; oui, tout cela a été fait pour nous. Voyez, M.F., avec quel zèle il nous a cherchés, dans la personne de la Samaritaine ; voyez avec quelle tendresse il reçoit tous les pécheurs, et nous le sommes tous, dans la personne de l'enfant prodigue ; voyez avec quelle bonté il s'oppose à la justice de son Père, qui veut nous punir dans la personne de la pécheresse . Dans sa vie souffrante, hélas ! que d'injures, que de tourments n'a-t-il pas endurés ? Il a été garrotté, souffleté, accusé, condamné, et enfin, crucifié pour nous. N'est-il pas mort pour nous, au milieu d'opprobres et de douleurs incompréhensibles ? Ah ! M.F., qui pourrait comprendre tout ce que son bon cœur a fait pour nous ?... Entrons plus avant dans la plaie de ce bon cœur. Oui, Jésus-Christ pouvait satisfaire à la justice de son Père, pour nos péchés, par une goutte de son sang, par une seule larme, ah ! que dis-je ? par un seul soupir ; mais ce qui pouvait satisfaire à la justice de son Père ne pouvait pas satisfaire la tendresse de son cœur pour nous. C'est encore son amour pour nous qui l'a fait souffrir d'une manière anticipée, dans le jardin des Olives, les souffrances qu'il devait endurer sur la croix. O abîme de tendresse d'un Dieu pour ses créatures !... Jésus-Christ s'est-il contenté de nous aimer jusqu'à la fin ? Non, M.F., non. Après sa mort, la lance, ou plutôt son amour a ouvert son divin cœur, pour nous ouvrir comme un asile, où nous viendrions nous cacher et nous consoler dans nos peines, nos chagrins et nos autres misères.
Mais, allons plus loin, M.F. Il veut, ce divin Sauveur, répan-dre pour nous jusqu'à la dernière goutte de son sang précieux, afin de nous laver de toutes nos iniquités. Après avoir expié nos pé-chés d'orgueil par son couronnement d'épines ; par le fiel et le vi-naigre, les péchés que nous avons le malheur de commettre par notre langue, et qui sont en si grand nombre ; tous nos péchés d'impureté par sa cruelle et douloureuse flagellation ; tous ceux que nous avons commis par nos mains, c'est-à-dire, toutes les mau-vaises actions que nous avons faites, par les plaies de ses pieds et de ses mains ; il a voulu encore expier tous nos péchés par la blessure de son divin Cœur parce que c'est dans le cœur que tous nos péchés prennent naissance. O prodige d'amour d'un Dieu pour ses créatures !... Il est offensé par nous et il est puni pour nous, et c'est sur lui-même qu'il se venge des offenses que nous lui avons faites !...Hélas ! si nous n'étions pas aussi aveugles que nous le sommes, nous reconnaîtrions que ce sont nos mains qui, véritablement, l'ont immolé sur la croix.
Mais, encore une fois, M.F., pourquoi tant de prodiges d'amour ? Ah ! vous le savez ; c'est pour nous délivrer de toutes sortes de maux, et nous mériter toutes sortes de biens pour l'éter-nité. Et si, malgré cela, nous venons encore à l'offenser, nous voyons qu'il est prêt à nous pardonner, à nous aimer et à nous combler de toutes sortes de biens, si nous voulons l'aimer. O quel amour pour des créatures si insensibles et si ingrates ! ...
Son amour va encore plus loin. Voyant que la mort allait le séparer de nous, et afin de rester parmi nous, il fit un grand mira-cle : il institua ce grand sacrement d'amour, où il nous laisse son corps adorable et son sang précieux, pour ne jamais plus nous quitter, jusqu'à la fin du monde. Quel amour pour nous, M.F., qu'un Dieu veuille bien nourrir notre âme de sa propre substance et nous faire vivre de sa propre vie ! Par le moyen de ce grand et adorable sacrement, il s'offre, chaque jour, à la justice de son Père, satisfait de nouveau pour nos péchés, et nous attire toutes sortes de grâces. Voyez encore, M.F., ce tendre Sauveur qui, mort pour notre salut, nous ouvre le ciel. Pour nous y conduire tous, il va lui-même être notre médiateur ; c'est lui-même qui va présen-ter toutes nos prières à son Père et demander grâce pour nous, chaque fois que nous aurons le malheur de pécher. Oui, M.F., il nous attend dans ce lieu de bonheur, dans ce séjour où l'on aime toujours et où l'on n'offense jamais...
Non, M.F., jamais vous n'avez bien réfléchi comme le bon Dieu vous aime. Est-il bien possible que nous ne vivions que pour l'offenser, puisque nous ne pouvons être heureux qu'en l'aimant ? Sans doute, si je vous demandais si vous aimez le bon Dieu, vous me diriez que vous l'aimez ; mais cela ne suffit pas ; il faut en donner la preuve. Mais, où sont-elles, M.F., ces preuves qui mani-festent la sincérité de notre amour pour le bon Dieu ? Où sont les sacrifices que nous avons faits pour lui ? Où sont nos pénitences ? Hélas ! le peu de bien que nous faisons, est fait en grande partie sans goût, sans avoir une intention bien droite. Que de vues hu-maines !... que de bonnes œuvres faites par pur penchant et sans véritable dévotion ! Hélas ! M.F., quelle pauvreté !...
II. - Maintenant, M.F., si vous voulez savoir comment nous pouvons connaître si nous aimons véritablement le bon Dieu, écoutez bien ce que je vais vous dire, et ensuite, vous allez vous-mêmes juger si vous l'aimez en vérité. Voilà ce que Jésus-Christ nous dit lui-même : « Celui qui m'aime garde mes commande-ments , mais celui qui ne m'aime pas ne les garde pas. » Il vous est donc bien facile de savoir si vous aimez le bon Dieu. Les com-mandements de Dieu ou sa volonté, M.F., ne sont qu'une même chose. Il vous ordonne et veut que vous remplissiez bien tous les devoirs de votre état, avec des intentions bien pures et bien droites, sans humeur, sans impatience, sans négligence, sans fraude dans la vérité ni dans la bonne foi. Nous devons avoir un amour généreux envers le bon Dieu, qui nous fasse préférer la mort à l'infidélité. De cela, M.F., nous avons des exemples à l'in-fini dans tous les saints, et surtout dans les martyrs dont beaucoup se sont laissés couper en morceaux, plutôt que de cesser d'aimer le bon Dieu. En voici un bel exemple dans la personne de la chaste Suzanne . Étant allée un jour au bain, deux vieillards, qui étaient juges du peuple d'Israël, l'ayant aperçue, conçurent le des-sein de la solliciter au péché ; ils la suivirent, lui proposèrent leur infâme dessein, dont elle eut horreur. Levant les yeux au ciel, elle dit : « Seigneur, vous savez que je vous aime, soutenez-moi. » « Je me vois dans la peine de toutes parts, dit-elle aux vieillards ; nous sommes ici en la présence de Dieu qui nous voit ; si j'ai le malheur de consentir à votre passion honteuse, je n'échapperai pas à la main de Dieu ; il est mon juge, je sais qu'il me fera rendre compte d'une action aussi lâche et aussi criminelle. Si, au contraire, je ne consens pas à vos désirs, je n'échapperai pas à vos ressentiments ; je vois bien que vous allez me faire mourir ; mais j'aime mieux mourir qu'offenser Dieu. » Ces misérables, se voyant ainsi rebutés, sortirent avec colère, et publièrent aussitôt que Suzanne avait été surprise en adultère, qu'ils avaient vu un jeune homme faisant le mal avec elle. Malheureusement, hélas ! on les crut, et, sur leur témoignage, elle fut condamnée à la mort. Lorsqu'on la conduisait au supplice, un enfant de douze ans, qui était le petit Daniel, s'écria du milieu de la foule : « Que faites-vous, peuple d'Israël, pourquoi condamnez-vous le juste ? je vous déclare que je ne prends point part au crime que vous allez com-mettre, en versant le sang de cette innocente. » Le jeune Daniel, s'étant approché du peuple, leur dit : « Faites venir les deux vieil-lards. » Les ayant fait séparer l'un de l'autre, il les interrogea. Ils se coupèrent dans leurs paroles de telle manière que l'on ne put douter qu'ils étaient eux-mêmes coupables, et non Suzanne ; ils furent condamnés tous deux à la mort. Voilà ce que fait, M.F., une personne qui aime le bon Dieu, en montrant dans l'épreuve qu'elle l'aime véritablement, qu'elle l'aime plus que soi-même, Suzanne n'en pouvait pas donner une marque plus grande, puis-qu'elle choisit la mort de préférence au péché. Il n'est pas douteux, que, quand il ne faut que des paroles pour dire qu'on aime le bon Dieu, il n'en coûte guère. Tous croient qu'ils aiment le bon Dieu et tous osent se le persuader ; mais si le bon Dieu nous mettait à l'épreuve, combien peu auraient le bonheur de la soutenir !
Voyez encore ce qui arriva sous le règne d'Antiochus . Ce cruel tyran commanda aux Juifs, sous peine de mort, de manger de la viande défendue par la loi dix Seigneur. Un saint vieillard nommé Eléazar, qui avait toujours vécu dans la crainte et l'amour de Dieu, refusa courageusement d'obéir ; il fut condamné à mort. « Il ne tient qu'à vous, lui dit un de ses amis, de sauver votre vie, comme nous l'avons fait nous-mêmes. Voilà de la viande qui n'a pas été offerte aux idoles : mangez-la, cette petite dissimulation apaisera le tyran. » Le saint vieillard leur répondit : « Croyez-vous que je sois bien attaché à la vie, et que je la préfère à l'amour que je dois à mon Dieu ? Et quand même j'échapperais à la fureur du tyran, croyez-vous que je puisse échapper à la justice de Dieu ? Non, non, mes amis, j'aime mieux mourir que de déshono-rer ma religion et offenser mon Dieu que j'aime plus que moi-même. Non, il ne sera jamais dit qu'à l'âge de quatre-vingt-dix ans j'abandonne mon Dieu et sa loi sainte. » Lorsqu'on le conduisait au supplice, et que le bourreau le tourmentait cruellement, on l'en-tendait s'écrier : « Mon Dieu, vous savez que c'est pour vous que je souffre. Soutenez-moi, vous savez que c'est parce que je vous aime ; oui, mon Dieu, c'est pour votre amour que je souffre ! » Voyez son courage à voir couper et dévorer son pauvre corps. Eh bien ! M.F., voilà ce que nous appelons aimer véritablement le bon Dieu. Ce bon vieillard, qui donne sa vie avec tant de joie pour Dieu, ne se contente pas de dire qu'il l'aime ; mais il le montre par ses œuvres.
Nous disons bien que nous aimons le bon Dieu ; mais, quand tout va selon nos désirs, quand rien ne nous contredit dans notre manière de penser, de parler et d'agir. Combien de fois une seule parole, un air de mépris, ou même un air un peu froid, une pensée de respect humain ; ne nous font-ils pas abandonner le bon Dieu ?
Nous avons dit, M.F., que si nous voulons témoigner au bon Dieu que nous l'aimons, il faut accomplir sa sainte volonté, qui est, que nous soyons soumis, respectueux envers nos parents, nos supérieurs, et tous ceux que le bon Dieu a placés au-dessus de nous pour nous conduire. La volonté de Dieu est que ceux qui sont supérieurs conduisent leurs inférieurs sans hauteur, sans du-reté ; mais avec charité et avec bonté, comme nous voudrions que l'on nous conduisît ; la volonté de Dieu est que nous soyons bons et charitables envers tout le monde ; et que, si on nous loue, bien loin de nous croire quelque chose, au contraire, nous pensions que l'on se moque de nous, comme nous dit très bien saint Ambroise : « Si l'on nous méprise il ne faut point nous chagriner, mais, pen-ser que si l'on connaissait bien ce que nous sommes, l'on dirait beaucoup plus de mal de nous que l'on en dit. » Ou comme nous dit saint Jean : « Si l'on nous insulte, la volonté de Dieu est que nous pardonnions de bon cœur et de suite ; et que nous soyons prêts à rendre service toutes les fois que l'occasion s'en présente-ra. » Cette volonté est que, dans nos repas, nous ne nous laissions jamais aller à la gourmandise ; que dans nos conversations nous tâchions de cacher et d'excuser les défauts de notre prochain et que nous priions pour lui. La volonté de Dieu est que, dans nos peines, nous ne murmurions pas, mais que nous les supportions avec patience et résignation à sa volonté ; c'est-à-dire, que dans ce que nous faisons, et dans tout ce qu'il nous envoie, le bon Dieu veut que nous pensions que tout vient véritablement de lui et que tout cela est pour notre bonheur, si nous savons en faire un bon usage. Voilà, M.F., ce que les commandements de Dieu nous or-donnent. Si vous aimez le bon Dieu, comme vous le dites, vous ferez tout cela, vous vous comporterez de cette manière ; sinon, vous avez beau dire que vous l'aimez, saint Jean vous dit que vous êtes menteurs et que la vérité n'est pas dans votre bouche .
Examinons, M.F., toute notre conduite et toute notre vie, et voyons en détail toutes nos actions. Il ne faut pas nous arrêter à toutes nos bonnes pensées, à tous nos bons désirs, et à tous les mouvements sensibles que nous éprouvons, comme, par exemple, lorsque nous sommes touchés en lisant un bon livre, en écoutant la parole sainte, nous formons toutes sortes de belles résolutions : tout cela n'est autre chose qu'illusions, si, d'ailleurs, nous ne nous appliquons pas à faire ce que Dieu nous ordonne par ses com-mandements, et si nous n'évitons pas ce qu'il nous y défendu. Voyez, M.F., combien vous êtes en contradiction avec vous-mêmes. Le soir et le matin vous joignez les mains en faisant vos prières, vous dites : « Mon Dieu, je vous aime de tout cœur, et par-dessus toutes choses ; » vous croyez dire la vérité ? Cepen-dant quelques moments après, vos mains sont occupées à voler votre prochain. Hélas ! peut-être à quelque œuvre honteuse. Combien de fois n'avez-vous pas employé ces mains à vous rem-plir de vin et à vous livrer à la crapule ; cette même bouche qui vient de prononcer un acte d'amour de Dieu, va se souiller, dès que l'occasion s'en présentera, par des jurements, par des rapports, des médisances, des calomnies et par toutes sortes de paroles qui vont offenser et déshonorer ce même Dieu, à qui vous venez de dire que vous l'aimez de tout votre cœur. Hélas ! M.F., nous di-sons que nous aimons le bon Dieu de tout notre cœur ! où sont les preuves qui nous assurent que ce que nous disons est vrai ?
L'on dit dans le monde que les vrais amis se connaissent dans l'occasion ; cela est vrai, et qu'il faut des épreuves pour sa-voir si les amis sont sincères : ce qui est bien facile à comprendre. En effet, si je fous disais que je suis votre ami et que je ne fisse rien pour vous le montrer, et qu'au contraire, je fisse mille choses pour vous faire de la peine ; si, dans toutes les occasions où je pourrais vous témoigner mon attachement, je ne vous donnais que des marques d'aversion, vous ne voudriez pas croire que je vous aime, malgré que je vous l'aie dit souvent ; il en est de même, M.F., par rapport à Dieu. Vous aurez beau lui dire cent fois par jour : « Mon Dieu, je vous donne mon cœur, » cela ne suffit pas. Il faut lui en donner des preuves en ce que nous pouvons faire chaque jour, parce qu'il n'y en a guère où nous ne soyons obligés à faire quelque sacrifice au bon Dieu, si nous ne voulons pas l'of-fenser et si nous voulons l'aimer. Combien de fois le démon ne nous donne-t-i1 pas des pensées d'orgueil, de haine, de ven-geance, d'ambition, de jalousie, combien de mouvements de co-lère et d'impatience : combien de pensées ou désirs contre la sainte vertu de pureté ? et, d'autres fois, combien de pensées et de désirs d'avarice ? Hélas ! notre misérable corps nous porte sans cesse au mal, pendant que les lumières de la conscience et les im-pressions de la grâce nous portent au bien. Eh bien ! M.F., voilà ce que c'est que de plaire à Dieu, ce que c'est que de l'aimer : c'est combattre, c'est résister courageusement à toutes les tentations. Voilà comment nous donnerons des preuves de l'amour que nous avons pour le bon Dieu ; voilà ce qui nous mettra dans une dispo-sition continuelle de tout sacrifier plutôt que d'offenser le bon Dieu. Vous dites que vous aimez le bon Dieu, ou du moins que vous désirez l'aimer, vous êtes un menteur. Pourquoi donc laissez-vous entrer cette pensée d'orgueil dans votre cœur ? vous livrez-vous à ces murmures, à ces jalousies, à ces médisances et à ces complaisances en vous-même ? c'est que vous n'êtes qu'un hypo-crite Vous en êtes fâché, je le crois bien ; vous en serez bien fâ-ché... Hélas ! qu'il y en a peu qui aiment le bon Dieu !... Disons-le, à la honte du christianisme, il n'y a presque personne qui l'aime de cet amour de préférence, toujours prêt à tout sacrifier pour lui plaire, et toujours dans la crainte de lui déplaire.
Voyez, M.F., comment se comporta saint Eustache avec toute sa famille, voyez sa constance et son amour pour le bon Dieu. Il est rapporté dans sa vie qu'étant à la chasse, il poursui-vait un cerf d'une grosseur énorme ; s'étant élancé sur un rocher et cherchant le moyen de l'atteindre, il aperçut entre ses cornes un beau crucifix qui lui dit d'aller se faire baptiser et de revenir, qu'il lui apprendrait tout ce qu'il aurait à souffrir pour son amour, qu'il perdrait ses biens, sa réputation, sa femme, ses enfants et qu'il fi-nirait par être brûlé dans le feu, Saint Eustache entendit tout cela sans la moindre frayeur ni la moindre répugnance, ni même le moindre murmure. En effet, peu de temps après, la peste se mit dans ses troupeaux et parmi ses esclaves, et n'en épargna pas un. Tout le monde commençait à le fuir et personne ne voulait le sou-lager, se voyant aussi misérable et si méprisé, il prit le parti d'aller en Égypte où il avait encore quelque bien. Sa femme et lui prirent chacun leurs petits enfants par la main et s'abandonnèrent à la Providence du bon Dieu. Quand il fallut traverser l'eau, le maître du vaisseau garda la femme pour son passage, et jetant le père et les enfants à terre, fit voile d'un autre côté. Voilà notre saint Eus-tache encore privé d'une de ses plus grandes consolations. Sup-portant tout cela, sans un seul murmure contre la conduite que le bon Dieu tenait envers lui, nous dit l'auteur de sa vie, il prit un pe-tit crucifix entre ses mains, et le baisant respectueusement, il continua son chemin. Un peu plus loin, il fallut passer une rivière assez large... et le reste... Voilà, M.F., ce que nous pouvons appe-ler un amour véritable, puisque rien n'est capable de le séparer de son Dieu.