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Blog Parousie de Patrick ROBLES (Puget-Théniers, Alpes-Maritimes - FRANCE)

La Cité de Dieu, Saint-Augustin, Livre cinquième, 11



CHAPITRE XII.


PAR QUELLES VERTUS LES ANCIENS ROMAINS ONT MÉRITÉ QUE LE VRAI DIEU-ACCRUT LEUR EMPIRE, BIEN QU'ILS NE L'ADORASSENT PAS.
Voyons maintenant en faveur de quelles vertus le vrai Dieu, qui tient en ses mains tous les royaumes de la terre, a daigné favoriser l'accroissement de l'empire romain. C'est pour en venir là que nous avons montré, dans le livre précédent, que les dieux que Rome honorait par des jeux ridicules n'ont en rien contribué à sa grandeur; nous avons montré ensuite, au commencement du présent livre, que le destin est un mot vide de sens, de peur que certains esprits, désabusés de la croyance aux faux dieux, n'attribuassent la conservation et la grandeur de l'empire romain à je ne sais quel destin plutôt qu'à la volonté toute-puissante du Dieu souverain.
Les anciens Romains adoraient, il est vrai, les faux dieux, et offraient des victimes aux démons, à l'exemple de tous les autres peuples de l'univers, le peuple hébreu excepté; mais leurs historiens leur rendent ce témoignage qu'ils étaient « avides de renommée et prodigues d'argent, contents d'une fortune honnête et insatiables de gloire 1 ». C'est la gloire qu'ils aimaient; pour elle ils voulaient vivre, pour elle ils surent mourir. Cette passion étouffait dans leurs coeurs toutes les autres. Convaincus qu'il était honteux pour leur patrie d'être esclave, et glorieux pour elle de commander, ils la voulurent libre d'abord pour la faire ensuite souveraine. C'est pourquoi, ne pouvant souffrir l'autorité des rois, ils créèrent deux chefs annuels qu'ils
1. Salluste, De conj. Catil., cap. 7.
appelèrent consuls. Qui dit roi ou seigneur, parle d'un maître qui règne et domine; un consul, au contraire, est une sorte de conseiller 1. Les Romains pensèrent donc que la royauté a un~ faste également éloigné de la simplicité d'un pouvoir qui exécute la loi, et de la douceur d'un magistrat qui conseille; ils ne virent en elle qu'une orgueilleuse domination. Ils chassèrent donc les Tarquins, établirent des consuls, et dès lors, comme le rapporte à l'honneur des Romains l'historien déjà cité, « sous ce régime nouveau de liberté, la république, enflammée par un amour passionné de la gloire, s'accrut avec une rapidité incroyable » . C'est donc à cette ardeur de renommée et de gloire qu'il faut attribuer toutes les merveilles de l'ancienne Rome, qui sont, au jugement des hommes, ce qui peut se voir de plus glorieux et de plus digne d'admiration.
Salluste trouve aussi à louer quelques personnages de son siècle, notamment Marcus Caton et Caïus César, dont il dit que la république , depuis longtemps stérile , n'avait jamais produit deux hommes d'un mérite aussi éminent, quoique de moeurs bien différentes. Or, entre autres éloges qu'il adresse à César, il lui fait honneur d'avoir désiré un grand commandement, une armée et une guerre nouvelle où il pût montrer ce qu'il était. Ainsi, c'était le voeu des plus grands hommes que Bellone, armée de son fouet sanglant, excitât de malheureuses nations à prendre les armes, afin d'avoir une occasion de faire briller leurs talents. Et voilà les effets de cette ardeur avide pour les louanges et de ce grand amour de la gloire! Concluons que les grandes choses faites par les Romains eurent trois mobiles : d'abord l'amour de la liberté, puis le désir de la domination et la passion des louanges. C'est de quoi rend témoignage le plus illustre de leurs poëtes, quand il dit:
« Porsenna entourait Rome d'une armée immense, voulant lui imposer le retour des Tarquins bannis; mais les fils d'Enée se précipitaient vers la mort pour défendre la liberté 2 »
Telle était alors leur unique ambition : mourir vaillamment ou vivre libres. Mais quand ils eurent la liberté, l'amour de la gloire s'empara tellement de leurs âmes, que la liberté n'était rien pour eux si elle n'était
1. Saint Augustin fait dériver consul de consulere, regnum de rex, et rex de regere.
2. Virgile, Enéide, livre VIII, vers 646, 647.
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accompagnée de la domination. Aussi accueillaient-ils avec la plus grande faveur ces prophéties flatteuses que Virgile mit depuis dans la bouche de Jupiter :
« Junon même, l'implacable Junon, qui fatigue aujourd'hui de sa haine jalouse la mer, la terre et le ciel, prendra des sentiments plus doux et protégera, de concert avec moi, la nation qui porte ta toge, devenue la maîtresse des autres nations, Telle est ma volonté; un jour viendra où la maison d'Assaracus imposera son joug à la Thessalie et à l'illustre Mycènes, et dominera sur les Grecs vaincus 1 »
On remarquera que Virgile fait prédire à Jupiter des événements accomplis de son temps et dont lui-même était témoin; mais j'ai cité ses vers pour montrer que les Romains, après la liberté, ont tellement estimé la domination, qu'ils en ont fait le sujet de leurs plus hautes louanges. C'est encore ainsi que le même poète préfère à tous les arts des nations étrangères l'art propre aux Romains, celui de régner et de gouverner, de vaincre et de soumettre les peuples :
« D'autres, dit-il, animeront l'airain d'un ciseau plus délicat, je le crois sans peine; ils sauront tirer du marbre des figures pleines de vie. Leur parole sera plus éloquente; leur compas décrira les mouvements célestes et marquera le lever des étoiles. Toi, Romain, souviens-toi de soumettre les peuples à ton empire. Tes arts, les voici : être l'arbitre de la paix, pardonner aux vaincus et dompter les superbes 2 ».
Les Romains, en effet, excellaient d'autant mieux dans ces arts qu'ils étaient moins adonnés aux voluptés qui énervent l'âme et le corps, et à ces richesses fatales aux bonnes moeurs qu'on ravit à des citoyens pauvres pour les prodiguer à d'infâmes histrions. Et comme cette corruption débordait de toutes parts au temps où Salluste écrivait et où chantait Virgile, on ne marchait plus vers la gloire par des voies honnêtes, mais par la fraude et l'artifice. Salluste nous le déclare expressément : « Ce fut d'abord l'ambition, dit-il, plutôt que la cupidité, qui remua les coeurs. Or, le premier de ces vices touche de plus près que l'autre à la vertu. En effet, l'homme de bien et le lâche désirent également la gloire, les honneurs, le pouvoir; seulement l'homme de bien y marche par la bonne voie; l'autre, à qui manquent les moyens « honnêtes, prétend y arriver par la fraude et le mensonge 3 ». Quels sont ces moyens honnêtes de parvenir à la gloire, aux dignités, au pouvoir? évidemment ils résident dans la
1.Virgile, Enéide, livre I, vers 279 à 285.
2. Ibid., livre I, vers 847 et suiv.
3. Salluste, De conj. Catil., cap. II.
vertu, seule voie où veuillent marcher les gens de bien. Voilà les sentiments qui étaient naturellement gravés dans le coeur des Romains, et je n'en veux pour preuve que ces temples qu'ils avaient élevés, l'un près de l'autre, à la Vertu et à l'Honneur, s'imaginant que ces dons de Dieu étaient des dieux. Rapprocher ces deux divinités de la sorte, c'était assez dire qu'à leurs yeux l'honneur était la véritable fin de la vertu; c'est à l'honneur, en effet, que tendaient les hommes de bien, et toute la différence entre eux et les méchants, c'est que ceux-ci prétendaient arriver à leurs fins par des moyens déshonnêtes, par le mensonge et les tromperies.
Salluste a donné à Caton un plus bel éloge, quand il a dit de lui : « Moins il courait à la gloire, et plus elle venait à lui ». Qu'est-ce en effet que la gloire, dont les anciens Romains étaient si fortement épris, sinon la bonne opinion des hommes? Or, au-dessus de la gloire il y a la vertu, qui ne se contente pas du bon témoignage des hommes, mais qui veut avant tout celui de la conscience. C'est pourquoi l'Apôtre a dit : « Notre gloire, à nous, c'est le témoignage de notre conscience ». Et ailleurs: « Que chacun examine ses propres oeuvres, et alors il trouvera sa gloire en lui-même et non dans les autres 2 ». Ce n'est donc pas à la vertu à courir après la gloire, les honneurs, le pouvoir, tous ces biens, en un mot, que les Romains ambitionnaient et que les gens de bien recherchaient par des moyens honnêtes; c'est à ces biens, au contraire, à venir vers la vertu; car la vertu véritable est celle qui se propose le bien pour objet, et ne met rien au-dessus. Ainsi, Caton eut tort de demander des honneurs à la république; c'était à la république à les lui conférer, à cause de sa vertu, sans qu'il les eût sollicités.
Et toutefois, de ces deux grands contemporains, Caton et César, Caton est incontestablement celui dont la vertu approche le plus de la vérité. Voyez, en effet, ce qu'était alors la république et ce qu'elle avait été autrefois, au jugement de Caton lui-même: « Gardez-vous de croire, dit-il, que ce soit par les armes que nos ancêtres ont élevé la république, alors si petite, à un si haut point de grandeur. S'il en était ainsi, elle serait aujourd'hui plus florissante encore, puisque,
1. II Cor. I, 12.- 2. Galat. VI, 4.
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citoyens, alliés, armes, chevaux, nous avons tout en plus grande abondance que nos pères.
Mais il est d'autres moyens qui firent leur grandeur, et que nous n'avons plus: au dedans, l'activité; au dehors, une administration juste; dans les délibérations, une âme libre, affranchie des vices et des passions. Au lieu de ces vertus, nous avons le luxe et l'avarice; l'Etat est pauvre, et les particuliers sont opulents; nous vantons la richesse, nous chérissons l'oisiveté; entre les bons et les méchants, nulle différence, et toutes les récompenses de la vertu sont le prix de l'intrigue. Pourquoi s'en étonner, puisque chacun de vous ne pense qu'à soi ; esclave, chez soi, de la volupté, et au dehors, de l'argent et de la faveur? Et voilà pourquoi on se jette
sur la république comme sur une proie sans défense 1 »
Quand on entend Caton ou Salluste parler de la sorte, on est tenté de croire que tous les anciens Romains, ou du moins la plupart, étaient semblables au portrait qu'ils en tracent
avec tant d'admiration; mais il n'en est rien; autrement il faudrait récuser le témoignage
du même Salluste dans un autre endroit de son ouvrage, que j'ai déjà eu occasion de
citer: « Dès la naissance de Rome, dit-il, les injustices des grands amenèrent la séparation du peuple et du sénat, et une suite de dissensions intérieures; on ne vit fleurir l'équité et la modération qu'à l'époque de l'expulsion des rois, et tant qu'on eut à re douter les Tarquins et la guerre contre l'Etrurie; mais le danger passé, les patriciens traitèrent les gens du peuple comme des esclaves, accablant celui-ci de coups, chassant celui-là de son champ, gouvernant en maîtres et en rois... Les luttes et les animosités ne prirent fin qu'à la seconde guerre
punique, parce qu'alors la terreur s'empara de nouveau des âmes, et, détournant ailleurs leurs pensées et leurs soucis, calma et soumit ces esprits inquiets 2 ». Mais à cette époque même, les grandes choses qui s'accomplissaient étaient l'ouvrage d'un petit nombre d'hommes, vertueux à leur manière, et dont la sagesse, au milieu de ces désordres par eux tolérés, mais adoucis, faisait fleurir la république. C'est ce qu'atteste le même
1. Discours de Caton au sénat dans Salluste, De conj. Catil. cap. 52.
2. Voyez plus haut le chap. 18 du livre.
historien, quand il dit que, voulait comprendre comment le peuple romain avait accompli de si grandes choses, soit en paix, soit' en guerre, sur terre et sur mer, souvent avec une poignée d'hommes contre des armées redoutables et des rois très-puissants, il avait remarqué qu'il ne fallait attribuer ces magnifiques résultats qu'à la vertu d'un petit nombre de citoyens, laquelle avait donné la victoire à la pauvreté sur la richesse, et aux petites armées sur les grandes. «Mais depuis que Rome, ajoute Salluste, eut été corrompue par le luxe et l'oisiveté, ce fut le tour de la république de soutenir par sa grandeur les vices de ses généraux et de ses magistrats ». Ainsi donc, lorsque Caton célébrait les anciens Romains qui allaient à la gloire, aux honneurs, au pouvoir, par la bonne voie, c'est-à-dire par la vertu, c'est à un bien petit nombre d'hommes que s'adressaient ses éloges; ils étaient bien rares ceux qui, par leur vie laborieuse et modeste, enrichissaient le trésor public tout en restant pauvres. Et c'est pourquoi la corruption des moeurs amena une situation toute contraire : l'Etat pauvre et les particuliers opulents.
CHAPITRE XIII.
L'AMOUR DE LA GLOIRE, QUI EST UN VICE, PASSE POUR UNE VERTU, PARCE QU'IL SURMONTE DES VICES PLUS GRANDS.
Après que les royaumes d'Orient eurent brillé sur la terre pendant une longue suite d'années, Dieu voulut que l'empire d'Occident, qui était le dernier dans l'ordre des temps, devînt le premier de tous par sa grandeur et son étendue; et comme il avait dessein de se servir de cet empire pour châtier un grand nombre de nations, il le confia à des hommes passionnés pour la louange et l'honneur, qui mettaient leur gloire dans celle de la patrie, et étaient toujours prêts à se sacrifier pour son salut, triomphant ainsi de leur cupidité et de tous leurs autres vices par ce vice unique : l'amour de la gloire. Car, il ne faut pas se le dissimuler, l'amour de la gloire est un vice. Horace en est convenu, quand il a dit:
« L'amour de la gloire enfle-t-il votre coeur? il y a un remède pour ce mal : c'est de lire un bon livre avec candeur et par trois fois 1 »
1. Horace, Epist., I, v. 36, 37.
Ecoutez encore ce poète s'élevant dans un de ses chants lyriques contre la passion de dominer:
« Dompte ton âme ambitieuse, et tu feras ainsi un plus grand empire que si, réunissant à la Libye la lointaine Gadès, tu soumettais à ton joug les deux Carthages 1 ».
Et cependant, quand, on n'a pas reçu du Saint-Esprit la grâce de surmonter les passions honteuses par la foi, la piété et l'amour de la beauté intelligible, mieux vaut encore les vaincre par un désir de gloire purement humain que de s'y abandonner; car si ce désir ne rend pas l'homme saint, il l'empêche de devenir infâme. C'est pourquoi Cicéron, dans son ouvrage de la République, où il traite de l'éducation du chef de l'Etat, dit qu'il faut le nourrir de gloire, et s'autorise, pour le prouver, des souvenirs de ses ancêtres, à qui l'amour de la gloire inspira tant d'actions illustres et merveilleuses. Il est donc avéré que les Romains, loin de résister à ce vice, croyaient devoir l'exciter et le développer dans l'intérêt de la république. Aussi bien Cicéron, jusque dans ses livres de philosophie, ne dissimule pas combien ce poison de la gloire lui est doux. Ses aveux sont plus clairs que le jour; car, tout en célébrant ces hautes études où l'on se propose pour but le vrai bien, et non la vaine gloire, il ne laisse pas d'établir cette maxime générale: « L'honneur est l'aliment des arts; c'est par amour de la gloire que nous embrassons avec ardeur les études, et toute science discréditée dans l'opinion languit et s'éteint ».
CHAPITRE XIV.
IL FAUT ÉTOUFFER L'AMOUR DE LA GLOIRE TEMPORELLE, LA GLOIRE DES JUSTES ÉTANT TOUTE EN DIEU.
Il vaut donc mieux, n'en doutons point, résister à cette passion que s'y abandonner; car on est d'autant plus semblable à Dieu qu'on est plus pur de cette impureté. Je conviens qu'en cette vie il n'est pas possible de la déraciner entièrement du coeur de l'homme, les plus vertueux ne cessant jamais d'en être tentés ; mais efforçons-nous au moins de la surmonter par l'amour de la justice, et si l'on voit languir et s'éteindre, parce qu'elles sont discréditées dans l'opinion, des choses bonnes
1.Carm., lib. II, carm. 2, v. 9-12.
2. Cicéron, Tusc. qu., lib. I, cap. 2.
et solides en elles-mêmes,- que l'amour de la gloire humaine en rougisse et qu'il cède à l'amour de la vérité. Une preuve que ce vice est ennemi de la vraie foi, quand il vient à l'emporter dans notre coeur sur la crainte ou sur l'amour de Dieu, c'est que Notre-Seigneur dit dans l'Evangile : « Comment pouvez-vous avoir la foi, vous qui attendez la gloire les uns des autres, et ne recherchez point la gloire qui vient de Dieu seul 1?» L'évangéliste dit encore de certaines personnes qui croyaient en Jésus-Christ, mais qui appréhendaient de confesser publiquement leur foi « Ils ont plus aimé la gloire des hommes que celle de Dieu 2». Telle ne fut pas la conduite des bienheureux Apôtres; car ils prêchaient le christianisme en des lieux où non-seulement il était en discrédit et ne pouvait, par conséquent, selon le mot de Cicéron, rencontrer qu'une sympathie languissante, mais où il était un objet de haine; ils se souvinrent donc de cette parole du bon Maître, du Médecin des âmes : « Si quelqu'un me renonce devant les hommes, je le renoncerai devant mon Père qui est dans les cieux, et devant les anges de Dieu 3 ». En vain les malédictions et les opprobres s'élevèrent de toutes parts; les persécutions les plus terribles, les supplices les plus cruels ne purent les détourner de prêcher la doctrine du salut à la face de l'orgueil humain frémissant. Et quand par leurs actions, leurs paroles et toute leur vie vraiment divine, par leur victoire sur des coeurs endurcis, où ils faisaient pénétrer la justice et la paix, ils eurent acquis dans l'Eglise du Christ une immense gloire, loin de s'y reposer comme dans la fin de leur vertu, ils la rapportèrent à Dieu, dont la grâce les avait rendus forts et victorieux. C'est à ce foyer qu'ils allumaient l'amour de leurs disciples, les tournant sans cesse vers le seul être capable de les rendre dignes de marcher un jour sur leur trace, et d'aimer le bien sans souci de la vaine gloire, suivant cet enseignement du Maître: «Prenez garde de faire le bien devant les hommes pour être regardés; autrement vous ne recevrez point de récompense de votre Père qui est dans les cieux 4 ».
D'un autre côté de peur que ses disciples n'entendissent mal sa pensée, et que leur vertu perdît de ses fruits en se dérobant aux regards, il leur explique à quelle fin ils doivent laisser
1. Jean, V, 44. - 2. Ibid. XII, 43. - 3.Matt. X, 33. - Ib. VI, 1
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voir leurs oeuvres : « Que vos actions, dit-il, brillent devant les hommes, afin qu'en les voyant ils glorifient votre Père qui est dans les cieux 1 ». Comme s'il disait : Faites le bien, non pour que les hommes vous voient, non pour qu'ils s'attachent à vous, puisque par vous-mêmes vous n'êtes rien, mais pour qu'ils glorifient votre Père qui est dans les cieux, et que, s'attachant à lui, ils deviennent ce que vous êtes. Voilà le précepte dont se sont inspirés tous ces martyrs qui ont surpassé les Scévola, les Curtius et les Décius, non moins par leur nombre que par leur vertu; vertu vraiment solide , puisqu'elle était fondée sur la vraie piété, et qui consistait, non à se donner la mort, mais à savoir la souffrir. Quant à ces Romains, enfants d'une cité terrestre, comme ils ne se proposaient d'autre fin de leur dévouement pour elle que sa conservation et sa grandeur, non dans le ciel, mais sur la ferre, non dans la vie éternelle, mais sur ce théâtre mobile du monde, où les morts sont remplacés par les mourants, qu'aimaient-ils, après tout, sinon la gloire qui devait les faire vivre, même après leur mort, dans le souvenir de leurs admirateurs?
CHAPITRE XV.
DE LA RÉCOMPENSE TEMPORELLE QUE DIEU A DONNÉE AUX VERTUS DES ROMAINS.
Si donc Dieu, qui ne leur réservait pas une place dans sa cité céleste à côté de ses saints anges, parce qu'il ne les donne qu'à la piété 1 véritable, à celle qui rend à Dieu seul, pour parler comme les Grecs, un culte de latrie 2, si Dieu, dis-je, ne leur eût pas donné la gloire passagère d'un empire florissant, les vertus qu'ils ont déployées afin de parvenir à cette gloire seraient restées sans récompense; car c'est en parlant de ceux qui font un peu de bien pour être estimés des hommes, que le Seigneur a dit : « Je vous dis en vérité qu'ils ont reçu leur récompense ». Ainsi il est vrai que les Romains ont immolé leurs intérêts particuliers à l'intérêt commun, c'est-à-dire à la chose publique, qu'ils ont surmonté la cupidité, préférant accroître le trésor de L'Etat
1. Matt. V, 16.
2. La théologie chrétienne distingue deux sortes de cultes: le culte de dulie (du grec douleia) , qui est dû à Dieu en tant que Seigneur, et le culte de latrie (du grec latreia), qui est dû à Dieu en tant que Dieu, c'est-à-dire à Dieu seul.
3. Matt. VI, 2.
que leur propre trésor, qu'ils ont porté dans les conseils de la patrie une âme libre, soumise aux lois, affranchie du joug des vices et des passions; et toutes ces vertus étaient pour eux le droit chemin pour aller à l'honneur, au pouvoir, à la gloire. Or, ils ont été honorés parmi presque toutes les nations ; ils ont imposé leur pouvoir à un très-grand nombre, et dans tout l'univers, les poètes et les historiens ont célébré leur gloire ; ils n'ont donc pas sujet de se plaindre de la justice du vrai Dieu : ils ont reçu leur récompense.
CHAPITRE XVI.
DE LA RÉCOMPENSE DES CITOYENS DE LA CITÉ ÉTERNELLE, A QUI PEUT ÊTRE UTILE L'EXEMPLE DES VERTUS DES ROMAINS.
Mais il n'en est pas de même de la récompense de ceux qui souffrent ici-bas pour la Cité de Dieu, objet de haine à ceux qui aiment le monde. Cette Cité est éternelle; personne n'y prend naissance, parce que personne n'y meurt; là règne la véritable et parfaite félicité, qui n'est point une déesse, mais un don de Dieu. C'est de là que nous avons reçu le gage de la foi, nous qui passons le temps de notre pèlerinage à soupirer pour la beauté de ce divin séjour. Là, le soleil ne se lève point sur les bons et sur les méchants, mais le Soleil de justice n'y éclaire que les bons. Là, on ne sera point en peine d'enrichir le trésor public aux dépens de sa fortune privée, parce qu'il n'y a qu'un trésor de vérité commun à tous. Aussi ce n'a pas été seulement pour récompenser les Romains de leurs vertus que leur empire a été porté à un si haut point de grandeur et de gloire, mais aussi pour servir d'exemple aux citoyens de cette Cité éternelle et leur faire comprendre combien ils doivent aimer la céleste patrie en vue de la vie éternelle, puisqu'une patrie terrestre a été, pour une gloire tout humaine, tant aimée de ses enfants.
CHAPITRE XVII.
LES VICTOIRES DES ROMAJNS NE LEUR ONT PAS FAIT UNE CONDITION MEILLEURE QUE CELLE DES VAINCUS.
Pour ce qui est de cette vie mortelle qui dure si peu, qu'importe à l'homme qui doit mourir d'avoir tel ou tel souverain, pourvu qu'on n'exige de lui rien de contraire à la (107) justice et à l'honneur? Les Romains ont-ils porté dommage aux peuples conquis autrement que par les guerres cruelles et si sanglantes qui ont précédé la conquête? Certes, si leur domination eût été acceptée sans combat, le succès eût été meilleur, mais il eût manqué aux Romains la gloire du triomphe. Aussi bien ne vivaient-ils pas eux-mêmes sous les lois qu'ils imposaient aux autres? Si donc cette conformité de régime s'était établie d'un commun accord, sans l'entremise de Mars et de Bellone, personne n'étant le vainqueur où il n'y a pas de combat, n'est-il pas clair que la condition des Romains et celle des autres peuples eût été absolument la même, surtout si Rome eût fait d'abord ce que l'humanité lui conseilla plus tard, je veux dire si elle eût donné le droit de cité à tous les peuples de l'empire, et étendu ainsi à tous un avantage qui n'était accordé auparavant qu'à un petit nombre, n'y mettant d'ailleurs d'autre condition que de contribuer à la subsistance de ceux qui n'auraient pas de terres; et, au surplus, mieux valait infiniment payer ce tribut alimentaire entre les mains de magistrats intègres, que de subir les extorsions dont on accable les vaincus.
J'ai beau faire, je ne puis voir en quoi les bonnes moeurs, la sûreté des citoyens et leurs dignités même étaient intéressées à ce que tel peuple fût vainqueur et tel autre vaincu:
il n'y avait là pour les Romains d'autre avantage que le vain éclat d'une gloire tout humaine, et voilà pourquoi cette gloire a été donnée comme récompense à ceux qui en étaient passionnément épris, et qui, pour l'obtenir, ont livré tant de furieux combats. Car enfin leurs terres ne paient-elles pas aussi tribut? leur est-il permis d'acquérir des connaissances que les autres ne puissent acquérir comme eux? n'y a-t-il pas plusieurs sénateurs dans les provinces qui ne connaissent pas Rome seulement de vue? Otez le faste extérieur, que sont les hommes, sinon des hommes? Quand même la perversité permettrait que les plus gens de bien fussent les plus considérés, devrait-on faire un si grand état de l'honneur humain, qui n'est en définitive qu'une légère fumée? Mais profitons même en ceci des bienfaits du Seigneur notre Dieu : considérons combien de plaisirs ont méprisés, combien de souffrances ont supportées, combien de passions ont étouffées, en vue de la gloire humaine, ceux qui ont mérité de la recevoir comme récompense de telles vertus, et que ce spectacle serve à nous humilier. Puisque cette Cité, où il nous est promis que nous régnerons un jour, est autant au-dessus de la cité d'ici-bas que le ciel est au-dessus de la terre, la joie de la vie éternelle au-dessus des joies passagères, la solide gloire au-dessus des vaines louanges, la société des anges au-dessus de celle des mortels, la lumière enfin du Créateur des astres au-dessus de l'éclat de la lune et du soleil, comment les citoyens futurs d'une s-i noble patrie, pour avoir fait un peu de bien ou supporté un peu de mal à son service, croiraient-ils avoir beaucoup travaillé àse rendre dignes d'y habiter un jour, quand nous voyons que les Romains ont tant fait et tant souffert pour une patrie terrestre dont ils étaient déjà membres et possesseurs? Et pour achever cette comparaison des deux cités, cet asile où Romulus réunit par la promesse de l'impunité tant de criminels, devenus les fondateurs de Rome, n'est-il point la figure de la rémission des péchés, qui réunit en un corps tous les citoyens de la céleste patrie 1?
CHAPITRE XVIII.
LES CHRÉTIENS N'ONT PAS A SE GLORIFIER DE CE QU'ILS FONT POUR L'AMOUR DE LA PATRIE CÉLESTE, QUAND LES ROMAINS ONT FAIT DE SI GRANDES CHOSES POUR UNE PATRIE TERRESTRE ET POUR UNE GLOIRE TOUT HUMAINE.
Qu'y a-t-il donc de si grand à mépriser tous les charmes les plus séduisants de la vie présente pour cette patrie éternelle et céleste, quand pour une patrie terrestre et temporelle Brutus a pu se résoudre à faire mourir ses enfants, sacrifice que la divine patrie n'exige pas? Il est sans doute bien plus difficile d'immoler ses enfants que de faire ce qu'elle exige, je veux dire de donner aux pauvres ou d'abandonner pour la foi ou pour la justice des biens qu'on n'amasse et qu'on ne conserve que pour ses enfants. Car ce ne sont pas les richesses de la terre qui ‘nous rendent heureux, nous et nos enfants, puisque nous pouvons les perdre durant notre vie ou les laisser après notre mort en des mains inconnues ou détestées; mais Dieu, qui est la vraie richesse des âmes, est aussi le seul qui puisse leur donner le bonheur. Brutus a-t-il été heureux?
1. Voyez plus haut, livre I, ch. 34.
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Non, et j'en atteste le poëte même qui célèbre son sacrifice :
« Ce père, dit-il, enverra au supplice des fils séditieux au nom de la liberté sainte. Malheureux, quelque jugement que porte sur lui la postérité! »
Et il ajoute pour le consoler :
« Mais l'amour de la patrie est plus fort, et la tendresse paternelle cède à un immense désir de la gloire 1 ».
C'est cet amour de la patrie et ce désir de la gloire qui ont inspiré aux Romains tout ce qu'ils ont fait de merveilleux. Si donc, pour la liberté de quelques hommes qui mourront demain, et pour une gloire terrestre, un père a pu sacrifier ses propres enfants, est-ce beaucoup faire pour gagner la liberté véritable, qui nous affranchit du péché, de la mort et du démon, et pour contenter, non pas notre vanité, mais notre charité, par la délivrance de nos semblables, captifs, non de Tarquin, mais des démons et de leur roi, est-ce beaucoup faire, encore une fois, je ne dis pas de faire mourir nos enfants, mais de mettre au nombre de nos enfants les pauvres de Jésus-Christ?
On rapporte que Torquatus, général romain, punit de mort son fils victorieux, que l'ardeur de la jeunesse avait emporté à combattre, malgré l'ordre du chef, un ennemi qui le provoquait. Torquatus jugea sans doute que l'exemple de son autorité méprisée pouvait causer plus de mal que ne ferait de bien la victoire obtenue sur l'ennemi 2 ; mais si un père a pu s'imposer une si dure loi, de quoi ont à se glorifier ceux qui, pour obéir aux lois de la céleste patrie, méprisent les biens de la terre, moins chers à leur coeur que des enfants? Si Camille 3, après avoir délivré sa patrie des redoutables attaques des Véiens, ne laissa pas, quoiqu'elle l'eût sacrifié à ses envieux, de la sauver encore en repoussant les Gaulois, faute de trouver une autre patrie où il pût vivre avec gloire, pourquoi celui-là se vanterait-il, qui, ayant reçu dans l'Eglise la plus cruelle injure de la part de charnels ennemis, loin de se jeter parmi les hérétiques ou de former une hérésie nouvelle, aurait défendu de tout son pouvoir la pureté de la doctrine de l'Eglise contre les efforts de l'hérésie, pourquoi se vanterait-il, puisqu'il n'y a
1. Virgile, Enéide, livre VI, vers 820, 823.
2. Voyez plue haut, livre I, ch. 23.
3. Voyez plus haut, livre II, ch. 17, et livre IV, ch. 7.
pas d'autre Eglise où l'on puisse, je ne dis pas jouir de la gloire des hommes, mais acquérir la vie éternelle? Si Mucius Scévola 1, trompé dans son dessein de tuer Porsenna qui assiégeait étroitement Rome, étendit la main sur un brasier ardent en présence de ce prince, l'assurant qu'il y avait encore plusieurs jeunes Romains aussi hardis que lui qui avaient juré sa mort, en sorte que Porsenna, frappé de son courage et effrayé d'une conjuration si terrible, conclut sans retard la paix avec les Romains, qui croira avoir mérité le royaume des cieux, quand, pour l'obtenir, il aura abandonné sa main, je dis plus, tout son corps aux flammes des persécuteurs? Si Curtius 2 se précipita tout armé avec son cheval dans un abîme, pour obéir à l'oracle qui avait commandé aux Romains d'y jeter ce qu'ils avaient de meilleur (les Romains, qui excellaient surtout par leurs guerriers et par leurs armes, ne croyaient rien avoir de meilleur qu'un guerrier armé), qui s'imaginera avoir fait quelque chose de grand en vue de la Cité céleste, pour avoir souffert, sans la prévenir, une semblable mort, quand surtout il a reçu b de son Seigneur, du Roi de sa véritable patrie, cet oracle bien plus certain : « Ne craignez point ceux qui tuent le corps, mais qui ne peuvent tuer l'âme 3».Si les Décius 4, se consacrant à la mort par de certaines paroles, ont versé leur sang pour apaiser les dieux irrités et sauver l'armée romaine, que les saints martyrs ne croient pas que pour avoir, eux aussi, répandu leur sang, ils aient rien fait qui soit digne du séjour de la véritable et éternelle félicité, alors même que soutenus par la charité de la foi et par la foi de la charité, ils auraient aimé non-seulement leurs frères pour qui coulait leur sang, mais leurs ennemis mêmes qui le faisaient couler. Si Marcus Pulvillus5, dédiant un temple à Jupiter, à Junon et à Minerve, se montra insensible à la fausse nouvelle de la mort de son fils, que ses ennemis lui portèrent pour qu'il quittât la cérémonie et en laissât à son collègue tout l'honneur; si même il commanda que le corps de son fils fût jeté sans sépulture, faisant céder la douleur paternelle
1. Voyez Tite-Live, lib. II, cap. 12, 13.
2. Voyez Tite-Live, lib. vn, cap. 6.
3. Matt. X, 28.
4. Voyez Tite-Live, lib. VIII, cap. 9, et lib. X, cap. 28.
5. Comp. Plutarque, Vie de Publicola, ch. 14, et Tite-Live, liv. II, chap. 8.
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à l'amour de la gloire, osera-t-on prétendre avoir fait quelque chose de considérable pour la prédication de l'Evangile, qui délivre les hommes de mille erreurs pour les ramener vers la patrie véritable, par cela seul qu'on se sera conformé à cette parole du Seigneur, disant à un de ses disciples préoccupé d'ensevelir son père : « Suis-moi, et laisse les morts ensevelir leurs morts 1 ». Si Régulus 2, pour ne pas manquer de parole à de cruels ennemis, retourna parmi eux, ne pouvant plus, disait-il, vivre à Rome avec honneur, après avoir été esclave des Africains; s'il expia par les plus horribles supplices le conseil qu'il avait donné au sénat de repousser les offres de Carthage, quels tourments le chrétien ne doit-il pas mépriser pour garder sa foi envers cette patrie dont l'heureuse possession est le prix de cette foi même? Et rendra-t-il au Seigneur tout ce qu'il lui doit en retour des biens qu'il en a reçus, s'il souffre, pour garder sa foi envers son bienfaiteur, ce que Régulus souffrit pour garder la sienne envers des ennemis impitoyables? Comment osera-t-il s'enorgueillir d'avoir embrassé la Pauvreté afin de marcher d'un pas plus libre dans la voie qui mène à la patrie dont Dieu
fait toute la richesse, quand il peut savoir que L. Valérius 3, mort consul, était si pauvre que le peuple dut contribuer aux frais de ses funérailles; que Quintus Cincinnatus 4, dont la fortune se bornait à quatre arpents de terre qu'il cultivait lui-même, fut tiré de la charrue pour être fait dictateur, et qu'après avoir vaincu les ennemis et s'être couvert d'une gloire immortelle , il resta pauvre comme auparavant? Ou qui croira avoir fait preuve d'une grande vertu en ne se laissant pas entraîner par l'attrait des biens de ce monde loin de la patrie bienheureuse, lorsqu'il voit Fabricius rejeter toutes les offres de Pyrrhus, roi d'Epire, même le quart de son royaume, pour ne pas quitter Rome et y rester pauvre et simple citoyen? En effet, au temps où la république était opulente, où florissait vraiment la chose publique, la chose du peuple, la chose de tous, les particuliers étaient si
1. Matt. VIII, 22.
2. Voyez plus haut, livre I, ch. 15 et 34.
3. Il y a ici quelque inexactitude : Valérlus Publicola n'avait pas pour surnom Lucius, mais Publius, il ne mourut pas consul, mais un an après son consulat, comme l'attestent Tite-Live (lib. II, cap. 16) et les autres historiens romains.
4. Voyez Tite-Live, lib. III, cap. 26, et Valère Maxime, lib. IV, cap. 4, § 7.
pauvres, qu'un personnage, qui avait été deux fois consul, fut chassé du sénat par le censeur, parce qu'il avait dans sa maison dix marcs de vaisselle d'argent 1. Or, si telle était la pauvreté de ces hommes dont les victoires enrichissaient le trésor public, les chrétiens qui mettent leurs biens en commun pour une fin tout autrement excellente, c'est-à-dire pour se conformer à ce qui est écrit dans les Actes des Apôtres : « Qu'il soit distribué à chacun selon ses besoins, et que nul ne possède rien en propre, mais que tout soit commun entre tous les fidèles 2 » ; les chrétiens, dis-je, doivent comprendre qu'ils n'ont aucun sujet de se glorifier de ce qu'ils font pour être admis dans la compagnie des anges, quand ces idolâtres en ont fait presque autant pour conserver la gloire du nom romain.
Il est assez clair que tous ces traits de grandeur et beaucoup d'autres, qui se rencontrent dans les annales de Rome, ne seraient point parvenus à un tel renom, si l'empire romain n'avait pris de prodigieux accroissements; d'où l'on voit que cette domination si étendue, si persistante, illustrée par les vertus de si grands hommes, a eu deux principaux effets : elle a été pour les Romains amoureux de la gloire, la récompense où ils aspiraient, et puis elle nous offre, dans le spectacle de leurs grandes actions, un exemple qui nous avertit de notre devoir, afin que si nous ne pratiquons pas pour la glorieuse Cité de Dieu les vertus véritables dont les Romains n'embrassaient que l'image en travaillant à la gloire d'une cité de la terre, nous en ayons de la confusion, et que, si nous les pratiquons, nous n'en ayons pas de vanité. Car nous apprenons de l'Apôtre « que les souffrances de cette vie n'ont point de proportion avec la gloire future qui sera manifestée en nous 3 ». Quant à la gloire humaine et temporelle, la vertu des Romains y était proportionnée. Aussi, quand le Nouveau Testament, déchirant le voile de l'Ancien, est venu nous apprendre que le Dieu unique et véritable veut être adoré, non point en vue des biens terrestres et temporels que la Providence accorde également aux bons et aux méchants, mais en vue de la vie éternelle et des biens
1. Ce personnage se nommait P. Cornélius Ruffinus, et c'est Fabricius qui le fit exclure du sénat. Voyez Valère Maxime, lib. II, cap. 9, § 4, et Aulu-Gelle, Noc. att., lib. IV, cap. 4.
2. Act., II, 44,45, et IV, 32.
3. Rom. VIII, 18.
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impérissables de la Cité d'en haut, nous avons vu les Juifs justement livrés à l'empire romain pour servir de trophée à sa gloire : c'est que Dieu a voulu que ceux qui avaient recherché et conquis par leurs vertus, quoique purement humaines, la gloire des hommes, soumissent à leur joug une nation criminelle qui avait rejeté et mis à mort le Dispensateur de la- véritable gloire, le Roi de l'éternelle Cité.
CHAPITRE XIX.
EN QUOI L'AMOUR DE LA GLOIRE DIFFÈRE DE L'AMOUR DE LA DOMINATION.
Il y a certainement de la différence entre l'amour de la gloire et l'amour de la domination; car bien que l'amour immodéré de la gloire conduise à la passion de dominer, ceux qui aiment ce qu'il y a de plus solide dans les louanges des hommes n'ont garde de déplaire aux bons esprits. Parmi les vertus, en effet, il en est plusieurs dont beaucoup d'hommes sont bons juges, quoiqu'elles soient pratiquées par un petit nombre, et c'est par là que marchent à la gloire et à la domination ceux dont Salluste dit qu'ils suivent la bonne voie 1. Au contraire , quiconque désire la domination sans avoir cet amour de la gloire qui fait qu'on craint de déplaire aux bons esprits, aucun moyen ne lui répugne, pas même les crimes les plus scandaleux, pour contenter sa passion. Tout au moins celui qui aime la gloire, s'il ne prend pas la bonne voie, se sert de ruses et d'artifices pour paraître ce qu'il n'est pas. Aussi est-ce à un homme vertueux une grande vertu de mépriser la gloire, puisque Dieu seul en est le témoin et que les hommes n'en savent rien. Et, en effet, quoi qu'on fasse devant les hommes pour leur persuader qu'on méprise la gloire, on ne peut guère les empêcher de soupçonner que ce mépris ne cache le désir d'une gloire plus grande. Mais celui qui méprise en réalité les louanges des hommes, méprise aussi leurs soupçons téméraires, sans aller toutefois, s'il est vraiment homme de bien, jusqu'à mépriser leur salut; car la vertu véritable, qui vient du Saint-Esprit, porte le véritable juste à aimer même ses ennemis, à les aimer jusqu'au point de les voir avec joie devenir, en se corrigeant, ses compagnons de félicité, non dans la patrie d'ici-bas, mais
1. Voyez plus haut, ch. 12.
dans celle d'en haut. Et quant à ceux qui le louent, bien qu'il soit insensible à leurs louanges, il ne l'est pas à leur affection; aussi, ne voulant pas être au-dessous de leur estime, de crainte d'être au-dessous de leur affection, il s'efforce de tourner leurs louanges vers l'Etre souverain de qui nous tenons tout ce qui mérite en nous d'être loué. Quant à celui qui, sans être sensible à la gloire, désire ardemment la domination, il est plus cruel et plus brutal que les bêtes. Il s'est rencontré chez les Romains quelques hommes de cette espèce, indifférents à l'estime -et toutefois très-avides de dominer. Parmi ceux dont l'histoire fait mention, l'empereur Néron mérite incontestablement le premier rang. Il était si amolli par la débauche qu'on n'aurait redouté de lui rien de viril, et si cruel qu'on n'aurait rien soupçonné en lui d'efféminé, si on ne l'eût connu. Et pourtant la puissance souveraine n'est donnée à de tels hommes que par la providence de Dieu, quand il juge que les peuples méritent de tels maîtres. Sa parole est claire sur ce point; c'est la sagesse même qui parle ainsi : « C'est moi qui fais régner les rois et dominer les tyrans 1». Et afin qu'on n'entende pas ici tyran dans le sens de roi puissant, selon l'ancienne acception du mot 2 , adoptée par Virgile dans ce vers :
« Ce sera pour moi un gage de paix d'avoir touché la droite du tyran des Troyens3 »,
il est dit clairement de Dieu en un autre endroit : « C'est lui qui fait régner les princes fourbes, à cause des péchés du peuple 4 ». Ainsi, bien que. j'aie assez établi, selon mes forces, pourquoi le seul Dieu véritable et juste a aidé les Romains à fonder un si grand empire, en récompense de ce que le monde appelle leurs vertus, il se peut toutefois qu'il y ait une raison plus cachée de leur prospérité; car Dieu sait ce que méritent les peuples et nous l'ignorons. Mais il n'importe, pourvu qu'il demeure constant pour tout homme pieux qu'il n'y a pas de véritable vertu sans une véritable piété, c'est-à-dire sans le vrai culte du vrai Dieu, et que c'est une vertu fausse que celle qui a pour fin la gloire humaine; bien toutefois que ceux qui ne sont pas citoyens de la Cité éternelle, nommée dans
1. Prov. VIII, 15.
2. Voyez Servius ad Aeneid., lib. IV, V. 320.
3. Virgile, Enéide, lib. VII, vers. 266.
4. Job. XXXIV, 30.
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l'Ecriture la Cité de Dieu 1, le soient plus utiles à la cité du monde par cette vertu, quoique fausse, que s'ils n'avaient aucune vertu. Que s'il vient à se trouver des hommes vraiment pieux qui joignent à la vertu la science de gouverner les peuples, rien ne peut arriver de plus heureux aux hommes que de recevoir de Dieu de tels souverains. Aussi bien ces princes d'élite, si grands que soient leurs mérites, ne les attribuent qu'à la grâce de Dieu, qui les a accordés à leur foi et à leurs prières, et ils savent reconnaître combien ils sont éloignés de la perfection des saints anges, à qui ils désirent ardemment d'être associés. Quant à cette vertu, séparée de la vraie piété, et qu' a pour fin la gloire des hommes, quelques louanges qu'on lui donne, elle ne mérite seulement pas d'être comparée aux faibles commencements des fidèles qui mettent leur espérance dans la grâce et la miséricorde du vrai Dieu.
CHAPITRE XX.
IL N'EST GUÈRE MOINS HONTEUX D'ASSERVIR LES VERTUS A LA GLOIRE HUMAINE QU'A LA VOLUPTÉ.
Des philosophes qui font consister le souverain bien dans la vertu ont coutume, pour faire honte à ceux qui, tout en estimant la vertu, la subordonnent néanmoins à la volupté comme à sa fin, de représenter celle-ci comme une reine délicate assise sur un trône et servie par les vertus qui observent tous ses mouvements et exécutent ses ordres. Elle commande à la Prudence de veiller au repos et à la sûreté de son empire; à la Justice de répandre des bienfaits pour lui faire des amis utiles, et de ne nuire à personne pour éviter des révoltes ennemies de sa sécurité. Si elle vient à éprouver dans son corps quelque douleur, pas toutefois assez violente pour l'obliger à se délivrer de la vie, elle ordonne à la Force de tenir sa souveraine recueillie au fond de son âme, afin que le souvenir des plaisirs passés adoucisse l'amertume de la douleur présente; enfin elle recommande à la Tempérance de ne pas abuser de la table, de peur que la santé, qui est un des éléments les plus essentiels du bonheur, n'en soit gravement altérée. Voilà donc les Vertus 2, avec toute
1. Ps. XLV, 5, et XLVII, 3,9, etc.
2. On reconnaît dans ces quatre vertu, la Prudence, la Justice, la Force et la Tempérance, la fameuse classification platonicienne, adoptée plus tard par l'Eglise.
leur gloire et toute leur dignité, servant la Volupté comme une femmelette impérieuse et impudente. Rien de plus scandaleux que ce tableau, disent nos philosophes, rien de plus laid, rien enfin dont la vue soit moins supportable aux gens de bien, et ils disent vrai 1 mais, à mon tour, j'estime impossible de faire un tableau décent où les vertus soient au service de la gloire humaine. Je veux que cette gloire ne soit pas une femme délicate et énervée; elle est tout au moins bouffie de vanité, et lui asservir la solidité et la simplicité des vertus, vouloir que la Prudence n'ait rien à prévoir, la Justice rien à ordonner, la Force rien à soutenir, la Tempérance rien à modérer qui ne se rapporte à la gloire et n'ait la louange des hommes pour objet, ce serait une indignité manifeste. Et qu'ils ne se croient pas exempts de cette ignominie, ceux qui, en méprisant la gloire et le jugement des hommes, se plaisent à eux-mêmes et s'applaudissent de leur sagesse; car leur vertu, si elle mérite ce nom, est encore asservie en quelque façon à la louange humaine, puisque se plaire à soi-même, c'est plaire à un homme. Mais quiconque croit et espère en Dieu d'un coeur vraiment pieux et plein d'amour, s'applique beaucoup plus à considérer en soi-même ce qui lui déplaît que ce qui peut lui plaire, moins encore à lui qu'à la vérité; et ce qui peut lui plaire, il l'attribue à la miséricorde de celui dont il redoute le déplaisir, lui rendant grâces pour les plaies guéries, et lui offrant des prières pour les plaies à guérir.
CHAPITRE XXI.
C'EST LE VRAI DIEU, SOURCE DE TOUTE PUISSANCE ET PROVIDENCE SOUVERAINE DE L'UNIVERS, QUI A DONNÉ L'EMPIRE AUX ROMAINS.
N'attribuons donc la puissance de disposer des royaumes qu'au vrai Dieu, qui rie donne qu'aux bons le royaume du ciel, mais qui donne les royaumes de la terre aux bons et aux méchants, selon qu'il lui plaît, lui à qui rien d'injuste ne peut plaire. Nous avons indiqué quelques-unes des raisons qui dirigent sa conduite, dans la mesure où il a daigné nous les découvrir; mais nous reconnaissons qu'il est au-dessus de nos forces de pénétrer dans les secrets de la conscience des hommes, et de peser les mérites qui règlent la
1. Il s'agit ici des stoïciens. Voyez Cicéron, De fin., lib. II, cap. 21.
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distribution des grandeurs temporelles. Ainsi ce seul vrai Dieu, dont les conseils et l'assistance ne manquent jamais à l'espèce humaine, a donné l'empire aux Romains, adorateurs de plusieurs dieux, quand il l'a voulu et aussi grand qu'il l'a voulu, comme il l'avait donné aux Assyriens et même aux Perses, qui, selon le témoignage de leurs propres livres, n'adoraient que deux dieux, l'un bon et l'autre mauvais, pour ne point parler ici des Hébreux qui, tant que leur empire a duré, n'ont reconnu qu'un seul Dieu. Celui donc qui a accordé aux Perses les moissons et les autres biens de la terre, sans qu'ils adorassent la déesse Ségétia, ni tant d'autres divinités que les Romains imaginaient pour chaque objet particulier, et même pour les usages différents du même objet, celui-là leur a donné l'empire sans l'assistance de ces dieux à qui Rome s'est cru redevable de sa grandeur. C'est encore lui qui a élevé au pouvoir suprême Marius et César, Auguste et Néron, Titus, les délices du genre humain, et Domitien, le plus cruel des tyrans. C'est lui enfin qui a porté au trône impérial et le chrétien Constantin, et ce Julien l'Apostat dont le bon naturel fut corrompu par l'ambition et par une curiosité détestable et sacrilége. Adonné à de vains oracles, il osa, dans sa confiance imprudente, faire brûler les vaisseaux qui portaient les vivres nécessaires à son armée; puis s'engageant avec une ardeur téméraire dans la plus audacieuse entreprise, il fut tué misérablement, - laissant ses soldats à la merci de la faim et de l'ennemi retraite désastreuse où pas un soldat n'eût échappé si, malgré le présage du dieu Terme, dont j'ai parlé dans le - livre précédent, on n'eût déplacé les limites de l'empire romain; car ce Dieu, qui n'avait pas voulu céder à Jupiter, fut obligé de céder à la nécessité 1. Concluons que c'est le Dieu unique et véritable qui gouverne et régit tous ces événements au gré de sa volonté; et s'il tient ses motifs cachés, qui oserait les supposer in justes ?
CHAPITRE XXII.
LA DURÉE ET L'ISSUE DES GUERRES DÉPENDENT DE LA VOLONTÉ DE DIEU.
De même qu'il dépend de Dieu d'affliger ou de consoler les hommes, selon les conseils de sa justice et de sa miséricorde, c'est lui aussi
1. Voyez le ch. 29 du livre précédent.
qui règle les temps des guerres, qui les abrége ou les prolonge à son gré. La guerre des pirates et la troisième guerre punique furent terminées, celle-là par Pompée 1, et celle-ci par Scipion 2 , avec une incroyable célérité. Il en fut de même de la guerre des gladiateurs fugitifs, où plusieurs généraux et deux consuls essuyèrent des défaites, où l'Italie tout entière fut horriblement ravagée, mais qui ne laissa pas de s'achever en trois ans. Ce ne fut pas encore une très-longue guerre que celle des Picentins , Marses , Péligniens et autres peuples italiens qui, après avoir longtemps vécu sous la domination romaine avec toutes les marques de la fidélité et du dévouement, relevèrent la tête et entreprirent de recouvrer leur indépendance, quoique Rome eût déjà étendu son empire sur un grand nombre de nations étrangères et renversé Carthage. Les Romains furent souvent battus dans cette guerre, et deux consuls y périrent avec plusieurs sénateurs; toutefois le mal fut bientôt guéri, et tout fut terminé au bout de cinq ans. Au contraire, la seconde guerre punique fut continuée pendant dix-huit années avec des revers terribles pour les Romains, qui perdirent en deux batailles plus de soixante-dix mille soldats 3, ce qui faillit ruiner la république. La première guerre contre Carthage avait duré vingt-trois ans, et il fallut quarante ans pour en finir avec Mithridate. Et afin qu'on ne s'imagine pas que les Romains terminaient leurs guerres plus vite en ces temps de jeunesse où leur vertu a été tant célébrée, il me suffira de rappeler que la guerre des Samnites se prolongea près de cinquante ans, et que les Romains y furent si maltraités qu'ils passèrent même sous le joug. Or, comme ils n'aimaient pas la gloire pour la justice, mais la justice pour la gloire, ils rompirent bientôt le traité qu'ils avaient conclu. Je rapporte tous ces faits parce que, soit ignorance, soit dissimulation, plusieurs vont attaquant notre religion avec une extrême insolence; et quand ils voient de nos jours quelque guerre se prolonger, ils s'écrient que si l'on servait les dieux comme
1. Pompée termina la guerre des pirates en quarante jours, à partir de son embarquement à Brindes. Voyez Cicéron, Pro lege Man., cap. 11 et seq.
2. La troisième guerre punique dura quatre ans environ. Voyez Tite-Live, Epitom., 49 et 51. - 3. Ces deux batailles sont Trasimène et Canne. Tite-Live (lib. XXII, cap. 7, 19) estime à quinze mille hommes les pertes de Trasimène, et à quarante-huit mille hommes celles de Canne.
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autrefois, cette vertu romaine, autrefois si prompte, avec l'assistance de Mars et de Bellone, à terminer les guerres, les terminerait de même aujourd'hui. Qu'ils songent donc à ces longues guerres des anciens Romains, qui eurent pour eux des suites si désastreuses et des chances si variées, et qu'ils considèrent que le inonde est sujet à ces agitations comme la mer aux tempêtes, afin que, tombant d'accord de la vérité, ils cessent de tromper les ignorants et de se perdre eux-mêmes par les discours que leur langue insensée profère contre Dieu.
CHAPITRE XXIII.
DE LA GUERRE CONTRE RADAGAISE, ROI DES GOTHS, QUI FUT VAINCU DANS UNE SEULE ACTION AVEC TOUTE SON ARMÉE.
Cette marque éclatante que Dieu a donnée récemment de sa miséricorde à l'empire romain, ils n'ont garde de la rappeler avec la reconnaissance qui lui est due; loin de là, ils font de leur mieux pour en éteindre à jamais le souvenir. Aussi bien, si de notre côté nous gardions le silence, nous serions complices de leur ingratitude. Rappelons donc que Radagaise, roi des Goths, s'étant avancé vers Rome avec une armée redoutable, avait déjà pris position dans les faubourgs, quand il fut attaqué par les Romains avec tant de bonheur qu'ils tuèrent plus de cent mille hommes sans perdre un des leurs et sans même avoir un blessé, s'emparèrent de sa personne et lui firent subir, ainsi qu'à ses fils, le supplice qu'il méritait 1. Si ce prince, renommé par son impiété, fût entré dans Rome avec cette multitude de soldats non moins impies que lui, qui eût-il épargné? quel tombeau des martyrs eût-il respecté ? à qui eût-il fait grâce par la crainte de Dieu? qui n'eût-il point tué ou déshonoré? Et comme nos adversaires se seraient élevés contre nous en faveur de leurs dieux! N'auraient-ils pas crié que si Radagaise était vainqueur, c'est qu'il avait pris soin de se rendre les dieux favorables au moyen de ces sacrifices de chaque jour que la religion chrétienne interdit aux Romains? En effet, comme il s'avançait vers les lieux où il a été terrassé par la puissance divine, le bruit de son approche s'était partout répandu, et, si j'en crois ce qu'on disait à Carthage, les païens
1. Cette défaite de Radagaise eut lieu sous Honorius, l'an de Jésus-Christ 406. Voyez Orose, lib. VII, cap. 37.
pensaient, disaient et allaient répétant en tout lieu que, le roi des Goths ayant pour lui les dieux auxquels il immolait chaque jour des victimes, il était impossible qu'il fût vaincu par ceux qui ne voulaient offrir aux dieux de Rome, ni permettre qu'on leur offrît aucun sacrifice. Et maintenant ces malheureux ne rendent point grâces à la bonté infinie de Dieu qui, ayant résolu de punir les crimes des hommes par l'irruption d'un barbare, a tellement tempéré sa colère qu'il a voulu que Radagaise fût vaincu d'une manière miraculeuse. Il y avait lieu de craindre en effet qu'une victoire des Goths ne fût attribuée aux démons que servait Radagaise, et la conscience des faibles pouvait en être troublée; plus tard, Dieu a permis que Rome fût prise par Alaric, et encore est-il arrivé que les barbares, contre la vieille coutume de la guerre, ont épargné, par respect pour le christianisme, tous les Romains réfugiés dans les lieux saints, et se sont montrés ennemis si acharnés des démons et de tout ce culte où Radagaise mettait sa confiance, qu'ils semblaient avoir déclaré aux idoles une guerre plus terrible qu'aux hommes. Ainsi ce Maître et cet Arbitre souverain de l'univers a usé de miséricorde en châtiant les Romains, et fait voir par cette miraculeuse défaite des idolâtres que leurs sacrifices ne sont pas nécessaires au salut des empires, afin que les hommes sages et modérés ne quittent point la véritable religion par crainte des maux qui affligent maintenant le monde, mais s'y tiennent fermement attachés dans l'attente de la vie éternelle.

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