CHAPITRE VI. DE L'ÉTERNITÉ PROMISE AU SACERDOCE ET AU ROYAUME DES JUIFS, AFIN QUE, LES VOYANT DÉTRUITS, ON RECONNUT QUE CETTE PROMESSE CONCERNAIT UN AUTRE ROYAUME ET UN AUTRE SACERDOCE DONT CEUX-LA ÉTAIENT LA FIGURE. Bien que ces choses paraissent maintenant aussi claires qu'elles étaient obscures lorsqu'elles furent prédites, toutefois il semble qu'on pourrait faire cette objection avec quelque sorte de vraisemblance : Quelle certitude avons-nous que toutes les prédictions des Prophètes s'accomplissent, puisque cet oracle du ciel: « Votre maison et la maison de votre père passeront éternellement en ma présence », n'a pu s'accomplir? Car nous voyons bien que ce sacerdoce a été changé, sans que cette maison puisse jamais espérer d'y rentrer, attendu qu'il a été aboli, et que cette promesse est plutôt pour l'autre sacerdoce qui a succédé à celui-là. - Quiconque parle de la sorte ne comprend pas encore ou ne se souvient pas que le sacerdoce, même 1. I Cor. X, 17. - 2. Rom. XII, 1. - 3. Jean, VI, 52. (371) selon l'ordre d'Aaron, était comme l'ombre du sacerdoce à venir et éternel, et qu'ainsi, quand l'éternité lui a été promise, cette promesse ne lui appartenait pas, mais à celui dont il était l'ombre et la figure. Pour que l'on ne. s'imaginât pas que l'ombre même dût demeurer, le changement en a dû être aussi prédit. De même, le royaume de Saül, qui fut réprouvé et rejeté, était l'ombre du royaume à venir qui doit subsister éternellement ; car il faut considérer comme un grand mystère cette huile dont il fût sacré et ce chrême qui lui donna le nom de Christ. Aussi David lui-même le respectait si fort en Saül, qu'il frémit de crainte et se frappa la poitrine 1, au moment où ce prince étant entré dans une caverne obscure pour un besoin, il lui coupa le bord de la robe, afin de lui faire voir qu'il l'avait épargné, quand il pouvait s'en défaire, et de dissiper ainsi ses soupçons et sa furieuse animosité. Il craignait donc de s'être rendu coupable de la profanation d'un grand mystère, seulement pour avoir touché de la sorte au vêtement de Saül. Voici comment l'Ecriture en parle: « Et David se frappa la poitrine, parce qu'il avait coupé le pan de sa robe 2 ». Ceux qui l'accompagnaient lui conseillaient de tuer Saül, puisque Dieu le livrait entre ses mains. « A Dieu ne plaise, dit-il, que je le fasse et que je mette la main sur lui! car il est le Christ du. Seigneur 3 ». Ce n'était donc pas proprement la figure qu'il respectait, mais la chose figurée. Ainsi, quand Samuel dit à Saül: « parce que vous n'avez pas fait ce que je vous avais dit, ou plutôt ce que Dieu vous avait dit par moi, le trône d'Israël, que Dieu vous avait préparé pour durer éternellement, ne subsistera point pour vous ; mais le Seigneur cherchera un homme selon son coeur, qu'il établira prince sur son peuple, à cause que vous n'avez pas obéi à ses ordres 4» ; ces paroles, dis-je, ne doivent pas s'entendre, comme si Dieu, après avoir promis un royaume éternel à Saut, ne voulait plus tenir sa promesse, lorsqu'il eut péché; car Dieu n'ignorait pas qu'il devait pécher, mais il avait préparé son royaume pour être la figure d'un royaume éternel. C'est pourquoi Samuel ajoute: « Votre royaume ne subsistera point pour vous ». Celui qu'il figurait a 1. I Rois, XXIV, 6. - 2. Ibid. XXIV, 6. - 3. Ibid. 7 .- 4. Ibid. XIII, 13 et seq. subsisté et subsistera toujours, mais non pas pour Saül ni pour ses descendants. « Et le Seigneur, dit-il, cherchera un homme »; c'est David, ou plutôt c'est le Médiateur même du Nouveau Testament, qui était aussi figuré par le chrême dont David et. sa postérité furent sacrés. Or, Dieu ne cherche pas un homme, comme s'il ignorait où il est; mais il s'accommode au langage des hommes et nous cherche par cela même qu'il nous parle ainsi. Nous étions dès lors si bien connus, non-seulement à Dieu le Père, mais à son Fils unique, qui est venu chercher ce qui était perdu 1, qu'il nous avait élus en lui avant la création du monde 2. Lors donc que l'Ecriture dit qu'il cherchera, c'est comme si elle disait qu'il fera reconnaître aux autres pour son ami celui qu'il sait déjà lui appartenir. CHAPITRE VII. DE LA DIVISION DU ROYAUME D'ISRAËL PRÉDITE PAR SAMUEL A SAÜL, ET DE CE QU'ELLE FIGURAIT . Saül pécha de nouveau en désobéissant à Dieu, et Samuel lui porta de nouveau cette parole au nom du Seigneur: « Parce que vous avez rejeté le commandement de Dieu, Dieu vous à rejeté, et vous ne serez plus roi d'Israël 3» .Comme Saül, avouant son crime, priait Samuel de retourner avec lui pour en obtenir de Dieu le pardon: « Je ne retournerai point avec vous, dit-il, parce que vous n'avez point tenu compte du commandement de Dieu. Aussi le Seigneur ne tiendra point compte de vous, et vous ne serez plus roi d'Israël.». Là-dessus, Samuel lui tourna le dos et s'en alla; mais Saül le retint par le bas de sa robe, qu'il déchira, Alors Samuel lui dit : « Le Seigneur a ôté aujourd'hui le royaume à Israël en vous l'ôtant, et il le donnera à un de vos proches, qui est bien au-dessus de vous, et Israël sera divisé en deux, sans que le Seigneur change ni se repente, car il ne ressemble pas à l'homme, qui est sujet au repentir, et qui fait des menaces et ne les exécute pas 4 ». Celui à qui il est dit: « Le Seigneur vous rejettera, et vous ne serez plus roi d'Israël »; et encore: « Le Seigneur a ôté aujourd'hui le royaume à Israël en vous l'ôtant» ; celui-là, dis-je, régna encore 1. Luc, XIX, 10. - 2. Ephés. I, 4. - 3. I Rois, XV, 23. - 4. Ibid. XV, 23. (372) quarante ans depuis, car cela lui fut dit dès le commencement de son règne; mais Dieu entendait par là qu'aucun de sa famille ne devait lui succéder , et il voulait attirer nos regards vers la postérité de David, d'où est sorti, selon la chair, le médiateur entré Dieu et les hommes, Jésus-Christ homme. Or, le texte de l'Ecriture ne porte pas, comme beaucoup de traductions latines: « Le Seigneur vous a ôté le royaume d'Israël » mais comme nous l'avons lu dans le grec : « Le Seigneur a ôté aujourd'hui le royaume à Israël en vous l'ôtant » ; par où l'Ecriture veut montrer que Saül représentait le peuple d'Israël, qui était destiné à perdre le royaume, Notre-Seigneur Jésus-Christ devant régner spirituellement par le Nouveau Testament. Ainsi, quand il dit: « Et il le donnera à un de vos proches », cela s'entend d'une parenté selon la chair. En effet, selon la chair, Jésus-Christ a pris naissance d'Israël, aussi bien que Saül. Ce qui suit: « Qui est bon au-dessus de vous », peut s'entendre, « qui est meilleur que vous»,et quelques-uns l'ont traduit ainsi; mais je préfère cet autre sens: « Il est bon; qu'il soit donc au-dessus de vous » ; ce qui est bien conforme à cette autre parole prophétique: « Jusqu'à ce que j'aie mis tous vos ennemis sous vos pieds 1 ». Au nombre des ennemis est Israël, à qui le Christ enlève la royauté comme à son persécuteur. Et toutefois, là aussi était un autre Israël, en qui ne se trouva aucune malice 2, véritable froment caché sous la paille. C'est de là que sont sortis les Apôtres et tant de martyrs dont saint Etienne a été le premier; de là ont pris naissance toutes ces Eglises dont parle l'apôtre saint Paul et qui louent Dieu de sa conversion 3. Je ne doute point que par ces mots : « Et Israël sera divisé deux », il faille distinguer Israël ennemi de Jésus-Christ et Israël fidèle à Jésus-Christ, Israël appartenant à la servante et Israël appartenant à la femme libre. Ces deux Israël étaient d'abord mêlés ensemble, comme Abraham était attaché à la Servante, jusqu'à ce que celle qui était stérile, ayant été rendue féconde par la grâce de Jésus-Christ, s'écriât : « Chassez la servante avec son fils 4 ». Il est vrai qu'Israël fut partagé en deux à cause du péché de Salomon, sous le règne de son fils Roboam 5, et qu'il 1. Ps. CIX, 2. - 2. Jean, I, 47.- 3. Galat. I, 24. - 4. Gen. XXI, 10. - 5. III Rois, XXI, 10. demeura en cet état, chaque faction ayant ses rois à part, jusqu'à ce que toute la nation fût vaincue par les Chaldéens et menée captive à Babylone. Mais qu'est-ce que cela fait à Saül? Si cette menace était nécessaire, ne devait-on l'adresser plutôt à David, dont Salomon était fils? maintenant même, les Juifs ne sont pas divisés entre eux, mais dispersés par toute la terre dans la société d'une même erreur. Or, cette division, dont Dieu menace ici ce peuple et ce royaume dans la personne de Saül qui le représentait, doit être éternelle et immuable, selon ces paroles qui suivent: « Dieu ne changera ni ne se repentira point, car il ne ressemble pas à l'homme, qui est sujet au repentir, et qui fait des menaces et ne les exécute pas ». Lorsque L'Ecriture dit que Dieu se repent, cela ne marque du changement que dans les choses, lesquelles sont connues de Dieu par une prescience immuable. Quand donc elle dit qu'il ne se repent point, il faut entendre qu'il ne change point. Ainsi l'arrêt de cette division d'Israël est un arrêt perpétuel et irrévocable. Tous ceux qui, en tous les temps, passent de la synagogue des Juifs à l'Eglise de Jésus-Christ, ne faisant point partie de cette synagogue dans la prescience de Dieu. Ainsi, tous les Israélites qui, s'attachant à Jésus-Christ, persévèrent dans cette union, ne seront jamais avec ces Israélites qui s'opiniâtrent toute leur vie à être ses ennemis, et la division qui est ici prédite subsistera toujours. L'Ancien Testament donné sur la montagne de Sinaï, et qui n'engendra que des esclaves 1, n'a de prix qu'en ce qu'il rend hommage au Nouveau; et tous les Juifs qui maintenant lisent Moïse ont un voile sur le cœur 2 qui leur en dérobe l'intelligence. Mais lorsque quelqu'un d'eux passe à Jésus-Christ, ce voile est déchiré. En effet, ceux qui changent de la sorte changent aussi d'intention et de désirs, et n'aspirent plus à la félicité de la chair, mais à celle de l'esprit. C'est pourquoi, dans cette fameuse journée des Juifs contre les Philistins 3, où le ciel se déclara si ouvertement en faveur des premiers, à la prière de Samuel, ce prophète, prenant une pierre, la posa entre les deux Massephat 4, la nouvelle et l'ancienne, et l'appela Abennezer, c'est-à-dire pierre de secours, 1. Gal. IV, 24. - 2. II Cor, III, 15. - 3. I Rois, VIII, 10, 12. 4. Saint Jérôme (De locis Hebraïcis ) place l'ancienne Massephat dans la tribu de Gad, et la nouvelle dans la tribu de Juda, sur les confins d'Eleuthéropolis. (373) parce que, dit-il, c'est jusqu'ici que Dieu nous a secourus . Or, Massephat signifie intention, et cette pierre de secours, c'est la médiation du Sauveur, par qui il faut passer de la vieille Massephat à la nouvelle, c'est-à-dire de l'intention qui regardait une fausse et charnelle habitude dans un royaume charnel, à celle qui s'en propose une véritable et spirituelle dans le royaume des cieux par le moyen du Nouveau Testament. Comme il n'est rien de meilleur que cette félicité, c'est jusque-là que Dieu nous porte secours. CHAPITRE VIII. LES PROMESSES DE DIEU A DAVID TOUCHANT SALOMON NE PEUVENT S'ENTENDRE QUE DE JÉSUS-CHRIST. Il faut voir maintenant, autant que cela peut servir à notre dessein, les promesses que Dieu fit à David même, qui prit la place de Saül, changement qui était la figure du changement suprême auquel se rapporte toute l'Ecriture sainte. Toutes choses prospérant à David, il résolut de bâtir une maison à Dieu, ce fameux temple qui fut l'ouvrage de son fils Salomon. Comme il était dans cette pensée, Dieu parla au prophète Nathan, et, après lui avoir déclaré que David ne lui bâtirait pas une maison, et qu'il s'en était bien passé jusqu'alors : «Vous direz, ajouta-t-il, à mon serviteur David : Voici ce que dit le Seigneur tout-puissant : Je vous ai tiré de votre bergerie pour vous établir le conducteur de mon peuple. Je vous ai assisté dans toutes vos entreprises, j'ai dissipé tous vos ennemis, et j'ai égalé votre gloire à celle des plus grands rois. Je veux assigner un lieu à mon peuple et l'y établir, afin qu'il y demeure séparé des autres nations et que rien ne trouble son repos à l'avenir. Les méchants ne l'opprimeront plus comme autrefois, lorsque je lui donnai des Juges pour le conduire. Je ferai que tous vos ennemis vous laisseront en paix, et vous me bâtirez une maison. Car lorsque vos jours seront accomplis et que vous serez endormi avec vos pères, je ferai sortir de votre race un roi dont j'affermi rai le trône. C'est lui qui me construira une maison, et je maintiendrai éternelle ment son empire. Je lui tiendrai lieu de père et l'aimerai comme mon fils. Que s'il 1. I Rois, VII, 5, 12. vient à m'offenser, je lui ferai sentir les effets de ma colère et le châtierai avec rigueur; mais je ne retirerai point de lui ma miséricorde, comme j'ai fait à l'égard de ceux dont j'ai détourné ma face. Sa maison me sera fidèle et son royaume durera autant que les siècles 1 ». Quiconque s'imagine que cette promesse a été accomplie en Salomon, se trompe gravement, et son erreur vient de ce qu'il ne s'arrête qu'à ces paroles : « C'est lui qui me construira une maison ». En effet, Salomon a élevé un temple superbe; mais il faut faire attention à ce qui suit: « Sa maison me sera fidèle et son royaume durera autant que les siècles ». Regardez maintenant le palais de Salomon, tout rempli de femmes étrangères et idolâtres qui le portent à adorer les faux dieux avec elles; et prenez garde d'être assez téméraires pour penser que les promesses de Dieu ont été vaines, ou qu'il n'a pu prévoir que ce prince et sa maison tomberaient dans de tels égarements. Lors même que nous ne verrions point les paroles divines accomplies en la personne de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui est né de David selon la chair, nous ne devrions point douter qu'elles ne se rapportent à lui, à moins que de vouloir attendre vainement un nouveau messie, comme font les Juifs. Il est si vrai que par ce fils, qui est ici promis à David, les Juifs mêmes n'entendent point Salomon, que, par un merveilleux aveuglement, ils attendent encore un autre Christ que celui qui s'est fait reconnaître pour tel par des marques si claires et si évidentes. A la vérité, on voit aussi en Salomon quelque image des choses à venir, en ce qu'il a bâti le temple, qu'il a eu la paix avec tous ses voisins, comme le porte son nom (car Salomon signifie pacifique) et que les commencements de son règne ont été admirables; mais il faut demeurer d'accord qu'il n'était pas Jésus-Christ lui-même et qu'il n'en était que la figure. De là vient que l'Ecriture dit beaucoup de choses de lui, non-seulement dans les livres historiques, mais dans le psaume soixante-onzième qui porte son nom, lesquelles ne sauraient du tout lui convenir, et conviennent fort bien à Jésus-Christ, pour montrer que l'un n'était que la figure, et l'autre la vérité. Pour n'en citer qu'un exemple, on ignore quelles étaient les bornes du royaume de 2. II Rois, VII, 8 et seq. Salomon, et cependant nous lisons dans ce psaume : « Il étendra son empire de l'une à l'autre mer, et depuis le fleuve jusqu'aux extrémités de la terre 1 » ; paroles que nous voyons accomplies en la personne du Sauveur, qui a commencé son règne au fleuve où il fut baptisé par saint Jean et reconnu par les disciples, qui ne l'appelaient pas seulement Maître, mais Seigneur. Pourquoi Salomon commença-t-il à régner du vivant de son père David, ce qui n'arriva à aucun autre des rois d'Israël? pour nous apprendre que ce n'est pas de lui que Dieu parle ici, quand il dit à David : « Lorsque vos jours seront accomplis et que vous serez endormi avec vos pères, je ferai sortir de votre race un roi dont j'affermirai le trône». Quelque intervalle de temps qu'il y ait entre Jésus-Christ et David, toujours est-il certain que le premier est venu depuis la mort du second et qu'il a bâti une maison à Dieu, non de bois et de pierre, mais d'hommes. C'est à cette maison, ou en d'autres termes, aux fidèles, que l'apôtre saint Paul dit: « Le temple de Dieu est saint, et c'est vous qui êtes ce temple 2 ». CHAPITRE IX. DE LA PROPHÉTIE DU PSAUME QUATRE-VINGT-HUITIÈME, LAQUELLE EST SEMBLABLE A CELLE DE NATHAN DANS LE SECOND LIVRE DES ROIS. C'est pour cela qu'au psaume quatre-vingt-huitième, qui a pour titre : Instruction pour Aethan, israélite, il est fait mention des promesses de Dieu à David, et l'on y voit quelque chose de semblable à ce que nous venons de rapporter du second livre des Rois. « J'ai juré, dit Dieu, j'ai juré à David, mon serviteur, que je ferais fleurir éternellement sa race ». Puis: « Vous avez parlé en vision à vos enfants, et vous avez dit: J'ai remis mon assis- tance dans un homme puissant, et j'ai élevé sur le trône celui que j'ai choisi parmi mon peuple. J'ai trouvé mon serviteur David, je l'ai oint de mon huile sainte. Car ma main lui donnera secours et mon bras le soutiendra. L'ennemi n'aura point avantage sur lui, et l'enfant d'iniquité ne lui pourra nuire. J'abattrai ses ennemis à ses pieds et mettrai en fuite ceux qui le haïssent. Ma vérité et ma miséricorde seront avec lui, et je 1. Ps. LXXI, 8.- 2. I Cor. III, 17. délivrerai sa gloire et sa puissance. J'étendrai sa main gauche sur la mer et sa droite sur les fleuves. Il m'invoquera et me dira: Vous êtes mon père, vous êtes mon Dieu et mon asile. Et je le ferai mon fils aîné et l'élèverai au-dessus de tous les rois de la terre. Je lui conserverai toujours ma faveur, et l'alliance que je ferai avec lui sera inviolable. J'établirai sa race pour jamais, et son trône durera autant que les cieux 1 ». Tout cela, sous le nom de David, doit s'entendre de Jésus-Christ, à cause de la forme d'esclave qu'il a prise, comme médiateur, dans le sein de la Vierge. Quelques lignes ensuite, il est parlé des péchés de nos enfants presque dans les mêmes termes où, au livre des Rois, il est parlé de ceux de Salomon : « S'il vient, dit Dieu en ce livre, à s'abandonner à l'iniquité, je le châtierai par la verge des hommes; je le livrerai aux atteintes des enfants des hommes; cependant je ne retirerai pas de lui ma miséricorde 2 ». Ces atteintes sont les marques du châtiment; et de là cette parole : « Ne touchez pas mes christs 3». Qu'est-ce à dire, sinon : Ne blessez pas? Or, dans le psaume où il s'agit de David en apparence, le Seigneur tient à peu près le même langage : « Si ses enfants, dit-il, abandonnent ma loi et ne marchent dans ma crainte, s'ils profanent mes ordonnances et ne gardent pas mes commandements, je les châtierai, la verge à la main, et je leur enverrai mes fléaux; mais je ne retirerai point de lui ma miséricorde 4 ». Il ne dit pas : Je ne retirerai pas d'eux, quoiqu'il parle de ses enfants, mais de lui, ce qui pourtant, à le bien prendre, est la même chose. Aussi bien on ne peut trouver en Jésus-Christ même, qui est le chef de l'Eglise, aucun péché qui ait besoin d'indulgence ou de punition, mais bien dans son peuple, qui compose ses membres et son corps mystique. C'est pour cela qu'au livre des Rois il est parlé de son iniquité 5, au lieu qu'ici il est parlé de celle de ses enfants, pour nous faire entendre que ce qui est dit de son corps est dit en quelque sorte de lui-même. Par la même raison, lorsque Saul persécutait son corps, c'est-à-dire ses fidèles, il lui cria du ciel: « Saul, Saul, pourquoi me persécutez-vous 6 ». Le psaume ajoute : « Je n'enfreindrai point mon serment, ni ne 1. Ps. LXXXVIII, 31, 34. - 2. II Rois, VII, 14, 15. - 3. Ps. CIV, 15. - 4. Ibid. LXXXVIII, 31, 34. - 5. II Rois, VII, 14. - 6. Act. IX, 4. (375) profanerai mon alliance ; je ne démentirai point les paroles qui sortent de ma bouche; j'ai une fois juré par ma sainteté, je ne tromperai point David; sa race durera éternellement; son trône demeurera à jamais devant moi comme le soleil et la lune, et comme l'arc-en-ciel, témoin fidèle de mon alliance 1 ». CHAPITRE X. LA RAISON DE LA DIFFÉRENCE QUI SE RENCONTRE ENTRE CE QUI S'EST PASSÉ DANS LE ROYAUME DE LA JÉRUSALEM TERRESTRE ET LES PROMESSES DE DIEU, C'EST DE FAIRE VOIR QUE CES PROMESSES REGARDAIENT UN AUTRE ROYAUME ET UN PLUS GRAND ROI. Après des assurances si certaines d'une si grande promesse, de peur qu'on ne la crût accomplie en Salomon et qu'on ne l'y cherchât inutilement, le Psalmiste s'écrie : « Pour vous, Seigneur, vous les avez rejetés et anéantis 2 ». Cela est arrivé à l'égard du royaume de Salomon en ses descendants jusqu'à la ruine de la Jérusalem terrestre, qui était le siége de son empire, et à la destruction du temple qu'il avait élevé. Mais, pour qu'on n'aille pas en conclure que Dieu a contrevenu à sa parole, David ajoute aussitôt: « Vous avez différé votre Christ ». Ce Christ n'est donc ni David, ni Salomon, puisqu'il est différé. Encore que tous les rois des Juifs fussent appelés christs à cause du chrême dont on les oignait à leur sacre, et que David lui-même donne ce nom à Saül, il n'y avait toutefois qu'un seul Christ véritable, dont tous ceux-là étaient la figure. Et ce Christ était différé pour longtemps, selon l'opinion de ceux qui croyaient que ce devait être David ou Salomon; mais il devait venir en son temps, selon l'ordre de la providence de Dieu. Cependant le psaume nous apprend ensuite ce qui arriva durant ce délai dans la Jérusalem terrestre, où l'on espérait qu'il régnerait: « Vous avez, dit-il, rompu l'alliance que vous aviez faite avec votre serviteur; vous avez profané son temple. Vous avez renversé tous ses boulevards, et ses citadelles n'ont pu le mettre en sûreté. Tous les passants l'ont pillé; il est devenu l'opprobre de ses voisins. Vous avez protégé ceux- qui l'opprimaient et donné des sujets de joie à ses ennemis. Vous avez émoussé la pointe de 1. Ps. LXXXVIII 34-36. - 2. Ps. LXXXVIII, 37. son épée et ne l'avez point aidé dans le combat. Vous avez obscurci l'éclat de sa gloire et brisé son trône. Vous avez abrégé u le temps de son règne, et il est couvert de confusion 1». Tous ces malheurs sont tombés sur la Jérusalem esclave, où même quelques enfants de la liberté ont régné, quoiqu'ils ne soupirassent qu'après la Jérusalem céleste dont ils étaient sortis et où ils espéraient régner un jour par le moyen du Christ véritable. Mais si l'on veut savoir comment tous ces maux lui sont arrivés, il faut l'apprendre de l'histoire. CHAPITRE XI. DE LA SUBSTANCE DU PEUPLE DE DIEU, LAQUELLE SE TROUVE EN JÉSUS-CHRIST FAIT HOMME, SEUL CAPABLE DE DÉLIVRÉR SON AME DE L'ENFER. Le Prophète adresse ensuite une prière à Dieu; mais sa prière même est une prophétie: «Jusques à quand , Seigneur, détournerez-vous jusqu'à la fin? » il faut sous-entendre votre face ou votre miséricorde. Par la fin, sont exprimés les derniers temps où cette nation même croira en Jésus-Christ. Mais, avant cela, il faut que tous les malheurs que le Prophète a déplorés arrivent. C'est pourquoi il ajoute : « Votre colère s'allumera comme un feu. Souvenez-vous quelle est ma substance ». Par cette substance, l'on ne peut rien concevoir de mieux que Jésus-Christ même, qui a tiré de ce peuple sa substance et sa nature humaine. «Car ce n'est pas en vain, dit-il, que vous avez créé tous les enfants des hommes ». En effet, sans ce fils de l'homme, sans cette substance d'Israël par qui sont sauvés plusieurs enfants des hommes, ce serait en vain que les enfants des hommes auraient été créés, tandis que maintenant il est vrai que toute la nature humaine est tombée de la vérité dans la vanité par le péché du premier homme, d'où vient cette parole d'un autre psaume: « L'homme est devenu semblable à une chose vaine et chimérique; ses jours s'évanouissent comme l'ombre 2; mais ce n'est pourtant pas en vain que Dieu a créé tous les enfants des hommes, puisqu'il en délivre plusieurs par le médiateur Jésus, et que les autres, qu'il a prévus ne devoir pas délivrer, il les a créés en vertu d'un dessein très-beau et très-juste, pour servir au bien des élus, et pour relever 1. Ps. LXXXVIII, 40-46. - 2. Ps. CXLIII, 5. (376) par l'opposition des deux cités l'éclat et la gloire de la céleste. Le Psalmiste ajoute : « Quel est cet homme qui vivra et ne mourra point; il délivrera son âme des mains de l'enfer 1 ». Quel est-il, en effet, sinon cette substance d'Israël tirée de David, c'est-à-dire Jésus-Christ, dont l'Apôtre dit 2 : « Une fois ressuscité des morts, il ne meurt plus, et la mort n'a plus d'empire sur lui ». Bien qu'il vive maintenant et qu'il ne soit plus sujet à la mort, il n'a pas laissé de mourir; mais il a délivré son âme de l'enfer, où il était descendu pour rompre les liens du péché qui en retenaient quelques-uns captifs. Or, il l'a délivrée par cette puissance dont il dit dans l'Evangile: « J'ai le pouvoir de quitter mon âme et j'ai le pouvoir de la reprendre 3 ». CHAPITRE XII. COMMENT IL FAUT ENTENDRE CES PAROLES DU PSAUME QUATRE-VINGT-HUITIÈME : « OU SONT, SEIGNEUR, LES ANCIENNES MISÉRICORDES ETC. » Examinons maintenant la fin de ce psaume, qui est ainsi conçu : « Seigneur, où sont les anciennes miséricordes que vous avez fait serment d'exercer envers David? Souvenez-vous, Seigneur, de l'opprobre de vos serviteurs, et qu'il m'a fallu essuyer sans rien dire les reproches de tant de nations, ces reproches injurieux que vos ennemis m'ont faits du changement de votre Christ ». En méditant ces paroles, il est permis de demander si elles s'appliquent aux Israélites, qui désiraient que Dieu accomplît la promesse qu'il avait faite à David, ou bien à la personne des chrétiens qui sont Israélites selon l'esprit et non selon la chair. Il est certain, en effet, qu'elles ont été dites ou écrites du vivant d'Aethan, dont le nom est à la tête de ce psaume et sous le règne de David; et par conséquent il n'y a point d'apparence que l'on pût dire alors: « Seigneur, où sont les anciennes « miséricordes que vous avez fait serment d'exercer envers David? » à moins que le Prophète ne se mît à la place de ceux qui devaient venir longtemps après et à l'égard de qui ces promesses faites à David étaient anciennes. On peut donc entendre que lorsque les Gentils persécutaient les chrétiens, ils leur reprochaient la passion de Jésus-Christ, que 1. Ps. LXXXVIII, 49. - 2. Rom. VI, 9.- 3. Jean, X, 18. l'Ecriture appelle un changement, parce qu'en mourant il est devenu immortel. On peut aussi entendre que le changement du Christ a été reproché aux Juifs, en ce qu'au lieu qu'ils l'attendaient comme leur sauveur, il est devenu le sauveur des Gentils. C'est ce que plusieurs peuples, qui ont cru en lui par le Nouveau Testament, leur reprochent encore aujourd'hui; de sorte que c'est en leur personne qu'il est dit: « Souvenez-vous, Seigneur, de l'opprobre de vos serviteurs », parce que Dieu, ne les oubliant pas, mais ayant compassion de leur misère, doit les attirer un jour eux-mêmes à la grâce de1'Evangile. Mais il me semble que le premier sens est meilleur. En effet, il ne paraît pas à propos d'appeler serviteurs de Dieu les ennemis de Jésus-Christ à qui l'on reproche que le Christ les a abandonnés pour passer aux Gentils, et que cette qualité convient mieux à ceux qui, exposés à de rudes persécutions pour le nom de Jésus-Christ, se sont souvenus du royaume promis à la race de David, et touchés d'un ardent désir de le posséder, ont dit à Dieu: « Seigneur, où sont les anciennes miséricordes que vous avez fait serment d'exercer envers David? Souvenez-vous, Seigneur, de l'opprobre de vos serviteurs, et qu'il m'a fallu essuyer sans rien dire les reproches de tant de nations, ces reproches injurieux que vos ennemis m'ont faits du changement de votre Christ », ce changement étant pris par eux pour un anéantissement. Que veut dire: Souvenez-vous, Seigneur, sinon ayez pitié de moi, et, pour les humiliations que j'ai souffertes avec tant de patience, donnez-moi la gloire que vous avez promise à David avec serment. Que si nous attribuons ces paroles aux Juifs, assurément ces serviteurs de Dieu, qui furent emmenés captifs à Babylone après la prise de la Jérusalem terrestre et avant la naissance de Jésus-Christ, ont pu les dire aussi, entendant par le changement du Christ, qu'ils ne devaient pas attendre de lui une félicité temporelle semblable à celle dont ils avaient joui quelques années auparavant sous le règne de Salomon, mais une félicité céleste et spirituelle ; et c'est le changement que les nations idolâtres reprochaient, sans s'en douter, au peuple de Dieu, lorsqu'elles l'insultaient dans sa captivité. C'est aussi ce qui se trouve ensuite dans le même psaume et qui en fait la conclusion: « Que la bénédiction du Seigneur (377) demeure éternellement ; ainsi soit-il, ainsi soit-il » ; voeu très-convenable à tout le peuple de Dieu qui appartient à la Jérusalem céleste, soit à l'égard de ceux qui étaient cachés dans l'Ancien Testament avant que le Nouveau ne fût découvert, soit pour ceux qui dans le Nouveau sont manifestement à Jésus-Christ. La bénédiction du Seigneur promise à la race de David n'est pas circonscrite dans un aussi petit espace de temps que le règne de Salomon, mais elle ne doit avoir d'autres bornes que l'éternité. La certitude de l'espérance que nous en avons est marquée par la répétition de ces mots: « Ainsi soit-il, ainsi soit-il ». C'est ce que David comprenait bien quand il dit, au second livre des Rois, qui nous a conduits à cette digression du Psaume: « Vous avez parlé pour longtemps en faveur de la maison de David 1 »; et un peu après : « Commencez donc maintenant, et bénissez pour jamais la maison de votre serviteur, etc. 2 » parce qu'il était prêt d'engendrer un fils dont la race était destinée à donner naissance à Jésus-Christ, qui devait rendre éternelle sa maison et en même temps la maison de Dieu. Elle est la maison de David à raison de sa race, et la maison de Dieu à cause de son temple, mais d'un temple qui est fait d'hommes et non de pierres, et où le peuple doit demeurer éternellement avec son Dieu et en son Dieu, et Dieu avec son peuple et en son peuple, en sorte que Dieu remplisse son peuple et que le peuple soit plein de son Dieu, lorsque Dieu sera tout en tous 3, Dieu, notre récompense dans la paix et notre force dans le combat. Comme Nathan avait dit à David: « Le Seigneur vous avertit que vous lui bâtirez une maison 4 »; David dit ensuite à Dieu: « Seigneur tout-puissant, Dieu d'Israël, vous avez révélé à votre serviteur que vous lui bâtiriez une maison 5». En effet, nous bâtissons cette maison en vivant bien, et Dieu la bâtit aussi en nous aidant à bien vivre; car, « si le Seigneur ne bâtit lui-même une maison, en vain travaillent ceux qui la bâtissent 6. » Lorsque le temps de la dernière dédicace de cette maison sera venu, alors s'accomplira ce que Dieu dit ici par Nathan: « J'assignerai un lieu à mon peuple, et l'y établirai, afin qu'il « y demeure séparé des autres nations et que 1. II Rois, VII, 19. - 2. Ibid. 25. - 3. I Cor. XV, 28. - 4. II Rois, VII, 11. - 5. Ibid. 27. - 6. Ps. CXXVI, 1. rien ne trouble son repos à l'avenir. Les méchants ne l'opprimeront plus comme autrefois, lorsque je lui donnai des Juges pour le conduire1 ». CHAPITRE XIII. LA PAIX PROMISE A DAVID PAR NATHAN N'EST POINT CELLE DU RÈGNE DE SALOMON. C'est une folie d'attendre ici-bas un si grand bien, ou de s'imaginer que ceci ait été accompli sous le règne de Salomon, à cause de la paix dont on y jouit. L'Ecriture ne relève cette paix que parce qu'elle était la figure d'une autre; et elle-même a eu soin de prévenir cette interprétation, lorsque, après avoir dit: « Les méchants ne l'opprimeront plus », elle ajoute aussitôt: « comme autrefois, lorsque je lui donnai des Juges pour le conduire ». Ce peuple, avant d'être gouverné par des rois, fut gouverné par des Juges, et les méchants, c'est-à-dire ses ennemis , l'opprimaient par moments; mais, avec tout cela, on trouve sous les Juges de plus longues paix que celle du règne de Salomon, qui dura seulement quarante ans. Or, il y en eut une de quatre-vingts ans sous Aod. Loin donc, loin de nous l'idée que cette promesse regarde le règne de Salomon, et beaucoup moins celui d'un autre roi, puisque pas un d'eux n'a joui de la paix aussi longtemps que lui , et que cette nation n'a cessé d'appréhender le joug des rois, ses voisins. Et n'est-ce pas une suite nécessaire de l'inconstance des choses du monde qu'aucun peuple ne possède un empire si bien affermi qu'il n'ait pas à redouter l'invasion étrangère? Ainsi, ce lieu d'une habitation si paisible et si assurée, qui est ici promis, est un lieu éternel, et qui est dû à des habitants éternels dans la Jérusalem libre où régnera véritablement le peuple d'Israël ; car Israël signifie voyant Dieu. Et nous, pénétrés du désir de mériter une si haute récompense, que la foi nous fasse vivre d'une vie sainte et innocente à travers ce douloureux pèlerinage!