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Blog Parousie de Patrick ROBLES (Puget-Théniers, Alpes-Maritimes - FRANCE)

La Cité de Dieu, Saint-Augustin, Livre vingtième, 51

Sainte-Véronique par El Greco


LIVRE VINGTIÈME : LE JUGEMENT DERNIER.

Du jugement dernier et des témoignages qui l'annoncent dans l'Ancien Testament et dans le Nouveau.

LIVRE VINGTIÈME : LE JUGEMENT DERNIER.
CHAPITRE PREMIER.

ON NE TRAITERA PROPREMENT DANS CE LIVRE QUE DU JUGEMENT DERNIER, BIEN QUE DIEU JUGE EN TOUT TEMPS.
CHAPITRE II.
DU SPECTACLE DES CHOSES HUMAINES, OU L'ON NE PEUT NIER QUE LES JUGEMENTS DE DIEU NE SE FASSENT SENTIR, BIEN QU'ILS SE DÉROBENT SOUVENT A NOS REGARDS.
CHAPITRE III.
DU SENTIMENT DE SALOMON, DANS LE LIVRE DE L'ECCLÉSIASTE, SUR LES CHOSES QUI SONT COMMUNES AUX BONS ET AUX MÉCHANTS.
CHAPITRE IV.
IL CONVIENT, POUR TRAITER DU JUGEMENT DERNIER, DE PRODUIRE D'ABORD LES PASSAGES DU NOUVEAU TESTAMENT, PUIS CEUX DE L'ANCIEN.
CHAPITRE V.
PAROLES DU DIVIN SAUVEUR QUI ANNONCENT QU'IL Y AURA UN JUGEMENT DE DIEU A LA FIN DES TEMPS.
CHAPITRE VI.
DE LA PREMIÉRE RÉSURRECTION ET DE LA SECONDE.
CHAPITRE VII.
CE QU'IL FAUT ENTENDRE RAISONNABLEMENT PAR LES DEUX RÉSURRECTIONS ET PAR LE RÈGNE DE MILLE ANS DONT SAINT JEAN PARLE DANS SON APOCALYPSE.
CHAPITRE VIII.
DU DIABLE ENCHAÎNÉ ET DÉLIÉ DE SES CHAÎNES.
CHAPITRE IX.
EN QUOI CONSISTE LE RÈGNE DES SAINTS AVEC JÉSUS-CHRIST, PENDANT MILLE ANS, ET EN QUOI IL DIFFÈRE DU RÈGNE ÉTERNEL.
CHAPITRE X.
CE QU'IL FAUT RÉPONDRE A CEUX QUI PENSENT QUE LA RÉSURRECTION REGARDE SEULEMENT LES CORPS, ET NON LES ÂMES.
CHAPITRE XI.
DE GOG ET DE MAGOG QUE LE DIABLE, DÉLIÉ A L'APPROCHE DE LA FIN DES SIÈCLES, SUSCITERA CONTRE L'ÉGLISE.
CHAPITRE XII.
SI LE FEU QUE SAINT JEAN VIT DESCENDRE DU CIEL ET DÉVORER LES IMPIES DOIT S'ENTENDRE DU DERNIER SUPPLICE.
CHAPITRE XIII.
SI LE TEMPS DE LA PERSÉCUTION DE L'ANTÉCHRIST DOIT ÉTRE COMPRIS DANS LES MILLE ANS.
CHAPITRE XIV.
DE LA DAMNATION DU DIABLE ET DES SIENS, ET RÉCAPITULATION DE CE QUI A ÉTÉ DIT SUR LA RÉSURRECTION DES CORPS ET LE JUGEMENT DERNIER.
CHAPITRE XV.
DES MORTS QUE VOMIT LAMER POUR LE JUGEMENT, ET DE CEUX QUE LA MORT ET L'ENFER RENDIRENT.
CHAPITRE XVI.
DU NOUVEAU CIEL ET DE LA NOUVELLE TERRE.
CHAPITRE XVII.
DE LA GLORIFICATION ÉTERNELLE DE L'ÉGLISE, A LA FIN DU MONDE.
CHAPITRE XVIII.
CE QU'ANNONCE SAINT PIERRE TOUCUANT LE JUGEMENT DERNIER
CHAPITRE XIX.
DE L'ÉPÎTRE DE SAINT PAUL AUX HABITANTS DE THESSALONIQUE SUR L'APPARITION DE L'ANTECHRIST, APRÈS LEQUEL VIENDRA LE JOUR DU SEIGNEUR.
CHAPITRE XX.
CE QUE SAINT PAUL A ENSEIGNÉ SUR LA RÉSURRECTION DES MORTS DANS SA PREMIÈRE ÉPÎTRE AUX HABITANTS DE THESSALONIQUE.
CHAPITRE XXI.
PREUVES DE LA RÉSURRECTION DES MORTS ET DU JUGEMENT DERNIER, TIRÉES DU PROPHÈTE ISAÏE.
CHAPITRE XXII.
COMMENT IL FAUT ENTENDRE QUE LES BONS SORTIRONT POUR VOIR LE SUPPLICE DES MÉCHANTS.
CHAPITRE XXIII.
PROPHÉTIE DE DANIEL SUR LA PERSÉCUTION DE L'ANTECHRIST, SUR LE JUGEMENT DERNIER ET SUR LE RÈGNE DES SAINTS.
CHAPITRE XXIV.
PROPHÉTIES TIRÉES DES PSAUMES DE DAVID SUR LA FIN DU MONDE ET SUR LE DERNIER JUGEMENT DE DIEU.
CHAPITRE XXV.
PROPHÉTIE DE MALACHIE ANNONÇANT LE DERNIER JUGEMENT DE DIEU ET LA PURIFICATION DE QUELQUES-UNS PAR LES PEINES DU PURGATOIRE.
CHAPITRE XXVI.
DES SACRIFICES QUE LES SAINTS OFFRIRONT A DIEU, ET QUI LUI SERONT AGRÉABLES, COMME AUX ANCIENS JOURS, DANS LES PREMIÈRES ANNÉES DU MONDE.
CHAPITRE XXVII.
DE LA SÉPARATION DES BONS ET DES MÉCHANTS AU JOUR DU JUGEMENT DERNIER.
CHAPITRE XXVIII.
IL FAUT INTERPRÉTER SPIRITUELLEMENT LA LOI DE MOÏSE POUR PRÉVENIR LES MURMURES DAMNABLES DES AMES CHARNELLES.
CHAPITRE XXIX.
DE LA VENUE D'ÉLIE AVANT LE JUGEMENT, POUR DÉVOILER LE SENS CACHÉ DES ÉCRITURES ET CONVERTIR LES JUIFS A JÉSUS-CHRIST.
CHAPITRE XXX.
MALGRÉ L'OBSCURITÉ DE QUELQUES PASSAGES DE L'ANCIEN TESTAMENT, OU LA PERSONNE DU CHRIST NE PARAÎT PAS EN TOUTE ÉVIDENCE, IL FAUT, QUAND IL EST DIT QUE DIEU VIENDRA JUGER, ENTENDRE CELA DE JÉSUS-CHRIST.
CHAPITRE PREMIER.
ON NE TRAITERA PROPREMENT DANS CE LIVRE QUE DU JUGEMENT DERNIER, BIEN QUE DIEU JUGE EN TOUT TEMPS.
Ayant dessein présentement, avec la grâce de Dieu, de parler du jour du dernier jugement et d'en établir la certitude contre les impies et les incrédules, nous devons d'abord poser comme fondement de notre édifice les témoignages de l'Ecriture. Ceux qui n'y veulent point croire ne leur opposent que des raisonnements humains, pleins d'erreurs et de mensonges, tantôt soutenant que l'Ecriture doit s'entendre dans un autre sens , et tantôt qu'elle n'a point l'autorité de la parole divine. Pour ceux qui l'entendent en son vrai sens et qui croient qu'elle renferme la parole de Dieu, je ne doute point qu'ils n'y donnent leur assentiment, soit qu'ils le déclarent au grand jour, soit qu'ils rougissent ou qu'ils craignent, sous de vains scrupules, d'avouer leur foi, soit même que, par une opiniâtreté qui tient de la folie, ils s'obstinent à nier la vérité de choses qu'ils savent être vraies, la fausseté de choses qu'ils savent être fausses. Ainsi, ce que l'Eglise tout entière du vrai Dieu confesse et professe, à savoir que Jésus-Christ doit venir du ciel pour juger lés vivants et les morts, voilà ce que nous appelons le dernier jour du jugement de Dieu, c'est-à-dire le dernier temps. Car combien de jours durera le jugement suprême? cela est incertain; mais personne n'ignore, pour peu qu'il soit versé dans l'Ecriture sainte, que sa coutume est d'employer le mot jour pour celui de temps. Quand donc nous parlons du jour du jugement, nous ajoutons dernier ou suprême, parce que Dieu juge sans cesse et qu'il a jugé dès le commencement du genre humain, quand il a chassé du paradis et séparé de l'arbre de la vie les premiers hommes coupables. Bien plus, on peut dire qu'il a jugé, quand il a refusé son pardon 1 aux anges prévaricateurs, dont le
1. II Pierre, II, 4.
prince, vaincu par l'envie, trompa les hommes, après s'être trompé lui-même. Ce n'est pas non plus sans un juste et profond jugement de Dieu que les démons et les hommes mènent une vie si misérable et sujette à tant d'erreurs et de peines, les uns dans l'air, et les autres sur la terre. Mais quand personne n'aurait péché, ce serait encore par un jugement équitable de Dieu que toutes les créatures raisonnables demeureraient éternellement unies à leur Seigneur. Et il ne se contente pas de porter sur tous les démons et sur tous les hommes un jugement général, en ordonnant qu'ils soient misérables à cause du péché du premier ange et du premier homme; il juge encore en particulier les oeuvres que chacun d'eux accomplit en vertu de son libre arbitre. En effet, les démons le prient de ne point les tourmenter, et c'est avec justice qu'il les épargne ou les punit, selon qu'ils l'ont mérité. Lés hommes aussi sont punis de leurs fautes, le plus souvent d'une manière manifeste, et toujours du moins en secret 1, soit dans cette vie, soit après la mort, bien qu'aucun ne puisse faire le bien, s'il n'est aidé du ciel, ni faire le mal, si Dieu ne le permet par un jugement très-juste. Car, ainsi que le dit l'Apôtre: « Il n'y a point d'injustice en Dieu 2 »; et ailleurs : « Les jugements de Dieu sont impénétrables, et ses voies incompréhensibles 3 ». Mais nous ne parlerons dans ce livre ni des jugements que Dieu a rendus dès le principe, ni de ceux qu'il rend dans le présent, mais seulement du dernier jugement, alors que Jésus-Christ viendra du ciel juger les vivants et les morts. C'est bien là le jour suprême du jugement; car alors il n'y aura plus lieu à de vaines plaintes sur le bonheur du méchant ou sur le malheur du juste. Alors, en effet, la félicité véritable et éternelle des seuls justes, et le malheur irrévocable et mérité des seuls méchants seront également manifestes.
1. Matt, VIII, 29. - 2. Rom. X, 14. - 3. Ibid. XI, 33.
(449)
CHAPITRE II.
DU SPECTACLE DES CHOSES HUMAINES, OU L'ON NE PEUT NIER QUE LES JUGEMENTS DE DIEU NE SE FASSENT SENTIR, BIEN QU'ILS SE DÉROBENT SOUVENT A NOS REGARDS.
Nous apprenons ici-bas à souffrir patiemment les maux, parce que les bons même les souffrent, et à ne pas attacher un grand prix aux biens, parce que les méchants même y ont part. Ainsi nous trouvons un enseignement salutaire jusque dans les choses où les raisons de la conduite de Dieu nous sont cachées. Nous ignorons en effet par quel jugement de Dieu cet homme de bien est pauvre, et ce méchant opulent; pourquoi celui-ci vit dans la joie, lorsqu'il devrait être affligé en punition de ses crimes, tandis que celui-là qui devrait vivre dans la joie, à cause de sa conduite exemplaire, est toujours dans la peine. Nous ne savons pas pourquoi l'innocent n'obtient pas justice, pourquoi il est condamné, au contraire, et opprimé par un juge inique ou confondu par de faux témoignages, tandis que le coupable reste non-seulement impuni, mais encore insulte à l'innocent par son triomphe; pourquoi l'homme religieux est consumé par la langueur, tandis que l'impie est plein de santé. On voit des hommes jeunes et vigoureux vivre de rapines, et d'autres, incapables de nuire, même par un mot, être accablés de maladies et de douleurs. Ceux dont la vie pourrait être utile aux hommes sont emportés par une mort prématurée, et d'autres, qui ne méritaient pas de voir le jour, vivent plus longtemps que personne. Des infâmes, coupables de tous les crimes, parviennent au faîte des grandeurs, et l'homme sans reproche vit caché dans la plus humble obscurité!
Encore si ces contradictions étaient ordinaires dans la vie, où, comme dit le Psalmiste::
« L'homme n'est que vanité et ses jours passent comme l'ombre 1 »; si les méchants possédaient seuls les biens temporels et terrestres, tandis que les bons souffriraient seuls tous les maux, on pourrait attribuer cette disposition à un juste jugement de Dieu, et même à un jugement bienveillant: on pourrait croire qu'il veut que les hommes qui n'obtiendront pas les biens éternels soient trompés ou consolés par les temporels, qui les
1. Ps. CXLIII, 4.
rendent heureux, et que ceux auxquels ne sont point réservées les peines éternelles, endurent quelques afflictions passagères en punition de fautes légères ou pour s'exercer à la vertu. Mais la plupart du temps, les méchants ont aussi leurs maux, et les bons leurs joies; ce qui rend les jugements de Dieu plus impénétrables et ses voies plus incompréhensibles. Et cependant, bien que nous ignorions par quel jugement Dieu fait ou permet ces choses, lui qui est la vertu, la sagesse et la justice suprêmes, lui qui n'a ni faiblesse, ni témérité, ni injustice, il nous est avantageux en définitive d'apprendre à ne pas estimer beaucoup des biens et des maux communs aux bons et aux méchants, pour ne chercher que des biens qui n'appartiennent qu'aux bons et pour fuir des maux quine sont propres qu'aux méchants. Lorsque nous serons arrivés à ce jugement suprême de Dieu, dont le temps s'appelle proprement le jour du jugement, et quelquefois le jour du Seigneur, alors nous reconnaîtrons la justice des jugements de Dieu, non-seulement de ceux qu'il rend maintenant, mais aussi des jugements qu'il a rendus dès le principe, et de ceux qu'il rendra jusqu'à ce moment. Alors on verra clairement la justice de Dieu, que la faiblesse de notre raison nous empêche de voir dans un grand nombre et presque dans le nombre entier de ses jugements, quoique d'ailleurs les âmes pieuses aient toute confiance en sa justice mystérieuse.
CHAPITRE III.
DU SENTIMENT DE SALOMON, DANS LE LIVRE DE L'ECCLÉSIASTE, SUR LES CHOSES QUI SONT COMMUNES AUX BONS ET AUX MÉCHANTS.
Salomon, le plus sage roi d'Israël, qui régna à Jérusalem, commence ainsi l'Ecclésiaste,
que les Juifs, comme nous, reconnaissent pour canonique : « Vanité des hommes de vanité, a dit l'Ecclésiaste, vanité des hommes de vanité 1, et tout est vanité! Que revient-il à l'homme de tout ce travail qu'il accomplit sous le soleil 2 ? » Puis, rattachant à cette
pensée le tableau des misères humaines, il rappelle les erreurs et les tribulations de cette
vie, et démontre qu'il n'y a rien de stable ni
1. Saint Augustin avait d'abord admis la leçon de quelques manuscrits qui portent : Vanitas vanitantium! Plus tard, dans ses Rétractations (lib. I, cap. 7, n. 3), il s'est prononcé pour la leçon aujourd'hui consacrée Vanitas vanitatum !
2. Ecclé. 1, 2, 3.
(450)
de solide ici-bas. Au milieu de cette vanité des choses de la terre, il déplore surtout que, la sagesse ayant autant d'avantage sur la folie que la lumière sur les ténèbres, et le sage étant aussi éclairé que le fou est aveugle, tous néanmoins aient un même sort dans ce monde i, par où il veut dire sans doute que les maux sont communs aux bons et aux méchants. Il ajoute que les bons souffrent comme s'ils étaient méchants, et que les méchants jouissent des biens comme s'ils étaient bons. Et il parle ainsi: « Il y a encore une vanité sur la terre: on y voit des justes à qui le mal arrive comme à des impies, et des impies qui sont traités comme des justes. J'appelle aussi cela une vanité 2 ». Cet homme si sage consacre presque tout son livre à relever ces sortes de vanités, sans doute pour nous porter à désirer cette vie où il n'y a point de vanité sous le soleil, mais où brille la vérité sous celui qui a fait le soleil. Comment donc l'homme se laisserait-il séduire par ces vanités, sans un juste jugement de Dieu? Et toutefois, tandis qu'il y est sujet, ce n'est pas une chose vaine que de savoir s'il résiste ou s'il obéit à la vérité, s'il est vraiment religieux ou s'il ne l'est pas; cela importe beaucoup au contraire, non pour acquérir les biens de cette vie ou pour en éviter les maux, mais en vue du jugement dernier, où les biens seront donnés aux bons et les maux aux méchants pour l'éternité. Enfin le sage Salomon termine ainsi ce livre : « Craignez Dieu, et observez ses commandements, parce que là est tout l'homme. Car Dieu jugera toute oeuvre, celle même du plus méprisable, bonne ou mauvaise 3 ». Que dire de plus court, de plus vrai, de plus salutaire? « Craignez Dieu, dit-il, et observez ses commandements; car là est tout l'homme ». En effet, tout homme n'est que le gardien fidèle des commandements de Dieu ; celui qui n'est point cela n'est rien ; car il n'est point formé à l'image de la vérité, tant qu'il demeure semblable à la vanité. Salomon ajoute: « Car Dieu jugera toute oeuvre, c'est-à-dire tout ce qui se fait en cette vie, celle même du plus méprisable », entendez: de celui qui paraît le plus méprisable et auquel les hommes ne font aucune attention ; mais Dieu voit chaque action de l'homme, il n'en méprise aucune, et quand il juge, rien n'est oublié.
1. Ecclé. II, 13, 14,- 2. Ibid. VIII, 14. - 3. Ibid. XII, 13, 14.
CHAPITRE IV.
IL CONVIENT, POUR TRAITER DU JUGEMENT DERNIER, DE PRODUIRE D'ABORD LES PASSAGES DU NOUVEAU TESTAMENT, PUIS CEUX DE L'ANCIEN.
Les preuves du dernier jugement de Dieu que nous voulons tirer de l'Ecriture sainte, nous les puiserons d'abord dans le Nouveau Testament, ensuite dans 1'Ancien. Bien que l'Ancien soit le premier dans l'ordre des temps, le Nouveau néanmoins a plus d'autorité, parce que le premier n'a servi qu'à annoncer l'autre. Nous commencerons donc par les témoignages tirés du Nouveau Testament, et pour leur donner plus de poids, nous les confirmerons par ceux de l'Ancien. L'Ancien comprend la loi et les Prophètes; le Nouveau, l'Evangile et les Epîtres des Apôtres. Or, l'Apôtre dit: « La loi n'a servi qu'à faire connaître le péché, au lieu que maintenant la justice de Dieu nous est révélée sans la loi, quoique attestée par la loi et les Prophètes. La justice de Dieu est manifestée par la foi en Jésus-Christ à tous ceux qui croient en lui 1 »Cette justice de Dieu appartient au Nouveau Testament et est confirmée par l'Ancien, c'est-à-dire par la loi et les Prophètes. Je dois donc exposer d'abord le point de la Cause pour produire ensuite les témoins. C'est Jésus-Christ lui-même qui nous apprend à observer cet ordre, lorsqu'il dit : « Un docteur bien instruit dans le royaume de Dieu est semblable à un père de famille qui tire de son trésor de nouvelles et de vieilles choses 2 ». Il ne dit pas de vieilles et de nouvelles choses, ce qu'il n'aurait certainement pas manqué de faire, s'il n'avait eu plus d'égard au prix des choses qu'au temps.
CHAPITRE V.
PAROLES DU DIVIN SAUVEUR QUI ANNONCENT QU'IL Y AURA UN JUGEMENT DE DIEU A LA FIN DES TEMPS.
Le Sauveur lui-même, reprochant leur incrédulité à quelques villes où il avait fait de
grands miracles, et leur en préférant d'autres qu'il n'avait point visitées : « Je vous déclare, disait-il, qu'au jour du jugement, Tyr et Sidon seront traitées moins rigoureusement que vous 3 ». Et quelque temps après, s'adressant à une autre ville: « Je t'assure, dit-il,
1. Rom. III, 20-2 2. - 2. Matt. XIII, 52. - Matt. XI, 22, 24.
(451)
qu'au jour du jugement, Sodome sera traitée moins rigoureusement que toi ». Il montre clairement par là que le jour du jugement doit arriver. Il dit encore ailleurs : « Les Ninivites s'élèveront, au jour du jugement, contre ce peuple et le condamneront, parce qu'ils ont fait pénitence à la prédication de Jonas, et qu'ici il y a plus que Jonas. La reine du Midi s'élèvera, au jour du jugement, contre ce peuple et le condamnera, parce qu'elle est venue des extrémités de la terre pour entendre la sagesse de Salomon, et qu'il y a ici plus que Salomon». Ce passage nous apprend deux vérités : la première, que le jour du jugement viendra ; la seconde, que les morts ressusciteront en ce jour. Car en parlant des Ninivites et de la reine du Midi, Jésus parlait certainement d'hommes qui n'étaient plus, et il dit pourtant qu'ils revivront au jour du jugement. Et lorsqu'il dit qu'ils condamneront , ce n'est point qu'ils doivent juger eux-mêmes, mais c'est qu'en comparaison d'eux, les autres mériteront d'être condamnés.
Ailleurs, à propos du mélange des bons et des méchants en ce monde et de leur séparation au jour du jugement, il se sert de la parabole d'un champ semé de bon grain, où l'on répand de l'ivraie, et l'expliquant à ses disciples: « Celui qui sème le bon grain, dit-il, est le Fils de l'homme; le champ, c'est le monde; le bon grain, ce sont les enfants du royaume, et l'ivraie les enfants du diable; l'ennemi qui l'a semée , c'est le diable ; la moisson, c'est la fin du monde; les moissonneurs, ce sont les auges. Comme on amasse et comme on brûle l'ivraie, ainsi il sera fait à la fin du monde. Le Fils de l'homme enverra ses anges, et ils enlèveront de son royaume tous les scandales et tous ceux qui commettent l'iniquité, et ils les jetteront dans la fournaise ardente. Là il y aura des pleurs et des grincements de dents. Alors les justes brilleront comme le soleil dans le royaume de leur père. Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende 2 ». Il est vrai qu'il ne nomme pas ici le jour du jugement; mais il l'exprime bien plus clairement par les choses mêmes, et prédit qu'il arrivera à la fin du monde.
Il parle de même à ses disciples: « Je vous dis, en vérité, que vous qui m'avez suivi,
1. Matt. XII, 41, 42. - 2. Matt. XIII, 37-43.
lorsqu'au temps de la régénération le Fils de l'homme sera assis sur le trône de sa gloire, vous serez assis, vous également, sur douze trônes, et vous jugerez les douze tribus d'Israël 1 ». Ceci nous apprend que Jésus jugera avec ses disciples; d'où vient qu'ailleurs il dit aux Juifs : « Si c'est au nom de Belzébuth que je chasse les démons, au nom de qui vos enfants les chassent-ils? C'est pourquoi ils seront eux-mêmes vos juges ». Il ne faut point croire, parce que Jésus a parlé de douze trônes, qu'il ne jugera qu'avec douze disciples. Le nombre douze doit s'entendre comme exprimant la multitude de ceux qui jugeront avec lui, à cause du nombre sept qui marque d'ordinaire une grande multitude, et dont les deux parties, trois et quatre, multipliées l'une par l'autre, donnent douze. En effet, quatre fois trois et trois fois quatre font douze ; sans parler des autres raisons qui expliquent le choix de ce nombre. Autrement, comme l'apôtre Mathias a été mis à la place du traître Judas 2, il s'ensuivrait que l'apôtre saint Paul, qui a plus travaillé qu'eux tous 3, n'aurait point de trône pour juger. Or, il témoigne assez lui-même qu'il sera du nombre des juges, quand il dit: « Ne savez-vous pas que nous jugerons les anges 4 ? » Il faut entendre dans le même sens le nombre douze appliqué à ceux qui seront jugés. Car bien qu'il ne soit question que des douze tribus d'Israël, il ne s'ensuit pas que Dieu ne jugera pas la tribu de Lévi, qui est la treizième, ni qu'il jugera le peuple d'Israël seul, et non les autres nations. Quant à la régénération dont il s'agit, nul doute qu'elle ne doive s'entendre de la résurrection des morts. Notre chair, en effet, sera régénérée par la foi.
Je laisse de côté beaucoup d'autres passages qui semblent faire allusion au dernier jugement, mais qui, considérés de près, se trouvent ambigus ou relatifs à un autre sujet, par exemple à cet avénement du Sauveur qui se fait tous les jours dans son Eglise (c'est-à-dire dans ses membres, où il se manifeste partiellement et peu à peu, parce que l'Eglise entière est son corps), ou bien à la destruction de la Jérusalem terrestre, dont il est parlé comme s'il s'agissait de la fin du monde et du jour de ce grand et dernier jugement. Ainsi on ne saurait entendre clairement ces
1. Matt. XIX, 28. - 2. Act. I, 26. - 3. I Cor. XV, 10. - 4. I Cor. VI, 3.
(452)
passages, à moins de comparer ensemble ce qu'en disent les trois évangélistes, saint Matthieu, saint Marc et saint Luc. Tous trois, en effet, s'éclaircissent l'un l'autre, si bien que l'on voit mieux ce qui se rapporte à un même objet. C'est aussi ce que je me suis proposé dans une lettre que j'ai écrite à Hésychius d'heureuse mémoire, évêque de Salone, lettre que j'ai intitulée: De la fin du siècle 1.
J'arrive maintenant à ce passage de l'Evangile selon saint Matthieu, où il est parlé de la séparation des bons et des méchants par un jugement dernier et manifeste de Jésus-Christ: « Quand le Fils de l'homme, dit-il, viendra dans sa majesté, accompagné de tous ses anges, il s'asseoira sur son trône, et tous les peuples de la terre seront assemblés en sa présence, et il les séparera les uns des autres, commue un berger sépare les brebis des boucs, et il mettra les brebis à sa droite et les boucs à sa gauche. Alors le roi dira à ceux qui seront à sa droite: Venez, vous que mon père a bénis, et prenez possession du royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde. Car j'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger; j'ai eu soif, et vous m'avez donné à boire ; j'ai eu besoin d'abri, et vous m'avez donné l'hospitalité; j'étais nu, et vous m'avez vêtu ; j'étais malade, et vous m'avez soulagé; j'étais prisonnier, et vous m'êtes venu voir. Alors les justes répondront et lui diront: Seigneur, quand vous avons-nous vu avoir faim et vous avons-nous donné à manger, ou avoir soif et vous avons-nous donné à boire? quand vous avons-nous vu sans abri et vous avons-nous donné l'hospitalité, ou sans vêtement et vous avons-nous vêtu? quand vous avons-nous vu malade et en prison, et sommes-nous venu vers vous? Et le roi leur répondra: Je vous le dis, en vérité, toutes les fois que vous avez rendu un tel secours aux moindres de mes frères, c'est à moi que vous l'avez rendu. Il dira ensuite à ceux qui seront à sa gauche : Retirez-vous de moi, maudits, et allez au feu éternel, qui a été préparé pour le diable et pour ses anges ». Il leur reproche ensuite de n'avoir point fait pour lui les mêmes choses dont il a loué ceux qui étaient à sa droite; et comme ils lui demandent: Quand donc vous avons-nous vu en avoir besoin ? il leur répond de même que
1. Voyez les lettres de saint Augustin, Epist. CXCIX.
tous les secours qu'ils ont refusés aux moindres de ses frères, c'est à lui qu'ils les ont refusés. Puis il conclut ainsi : « Et ceux-là iront au « supplice éternel, et les justes à la vie éternelle 1 ». Saint Jean l'évangéliste dit clairement que Jésus a fixé l'époque du jugement à l'heure où les morts ressusciteront. Après avoir dit que le Père ne juge personne, mais qu'il a donné au Fils tout pouvoir de juger, afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père; parce que celui qui n'honore pas le Fils n'honore pas le Père qui l'a envoyé, il ajoute aussitôt: « En vérité, en vérité, je vous dis que celui qui entend ma parole, et qui croit en celui qui m'a envoyé, possède la vie éternelle et ne viendra point en jugement, mais qu'il passera de la mort à la vie 2 ». Il nous assure par ces paroles que les fidèles ne viendront point en jugement. Comment donc seront-ils séparés des méchants par le jugement et mis à sa droite, à moins qu'on ne prenne ici le jugement pour la condamnation? Il est certain, en effet, que ceux qui entendent sa parole, et qui croient en celui qui l'a envoyé, ne seront pas condamnés.
CHAPITRE VI.
DE LA PREMIÉRE RÉSURRECTION ET DE LA SECONDE.
Il poursuit en ces termes: « En vérité, en vérité, je vous dis que le temps vient, et qu'il est déjà venu, que les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et que ceux qui l'entendront vivront; car, comme le Père a la vie en lui-même, il a aussi donné au Fils d'avoir la vie en lui-même 3 ». Il ne parle pas encore de la seconde résurrection, c'est-à-dire de celle des corps, qui doit arriver à la fin du monde, mais de la première, qui se fait maintenant. C'est pour distinguer celle-ci de l'autre qu'il dit: « Le temps vient, et il est déjà venu ». Or, cette résurrection ne regarde pas les corps, mais les âmes. Les âmes ont aussi leur mort, qui consiste dans l'impiété et dans le crime; et c'est de celle-là que sont morts ceux dont le Seigneur a dit: « Laissez les morts « ensevelir leurs morts 4 », c'est-à-dire laissez ceux qui sont morts de la mort de l'âme ensevelir ceux qui sont morts de la mort du corps. il dit donc de ces morts que l'impiété et le crime ont fait mourir dans l'âme: « Le temps
1. Matt. XXV, 31-46. - 2. Jean, V, 22-21. - 3. Jean, V, 25, 26. - 4. Matt. VIII, 22.
(453)
« vient, et il est déjà venu, que les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l'entendront vivront ». Ceux, dit-il, qui l'entendront, c'est-à-dire qui lui obéiront, qui croiront en lui et qui persévéreront jusqu'à la fin. Il ne fait ici aucune différence entre les bons et les méchants, parce qu'il est avantageux à tous d'entendre sa voix et de vivre, en passant de la mort de l'impiété à la vie de la grâce. C'est de cette mort que saint Paul dit: «Donc tous sont morts, et un seul est mort pour tous, afin que ceux qui vivent ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour celui qui est mort et ressuscité à cause d'eux 1 ». Ainsi, tous sans exception sont morts par le péché, soit par le péché originel, soit par les péchés actuels qu'ils y ont ajoutés, par ignorance ou par malice, et un seul vivant, c'est-à-dire exempt de tout péché, est mort pour tous ces morts, afin que ceux qui vivent parce que leurs péchés leur ont été remis, ne vivent plus pour eux-mêmes, muais pour celui qui est mort pour tous à cause de nos péchés et qui est ressuscité pour notre justification, afin que, croyant en celui qui justifie l'impie et étant justifiés de notre impiété comme des morts qui ressuscitent, nous puissions appartenir à la première résurrection qui se fait maintenant. A celle-là n'appartiennent que ceux qui seront éternellement heureux, au lieu que l'Apôtre nous apprend que les bons et les méchants appartiendront à la seconde, dont il va parler tout à l'heure. Celle-ci est de miséricorde, et celle-là de justice; ce qui fait dire au Psalmiste : « Seigneur, je chanterai votre miséricorde et votre jugement 2 ».
C'est de ce jugement que saint Jean parle ensuite, quand il dit: « Et il lui a donné le pouvoir de juger, parce qu'il est le Fils de l'homme ». Il montre par là qu'il viendra juger, revêtu de la même chair dans laquelle il était venu pour être jugé. Et il dit pour cette
raison: « Parce qu'il est le Fils de l'homme ». Puis, parlant de ce dont nous traitons: « Ne vous étonnez pas de cela, dit-il, car le temps viendra que tous ceux qui sont dans les sépulcres entendront la voix du Fils de l'homme; et ceux qui auront bien vécu sortiront pour ressusciter à la vie, comme les autres pour ressusciter au jugement. 3 » Voilà ce jugement dont il a parlé auparavant, pour désigner la condamnation, en ces termes:
1. II Cor. V, 14, 15, - 2. Ps. C, 1. - 3. Jean, V, 27-29.
« Celui qui entend ma parole et qui croit en « celui qui m'a envoyé, possède la vie éternelle, et ne viendra point en jugement, mais « il est déjà passé de la mort à la vie 1 ». Ce qui signifie qu'appartenant à la première résurrection, par laquelle on passe maintenant de la mort à la vie, il ne tombera point dans la damnation qu'il identifie avec le jugement, quand il dit: « Comme les autres pour ressusciter au jugement », c'est-à-dire pour être condamnés. Que celui donc qui ne veut pas être condamné à la seconde résurrection ressuscite à la première; car: « Le temps vient, et il est déjà venu, que les morts entendront la voix du Fils de Dieu; et ceux qui l'entendront vivront ». En d'autres termes, ils ne tomberont point dans la damnation que l'Ecriture appelle la seconde mort et où seront précipités, après la seconde résurrection, qui est celle des corps, ceux qui n'auront pas ressuscité à la première, qui est celle des âmes. Il poursuit ainsi: « Le temps viendra » ; (et il n'ajoute pas: « et il est déjà venu », parce que celui-là ne viendra qu'à la fin du monde, au grand et dernier jugement de Dieu). - « Le temps, dit-il, viendra que tous ceux qui sont dans les sépulcres entendront sa voix et sortiront ». Il ne dit pas, comme lorsqu'il parle de la première résurrection, que ceux qui « l'entendront vivront ». En effet, tous ceux qui l'entendront ne vivront pas, au moins de la vie qui seule mérite ce nom, parce qu'elle est bienheureuse. S'ils n'avaient quelque sorte de vie, ils ne pourraient pas l'entendre, ni sortir de leur tombeau, lorsque leur corps ressuscitera. Or, il nous apprend ensuite pourquoi tous ne vivront pas : « Ceux, dit-il, qui ont bien vécu sortiront pour ressusciter à la vie », voilà ceux qui vivront; « et les autres pour ressusciter au jugement », voilà ceux qui ne vivront pas, parce qu'ils mourront de la seconde mort. S'ils ont mal vécu, c'est qu'ils ne sont pas ressuscités à la première résurrection qui se fait maintenant, c'est-à-dire à celle des âmes, ou parce qu'ils n'y ont pas persévéré jusqu'à la fin. De même qu'il y a deux générations, dont j'ai déjà parlé ci-dessus, l'une selon la foi, qui se fait maintenant par le baptême, et l'autre selon la chair, qui se fera au dernier jugement, quand -la chair deviendra immortelle et incorruptible, de même il y a deux résurrections. La première, qui est celle
1. Jean, V, 24,
(454)
des âmes, se fait présentement; elle empêche de tomber dans la seconde mort. L'autre ne se fera qu'à la fin du monde; elle ne regarde pas les âmes, mais les corps, qu'elle enverra, par suite du jugement dernier, les uns dans la seconde mort, et les autres dans cette vie où il n'y a point de mort.
CHAPITRE VII.
CE QU'IL FAUT ENTENDRE RAISONNABLEMENT PAR LES DEUX RÉSURRECTIONS ET PAR LE RÈGNE DE MILLE ANS DONT SAINT JEAN PARLE DANS SON APOCALYPSE.
Le même évangéliste parle de ces deux résurrections dans son Apocalypse, mais de telle sorte que quelques-uns des nôtres, n'ayant pas compris la première, ont donné dans des visions ridicules. Voici ce que dit l'apôtre saint Jean: « Je vis descendre du ciel un ange qui avait la clef de l'abîme, et une chaîne en sa main: et il prit le dragon, cet ancien serpent qu'on appelle le diable et Satan, et le lia pour mille ans. Puis l'ayant précipité dans l'abîme, il ferma l'abîme et le scella sur lui, afin qu'il ne séduisît plus les nations, jusqu'à ce que les mille ans fussent accomplis; après quoi il doit être lié pour un peu de temps. Je vis aussi des trônes et des personnes assises dessus, à qui la puissance de juger fut donnée; avec elles, les âmes de ceux qui ont été égorgés pour les témoignages qu'ils ont rendus à Jésus et pour la parole de Dieu, et tous ceux qui n'ont point adoré la bête ni son image, ni reçu son caractère sur le front ou dans leur main; et ils ont régné pendant mille ans avec Jésus. Les autres n'ont point vécu jusqu'à ce que mille ans soient accomplis. Voilà la première résurrection. Heureux et saint est celui qui y a part! La seconde mort n'aura point de pouvoir sur eux, mais ils seront prêtres de Dieu et de Jésus-Christ, et ils régneront mille ans avec lui ». Ceux à qui ces paroles ont donné lieu de croire que la première résurrection sera corporelle, ont surtout adopté cette opinion à cause du nombre de mille ans, dans la pensée que tout ce temps doit être comme le sabbat des saints, où ils se reposeront après les travaux de six mille ans qui seront écoulés depuis que l'homme a été créé et précipité de la félicité du paradis dans les misères de la vie mortelle, afin que, suivant
1. Apoc. XX, 1-5
cette parole: « Devant Dieu un jour est comme mille ans et mille ans comme un jour 1 »,six mille ans s'étant écoulés comme six jours, le septième, c'est-à-dire les derniers mille ans, tienne lieu de sabbat aux saints qui ressusciteront pour le solenniser. Tout cela serait jusqu'à un certain point admissible, si l'on croyait que durant ce sabbat les saints jouiront de quelques délices spirituelles, à cause de la présence du Sauveur, et j'ai moi-même autrefois été de ce sentiment 2. Mais comme ceux qui l'adoptent disent que les saints seront dans des festins continuels, il n'y a que des âmes charnelles qui puissent être de leur avis.
Aussi les spirituels leur ont-ils donné le nom de chiliastes 3, d'un mot grec qui peut se traduire littéralement par millénaires 4. Il serait trop long de les réfuter en détail; j'aime mieux montrer comme on doit entendre ces paroles de l'Apocalypse.
Notre-Seigneur Jésus-Christ a dit lui-même: « Personne ne peut entrer dans la maison du fort et lui enlever ses biens qu'il ne l'ait lié auparavant 5 ». Par le fort, il entend le diable, parce qu'il s'est assujéti le genre humain, et par ses biens, les fidèles qu'il tenait engagés dans l'impiété et dans le crime. C'était donc pour lier ce fort que saint Jean, selon l'Apocalypse, vit un ange descendre du ciel, qui tenait la clef de l'abîme et la chaîne. Et il prit, dit-il, le dragon, cet ancien serpent, que l'on nomme le diable et Satan, et il le lia pour mille ans; c'est-à-dire qu'il l'empêcha de séduire et de s'assujétir ceux qui devaient être délivrés. Pour les mille ans, on peut les entendre de deux manières: ou bien parce que ces choses se passent dans les derniers mille ans, c'est-à-dire au sixième millénaire, dont les dernières années s'écoulent présentement pour être suivies du sabbat qui n'a point de soir, c'est-à-dire du repos des saints qui ne finira jamais, de sorte que l'Ecriture appelle ici mille ans la dernière partie de ce temps, en prenant la partie pour le tout; - ou bien elle se sert de ce nombre pour toute la durée du monde, employant ainsi un nombre parfait pour marquer la plénitude du temps. Le nombre de mille est le cube de dix, dix fois dix faisant cent; mais c'est là une figure plane, et pour
1. II Pierre, III, 8.
2. Voyez les sermons de saint Augustin, Serm. CCLIX.
3. Kiliastas.
4. C'est aussi le nom que leur donne saint Jérôme.
5. Marc, III, 27.
(455)
la rendre solide, il faut multiplier cent par dix et cela fait mille. D'ailleurs, si I'Ecriture se sert de cent pour un nombre indéfini, comme lorsque Notre-Seigneur promet à celui qui quittera tout pour le suivre: « qu'il recevra le centuple dès cette vie 1 », ce que l'Apôtre exprime en disant qu'un véritable chrétien possède toutes choses, bien qu'il semble qu'il n'ait rien 2, selon cette parole encore: « Le monde est le trésor du fidèle 3 » combien plus le nombre de mille ans doit-il signifier l'universalité t Aussi est--ce le meilleur sens qu'on puisse donner à ces paroles du psaume : « Il s'est toujours souvenu de son « alliance et de la promesse qu'il a faite pour mille générations 4 » ; c'est-à-dire pour toutes les générations.
Saint Jean poursuit : « Et il le précipita dans l'abîme » ; par cet abîme est marquée la multitude innombrable des impies, dont le coeur est un gouffre de malignité contre l'Eglise de Dieu; non que le diable n'y fût déjà auparavant, mais parce qu'étant exclu de la Société des fidèles, il a commencé à posséder davantage les autres. Celui-là est plus possédé du diable, qui non-seulement est éloigné de Dieu, mais qui hait même les serviteurs de Dieu sans raison. « Et il le ferma, dit-il, et le scella sur lui, afin qu'il ne séduisît plus les nations jusqu'à ce que mille ans fussent accomplis ». Il le ferma sur lui, c'est-à-dire il lui défendit d'en sortir. Ce qu'ajoute saint Jean, qu'il le scella, signifie, selon moi, que Dieu ne veut pas qu'on sache quels sont ceux qui appartiennent au démon ou ceux qui ne lui appartiennent pas, et c'est une chose tout à fait incertaine en cette vie, parce qu'il est incertain si celui qui semble être debout ne tombera point, et si celui qui semble être tombé ne se relèvera point. Or, le diable est ainsi lié et enfermé pour être incapable de séduire les nations qui appartiennent à Jésus-Christ et qu'il séduisait auparavant. « Dieu », comme dit l'Apôtre, « a résolu, avant la naissance du monde, de les délivrer de la puissance des ténèbres 5 et de les faire passer dans le royaume du Fils de son amour 6 ». Les fidèles ignorent-ils que maintenant même le démon séduit les nations et les entraîne avec lui au supplice éternel ? mais ce ne sont pas celles qui sont prédestinées à la vie bienheureuse.
1. Matt. XIX, 29; Marc, X, 30. - 2. II Cor. VI, 10. - 3. Prov. XVII, 7 suiv. LXX, - 4. Ps. CIV, 8.- 5. Éph. 1, 4. - 6. Colosa. I, 13.
Il ne faut pas s'arrêter à-ce que le diable séduit souvent ceux mêmes qui, régénérés en Jésus-Christ , marchent dans les voies de Dieu ; car « le Seigneur connaît ceux qui sont à lui 1 » ; et de ceux-là, Satan n'en séduit aucun jusqu'à le faire tomber dans la dam nation éternelle. Le Seigneur les connaît comme Dieu, c'est-à-dire comme celui à qui rien de ce qui doit arriver n'est caché, et non comme un homme, qui ne voit un autre homme que quand il est présent, si toutefois on peut dire qu'il voit celui dont il ne voit pas le coeur, et dont il ne sait pas ce qu'il doit devenir ensuite, non plus que lui-même. Le diable est donc lié et enfermé dans l'abîme, afin qu'il ne séduise pas les nations qui composent l'Eglise et qu'il séduisait auparavant, lorsque l'Eglise n'était pas encore. Il n'était pas dit, en effet, « afin qu'il ne séduisît plus personne », mais : « afin qu'il ne séduisît plus les nations », par lesquelles l'Apôtre a voulu sans doute qu'on entendît l'Eglise. - « Jusqu'à ce que mille ans fussent accomplis », c'est-à-dire ce qui reste du sixième jour qui est de mille ans, ou bien ce qui reste de la durée du monde.
Et ces mots : « Afin qu'il ne séduisît plus les nations, jusqu'à ce que mille ans fussent accomplis » , il ne faut pas les entendre comme s'il devait plus tard séduire les nations qui composent. l'Eglise des prédestinés. Car ou bien cette expression est semblable à celle-ci: « Nos yeux sont arrêtés sur le Seigneur « notre Dieu, jusqu'à ce qu'il ait pitié de nous 2 »; où il est clair que, lorsque Dieu aura pris pitié de ses serviteurs, ils ne laisseront pas de jeter les yeux sur lui ; ou bien voici l'ordre de ces paroles: « Et il ferma l'abîme et il le scella sur lui, jusqu'à ce que mille ans fussent accomplis », de sorte que ce qu'il ajoute: « afin qu'il ne séduisît plus les nations », doit s'entendre, indépendamment du reste, comme si toute période était conçue ainsi : « Et il ferma l'abîme, et il le scella sur lui, jusqu'à ce que mille ans fussent accomplis, afin qu'il ne séduisît plus les nations ». En d'autres termes, c'est afin qu'il cesse de séduire les nations que l'abîme est fermé jusqu'à la révolution de mille ans.
1. II Tim. II, 19. - 2. Ps. CXXII, 2.
(456)
CHAPITRE VIII.
DU DIABLE ENCHAÎNÉ ET DÉLIÉ DE SES CHAÎNES.
« Après cela », dit saint Jean, « il doit être délié pour un peu de temps 1 ». Si le diable est lié et enfermé, afin qu'il ne puisse pas séduire l'Eglise, sa délivrance consistera-telle à le pouvoir ? A Dieu ne plaise ! Il ne séduira jamais l'Eglise prédestinée et élue avant la création du monde, dont il est dit que « Le Seigneur connaît ceux qui sont à lui 2 ». Cependant il y aura ici-bas une Eglise, au temps que le diable doit être délié, comme il y en a toujours eu une depuis Jésus-Christ. Saint Jean dit un peu après, que le diable, une fois délié, portera les nations qu'il aura séduites dans le monde entier, à faire la guerre à l'Eglise, et que le nombre de ses ennemis égalera les sables de la mer : «Et ils se répandirent, dit-il, sur la terre, et ils environnèrent le camp des saints et la Cité bien-aimée de Dieu. Mais Dieu fit tomber un feu du ciel qui les dévora ; et le diable, qui les séduisait, fut jeté dans un étang de feu et de soufre avec la bête et le faux prophète, pour y être tourmentés jours et nuit dans les siècles des siècles 3 ». Ce passage regarde le dernier jugement, et néanmoins j'ai été bien aise de le rapporter, de peur qu'on ne s'imagine que, dans le peu de temps que le diable doit être délié, il n'y aura point d'Eglise en ce monde, soit qu'il ne l'y trouve plus, soit qu'il la détruise par ses persécutions. Le diable n'a donc pas été lié dans tout ce temps que comprend l'Apocalypse, savoir: depuis le premier avénement de Jésus-Christ jusqu'à la fin du monde où se fera le second. Et c'est ce que saint Jean appelle mille ans, en sorte que l'Ecriture entend par là que le diable ne séduira pas 1'Eglise pendant cet intervalle, puisqu'il ne la séduira pas non plus lorsqu'il sera délié. En effet, il est indubitable que si c'est être lié pour lui que de pouvoir séduire l'Eglise, il le pourra faire quand il sera délié. Etre lié par rapport au diable, c'est donc n'avoir pas permission de tenter les hommes autant qu'il peut, par adresse ou par violence, pour les faire passer à son parti. Si cela lui était permis pendant un si long espace de temps, la faiblesse des hommes est telle qu'il ferait tomber un grand nombre de fidèles et qu'il empêche. rait beaucoup d'hommes de le devenir, ce
1. Apoc. XX, 3, - 2. II Tim, II, 19. - 3. Apoc. XX, 8-10.
que Dieu ne veut pas. Aussi est-ce pour l'en empêcher qu'il l'a lié.
Mais il sera délié quand il ne restera que peu de temps. L'Ecriture nous apprend que le démon et ses complices tourneront toute leur rage contre l'Eglise pendant trois ans et demi ; et ceux à qui il aura affaire seront tels qu'il ne les pourra surmonter ni par force, ni par artifice. Or, s'il n'était jamais délié, on ne connaîtrait pas si bien sa puissance et sa malignité, ni la patience de la cité sainte, non plus que la sagesse admirable avec laquelle le Tout-Puissant a su se servir de la malice du diable, soit en ne l'empêchant pas de séduire les saints, afin d'exercer leur vertu, soit en ne lui permettant pas d'user de toute sa fureur, de peur qu'il ne triomphât d'une infinité d'hommes faibles qui devaient grossir les rangs de l'Eglise. Il sera donc délié sur la fin des temps, afin que la Cité de Dieu reconnaisse, à la gloire de son Rédempteur et de son Libérateur, quel adversaire elle aura surmonté. Que sommes-nous en comparaison des chrétiens qui seront alors, puisqu'ils surmonteront un ennemi déchaîné, que nous avons bien de la peine à combattre, tout lié qu'il est? Néanmoins, il n'y a point de doute que pendant cet intervalle même, Dieu n'ait eu et n'ait encore des soldats si braves et si expérimentés que , fussent-ils vivants quand le diable sera délié, ils ne craindraient ni ses efforts, ni ses ruses.
Or, le diable n'a pas seulement été lié lorsque l'Eglise a commencé de se répandre de la Judée parmi les nations; mais il l'est encore maintenant et le sera jusqu'à la fin des siècles, où il doit être délié. Nous voyons encore tous les jours des personnes quitter leur infidélité dans laquelle le démon les retenait, et embrasser la foi; et il y en aura toujours sans doute qui se convertiront jusqu'à la fin du monde. Le fort est lié de même à l'égard de chacun des fidèles, lorsqu'ils lui sont enlevés comme sa proie; comme, d'autre part, l'abîme où il a été enfermé n'a pas été détruit par la mort des premiers persécuteurs de l'Eglise; mais à ceux-là d'autres ont succédé et leur succéderont jusqu'à la fin des siècles , afin qu'il soit toujours enfermé dans ces coeurs pleins de passion et d'aveuglement, comme en un abîme profond. Or, c'est une question
1. Ce sont les quarante-deux mois de règne de l'Antéchrist annoncés par saint Jean (Apoc. XI, 2).
(457)
de savoir si, pendant ces trois dernières années et demie que le démon exercera toute sa fureur, il y aura encore quelques hommes, au milieu des fidèles, qui embrasseront la foi. Comment celte parole se justifierait-elle : « Personne ne peut entrer dans la maison du fort et lui « enlever ses biens, qu'il ne l'ait d'abord lié 1 », si on les lui enlève lors même qu'il est délié? Il semble donc que cela nous oblige à croire qu'en ce peu de temps l'Eglise ne fera aucune nouvelle conquête, mais que le diable combattra seulement contre ceux qui se trouveront déjà chrétiens; et si quelques-uns de ceux-là sont vaincus, il faut dire qu'ils -n'étaient pas du nombre des prédestinés. Ce n'est pas en vain que le même saint Jean, qui a écrit l'Apocalypse, a dit de quelques-uns dans une de ses Epîtres : « Ils sont sortis d'avec nous, mais ils n'étaient pas d'entre nous ; car s'ils eussent été d'entre nous, ils y seraient demeurés 2». Mais que dirons-nous des petits enfants? Il n'est pas croyable que cette dernière persécution n'en trouve point parmi les chrétiens qui ne soient pas baptisés, et que même il ne leur en naisse pendant ce temps, et en ce cas que leurs parents ne les baptisent. Comment donc enlèvera-t-on ces biens à Satan, puisqu'il sera délié, et que, selon la parole du Seigneur: « Personne n'entre en sa maison et ne lui enlève ses biens, qu'il ne l'ait lié auparavant ? ». Croyons donc plutôt que, même pendant ce temps, les apostasies ne manqueront point, non plus que les conversions, et que les parents auront assez de courage pour baptiser leurs enfants, aussi bien que les nouveaux convertis, qu'ils vaincront ce fort, tout délié qu'il sera, c'est-à-dire quoiqu'il emploie contre eux des ruses et des manoeuvres qu'il n'avait point encore mises en usage, tellement qu'ils lui seront encore enlevés, quoiqu'il ne soit pas lié. Néanmoins, la parole de l'Evangile subsistera toujours « Que personne ne peut entrer dans la maison du fort, ni lui enlever ses biens, qu'il ne l'ait lié auparavant ». Cet ordre a été, en effet, observé. On a lié d'abord le fort, et on lui a ensuite enlevé ses biens dans toutes les nations, pour en composer l'Eglise, qui s'est depuis accrue et fortifiée au point de devenir capable de dépouiller le démon, lors même qu'il sera délié. De même qu'il faut avouer que la charité de plusieurs se refroidira,
1. Matt. XII, 29. - 2. Jean, II, 19.
parce que le crime sera triomphant s, et que plusieurs, qui ne sont pas écrits au livre de vie, succomberont sous les persécutions inouïes du diable déjà délié, de même il faut croire que non-seulement les véritables chrétiens, mais que quelques-uns de ceux mêmes qui seront hors de l'Eglise, aidés de la grâce de Dieu et de l'autorité des Ecritures, qui ont prédit la fin du monde qu'ils verront arriver, seront plus disposés à croire ce qu'ils ne croyaient pas, et plus forts pour vaincre le diable, tout déchaîné qu'il sera. Disons, dans cet état de choses, qu'il a été lié afin qu'on lui puisse enlever ses biens, lors même qu'il sera délié, suivant cette parole du Sauveur: « Comment peut-on entrer dans la maison du fort pour lui enlever ses biens, qu'on ne l'ait lié auparavant ? »

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