CHAPITRE IX. DE LA GÉHENNE DE FEU ET DE LA NATURE DES PEINES ÉTERNELLES. Il ne faut donc point douter que la sentence que Dieu a prononcée par son Prophète, touchant le supplice éternel des damnés , ne s'accomplisse exactement. Il est dit : « Leur «ver ne mourra point, et le feu qui les brûlera ne s'éteindra point 3 ». Et c'est pour nous faire mieux comprendre cette vérité que Jésus-Christ, quand il prescrit de retrancher les membres qui scandalisent l'homme, désignant par là les hommes mêmes que nous chérissons à l'égal de nos membres, s'exprime ainsi : « Il vaut mieux pour vous que vous entriez avec une seule main dans la vie, que d'en avoir deux et d'être jeté dans l'enfer, où leur ver ne meurt point et où le feu qui les consume ne s'éteint point ». Il en dit autant du pied « Il vaut mieux pour vous entrer dans la vie éternelle n'ayant qu'un 1. Voici ces douteuses étymologies rapportées par saint Augustin : monstrum, de monstrare; ostentum de ostendere; portenta de portendere, prœostendere; prodigia de porro dicere, praedicare. 2. Rom. XI, 17, 24.- 3. Isa. LXVI, 21. pied, que d'en avoir deux et d'être précipité dans l'enfer, où leur ver ne meurt point et où le feu qui les brûle ne s'éteint point 1 ». Enfin il parle de l'oeil dans les mêmes termes: « Il vaut mieux pour vous que vous entriez au royaume de Dieu n'ayant qu'un oeil, que d'en avoir deux et d'être précipité dans l'enfer, où leur ver ne meurt point et où le feu qui les brûle ne s'éteint point 2 ». Il ne s'est pas lassé de répéter trois fois la même chose au même lieu. Qui ne serait épouvanté de cette répétition et de cette menace sortie avec tant de force d'une bouche divine? Au reste, ceux qui veulent que ce ver et que ce feu ne soient pas des peines du corps, mais de l'âme, disent que les hommes séparés du royaume de Dieu seront brûlés dans l'âme jar une douleur et un repentir tardifs et inutiles, et qu'ainsi l'Ecriture a fort bien pu se servir du mot feu pour marquer cette douleur cuisante d'où vient, ajoutent-ils, cette parole de l'Apôtre : « Qui est scandalisé, sans que je brûle ? » ils croient aussi que le ver figure la même douleur; car il est écrit, disent-ils, que « comme la teigne ronge un habit, et le ver le bois, ainsi la tristesse afflige le coeur de l'homme 3 ». Mais ceux qui ne doutent point que le corps ne soit tourmenté en enfer aussi bien que l'âme, soutiennent que le corps y sera brûlé par le feu, et l'âme rongée en quelque sorte par un ver de douleur. Bien que ce sentiment soit probable, car il est absurde de supposer que soit le corps, soit l'âme, ne souffrent pas ensemble dans l'enfer, je croirais cependant plus volontiers que le ver et le feu s'appliquent ici tous deux au corps, et non à l'âme. Je dirais donc que l'Ecriture ne fait pas mention de la peine de l'âme, parce qu'elle est nécessairement impliquée dans celle du corps. En effet, on lit dans l'Ancien Testament : « Le supplice de la chair de l'impie sera le feu et le ver 4 ». Il pouvait dire plus brièvement: « Le supplice de l'impie » ; pourquoi dit-il « le supplice de la chair de l'impie », sinon parce que le ver et le feu seront tous deux le supplice du corps? Ou, s'il a parlé de la chair, parce que les hommes seront punis pour avoir vécu selon la chair, et tomberont dans la seconde mort que l'Apôtre a marquée ainsi : « Si vous vivez selon la chair, vous 1. Marc, IX, 42.47. - 2. II Cor. XI, 29. - 3. prov. XXV, 20. - 4. Eccli. VII, 19. (493) mourrez 1 » ; que chacun choisisse, entre les deux sens, celui qu'il préfère, soit qu'il rapporte le feu au corps, et le ver à l'âme, soit qu'il les rapporte tous deux au corps. J'ai déjà montré que les animaux pouvaient vivre et souffrir dans le feu sans mourir et sans se consumer, par un miracle de la volonté de Dieu, à qui on ne saurait contester ce pouvoir sans ignorer qu'il est l'auteur de tout ce qu'on admire dans la nature. En effet, c'est lui qui a produit dans le monde et les merveilles que j'ai rappelées et tontes celles en nombre infini que j'ai passées sous silence, et ce inonde enfin dont l'ensemble est plus merveilleux encore que tout ce qu'il contient. Ainsi donc, libre à chacun de choisir des deux sens celui qu'il préfère, et de rapporter le ver au corps, en prenant l'expression au propre, ou à l'âme, en prenant le sens au figuré. Quant à savoir qui a le mieux choisi, c'est ce que nous saurons mieux un jour, lorsque la science des saints sera si parfaite qu'ils n'auront pas besoin d'éprouver ces peines pour les connaître. « Car maintenant nous ne savons les choses que d'une façon partielle, jusqu'au jour où la plénitude s'accomplira 2 ». Il suffit pour le moment de repousser cette opinion que les corps des damnés ne seront pas tourmentés par le feu. CHAPITRE X. COMMENT LE FEU DE L'ENFER, SI C'EST UN FEU CORPOREL, POURRA BRÛLER LES MALINS ESPRITS, C'EST-A-DIRE LES DÉMONS QUI N'ONT POINT DE CORPS. Ici se présente une question : si le feu de l'enfer n'est pas un feu immatériel, analogue à la doutent de l'âme, mais un feu matériel, brûlant au contact et capable de tourmenter les corps, comment pourra-t-il servir au supplice des démons qui sont des esprits? car nous savons que le même feu doit servir de supplice aux démons et aux hommes, suivant cette parole de Jésus-Christ « Retirez-vous de moi, maudits, et allez au feu éternel, qui a été préparé pour le diable et pour ses anges ». Il faut donc que les démons aient aussi, comme l'ont pensé de savants hommes, des corps composés de cet air grossier et humide qui se fait sentir à nous, quand il est 1. Rom. VIII, 13. - 2. I Cor. XIII, 9. - 3. Matt. XXV, 41. agité par le vent 1. En effet, si cet élément ne pouvait recevoir aucune impression du feu, il ne deviendrait pas brûlant, lorsqu'il est échauffé dans un bain; pour brûler, il faut qu'il soit brûlé lui-même, et il cause l'impression qu'il subit. Au surplus, si l'on veut que les démons n'aient point de corps, il est inutile de se mettre beaucoup en peine de prouver le contraire. Qui nous empêchera de dire que les esprits, même incorporels, peuvent être tourmentés par un feu corporel d'une manière très-réelle, quoique merveilleuse, du moment que les esprits des hommes, qui certainement sont aussi incorporels, peuvent être actuellement enfermés dans des corps, et y sont unis alors par des liens indissolubles? Si les démons n'ont point de corps, ils seront attachés à des feux matériels pour en être tourmentés; non qu'ils animent ces feux de manière à former des animaux composés d'âme et de corps; mais, comme je l'ai dit, cela se fera d'une manière merveilleuse; et ils seront tellement unis à ces feux, qu'ils en recevront de la douleur sans leur communiquer la vie. Aussi bien, cette union même qui enchaîne actuellement les esprits aux corps, pour en faire des animaux, n'est-elle pas merveilleuse et incompréhensible à l'homme? et cependant c'est l'homme même» Je dirais volontiers que ces esprits brûleront sans corps, comme le mauvais riche brûlait dans les enfers, quand il disait : « Je « souffre beaucoup dans cette flamme 2 » ; mais j'entends ce qu'on va m'objecter : que cette flamme était de même nature que les yeux que le mauvais riche éleva sur Lazare, que la langue qu'il voulait rafraîchir d'une goutte d'eau, et que le doigt de Lazare dont il voulait se servir pour cet office, bien que tout cela se fit dans un lieu, où les âmes n'avaient point de corps. Cette flamme qui le brûlait et cette goutte d'eau qu'il demandait étaient donc incorporelles, comme sont les choses que l'on voit en dormant ou dans l'extase, lesquelles, bien qu'incorporelles, apparaissent pourtant comme des corps. L'homme qui est en cet état, quoiqu'il n'y soit qu'en esprit, ne laisse pas de se voir si semblable à son corps 1. C'est le sentiment d'Origène, qui soutient en son traité des Principes (livre II) que Dieu seul est incorporel. Tertullien, distinguant subtilement entre le corps et la chair, veut que les anges soient corporels sans avoir de chair (De Carne Christi, passim). Enfin saint Basile soutient que les anges ont chacun leur corps et un corps visible (De spir. sanct., cap. 16). 2. Luc, XVI, 24. (494) qu'il n'y peut trouver de différence. Mais cette géhenne, que l'Ecriture appelle aussi un étang de feu et de soufre 1, sera un feu corporel, et tourmentera les corps des hommes et des démons; ou bien, si ceux-ci n'ont point de corps, ils seront unis à ce feu, pour en souffrir de la douleur sans l'animer. Car il n'y aura qu'un feu pour les uns et pour les autres, comme l'a dit la Vérité 2. CHAPITRE XI. S'IL Y AURAIT JUSTICE A CE QUE LA DURÉE DES PEINES NE FUT PAS PLUS LONGUE QUE LA VIE DES PÉCHEURS. Mais, parmi les adversaires de la Cité de Dieu, plusieurs prétendent qu'il est injuste de punir les péchés, si grands qu'ils soient, de cette courte vie par un supplice éternel. Comme si jamais aucune loi avait proportionné la durée de la peine à celle du crime ! Les lois, suivant Cicéron, établissent huit sortes de peines l'amende, la prison, le fouet, le talion, l'ignominie, l'exil, la mort, la servitude. Y a-t-il aucune de ces peines dont la durée se mesure à celle du crime, si ce n'est peut-être la peine du talion 3, qui ordonne que le criminel souffre le même mal qu'il a fait souffrir; d'où vient cette parole de la loi : « OEil pour oeil, dent pour dent 4 ». Il est matériellement possible, en. effet, que la justice arrache l'oeil au criminel en aussi peu de temps qu'il l'a arraché à sa victime; mais si la raison veut que celui qui adonné un baiser à la femme d'autrui soit puni du fouet, combien de temps ne souffrira-l-il pas pour une faute qui s'est passée en un moment? La douceur d'une courte volupté n'est-elle pas punie en ce cas par une longue douleur? Que dirai-je de la prison? n'y doit-on demeurer qu'autant qu'a duré le délit qui vous y a fait condamner? mais ne voyons-nous pas qu'un esclave demeuré plusieurs années dans les fers, pour avoir offensé son maître par une seule -parole ou l'avoir blessé d'un coup dont la trace a passé en un instant? Pour l'amende, l'ignominie, l'exil et la servitude, comme ces peines sont d'ordinaire irrévocables, ne sont-elles pas en quelque 1. Apoc. XX, 9. - Matt. XXV, 41. 2. Sur la peine du talion imposés par la loi des Douze Tables ( Si membrum rupit, nicum eo pacit, talio esto ), voyez Aulu.Gelle, Nuits attiques, livre XX, ch. 1. 3. Exod. XXI, 24. sorte semblables aux peines éternelles, eu égard à la brièveté de cette vie? Elles ne peuvent pas être réellement éternelles, parce que la vie même où on les souffre ne l'est pas; et toutefois des fautes que l'on punit par de si longs supplices se commettent en très-peu de temps, sans que personne ait jamais cru qu'il fallût proportionner la longueur des tourments à la durée plutôt qu'à la grandeur des crimes. Se peut-il imaginer que les lois fassent consister le supplice des condamnés à mort dans le court moment que dure l'exécution? elles le font consister à les supprimer pour jamais de la société des vivants. Or, ce qui se fait dans cette cité mortelle par le supplice de la première mort, se fera pareillement dans la cité immortelle par la seconde mort. De même que les lois humaines ne rendent jamais l'homme frappé du supplices capital à la société, ainsi les lois divines ne rappellent jamais le pécheur frappé de la seconde mort à la vie éternelle. Comment donc, dira-t-on, cette parole de votre Christ sera-t-elle vraie: «On vous mesurera selon la mesure que vous aurez appliquée aux autres 1 », si un péché temporel est puni d'une peine éternelle 2 ? Mais on ne prend pas garde que cette mesure dont il est parlé ici ne regarde pas le temps, mais le mal, ce qui revient à dire que celui qui aura fait le mal le subira. Au surplus, on peut fort bien entendre aussi cette parole de Jésus-Christ au sens propre, je veux dire au sens des jugements et des condamnations dont il est question en cet endroit. Ainsi, que celui qui juge et condamne injustement son -prochain soit jugé lui-même et condamné justement, il est mesuré sur la même mesure, bien qu'il ne reçoive pas ce qu'il a donné : il est jugé comme il a jugé les autres; mais la punition qu'il souffre est juste, tandis que celle qu'il avait infligée était injuste. CHAPITRE XII. DE LA GRANDEUR DU PREMIER PÉCHÉ, QUI EXIGEAIT UNE PEINE ÉTERNELLE POUR TOUS LES BOMMES, ABSTRACTION FAITE DE LA GRÂCE DU SAUVEUR. Mais une peine éternelle semble dure et 1. Luc, VI, 38. 2. Saint Augustin discute cette même question avec étendue dans une de ses lettres. Voyez Epist. CII, ad Deo gratias, qu. 4, n. 22 et seq. (495) injuste aux hommes, parce que, dans les misères de la vie terrestre, ils n'ont pas cette haute et pure sagesse qui pourrait leur faire sentir la grandeur de la prévarication primitive. Plus l'homme jouissait de Dieu, plus son crime a été grand de l'avoir abandonné, et il a mérité de souffrir un mal éternel pour avoir détruit en lui un bien qui pouvait aussi être éternel. Et, de là, la damnation de toute la masse du genre humain; car le premier coupable a été puni avec toute sa postérité, qui était en lui comme dans sa racine. Aussi nul n'est exempt du supplice qu'il mérite, s'il n'en est délivré par une grâce qu'il ne mérite pas; et tel est le partage des hommes que l'on voit en quelques-uns ce que peut une miséricorde gratuite, et, dans tout le ,reste, ce que peut une juste vengeance. L'une et l'autre ne sauraient paraître en tous, puisque, si tous demeuraient sous la peine d'une juste condamnation, on ne verrait dans aucun la miséricorde de Dieu ; et d'autre part, si tons étaient transportés des ténèbres à la lumière, on ne verrait dans aucun sa sévérité. Et s'il y en a plus de punis que de sauvés, c'est pour montrer ce qui était dû à tous. Car alors même - que tous seraient enveloppés dans la vengeance, nul ne pourrait blâmer justement la justice du Dieu vengeur; si donc .un si grand nombre sont délivrés, que d'actions de grâce ne sont pas dues pour ce bienfait gratuit au divin libérateur! CHAPITRE XIII. CONTRE CEUX QUI CROIENT QUE LES MÉCHANTS, APRÈS LA MORT, NE SERONT PUNIS QUM DE PEINES PURIFIANTES. Les Platoniciens, il est vrai, ne veulent pas qu'une seule faute reste impunie 1 mais ils ne reconnaissent que des peines qui servent à l'amendement du coupable 2, qu'elles soient infligées par les lois humaines ou par les lois divines, qu'on les souffre dès cette vie ou qu'on ait à les subir dans l'autre pour n'en avoir point souffert ici-bas ou n'en être p-as devenu meilleur. De là vient que Virgile, 1. Voyez particulièrement dans Platon le Gorgias on est exposée la théorie sublime de l'expiation. Même doctrine dans Plotin, Ennéades, III, livre II, ch. 5 et ailleurs. 2. Ceci ne pourrait pins être appliqué justement à Platon, dont les idées sur la pénalité sont beaucoup plus solides et plus étendue, que celles de quelques-uns de ses disciples. Dans plusieurs dialogues, il as montre même favorable à la croyance aux peines éternelles. Voyez le mythe du Gorgias et celui de la République. après avoir parlé de ces corps terrestres, et de ces membres moribonds d'où viennent à l'âme « Et ses craintes et les désirs, et ses douleurs et ses joies, enfermée qu'elle est dans une prison ténébreuse d'où elle ne peut contempler le ciel » ; Virgile ajoute « Et lorsqu'au dernier jour la vie abandonne les âmes, leurs misères ne sont pas finies et elles ne sont pas purifiées d'un seul coup de leurs souillures corporelles. Par une loi nécessaire, mille vices invétérés s'y attachent encore et y germent en mille façons. Elles sont donc soumises à des peines et expient dans les supplices leurs crimes passés : les unes suspendues dans le vide et livrées au souffle du vent, les autres plongées dans un abîme immense pour s'y laver de leurs souillures ou pour y être purifiées par le feu 1 » Ceux qui adoptent ce sentiment ne reconnaissent après la mort que des peines purifiantes; et comme l'air, l'eau et le feu sont des éléments supérieurs à la terre, ils les font servir de moyens d'expiation pour purifier les âmes que le commerce de la terre a souillées. Aussi Virgile a-t-il employé ces trois éléments : l'air, quand il dit qu'elles sont livrées au souffle du vent; l'eau, quand il les plonge dans un abîme immense ; le feu, quand il charge le feu de les purifier. Pour nous, nous reconnaissons qu'il y a dans cette vie mortelle quelques peines purifiantes, mais elles n'ont ce caractère que chez ceux qui en profitent pour se corriger, et non chez les autres, qui n'en deviennent pas meilleurs, ou qui n'en deviennent que pires. Toutes les autres peines, temporelles ou éternelles, que la providence de Dieu inflige à chacun par le ministère des hommes ou par celui des bons et des mauvais anges, ont pour objet, soit de punir les péchés passés ou présents, soit d'exercer et de manifester la vertu. Quand nous endurons quelque mal par la malice ou par l'erreur d'un autre, celui-là pèche qui nous cause ce mal; mais Dieu, qui le permet par un juste et secret jugement, ne pèche pas. Les uns donc souffrent des peines temporelles en cette vie seulement, les autres après la mort; et d'autres en cette vie et après la mort tout ensemble, bien que toujours avant le dernier jugement. Mais tous ceux qui souffrent des peines temporelles après la mort ne tombent point dans les éternelles. Nous avons déjà dit qu'il y en a à qui les peines ne sont pas remises en ce siècle et à qui elles seront remises en l'autre, afin qu'ils 1. Enéide, livre VI, v. 733-742. (496) ne soient pas punis du supplice qui ne finit pas. CHAPITRE XIV. DES PEINES TEMPORELLES DE CETTE VIE, QUI SONT UNE SUITE DE L'HUMAINE CONDITION. Ils sont bien rares ceux qui, dans cette vie, n'ont rien à souffrir en expiation de leurs péchés, et qui ne les expient qu'après la mort. Nous avons connu toutefois quelques personnes arrivées à une extrême vieillesse sans avoir eu la moindre fièvre, et qui ont passé leur vie dans une tranquillité parfaite. Cela n'empêche pas qu'à y regarder de près, la vie des hommes n'est qu'une longue peine, selon la parole de I'Ecriture : « La vie humaine sur la terre est-elle autre chose qu'une tentation 1 ? »La seule ignorance est déjà une grande peine, puisque, pour y échapper, on oblige les enfants, à force de châtiments, à apprendre les arts et les sciences. L'étude où on les contraint par, la punition est quelque chose de si pénible, qu'à l'ennui de l'étude ils préfèrent quelquefois l'ennui de la punition. D'ailleurs, qui n'aurait horreur de recommencer son enfance et n'aimerait mieux mourir? Elle commence par les larmes, présageant ainsi, sans le savoir, les maux où elle nous engage. On dit cependant que Zoroastre, roi des Bactriens, rit en naissant; mais ce prodige ne lui annonça rien de bon, car il passe pour avoir inventé la magie, qui, d'ailleurs, ne lui fut d'aucun secours contre ses ennemis , puisqu'il fut vaincu par Ninus, roi des Assyriens 2 . Aussi nous lisons dans l'Ecriture : « Un joug pesant est imposé aux enfants d'Adam, du jour où ils sortent du sein de leur mère jusqu'à celui où ils entrent dans le sein de la mère commune 3 » .Cet arrêt est tellement inévitable, que les enfants mêmes, délivrés par le baptême du péché originel, le seul qui les rendit coupables, sont sujets à une infinité de maux, jusqu'à être tourmentés quelquefois par les malins esprits; mais loin de nous la pensée que ces souffrances leur soient fatales, quand, par l'aggravation de la maladie, elles arrivent à séparer l'âme du corps. 1. Job, VII, 1, sec. LXX. 2. Voyez Justin, lib. I, cap. 1, § 1. 3. Eccli XL 1. CHAPITRE XV. LA GRACE DE DIEU, QUI NOUS FAIT REVENIR DE LA PROFONDEUR DE NOTRE ANCIENNE MISÈRE, EST UN ACHEMINEMENT AU SIÈCLE FUTUR. Aussi bien, ce joug pesant qui a été imposé aux fils d'Adam, depuis leur sortie du sein de leur mère jusqu'au jour de leur ensevelissement au sein de la mère commune, est encore pour nous, dans notre misère, un enseignement admirable : il nous exhorte à user sobrement de toutes choses, et nous fait comprendre que cette vie de châtiment n'est qu'une suite du péché effroyable commis dans le Paradis, et que tout ce qui nous est promis par le Nouveau Testament ne regarde que la part que nous aurons à la vie future; il faut donc accepter .cette promesse comme un gage et vivre dans l'espérance, en faisant chaque jour de nouveaux progrès et mortifiant par l'esprit les mauvaises inclinations de la chair 1 car « Dieu connaît ceux qui sont à lui 2 »; et « tous ceux qui sont conduits par l'esprit de Dieu sont enfants de Dieu » ; enfants par grâce, et non par nature, n'y ayant qu'un seul Fils de Dieu par nature, qui, par sa bonté, s'est fait fils de l'homme, afin que nous, enfants de l'homme par nature, nous devinssions par grâce enfants de Dieu. Toujours immuable, il s'est revêtu de notre nature pour nous sauver, et, sans perdre sa divinité, il s'est fait participant de notre faiblesse, afin que, devenant meilleurs, nous perdions ce que nous avons de vicieux et de mortel par la communication de sa justice et de son immortalité, et que nous conservions ce qu'il a mis de bon en nous dans la plénitude de sa bonté. De même que nous sommes tombés, par le péché d'un seul homme, dans une si déplorable misère 4, ainsi nous arrivons, par la grâce d'un seul homme, mais d'un homme-Dieu, à la possession d'un si grand bonheur. Et nul ne doit être assuré d'avoir passé du premier état au second, qu'il ne soit arrivé au lieu où il n'y aura plus de tentation, et qu'il ne possède cette paix qu'il poursuit à travers les combats que la chair livre contre l'esprit et l'esprit contre la chair 5. Or, une telle guerre n'aurait pas lieu, si l'homme, par l'usage de son libre arbitre, eût conservé sa droiture naturelle; mais par son refus d'entretenir avec Dieu une paix qui 1. Rom. VIII, 13. - 2. Tim. II, 19. - 3. Rom. VIII, 14. - 4. Ibid. v, 12. - 5. Galat. V, 17. (497) faisait son bonheur, il est contraint de combattre misérablement contre lui-même. Toutefois cet état vaut mieux encore que celui où il se trouvait avant de s'être converti à Dieu : il vaut mieux combattre le vice que de le laisser régner sans combat, et la guerre, accompagnée de l'espérance d'une paix éternelle, est préférable à la captivité dont on n'espère point sortir. Il est vrai que nous souhaiterions bien de n'avoir plus cette guerre à soutenir, et qu'enflammés d'un divin amour, nous désirons ardemment cette paix et cet ordre accomplis, où les chosés d'un prix inférieur seront pour jamais subordonnées aux choses supérieures. Mais lors même, ce qu'à Dieu ne plaise, que nous n'aurions pas foi dans un si grand bien, nous devrions toujours mieux aimer ce combat, tout pénible qu'il puisse être, qu'une fausse paix achetée par l'abandon de notre âme à la tyrannie des passions. CHAPITRE XVI. DES LOIS DE GRÂCE QUI S'ÉTENDENT SUR TOUTES LES ÉPOQUES DE LA VIE DES HOMMES RÉGÉNÉRÉS. Telle est la miséricorde de Dieu à l'égard des vases de miséricorde qu'il a destinés à la gloire, que la première et la seconde enfance de l'homme, l'une livrée sans défense à la domination de la chair, l'autre en qui la raison encore faible, quoique aidée de la parole, ne peut combattre les mauvaises inclinations, toutes deux ne laissent pas cependant dé passer de la puissance des ténèbres au royaume de Jésus-Christ, sans même traverser le purgatoire, quand une créature humaine vient à mourir à cet âge où elle n'est pas encore capable d'accomplir les commandements de Dieu, pourvu qu'elle ait reçu les sacrements du Médiateur 1. Car la seule régénération spirituelle suffit pour rendre impuissante à nuire après la mort l'alliance que la génération charnelle avait contractée avec la mort. Mais quand on est arrivé à un âge capable de discipline, il faut commencer la guerre contre les vices, et s'y porter avec courage, de peur de tomber en des péchés qui méritent la damnation. Nos mauvaises inclinations sont plus faciles à surmonter, quand elles ne sont pas encore fortifiées par l'habitude; si nous les laissons prendre empire sur nous et nous 1. Comp. saint Augustin, Epist. XCVIII ad Bonifacium. maîtriser, la victoire est plus difficile, et on ne les surmonte véritablement que lorsqu'on le fait par amour de la véritable justice, qui ne se trouve qu'en la foi de Jésus-Christ. Car si la loi commande sans que l'esprit vienne à son secours, la défense qu'elle fait du péché ne sert qu'à en augmenter le désir; si bien qu'on y ajoute encore par la violation de la loi. Quelquefois aussi on surmonte des vices manifestes par d'autres qui sont cachés et que l'on prend pour des vertus, quoique l'orgueil et une vanité périlleuse en soient les véritables principes. Les vices ne sont donc vraiment vaincus que lorsqu'ils le sont par l'amour de Dieu, amour que Dieu seul donne, et qu'il ne donne que par le Médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ homme, qui a voulu participer à notre mortalité misérable pour nous faire participer à sa divinité. Or, ils sont en bien petit nombre ceux qui ont atteint l'adolescence sans commettre aucun péché mortel, sans tomber dans aucun excès, dans aucune impiété, assez heureux et assez forts pour avoir comprimé par la grâce abondante de l'esprit tous les mouvements déréglés de la convoitise. La plupart, après avoir reçu le commandement de la loi, l'ont violé, et, s'étant laissé emporter au torrent des vices, ont eu recours ensuite à la pénitence; de la sorte, assistés de la grâce de Dieu, ils reprennent courage, et leur esprit soumis à Dieu parvient à soumettre la chair. Que celui donc qui veut se soustraire aux peines éternelles, ne soit pas seulement baptisé, mais justifié en Jésus-Christ, afin de passer véritablement de l'empire du diable sous la puissance du Sauveur. Et qu'il ne compte pas sur des peinés purifiantes, si ce n'est avant le dernier et redoutable jugement! On ne saurait nier pourtant que le feu; même éternel, ne fasse plus ou moins souffrir les damnés, selon la diversité de leurs crimes; et u qu'il ne doive être moins ardent pour les uns, plus ardent pour les autres, soit que son ardeur varie suivant l'énormité de la peine, soit qu'elle reste égale, mais que tous ne la sentent pas également. CHAPITRE XVII. DE CEUX QUI PENSENT QUE NUL HOMME N'AURA A SUBIR DES PEINES ÉTERNELLES. Il me semble maintenant à propos de combattre avec douceur l'opinion de ceux (498) d'entre nous qui, par esprit de miséricorde, ne veulent pas croire au supplice éternel des damnés, et soutiennent qu'ils seront délivrés après un espace de temps plus ou moins long, selon la grandeur de leurs péchés. Les uns font cette grâce à tous les damnés, les autres la font seulement à quelques-uns. Origène est encore plus indulgent: il croit que le diable même et ses anges, après avoir longtemps souffert, seront à la fin délivrés de leurs tourments pour être associés aux saints anges. Mais 1'Eglise l'a condamné justement pour cette erreur et pour d'autres encore, entre lesquelles je citerai surtout ces vicissitudes éternelles de félicité et de misère où il soumet les âmes, Eu cela, il se départ de cette compassion qu'il semble avoir pour les malheureux damnés, puisqu'il fait souffrir aux saints de véritables misères, en leur attribuant une béatitude où ils ne sont point assurés de posséder éternellement le bien qui les rend heureux 1. L'erreur de ceux qui restreignent aux damnés cette vicissitude et veulent que leurs supplices fassent place à une éternelle félicité est bien loin de celle d'Origène. Cependant, si leur opinion est tenue pour bonne et pour vraie, parce qu'elle est indulgente, elle sera d'autant meilleure et d'autant pins vraie qu'elle sera plus indulgente. Que cette source de bonté se répande donc jusque sur les anges réprouvés, au moins après plusieurs siècles de tortures. Pourquoi se répand-elle sur toute la nature humaine et vient-elle à tarir pour les auges? Mais non, cette pitié n'ose aller aussi loin et s'étendre jusqu'au diable. Et pourtant, si un de ces miséricordieux se risquait à aller jusque-là, sa bonté n'en serait-elle pas plus grande? mais aussi son erreur serait plus pernicieuse et plus opposée aux paroles de Dieu. 1. Sur les systèmes d'Origène, voyez Epiphane (Lettre à Jean de Jérusalem), saint Jérôme (Epist. LXI ad Pammachium et LXXV ad Vigilantium) et saint Augustin lui-même, Traité des hérésies, hér. XLIII. Saint Jérôme nous apprend aussi que les sentiments d'Origène furent condamnés par le pape Anastase. Ce ne fut qua plus tard, après la mort de saint Augustin, qu'Origène fut condamné sous le pape Virgile et l'empereur Justinien, au cinquième concile oecuménique. Voyez les actes, de ce concile (act. IV, cap. 11) et Nicéphore Calliste, Lb. XVII, cap. 27, 28. CHAPITRE XVIII. DE CEUX QUI CROIENT QU'AUCUN HOMME NE SERA DAMNÉ AU DERNIER JUGEMENT, A CAUSE DE L'INTERCESSION DES SAINTS. D'autres encore, comme j'ai pu m'en assurer dans la conversation, sous prétexte de respecter l'Ecriture, mais en effet dans leur propre intérêt, font Dieu encore plus indulgent envers les hommes. lis avouent bien que les méchants et les infidèles méritent d'être punis, comme l'Ecriture les en menace; mais ils soutiennent que lorsque le jour du jugement sera venu, la clémence l'emportera, et que Dieu, qui est bon, rendra tous les coupables aux prières et aux intercessions des saints. Car, si les saints priaient pour eux, quand ils en étaient persécutés, que ne feront-ils point, quand ils les verront abattus, humiliés et suppliants? Et comment croire que les saints perdent leurs entrailles dé miséricorde, surtout en cet état de vertu consommée qui les met à l'abri de toutes les passions? ou comment douter que Dieu ne les exauce, alors que leurs prières seront parfaitement pures? L'opinion précédente, qui veut que les méchants soient à la fin délivrés de leurs tourments, allègue en leur faveur ce passage du psaume : « Dieu oubliera-t-il sa clémence? et sa colère arrêtera-t-elle le cours de ses miséricordes 1? ». Mais nos nouveaux adversaires soutiennent que ce même passage favorise bien mieux encore leur opinion. La colère de Dieu, disent-ils, veut que tous ceux qui sont indignes de la béatitude éternelle souffrent un supplice éternel, mais pour permettre qu'ils en souffrent un quelconque, si court qu'il soit, ne faut-il pas que sa colère arrête le cours de ses miséricordes? Et c'est pourtant ce que nie le Psalmiste. Car il ne dit pas : Sa colère arrêtera-t-elle longtemps le cours de ses miséricordes? mais il dit qu'elle ne l'arrêtera nullement. Si l'on répond qu'à ce compte les menaces de Dieu sont fausses, puisqu'il né condamnera personne, ils répliquent qu'elles né sont pas plus faussés que celle qu'il fit à Ninive de la détruire 2, ce qui pourtant n'arriva pas, bien qu'il l'en eût menacée sans condition. En effet, le Prophète ne dit pas : Ninive sera détruite, si elle ne se corrige et ne fait pénitence, mais il dit : « Encore quarante jours, 1. Ps. LXXVI, 10. - 2. Jonas, III, 4. (499) et Ninive sera détruite ». Cette menace était donc vraie, ajoutent-ils, puisque les Ninivites méritaient ce châtiment; mais Dieu ne l'exécuta point , parce que sa colère n'arrêta pas le cours de ses miséricordes, et qu'il se laisse fléchir à leurs cris et à leurs larmes. Si donc, disent-ils, il pardonna alors, bien que cela dût contrister son prophète, combien sera-t-il plus favorable encore, quand tous ses saints intercéderont pour des suppliants? Objecte-t-on que l'Ecriture n'a point parlé de ce pardon, c'est, à leur sens, afin d'effrayer un grand nombre de pécheurs par la crainte des supplices et de les obliger à se convertir, et aussi afin qu'il y en ait qui puissent prier pour ceux qui ne se convertiront pas. Ils ne prétendent pas néanmoins que l'Ecriture n'ait rien laissé entrevoir à ce sujet. Car à quoi s'applique, disent-ils, cette parole du psaume: « Seigneur, que la douceur que vous avez cachée à ceux qui vous craignent est grande et abondante 1 !» Ne veut-elle pas nous faire entendre que cette douceur de la miséricorde de Dieu est cachée aux hommes pour les retenir dans la crainte? Ils ajoutent que c'est pour cela que l'Apôtre a dit: « Dieu a permis que tous tombassent dans l'infidélité, afin de faire grâce à tous 2 »; montrant ainsi qu'il ne damnera personne. Toutefois ceux qui sont de cette opinion ne l'étendent pas jusqu'à Satan et à ses anges. Car ils ne sont touchés de compassion que pour leurs semblables; et en cela ils plaident principalement leur cause, parce que, comme ils vivent dans le désordre et dans l'impiété, ils se flattent de profiter de cette impunité générale qu'ils couvrent du nom de miséricorde. Mais ceux qui l'étendent même au prince des démons et à ses satellites portent encore plus haut qu'eux la miséricorde de Dieu 3. CHAPITRE XIX. DE CEUX QUI PROMETTENT L'IMPUNITÉ DE TOUS LEURS PÉCHÉS, MÊME AUX HÉRÉTIQUES, A CAUSE DE LEUR PARTICIPATION AU CORPS DE JÉSUS-CHRIST. Il y en a d'autres qui ne promettent pas à tous les hommes cette délivrance des supplices éternels, mais seulement à ceux qui, ayant reçu le baptême, participent au corps 1. Ps. XXX, 20. - 2. Rom. XI, 32. de Jésus-Christ, de quelque manière d'ailleurs qu'ils aient vécu, et en quelque hérésie, en quelque impiété qu'ils soient tombés. Et ils se fondent sur ce que le Sauveur a dit: « Voici le pain qui est descendu du ciel, afin que celui qui en mangera ne meure point. Je suis le pain descendu du ciel: si quelqu'un mange de ce pain, il vivra éternellement 1 ». Il faut donc nécessairement, disent-ils, qu'à ce prix les hérétiques soient délivrés de la mort éternelle, et qu'ils passent quelque jour à l'éternelle félicité. CHAPITRE XX DE CEUX QUI PROMETTENT L'INDULGENCE DE DIEU, NON A TOUS LES PÊCHEURS, MAIS A CEUX QUI SE SONT FAITS CATHOLIQUES, DANS QUELQUES CRIMES ET DANS QUELQUES ERREURS QU'ILS SOIENT TOMBÉS PAR LA SUITE. Quelques-uns ne font pas cette promesse à tous ceux qui ont reçu le baptême de Jésus-Christ et participé au sacrement de son corps, mais aux seuls catholiques, alors même d'ailleurs qu'ils vivent mal. Ceux-là, disent-ils, sont établis corporellement en Jésus-Christ, ayant mangé son corps, non pas seulement en sacrement, mais en réalité. Et comme dit l'Apôtre : « Nous ne sommes tous ensemble qu'un même pain et qu'un même corps 2 »; Or, bien que les catholiques tombent ensuite dans l'hérésie, ou même dans l'idolâtrie, par cela seul qu'ils ont reçu le baptême de Jésus-Christ étant dans son corps, c'est-à-dire dans l'Eglise catholique, et ayant mangé le corps du Sauveur, ils ne mourront point éternellement, mais ils jouiront quelque jour de l'éternelle félicité. Et la grandeur de leur impiété rendra sans doute leurs peines plus longues, mais elle ne les rendra pas éternelles. CHAPITRE XXL. DE CEUX QUI CROIENT AU SALUT DES CATHOLIQUES QUI AURONT PERSÉVÉRÉ DANS LEUR FOI, BIEN QU'ILS AIENT TRÈS-MAL VÉCU ET MÉRITÉ PAR LÀ LE FEU DE L'ENFER. Mais d'autres, considérant cette parole de l'Ecriture : « Celui qui persévérera jusqu'à la fin sera sauvé 3 », ne promettent le salut qu'à ceux qui seront toujours demeurés dans l'Eglise catholique, quoiqu'ils aient d'ailleurs 1. Jean, VI, 50-52. - 2. I Cor. X, 17. - Matt. XXIV, 13. (500) mal vécu. Ils disent qu'ils seront sauvés par l'épreuve du feu, en vertu de ce que dit l'Apôtre : « Personne ne peut établir d'autre fondement que celui qui est posé, savoir, Jésus-Christ. Or, on verra ce que chacun aura bâti sur ce fondement, si c'est de l'or, de l'argent et des pierres précieuses, ou du bois, du foin et de la paille; car le jour du Seigneur le manifestera, et le feu fera connaître quel est l'ouvrage de chacun : celui dont l'ouvrage demeurera en recevra la récompense; celui dont l'ouvrage sera brûlé en souffrira préjudice; il ne laissera pas pourtant d'être sauvé, mais par l'épreuve du feu 1 », Ils disent donc qu'un chrétien catholique, quelque vie qu'il mène, a Jésus-Christ pour fondement, lequel manque à tout hérétique retranché de l'unité du corps; et dès lors, dans quelque désordre qu'il ait vécu, comme il aura bâti sur le fondement de Jésus-Christ, bois, foin ou paille, peu importe, il sera sauvé par l'épreuve du feu, c'est-à-dire, après une peine passagère, délivré de ce feu éternel qui tourmentera les méchants au dernier jugement. CHAPITRE XXII. DE CEUX QUI PENSENT QUE LES FAUTES RACHETÉES PAR DES AUMÔNES NE SERONT PAS COMPTÉES AU JOUR DU JUGEMENT. J'en ai rencontré aussi plusieurs convaincus que les flammes éternelles ne seront que pour ceux qui négligent de racheter leurs péchés par des aumônes convenables, suivant cette parole de l'apôtre saint Jacques : « On jugera sans miséricorde celui qui aura été sans miséricorde ». Celui donc, disent-ils, qui aura fait l'aumône, tout en menant une vie déréglée, sera jugé avec miséricorde, si bien qu'il ne sera point puni, ou qu'il sera finalement délivré; c'est pour cela, suivant eux, que le Juge même des vivants et des morts ne fait mention que des aumônes, lorsqu'il s'adresse à ceux qui sont à sa droite et à sa gauche 3. Ils prétendent aussi que cette demande que nous faisons tous les jours dans l'Oraison dominicale : «Remettez-nous nos offenses, comme nous les remettons à ceux qui nous ont offensés 2 », doit être entendue dans le même sens. C'est faire l'aumône que 1. I Cor. III, 10-15. - 2. Jacques, II, 18.- 3. Matt, XXV, 33 et seq. - 4. Ibid. VI, 12. de pardonner une offense. Notre-Seigneur lui-même a donné un si haut prix au pardon des injures, qu'il a dit: « Si vous pardonnez à ceux qui vous offensent, votre Père vous pardonnera vos péchés; mais si vous ne leur pardonnez point, votre Père céleste ne vous pardonnera pas non plus 1 ». A cette sorte d'aumône se rapporte aussi ce qui a été cité de saint Jacques, que celui qui n'aura point fait miséricorde sera jugé sans miséricorde. Notre-Seigneur n'a point distingué les grands des petits péchés, mais il a dit généralement : «Votre Père vous remettra vos péchés, si vous remettez vos offenses ». Ainsi, dans quelque désordre que vive un pécheur jusqu'à la mort, ils estiment que ses crimes lui sont remis tous les jours en vertu de cette oraison qu'il récite tous les jours, pourvu qu'il se souvienne de pardonner de bon coeur les offenses à qui lui en demande pardon. - Pour moi, je vais, avec l'aide de Dieu, réfuter toutes ces erreurs, et je mettrai fin à ce vingt-unième livre. CHAPITRE XXIII. CONTRE CEUX QUI PRÉTENDENT QUE NI LES SUPPLICES DU DIABLE, NI CEUX DES HOMMES PERVERS NE SERONT ÉTERNELS. Et premièrement, il faut s'enquérir et savoir pourquoi l'Eglise n'a pu souffrir l'opinion de ceux qui promettent au diable le pardon, même après de très-grands et de très-longs supplices. Car tant de saints si versés dans le Nouveau et dans l'Ancien Testament n'ont envié la béatitude à personne; mais c'est qu'ils ont vu qu'ils ne pouvaient anéantir ni infirmer cet arrêt que le Sauveur déclare qu'il prononcera au jour du jugement : « Retirez-vous de moi, maudits, et allez dans le feu éternel préparé pour le diable et pour ses anges 2». Ces paroles montrent clairement que le diable et ses anges brûleront dans le feu éternel, et c'est aussi ce qui résulte de ce passage de l'Apocalypse : « Le diable qui les séduisait fut jeté dans un étang de feu et de soufre, avec la bête et le faux prophète, et ils y seront tourmentés jour et nuit, dans les siècles des siècles 3 ». L'Ecriture disait tout à l'heure: « Le feu éternel » ; elle dit maintenant: « Pendant les siècles des siècles » : expressions 1. Matt. VI, 14, 15. - 2. Matt. XXV, 41. - Apoc. XX, 9, 10. (501) synonymes pour désigner une durée sans fin. Il n'y a donc pas à chercher d'autre raison, de raison plus juste et plus évidente que celle-là de cette croyance fixe et immuable de la véritable piété, qu'il n'y aura plus- de retour à la justice et à la vie des saints pour le diable et -pour ses anges. Cela sera ainsi, parce que l'Ecriture. qui ne trompe personne, dit que Dieu nie les a point épargnés 1, mais qu'il les a jetés dans les ténébreuses prisons de l'enfer, pour y être gardés jusqu'au dernier jugement, après lequel ils seront précipités dans le feu éternel et tourmentés durant les siècles des siècles. Et maintenant, comment prétendre que tous les hommes, ou même quelques-uns, seront délivrés de cette éternité de peines, après quelques longues souffrances que ce puisse être, sans porter atteinte à la foi qui nous fait croire que le supplice des démons sera éternel? En effet, si parmi ceux à qui l'on dira: « Retirez-vous de moi, maudits, et allez au feu éternel préparé pour le diable et pour ses anges 2 », il en est qui ne doivent pas toujours demeurer dans ce feu, pourquoi voudrait-on que le diable et ses anges y demeurassent éternellement? Est-ce que la sentence que Dieu prononcera contre les anges et contre les hommes -ne sera vraie que pour les anges ? Oui, si les conjectures des hommes l'emportent sur la parole de Dieu. Mais comme cela est absurde, ceux qui veulent se garantir du supplice éternel ne doivent pas perdre leur temps à disputer contre Dieu, mais accomplir ses commandements, tandis qu'il en est encore temps. D'ailleurs, quelle apparence y a-t-il d'entendre par ces mots: Supplice éternel, un feu qui doit durer longtemps, et, par vie éternelle, une vie qui doit durer toujours, alors que Jésus-Christ, au même lieu, et sans distinction, ni intervalle, a dit: « Ceux-ci iront au supplice éternel, et les justes dans la vie éternelle 3 ». Si les deux destinées sont éternelles, on doit entendre ou que toutes deux dureront longtemps, mais pour finir un jour, ou que toutes deux dureront toujours, pour ne finir jamais. Car les deux choses sont corrélatives: d'un côté, le supplice éternel, de l'autre, la vie éternelle; de sorte qu'on ne peut prétendre sans absurdité qu'une seule et même expression caractérise une vie éternelle qui n'aurait point de fin, et un supplice 1. II Pierre, II, 4. - 2. Matt. XXV, 41. - 3. Ibid. 46. éternel qui en aurait une. Puis donc que la vie éternelle des saints ne finira point, il en sera de même du supplice éternel des démons. CHAPITRE XXIV. CONTRE CEUX QUI PENSENT QU'AU JOUR DU JUGEMENT DIEU PARDONNERA A TOUS LES MÉCHANTS SUR L'INTERCESSION DES SAINTS. Or, ce raisonnement est aussi concluant contre ceux qui, dans leur propre intérêt, tâchent d'infirmer, les paroles de Dieu, sous prétexte d'une plus grande miséricorde, et qui prétendent que les paroles de l'Ecriture sont vraies, non parce que les hommes doivent souffrir les peines dont il les a menacés, mais parce qu'ils méritent de les souffrir. Dieu se laissera fléchir, disent-ils, à l'intercession des saints, qui, priant alors d'autant plus pour leurs ennemis que leur sainteté sera plus grande , en obtiendront plus aisément le pardon. - Mais pourquoi donc, si leurs prières sont si efficaces, ne les emploieraient-ils pas de même pour les anges à qui le feu éternel est préparé, afin que Dieu révoque son arrêt contre eux et les préserve de ces flammes? Quelqu'un sera-t-il assez hardi pour aller jusque-là et dire que les saints anges se joindront aux saints hommes, devenus égaux aux anges de Dieu, afin d'intercéder pour les anges et pour les hommes condamnés, et d'obtenir que la miséricorde de Dieu les dérobe aux vengeances de sa justice ? Voilà ce qu'aucun catholique n'a dit et ne dira jamais. Autrement il n'y a plus de raison pour que l'Eglise ne prie pas même dès maintenant pour le diable et pour ses anges, puisque Dieu, qui est son maître, lui a commandé de prier pour ses ennemis. La même raison donc qui empêche maintenant l'Eglise de prier pour les mauvais anges qu'elle sait être ses ennemis, l'empêchera alors de prier pour les hommes destinés aux flammes éternelles. Car maintenant elle prie pour les hommes qui sont ses ennemis, parce que c'est encore, le temps d'une pénitence utile. En effet, que demande-t-elle à Dieu pour eux, sinon, comme dit l'Apôtre : « Qu'ils fassent pénitence et qu'ils sortent des pièges du diable qui les tient captifs et en dispose à son gré 1?» Que si l'Eglise connaissait ès à présent ceux qui sont prédestinés à aller avec le diable dans 1. II Tim. II, 25, 26. (502) le feu éternel, elle prierait aussi peu pour eux que pour lui. Mais, comme elle n'en est pas assurée, elle prie pour tous ses ennemis qui sont ici-bas, quoiqu'elle ne soit pas exaucée pour tous. Car elle n'est exaucée que pour ceux qui, bien que ses ennemis, sont prédestinés à devenir ses enfants par le moyen de ses prières. Mais prie-t-elle pour les âmes de ceux qui meurent dans l'obstination et qui n'entrent point dans son sein? Non, et pourquoi cela, sinon parce qu'elle compte déjà au nombre des complices du diable ceux qui pendant cette vie ne sont pas amis de Jésus-Christ? C'est donc, je le répète, la même raison qui empêche maintenant l'Eglise de prier pour les mauvais anges qui l'empêchera alors de prier pour les hommes destinés au feu éternel. Et c'est encore pour la même raison que tout en priant maintenant pour les morts en général, elle ne prie pas pourtant pour les méchants et les infidèles qui sont morts. Car, parmi les hommes qui meurent, il en est pour qui les prières de l'Eglise ou de quelques personnes pieuses sont exaucées ; mais ce sont-ceux qui ayant été régénérés en Jésus-Christ, n'ont pas assez mal vécu pour qu'on les juge indignes de cette assistance, ni assez bien pour qu'elle ne leur soit pas nécessaire. Il s'en trouvera aussi, après la résurrection des morts, à qui Dieu fera miséricorde et qu'il n'enverra point dans le feu éternel, à condition qu'ils auront souffert les peines que souffrent les âmes des trépassés. Car il ne serait pas vrai de dire de quelques-uns, qu'il ne leur sera pardonné ni en cette vie, ni dans l'autre, s'il n'y en avait à qui Dieu ne pardonne point en cette vie, mais à qui il pardonnera dans l'autre. Donc, puisque le Juge des vivants et des morts a dit: « Venez, vous que mon Père a bénis, prenez possession du royaume qui vous a été préparé dès la naissance du monde » ; et aux autres au contraire: « Retirez-vous de moi, maudits, et allez au feu éternel préparé pour le diable et ses anges » ; et: « Ceux-ci iront au supplice éternel et les justes à la vie éternelle 1 », il y a trop de présomption à prétendre que le supplice ne sera éternel pour aucun de ceux que Dieu envoie au supplice éternel, et ce serait donner lieu de désespérer ou de douter de la vie éternelle. Que personne n'explique donc ces paroles du 1. Matt. XXV, 34, 41, 46. psaume : « Dieu oubliera-t-il sa clémence ? et sa colère arrêtera-t-elle le cours de ses miséricordes 1 ? » comme si la sentence de Dieu était vraie à l'égard des bons et fausse à l'égard des méchants, ou vraie à l'égard des hommes de bien et des mauvais anges, et fausse à l'égard des hommes méchants. Ce que dit le psaume se rapporte aux vases de miséricorde et aux enfants de la promesse, du nombre desquels était ce prophète même qui, après avoir dit : « Dieu oubliera-t-il sa clémence ? et sa colère arrêtera-t-elle le cours de ses miséricordes?» ajoute aussitôt: «Et j'ai dit: Je commence; ce changement est un coup de la droite du Très-Haut 2 » ; par où il explique sans doute ce qu'il venait de dire « Sa colère arrêtera-t-elle le cours de ses « miséricordes? » Car cette vie mortelle où l'homme est devenu semblable à la vanité, et où ses jours passent comme une ombre 3, est un effet de la colère de Dieu. Et cependant, malgré cette colère, il n'oublie pas de montrer sa miséricorde, en faisant lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et sur les injustes 4. Ainsi sa colère n'arrête pas le cours de ses miséricordes, surtout en ses changements dont parle la suite du psaume : « Je commence; ce changement est un coup de la droite du Très-haut ». Quelque misérable, en effet, que soit cette vie, Dieu ne laisse pas d'y changer en mieux les vases de miséricorde ; non que sa colère ne subsiste toujours au milieu de cette malheureuse corruption, mais elle n'arrête pas le cours de sa bonté. Et puisque la vérité du divin cantique se trouve ainsi accomplie, il n'est pas besoin d'en étendre le sens au châtiment de ceux qui n'appartiennent pas à la Cité de Dieu. Si donc l'on persiste à l'interpréter de la sorte, qu'on fasse du moins consister la miséricorde divine, non à préserver les damnés de ces peines ou à les en délivrer, mais à les leur rendre plus légères qu'ils ne le méritent 5 : sentiment que je ne prétends pas d'ailleurs établir, me bornant à ne le point rejeter. Quant à ceux qui ne voient qu'une menace au lieu d'un arrêt effectif dans ces paroles: « Retirez-vous de moi, maudits, et allez au 1. Ps. LXXVI, 10. - 2. Ibid. 11. - 3. Ps. CXLIII, 4. - 4. Matt. V, 45. 2. C'est aussi le sentiment plusieurs fois exprimé par saint Jean Chrysostome, notamment dans son homélie XXXVII sur la Genèse, n. 3. (503) « feu éternel » ; et dans cet autre passage « Ceux-ci iront au supplice éternel 1 »; et encore dans celui-ci : « Ils seront tourmentés dans les siècles des siècles 2 » ; et enfin dans cet endroit: « Leur ver ne mourra point, et le feu qui les brûlera ne s'éteindra point 3»; ce n'est pas moi qui les combats et qui les réfute, c'est 1'Ecriture sainte. En effet, les Ninivites ont fait pénitence en cette vie 4; et cela leur a été utile, parce qu'ils ont semé dans ce champ où Dieu a voulu qu'on semât avec larmes pour y moissonner plus tard avec joie 5.Qui peut nier toutefois que la prédiction de Dieu n'ait été accomplie, à moins de ne pas considérer assez comment Dieu détruit les pécheurs non-seulement quand il est en colère contre eux, mais aussi quand il leur fait miséricorde ? Il les détruit de deux manières : ou comme les habitants de Sodome, en punissant les hommes mêmes pour leurs péchés, ou comme les habitants de Ninive, en détruisant les péchés des hommes par la pénitence. Ce que Dieu avait annoncé est donc arrivé : la mauvaise Ninive a été renversée, et elle est devenue bonne, ce qu'elle n'était pas ; et, bien que ses murs et ses maisons soient demeurés debout, elle a été ruinée dans ses mauvaises mœurs 6. Ainsi, quoique le Prophète ait été contristé de ce que les Ninivites n'avaient pas ressenti l'effet qu'ils appréhendaient de ses menaces et de ses prédictions 7, néanmoins ce que Dieu avait prévu arriva, parce qu'il savait bien que cette prédiction devait être accomplie dans un plus favorable sens. Mais afin que ceux que la miséricorde égare comprennent quelle est la portée de ces paroles de l'Ecriture : « Seigneur, que la douceur que vous avez cachée à ceux qui vous craignent est grande et abondante ! »qu'ils lisent ce qui suit : « Mais vous l'avez consommée en ceux qui espèrent en vous 8 ». Qu'est-ce à dire sinon que la justice de Dieu n'est pas douce à ceux qui ne le servent que par la crainte du châtiment, comme font ceux qui veulent établir leur propre justice en la fondant sur la loi ? Ne connaissant pas en effet la justice de Dieu, ils ne la peuvent goûter 9. Ils mettent leur espérance en eux-mêmes, au lieu de la mettre en lui ; aussi 1. Matt. XXV, 41, 46.- 2. Apoc. XX, 10.- 3. Isa. LXVI, 24. - 4. Jonas, III, 7. - 5. Ps. CXXV, 6. 6. Comp. saint Augustin, Enarrat. in Ps. L, n. 11. 7. Jonas, IV, 1-3. - 8. Ps. XXX, 20. - 9. Rom. X, 3. l'abondance de la douceur de Dieu leur est cachée ; parce que , s'ils craignent Dieu c'est de cette crainte servile qui n'est point accompagnée d'amour, car l'amour parfait bannit la crainte 1. Dieu a donc consommé sa douceur en ceux qui espèrent en lui ; il l'a consommée en leur inspirant son amour, afin qu'étant remplis d'une crainte, chaste que l'amour ne bannit pas, mais qui demeure éternellement 2, ils ne s'en glorifient que dans le Seigneur. En effet, la justice de Dieu, c'est Jésus-Christ « qui nous a été donné de Dieu pour être notre sagesse, notre justice, notre sanctification et notre rédemption, afin que, comme il est écrit, celui qui se glorifie, se glorifie dans le Seigneur 3 ». Cette justice de Dieu, qui est un don de la grâce et non l'effet de nos mérites, n'est pas connue de ceux qui, voulant établir leur propre justice, ne sont point soumis à la justice de Dieu, qui est Jésus-Christ 4. C'est dans cette justice que se trouve l'abondance de la douceur de Dieu. De là vient cette parole du psaume : « Goûtez et voyez combien le Seigneur est doux 5 ! »En ce pèlerinage, nous le goûtons plutôt que nous ne pouvons nous en rassasier, ce qui excite plus fortement encore la faim et la soit que nous eu avons, jusqu'au jour où nous le verrons tel qu'il est 6, et où cette parole du psalmiste sera accomplie : « Je serai rassasié, quand votre gloire paraîtra 7 ». C'est ainsi que Jésus-Christ consomme l'abondance de sa douceur en ceux qui espèrent en lui. Or, si Dieu cache à ceux qui le craignent l'abondance de cette douceur dans le sens où l'entendent nos adversaires, c'est-à-dire afin que la peur d'être damnés engage les impies à bien vivre, de sorte qu'il puisse y avoir des fidèles qui prient pour leurs frères qui vivent mal, comment alors Dieu a-t-il consommé sa douceur en ceux qui espèrent en lui, puisque, selon ces rêveries, c'est par cette douceur même qu'il ne doit pas damner ceux qui n'espèrent pas en lui ?