
Acte de consécration au Sacré-Coeur de Jésus
de la ville et du diocèse de Marseille
prononcé par Mgr de Belsunce
lors d’une messe le 1er novembre 1720
Ô Cœur Sacré et Adorable du Sauveur de tous les hommes,
je Te consacre de nouveau cette ville et ce diocèse,
mon cœur et ceux de mes diocésains.
Nous offrons, sans réserve et sans retour tous nos cœurs à Ton service :
Viens, Ô Dieu de Bonté, viens en prendre possession ;
Viens y régner seul ; chasses-en tout ce qui Te déplaît ;
Orne-les de toutes les vertus qui peuvent rendre nos cœurs selon le Tien,
doux, humbles et patients ;
qu’ils n’oublient jamais les saintes résolutions qu’ils ont formées
dans ces jours de deuil et de larmes !
Fortifie leur faiblesse, sois leur guide, leur consolateur, leur défenseur !
Que rien ne soit jamais capable de les séparer de Toi pendant la vie,
Et surtout au moment de la mort !
Qu’ils ne vivent plus que pour Toi, afin que nous T’aimions !
Nous Te bénissions pendant toute l’Eternité.
Amen.
La Grande Peste de Marseille
« La personnalité religieuse la plus connue est l’évêque de Marseille, Mgr de Belsunce qui se signala notamment par son zèle et son dévouement à secourir les malades. Face à cette épidémie sans précédent, il décide de rendre visite aux malades en leur administrant les derniers sacrements. On le vit aussi distribuer d'abondantes aumônes afin de soulager ses ouailles. Sur les conseils d'Anne-Madeleine Rémusat, il décide le 1er novembre 1720 de consacrer la ville au Sacré-Cœur de Jésus au cours d'une cérémonie expiatoire sur le cours qui porte aujourd'hui son nom. L'évêque célèbre la messe tête nue, pieds nus et un flambeau à la main. Le 31 décembre 1720, il organise une procession générale sur les fosses communes situées pour la plupart à l'extérieur des remparts ; la bénédiction est donnée à chacune de ces fosses. Afin d'apporter une aide matérielle aux malades, il aliène une grande partie de son patrimoine. Sur plus de deux-cent cinquante religieux, un cinquième d'entre eux, comme le père jésuite Millet succombent à l'épidémie en soignant et portant secours aux pestiférés. Ces attitudes courageuses ne sont pas généralisées. Ainsi les moines de l'abbaye Saint-Victor se renferment derrière les murailles de leur monastère et se contentent d'envoyer quelques aumônes. De même les chanoines de l'église Saint-Martin, qui sera démolie au XIXe siècle pour la réalisation de la rue Colbert, se réfugièrent à la campagne. »
Source : « Peste de Marseille (1720) – Ecclésiastiques » sur Wikipédia

Vitrail dans la Basilique du Sacré-Coeur de Marseille
81 Avenue du Prado, 13008 Marseille
La Vénérable Anne-Madeleine Rémusat inspire à
Mgr de Belsunce de consacrer Marseille au Sacré-Coeur
afin d'enrayer l'épidémie de peste qui sévit en 1720
Actes de Consécration et de Réparation
Louanges littéraires de Mgr de Belsunce
« Dans un quartier dont tous les habitants avaient péri, on les avait murés à domicile, comme pour empêcher la mort de sortir. De ces avenues de grands tombeaux de famille, on passait à des carrefours dont les pavés étaient couverts de malades et de mourants étendus sur des matelas et abandonnés sans secours. (...) Sur l'esplanade de la Tourette, au bord de la mer, on avait, pendant trois semaines, porté des corps, lesquels, exposés au soleil et fondus par ses rayons, ne présentaient plus qu'un lac empesté. Sur cette surface de chairs liquéfiées, les vers seuls imprimaient quelque mouvement à des formes pressées, indéfinies, qui pouvaient avoir été des effigies humaines. »
(…)
« Quand la contagion commença de se ralentir, M. de Belsunce, à la tête de son clergé, se transporta à l'église des Accoules : monté sur une esplanade d'où l'on découvrait Marseille, les campagnes, les ports et la mer, il donna la bénédiction, comme le pape à Rome, bénit la ville et le monde : quelle main plus courageuse et plus pure pouvait faire descendre sur tant de malheurs les bénédictions du ciel ? »
François-René de Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe, livre trente-cinquième, Ch. 14, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », Paris, 1951, deux volumes, tome II, p. 533-534.
« L'enseignement religieux véritable, celui devant lequel il faut se prosterner, le voici : c'est le Frère de la Merci rachetant l'esclave, c'est Vincent de Paul ramassant l'enfant trouvé, c'est la sœur de charité au chevet du mourant, c'est l'évêque de Marseille au milieu des pestiférés, c'est l'archevêque de Paris affrontant avec un sourire sublime le faubourg Saint-Honoré révolté, s'inquiétant peu de recevoir la mort pourvu qu'il apporte la paix. »
Discours de Victor Hugo prononcé à l’Assemblée Nationale le 15 janvier 1850 concernant le projet de loi sur la liberté de l’enseignement
Ode de Voltaire : « Sur le fanatisme »
1732 (peut-être 1736 ?)
(....)
« Malheureux, voulez-vous entendre La loi de la religion ?
Dans Marseille il fallait l’apprendre
Au sein de la contagion,
Lorsque la tombe était ouverte,
Lorsque la Provence, couverte
Par les semences du trépas,
Pleurant ses villes désolées
Et ses campagnes dépeuplées,
Fit trembler tant d’autres Etats.
Belzunce, pasteur vénérable,
Sauvait son peuple périssant ; »
(…)

Autel dans la Basilique du Sacré-Coeur de Marseille
1782-1816
« Belzunce, ou la peste de Marseille »
publié en 1808
J'allais redemander aux fastes de la guerre
Ces héros qu'en tremblant a révérés la terre ;
J'allais, des temps fameux interrogeant la voix,
Ressusciter l'honneur de l'antique pavois ;
Quand la Religion, reine longtemps bannie :
« Que mes rayons, dit-elle, échauffent ton génie ;
« De l'un de mes élus chante les saints travaux.
« Comme le champ d'honneur l'autel a ses héros ».
J'obéis, m'écriai-je, incliné devant elle ;
Mais daigne me prêter cette harpe immortelle
Qui jadis, racontant Babylone au cercueil,
D'un grand peuple exilé prophétisa le deuil.
Alors, fille des cieux ! si la corde sonore
Ne se dérobe point à ma main faible encore,
Si tu remplis mon sein de ta noble chaleur,
Je dirai la vertu protégeant le malheur.
Sous l'azur d’un beau ciel, de splendeur couronnée,
Marseille s'élevait puissante et fortunée.
Partout fleurit l'espoir : l'automne en souriant
Prodigue ses moissons, et le riche Orient
Couronne des présents de la terre et de l'onde
Ces champs que du Midi l'œil embrase et féconde.
Jamais dans nos climats des soleils plus heureux
Ne vinrent colorer des fruits plus savoureux.
Dans sa verte prison la figue recueillie,
Du frileux oranger la pomme enorgueillie
Étalaient à l'envi leur précoce trésor,
Et l'olive onctueuse épandait ses flots d'or.
Debout sur ces rochers, dont la cime hautaine
Voit accourir ta vague écumeuse et lointaine.
Plutus, l'œil sur les mers, implorait le retour
Des vaisseaux qui, voguant vers les portes du jour,
Vont ravir les toisons de l'ardente Lybie,
Ou les parfums si doux qu'enfanta l'Arabie,
Et reviennent, chargés de cent trésors divers,
Apporter aux cités le tribut des déserts.
Ils approchent….. Craignez leurs perfides promesses !
Craignez ce vaste amas d'homicides richesses !
L'horrible peste habite en ces tissus pompeux ;
Ses germes destructeurs voyagent avec eux ;
Et, se levant du fond des sables solitaires,
La mort étend vers vous ses ailes funéraires.
Tel, des champs de Cécrops aux murs de Pandion,
Courut le monstre affreux de la contagion ;
Hydre au souffle infecté, qu'en ses grottes profondes
Le Nil nourrit longtemps de ses fanges fécondes.
L'ange exterminateur a donné le signal.
Déjà l'oiseau des mers, loin de ce bord fatal,
Fuit en poussant des cris de lamentable augure ;
Déjà des corps nombreux peuplent la sépulture...
Insensés, que de l'or trompe le vil attrait !
Sur les sanglants linceuls glisse votre œil distrait :
Tant l'homme est incrédule et refuse son âme
A ces hautes leçons que le cercueil proclame !
Seulement un vieillard, instruit par le passé,
Disait : « D'un grand fléau ce peuple est menacé ;
« Encore une journée, et l'hydre tient sa proie »
Hélas ! sa voix se perd dans la bruyante joie.
Il subit ton destin, prêtresse d'Ilion !
Et le mépris s'attache à sa prédiction.
Cependant les périls s'accroissaient d'heure en heure,
Et les morts se pressaient dans leur froide demeure.
Le monotone accent de l'airain solennel
Fatigue en vain les airs de son lugubre appel.
Des vulgaires humains en vain s'ouvre la tombe ;
On ne s'aperçoit pas que le pauvre succombe :
Mais quand le riche orgueil du luxe fainéant
Vient à passer soudain des grandeurs au néant,
Sa chute, qui longtemps retentit sur la terre,
Pénètre tous les cœurs d'un effroi salutaire ;
Comme si l'opulence avait droit ici-bas
De payer avec l'or la rançon du trépas !
Les yeux s'ouvrent enfin ; tout s'arrête immobile,
Et la douleur sans voix a parcouru la ville.
Ces chars de deuil voilés, qui vers le monument
Dans leur morne lenteur roulaient incessamment ;
Ces convois, qu'escortaient les pleurs et la prière,
Révélaient du fléau la course meurtrière ;
Et chaque citoyen, dans ce pressant danger,
Avide de savoir tremblait d'interroger.
Avez-vous quelquefois, alors que les orages
Annoncent aux vaisseaux l'approche des naufrages,
Entendu ces bruits sourds par degrés redoublés,
Ces confuses clameurs des matelots troublés ?
Du peuple dans l'effroi telle est la voix plaintive.
Les trésors d'Orient sont épars sur la rive ;
Le noir cordage flotte à demi détendu,
Et l'avide marchand, de terreur éperdu,
Regardant sa richesse avec indifférence,
Borne ses longs calculs et sa longue espérance.
Cité ! console-toi. Par le ciel envoyé,
Dans ton sein va descendre un ange de pitié ;
Le cri de tes douleurs frappe au loin son oreille,
Et Belzunce revole aux remparts de Marseille.
On s'écrie « Arrêtez ; où portez-vous vos pas ?
« Fuyez, fuyez la mort ». — « Non, je ne fuirai pas.
« Qu'une indigne frayeur lâchement me retienne !
« Non, ce peuple est mon peuple, et sa vie est la mienne
« Ma place est là, j'y cours ; ce fléau destructeur
« Doit avec le troupeau dévorer le pasteur ».
En achevant ces mots, intrépide il s'élance,
Et des murs consternés traverse le silence.
Pour son cœur paternel ô tableau douloureux !
Un peuple de mourants, au teint hâve, à l'œil creux,
Fantômes animés, errant de place en place,
Pâles, et frissonnant d'une sueur de glace,
Et soutenant à peine un corps défiguré
Que le brûlant ulcère a presque dévoré !
L'aigre douleur provoque et fatigue sans cesse
De leurs nerfs inquiets l'irritable faiblesse :
Tout leur pèse ; on les voit, incertains et troublés,
Sous un tissu de lin succomber accablés.
Interprète muet, leur langue desséchée
Reste sans mouvement au palais attachée.
L'eau monte avec effort dans leurs rauques gosiers,
Que la fièvre en fureur brûle de ses brasiers ;
Et la coupe tarit sous leurs lèvres avides,
Où tremblent de la mort les empreintes livides.
Ceux-ci tombent frappés d'une invisible main ;
Ceux-là vont au cercueil par un plus long chemin.
L'un, sur le bord des eaux, en gémissant se traîne;
L'autre, égaré, tantôt mord la poudreuse arène,
Tantôt, trompant ses maux par des maux plus ardents,
Sur sa hideuse plate imprime encor ses dents.
Quelques-uns, du trépas espérant fuir l'atteinte,
De leurs murs désolés abandonnent l'enceinte,
Et, prêts à s'élancer vers les pays lointains,
Vont au sombre Océan confier leurs destins ;
Mais du bronze enflammé les foudres meurtrières,
A la fuite opposant leurs tonnantes barrières,
Repoussent vers le port les fragiles canots ;
Et ce groupe effraye, qui gémit sur les flots,
S'élevant au-dessus de la plaine azurée,
Apparaît comme une île à la mort consacrée.
Entendez-vous frémir ces enfants des combats,
Qui perdent à la fois leur vie et leur trépas ?
Voyez-vous ces rochers, vieux habitants des ondes,
Jeter de longs regards sur les plaines profondes ?
« Nous, lentement périr, et périr dans le port !
« Mer ! ouvre-toi ; pour nous sois le lit de la mort ».
Mais déjà de la ville on entoure les portes ;
Le glaive menaçant des nombreuses cohortes
D'un peuple fugitif intimide les pas :
Le trépas se présente à qui fuit le trépas.
De citoyens armés une inflexible chaîne
Autour des murs s'étend, par devoir inhumaine.
Leur regard se détourne, et d'un objet sacré
Tremble de rencontrer le regard adoré ;
Et leurs aveugles coups, à regret homicides,
Ensanglantent leurs bras d'innocents parricides.
Le port désert, plongé dans un calme effrayant,
N'entend plus ni les cris, ni le marteau bruyant :
Les temples sont fermes. Dans ces douleurs publiques,
Des saints sur les autels on voit là les reliques ;
Le cierge consacré cessa de s'allumer,
Et l'encens pour les cieux oublia de fumer.
Voilà donc ces remparts, si fameux d'âge en âge,
Ce sol des troubadours, dont le ciel sans nuage
Semblait du ciel romain répéter les splendeurs !
Où sont, fille des mers, tes antiques grandeurs ?
Où sont ces nautoniers, de qui la foule active
Attachait le regard de l'Europe attentive ?
Emule de Sidon et rivale de Tyr !
L'oubli silencieux s'apprête à t'engloutir ;
Tu vas joindre au tombeau Babylone et Carthage.
Un jour le voyageur, égaré vers ta plage,
Sur ton havre désert jetant un œil surpris
Demandera Marseille à ses muets débris.
Ainsi Jérusalem, à Dieu longtemps si chère,
Quand sur elle eût soufflé le vent de la colère,
Fléchissant sous le poids de ses calamités,
Tomba dans un moment du trône des cités ;
Et du prophète roi l'héritière divine
Emplit tout l'Orient du bruit de sa ruine.
Mais l'envoyé du ciel à la terre a parlé,
Et le parvis du temple est soudain repeuplé.
Les ordres du prélat rouvrent le sanctuaire ;
De nombreux citoyens l'escortent vers la chaire.
Et s'arrêtent, saisis d'un saint frémissement.
Belzunce, devant Dieu, se recueille un moment ;
Et, s'armant tout à coup de la croix symbolique,
Élève avec ferveur sa voix évangélique :
« Aux doux de cette croix l'Homme-Dieu vint s'offrir,
« Disait-il ; comme lui ne sauriez-vous souffrir ?
« Adorons, inclinés, la volonté céleste ;
« Humbles de cœur, priez ; le ciel fera le reste ».
Il dit ; vers le Très-Haut la prière a volé :
Le malheureux qui prie est déjà consolé.
Belzunce ouvre aux douleurs un asile propice ;
Sou palais se transforme eu un pieux hospice.
Les lits nombreux du pauvre, alignes tristement,
Du vertueux séjour sont l'unique ornement ;
Et l'or, qui décorait cette riche demeure,
Court chercher les besoins du malade qui pleure.
Temple sacré du deuil et de l'humanité !
Ta pompe douloureuse est dans ta nudité.
Le Prélat, revêtu de la bure grossière,
Et le front tout souillé de cendre et de poussière,
D'un bras infatigable écarte le trépas.
L'Aumône, ouvrant la main, vole devant ses pas.
Oh ! quels flots de bienfaits épanchés dans sa course
De son or généreux il épuise la source ;
Mais l'éternel lui garde un bien plus précieux :
Sa sainte pauvreté l'enrichit dans les cieux.
Suivi de ces mortels, dont la main révérée
Des courts destins de l'homme allonge la durée,
D'un pied muet, il entre au fond des noirs réduits
Où veille la douleur dans la longueur des nuits.
Et présente au mourant, qu'un feu secret consume,
Du breuvage ordonné la propice amertume.
Du mortel expirant il recueille les vœux,
Les derniers repentirs et les derniers aveux ;
Lui montre dans la mort le retour salutaire
D'un habitant des cieux exilé sur la terre ;
Et le guide, aux clartés de son divin flambeau,
Vers ce jour immortel qui commence au tombeau.
De moment en moment l'active maladie
Redouble les progrès de son vaste incendie ;
Tout meurt. On n'aperçoit que de vivants débris :
Les yeux n'ont plus de pleurs, la voix n'a plus de cris.
De leurs sinistres mains le Deuil et la Souffrance
Ont écrit sur ces murs : « Ici plus d'espérance ».
L'inévitable mort frappe à coups dévorants,
Et son niveau funèbre égale tous les rangs.
L'ami tombe et s'éteint sur l'ami qu'il regrette.
L'égoïste, au cœur dur, s'enferme en sa retraite ;
Là, seul, privé d'appuis, il meurt triste, isolé :
II ne consola point et n'est point consolé.
L'étranger, que rappelle une épouse chérie,
Succombe, le regard tourné vers la patrie.
Le vieillard oublié, sur sa couche étendu,
Appelle, appelle encore, et n'est point entendu !
Près de lui languissait la lampe solitaire,
De sa dernière nuit compagne funéraire.
Que cette nuit fut longue ! Enfin le jour parut,
La lampe s'éteignit et le vieillard mourut.
Plus loin, entre ses bras, une mère éplorée
Tient son fils qui n'est plus, et sa bouche égarée
S'attachant sur la sienne y puise avec effort
Le poison bienfaiteur qui lui promet la mort.
Mais des bords de la tombe un cri s'est fait entendre.
Les autels attendaient ce couple jeune et tendre ;
Déjà fumait l'encens. O changement fatal !
Le froid linceul….. tel est leur voile nuptial !
Attestant de l'hymen la majesté divine,
Belzunce étend ses mains sur leur front qui s’incline.
Morne flambeau ! Tu luis sur leurs derniers moments.
Et l'autel de la mort a reçu leurs serments.
Des secrets de la vie heureux dépositaire,
Laborieux martyr d'un noble ministère !
Le monstre impur te lance un farouche regard,
Et se venge sur toi des bienfaits de ton art.
Prêtre du Dieu vivant ! ta main appesantie
Se glaçant par degrés laisse échapper l'hostie.
Seul Belzunce est debout. En ces lieux destructeurs
Il ose encor porter ses pas consolateurs.
Quand Moïse, aux regards de la foule tremblante,
Franchit du haut Horeb la cime étincelante,
Israël éperdu, devant Dieu prosterné,
Pria, les yeux en pleurs et le front consterné.
Telle autour de Belzunce une foule éplorée
Recommandait au ciel cette tête sacrée.
Peuple ! cesse ta plainte et sors de ton effroi :
Le ciel veille sur lut pour qu'il veille sur toi.
Sous l'aile du Seigneur, le prélat vénérable
Dans le commun fléau demeure invulnérable.
Durant vingt nuits ses yeux ne se sont point fermés.
À la sombre lueur des fanaux enflammés
Il veille infatigable, et sa marche assidue
Parcourt de la cité la plaintive étendue.
Purifiant la terre où s'impriment ses pas,
Par sa seule présence il impose au trépas ;
Et, d'un peuple mourant apaisant la souffrance,
De la tombe entr'ouverte il trompe l'espérance.
Enfin, sous tant d'efforts il se sent accablé.
De succomber trop tôt lui-même il a tremblé.
L'intrépide nageur qui, sur les noirs abîmes,
A déjà ressaisi de nombreuses victimes,
Vers d'autres malheureux par le flot menacés
Se précipite, lutte, étend ses bras lassés,
Les saisit….. Mais, hélas ! sans force et sans haleine,
Pourra-t-il parvenir à la rive lointaine ?
Tel est Belzunce. Au ciel sa grande âme eut recours.
« Dieu, laissez-moi pour eux vivre encor quelques jours !
« Et nous que l'anathème a choisis pour victimes,
« Nous, pécheurs, qui portons la peine de nos crimes,
« Essayons d'émousser les flèches du courroux ;
« Mettons la pénitence entre la mort et nous.
« Peuple, suivez mes pas ». Et la foule troublée.
Autour de lui se presse en désordre assemblée.
Il était nuit. Belzunce, en ces pieux instants,
Humble, et le cou pressé du nœud des pénitents,
Le pied nu, l'œil au ciel, à l'entour des murailles
A voix basse entonnait l'hymne des funérailles.
Un reste d'habitants, faibles, et peu nombreux,
Traînaient avec effort leurs débris douloureux,
Et supportaient à peine, en leur main affaiblie,
Des flambeaux pâlissants, images de leur vie.
Lorsque devant leurs pas l'asile sépulcral
Offrit ses humbles croix et son tertre inégal,
Leur chant religieux, saluant cette enceinte,
Des ossements vieillis bénit la poudre sainte ;
Et la tombe entendit les ténébreux accords
Des mourants qui priaient sur la cendre des morts.
Ces tristes voix dans l'air sourdement retentirent,
Et de la sombre nuit les profondeurs gémirent.
On dit même qu'alors l'ange mystérieux
Qui s'assied aux confins de la terre et des deux,
Laissant un sillon d'or sur sa route étoilée,
Descendit lentement et la face voilée,
Recueillit les soupirs, et, saint médiateur,
Les porta sur son aile aux pieds du Créateur.
Faveur soudaine ! Il luit le jour de la clémence !
L'Éternel fait un signe, et le pardon commence.
L'air circule déjà plus limpide et plus pur ;
L'espace radieux a repris son azur,
L'automne sa guirlande, et la terre épuisée
Boit les molles vapeurs de la fraîche rosée.
L'appareil funéraire a fui de ce séjour ;
Le regret seul demeure et gémit plus d'un jour.
Ce peuple, si longtemps à l'infortune en proie,
Laisse à peine éclater sa douloureuse joie.
Mais, la reconnaissance étouffant les sanglots,
La foule tombe aux pieds du pontife héros,
Le porte vers le temple, et par un juste hommage,
Bénit le Tout-Puissant dans sa vivante image.