CHAPITRE XIII
DE LA RÉPARATION.
1. Il arriva qu'un jour, en pliant les ornements sacrés, on fit tomber par terre une hostie qui avait été offerte à l'autel, mais on ne savait si elle avait été consacrée ou non. Celle-ci, ayant eu recours à Dieu, apprit de lui que l'hostie n'était pas consacrée, et conçut à bon droit une joie extrême de ce qu'une telle négligence n'avait pas été commise. Cependant, comme elle brûlait de zèle pour la gloire de son Seigneur, elle lui dit : « Bien que votre bonté infinie ait empêché une si grande irrévérence envers le Sacrement de l'autel, cependant, ô Dieu de l'univers, parce que vous êtes outragé non seulement par les païens et les Juifs qui sont vos ennemis, mais encore par vos amis, c'est-à-dire par les fidèles rachetés de votre sang, et, ce qui est encore plus déplorable, quelquefois même par les prêtres et les religieux. je ne révèlerai point que cette e hostie n'à pas été consacrée, pour ne pas vous priver d'un hommage de réparation. » Elle ajouta: « Faites-moi connaître, ô Seigneur, quelle satisfaction vous plairait davantage pour réparer les offenses qui se commettent contre vous, car il me serait doux de consumer toutes mes forces pour la gloire et l'honneur de votre nom. » Elle comprit que le Seigneur accepterait volontiers qu'en union de cet amour par lequel Dieu s'est fait homme pour nous, on récitât deux cent vingt-cinq fois le Pater noster pour honorer ses membres sacrés, et qu'on rendit service autant de fois au prochain à cause de Celui qui a dit: Quod uni ex minimis meis fecistis, mihi fecistis : Ce que vous avez fait au plus petit des miens, c'est à moi que vous l'avez fait a (Matth., xxv, 40). Le Seigneur demandait encore qu'on renonçât pour son amour aux plaisirs vains et inutiles.
2. Oh ! que les miséricordes de Dieu sont grandes et ineffables ! En véritable ami des hommes, il daigne accepter d'aussi faibles offrandes et même les récompenser, lorsque nous ne mériterions que de justes châtiments, si nous lui refusions le tribut de notre amour.
CHAPITRE XIV
L'AME EST PURIFIÉE PAR DEUX MOYENS :
L'AMERTUME DE 1A PÉNITENCE ET LA SUAVITÉ DE L'AMOUR.
1. Le Seigneur, désireux d'augmenter le mérite des âmes qui lui sont chères et d'assurer leur salut, permet quelquefois qu'elles trouvent d'énormes difficultés dans l'accomplissement d'un devoir très facile en lui-même.
2. C'est ce qui arriva à celle-ci : la confession de ses fautes lui parut un jour si pénible qu'elle était persuadée de ne pouvoir la mener à bien par ses propres forces. Comme elle priait le Seigneur avec toute la ferveur possible, celui-ci l'interrogea : « Veux-tu, dit-il, remettre avec une entière confiance entre mes mains le soin de cette confession et ne t'en faire aucun souci ? » Elle répondit : « Oui, ô mon très cher Seigneur, j'ai une entière et surabondante confiance en votre toute-puissante bonté; mais, après vous avoir offensé, j'éprouve le besoin de repasser ces péchés dans l'amertume de mon âme, afin de vous offrir par là quelque marque d'un regret efficace. Le Seigneur ayant agréé ce procédé, elle se plongea dans la considération de ses misères, et bientôt sa peau lui parut toute déchirée comme si elle s'était roulée dans les épines. Elle découvrit ses plaies au Père des miséricordes, afin qu'en habile et fidèle médecin il voulût bien les guérir. Le Seigneur, s'inclinant vers elle avec bonté, lui dit : « Par mon souffle divin, je chaufferai pour toi le bain salutaire de la confession, et lorsque tu auras été purifiée selon mon bon plaisir, tu apparaîtras sans tache à mes yeux ». Aussitôt elle voulut se dépouiller de ses vêtements pour être plongée dans ce bain et dit : « J'ai dans le coeur, ô mon Dieu, un si grand amour de votre gloire, qu'il me force à me dépouiller de tout honneur humain, et, s'il le fallait, je serais prête à déclarer mes fautes devant le monde entier. » Le Seigneur la couvrit alors de ses propres vêlements et la fit reposer avec douceur dans ses bras jusqu 'à ce que ce bain fut prêt, c'est-à-dire jusqu'à à l'heure de la confession.
3. Mais comme ce moment approchait, son esprit fut encore plus assailli par le trouble : « Seigneur, dit-elle, votre coeur si tendre et si miséricordieux n'ignore pas combien cette confession m'est à charge; pourquoi permettez-vous que je sois en outre accablée par de pénibles pensées? » Le Seigneur répondit: « Les personnes qui se baignent se font donner des frictions énergiques dans le but de fortifier leur corps; de même ton âme prendra son essor au milieu des contradictions. » Elle vit bientôt un bain préparé à la gauche du Seigneur, et de ce bain s'échappait une tiède vapeur. En même temps cet aimable Sauveur lui montra à sa droite un jardin délicieux rempli de fleurs, parmi lesquelles on distinguait de superbes roses sans épines qui charmaient et attiraient, par leurs suaves parfums. Le Seigneur l'invita à entrer dans ce magnifique jardin, si elle le préférait au bain qui lui paraissait toujours intolérable. - « Non, mon Dieu, dit-elle, j'entrerai sans hésitation dans ce bain que vous avez daigné chauffer par votre souffle divin. » Le Seigneur répondit : » Qu'il en soit ainsi pour ton salut éternel ! »
4. Elle comprit que ce beau jardin figurait la suavité intérieure de la grâce divine. La grâce portée par le souffle doux et léger de l'amour, répand sur l'âme fidèle une rosée parfumée des larmes de la dévotion, la rend blanche comme la neige et lui donne une sécurité parfaite, non seulement au sujet de la rémission de ses péchés, mais aussi en ce qui concerne l'abondance des mérites. Delà elle concluait que le Seigneur avait eu pour agréable de lui voir abandonner, à cause de son amour, la voie douce et facile des consolations célestes et choisir un chemin rude et pénible. Après la confession elle se retira dans l'oratoire et y sentit la présence de cet aimable Seigneur qui lui avait rendu la confession si pénible. Elle avait en effet éprouvé d'énormes difficultés à déclarer des fautes légères, que d'antres dévoilent parfois en public, comme en se jouant.
5. II est bon de savoir que l'âme est purifiée de tous ses péchés par deux moyens principaux : par l'amertume de 1a pénitence et tous les sentiments dont elle est la source, c'est ce que signifie le bain ; par le doux embrasement du divin amour avec ses conséquences, et c'est là ce que symbolise le jardin délicieux.
6. Elle se reposa ensuite dans la sacrée blessure de la main gauche du Sauveur, comme pour y goûter après le bain ce délassement qui accompagne la transpiration, et y attendre l'heure d'accomplir la pénitence imposée par le prêtre. Mais comme cette satisfaction exigeait un délai, elle s'affligeait de ne pouvoir peut-être, avant de l'avoir achevée, jouir en toute liberté et familiarité de la présence de son très aimé et très doux Seigneur. Pendant la messe, quand l'Hostie sainte qui efface le péché et réconcilie l'homme avec Dieu fut immolée par le prêtre, elle s'unit au divin sacrifice et présenta cette offrande pour obtenir l'entier pardon de ses fautes, et rendre grâces au Seigneur qui lui avait procuré le bain salutaire de la confession. L'offrande fut acceptée, tandis qu'elle-même était reçue dans le sein du Père de Bonté infinie. Là elle comprit par expérience que l'Orient qui brille d'en haut, Oriens ex-alto, l'avait vraiment visitée par les entrailles de sa miséricorde et de sa vérité.
CHAPITRE XV
DE L'ARBRE DE L'AMOUR.
1. Le lendemain pendant la messe, au moment même de l'élévation, elle se trouva comme assoupie et moins attentive à la prière. Mais le son de la cloche l'éveilla soudain, et elle vit le Seigneur Jésus qui tenait entre ses mains un arbre dont le tronc avait été coupé au niveau du sol ; les fruits de cet arbre étaient magnifiques, chacune de ses feuilles brillait comme une étoile et projetait des rayons lumineux. Le Seigneur secoua l'arbre au milieu de la cour céleste, et les saints goûtèrent ses fruits avec une grande joie. Peu après, il le planta au milieu du cœur de celle-ci comme dans un jardin, afin qu'elle lui fit produire des fruits, et quelle y trouvât l'ombre rafraîchissante avec la nourriture de vie. Aussitôt que l'arbre fut planté, elle s'occupa de ses fruits, c'est-à-dire pria pour une personne qui lui avait fait de la peine. Elle demandait à supporter de nouveau cette même peine afin d'obtenir de Dieu des grâces plus abondantes pour celle qui en était cause. Au même moment elle aperçut au sommet de l'arbre une fleur magnifique qui devait produire son fruit à condition que celle-ci mit en oeuvre sa bonne volonté. Cet arbre symbolisait donc la charité qui produit non seulement les fruits des bonnes oeuvres, mais aussi les fleurs des bons désirs et les feuilles rayonnantes des saintes pensées ; c'est pourquoi les habitants du ciel se réjouissent quand ils voient un mortel prendre pitié de ses frères et secourir leur misère.
2. A ce même moment de l'élévation de l'hostie, celle-ci reçut encore une brillante parure d'or pour rehausser la splendeur du vêtement rose qui lui avait été donné la veille, alors qu'elle reposait sur le sein du Seigneur.
3. En ce même jour, à None, le Seigneur lui apparut sous la forme d'un jeune homme plein de grâce et de beauté. Il la pria de cueillir quelques noix sur l'arbre pour les lui offrir, et, la soulevant de terre, il l'assit sur une branche. Mais elle dit : « O très aimable jeune homme, pourquoi me demander cela? Par la vertu et par le sexe je suis faible, il vous siérait bien mieux de me présenter de ces fruits. ---Non, dit-il, l'épouse qui se trouve chez elle, dans la maison de ses parents, agit avec une liberté que le fiancé discret ne peut prendre lorsqu'il vient parfois la visiter. Mais si dans ces occasions la fiancée se montre pleine d'égards et de délicatesse envers celui qu'elle aime, à son tour il la recevra dans sa propre demeure avec tendresse et bienveillance. » II donnait ainsi à entendre combien sont répréhensibles ceux qui disent: Si Dieu voulait ce que je veux, et qu'il me donnât sa grâce, je ferais telle et telle chose. Comme s'il n'était pas juste que l'homme brise en tout sa volonté propre pour accomplir celle de Dieu et s'assure par là une magnifique récompense. Elle s'apprêtait à offrir les noix au jeune homme, lorsque celui-ci monta sur l'arbre, s'assit auprès d'elle et l'invita à tirer les fruits de leur écaille pour qu'il pût les manger. II voulait ainsi lui apprendre que l'on ne doit pas seulement vaincre ses ressentiments pour faire du bien à son ennemi, mais qu'il faut encore chercher à le faire le plus parfaitement possible. Sous le symbole de ces noix, le Seigneur lui enseignait la bienfaisance envers ceux qui la persécutaient : ces fruits, à l'écorce dure et amère, se trouvaient placés sur l'arbre de l'Amour parmi les pommes et autres fruits savoureux, pour donner à entendre que la Charité envers les ennemis doit se pratiquer au milieu des douceurs de l'amour de Dieu, amour qui rend l'homme prêt à souffrir la mort elle-même pour le nom de Jésus-Christ.
CHAPITRE XVI
DES AVANTAGES DE LA PERSÉCUTION. COMMUNION SPIRITUELLE.
1. Le dernier jour où le convent célébrait l'office divin qu'un interdit ecclésiastique1 venait de suspendre, on chantait la messe Salve sancta Parens en l'honneur de la Mère de Dieu, et celle-ci dit au seigneur : « O Dieu plein de bonté, comment nous consolerez-vous dans la désolation actuelle ? - Je puiserai en vous, dit le Seigneur, des délices plus abondantes. Comme l'époux jouit de son épouse dans le secret de la chambre nuptiale plus volontiers qu'en présence de la foule, de même je trouverai mes délices dans vos soupirs ardents et dans les gémissements de vos cœurs. Mon amour prendra en vous des accroissements nouveaux, comme un feu qui se trouvant enfermé, redouble de vigueur. Les complaisances que je trouverai dans vos âmes et l'amour que vous aurez pour moi monteront comme une eau qui s'élance avec plus de force après avoir été retenue par des digues ».
2. Celle-ci demanda alors : « Et combien de temps durera cet interdit? - Aussi longtemps qu'il durera, répondit le Seigneur, aussi longtemps je ferai durer cette abondance de grâces. » Elle ajouta : « Il semble que les grands de la terre considèrent comme une honte d'admettre dans leur intimité les personnes de basse condition ; avec combien plus de raison le Roi des rois doit-il tenir cachés les desseins de sa Providence à une aussi vile créature ; c'est sans doute pourquoi vous me laissez dans l'incertitude, bien que vous connaissiez le commencement et 1a fin de toutes choses ? -- Il n'en est pas ainsi, reprit le Seigneur, mais j'agis en vue de ton salut. Dans la contemplation je te découvre parfois mes secrets ; d'autres fois je les tiens cachés afin de te maintenir dans l'humilité : quand je te les découvre, tu constates ce que tu deviens par ma grâce; quand je te les cache, tu vois ce que tu es par toi-même ».
3. A l'offertoire de la messe : « Recordare Virgo Mater2 : Souvenez-vous, a Vierge Mère », lorsqu'on en fut à ces mots : « ut loquaris pro nobis bona: de parler en notre faveur », comme elle implorait la Mère de toute grâce, le Seigneur lui dit : « Il n'est pas nécessaire qu'on plaide votre cause, car déjà je vous suis pleinement favorable. » Mais elle, se souvenant de ses propres fautes et de celles d'autres sœurs, ne pouvait comprendre que le Seigneur fût complètement apaisé. C'est alors qu'avec une grande tendresse il daigna lui dire : « Ma bonté naturelle m'incline toujours à regarder de préférence ce qu'il y a de meilleur dans une âme ; ma divinité tout entière embrasse alors cette meilleure partie et dissimule 1e moins parfait pour remarquer ce qui l'est davantage. - O vous qui êtes si magnifique dans vos dons, reprit-elle, comment accordez-vous les douceurs de vos consolations à une âme aussi indigne que la mienne, et aussi peu préparée à les recevoir ? - J'y suis forcé par mon amour. - Mais où sont donc, Seigneur, les souillures que j'ai contractées il y a peu de temps par cette irritation qui remplissait mon cœur et que j'ai même un peu manifestée par mes paroles ? - Le feu de ma divinité les a consumées, et c'est ainsi que je fais disparaître les difformités de toute âme vers laquelle ma bonté s'incline. -O Dieu très-clément, puisque votre grâce est si souvent propice à ma faiblesse, voudriez-vous me dire si l'âme devra se purifier après la mort de fautes semblables à cette impatience ou d'autres encore ? » Et comme le Seigneur feignait de ne pas entendre : « En vérité, ô mon Dieu, dit-elle, si votre justice l'exigeait, je descendrais volontiers au fond de l'abîme pour vous offrir une plus digne satisfaction; mais si, au contraire, votre bonté et votre miséricorde trouvent leur gloire à ce que ces fautes soient consumées par le feu de votre amour, je vous prierai de brûler à jamais les souillures de mon âme dans ce feu divin, bien que je ne mérite pas celte faveur. » Et la Bonté divine, aussi tendre qu'inépuisable, accueillit encore cette demande.
4. Le lendemain, comme on célébrait la messe pour le peuple3, elle dit au Seigneur au moment de la Communion : « O Père très clément, n'êtes-vous pas ému de compassion en nous voyant privées de la nourriture infiniment précieuse de votre Corps et de votre Sang, à cause de ces pauvres biens temporels qui doivent soutenir notre vie ?» Et le Seigneur répondit : « Comment plaindrais-je mon épouse bien-aimée, lorsque, ayant dessein de l'introduire dans la salle brillante et ornée de fleurs du festin des noces, et découvrant dans sa parure quelque chose de défectueux, je la tire à l'écart pour remédier de ma main à ce désordre, et la présenter ensuite aux convives dans tout l'éclat de sa beauté ? » Elle dit : « Comment, ô Seigneur, votre grâce peut-elle habiter dans l'âme de ceux qui nous font tant souffrir par cet interdit? » Et il lui fut répondu : « Ne t'occupe pas d'eux, je me réserve leur jugement ».
5. Au moment de l'Élévation, comme elle offrait à Dieu l'hostie sainte en tribut de louange éternelle et pour le salut du convent, le Seigneur reçut en lui-même cette hostie, et par une aspiration qui sortait des profondeurs de son être, il en retira une vivifiante suavité et dit: « En cette aspiration je rassasierai mes épouses d'une nourriture divine. » Celle-ci reprit : « O mon Seigneur, est-ce que vous allez communier tout le convent ? - Non, mais celles-là seulement qui en ont le désir, ou qui souhaitent avoir ce désir. Quant aux autres, parce qu'elles appartiennent à ce monastère, elles auront l'avantage de sentir cette aspiration naître dans leurs âmes, comme celui qui n'ayant pas d'appétit, se laisse attirer néanmoins par l'odeur agréable des mets et finit par les prendre avec plaisir. »
6. Le jour de l'Assomption, à l'élévation de l'hostie, comme elle entendait ces paroles du Seigneur : « Je viens m'offrir à Dieu le Père et m'immoler pour ceux qui sont mes membres », elle répondit : « Permettrez-vous, ô mon très aimant Seigneur, que nous qui sommes vos membres, nous soyons séparées de vous par l'anathème dont nous menacent ceux qui veulent prendre nos biens? » Le Seigneur lui dit: « Que celui qui pourrait enlever des profondeurs de mon âme l'amour qui m'unit à vous, que celui-là vous sépare de moi ! » Il ajouta : « Cet anathème ne vous atteint pas plus qu'un couteau de bois ne trancherait un corps solide : il ne peut le pénétrer et y imprime à peine une trace légère de son passage. - O mon Dieu qui êtes la vérité infaillible, dit-elle, ne m'avez vous pas révélé que nous sentirions croître notre amour pour vous dans ces jours de souffrance et que vous-même prendriez dans les coeurs de vos épouses de plus abondantes délices? Comment donc plusieurs se plaignent-elles du refroidissement de leur amour pour vous? » Le Seigneur répondit: « Je renferme dans mon sein la source de tous les biens, et je distribue à chacun en temps convenable ce qui lui est nécessaire. »
1. Interdit fulminé pendant la vacance du siège épiscopal par les chanoines d'Halberstad, dans la compétition des droits relatifs aux biens temporels. Voir au Livre de la grâce spéciale, L. 1, ch. xxvii (Note de l'édition latine.)
2. Offertoire des messes votives de la sainte au Vierge moyen âge. II est usité maintenant aux messes de la Compassion et de Notre-Dame du Mont-Carmel.
3. C'est-à-dire dans l'église paroissiale (Note de Lansperg).
CHAPITRE XVII
DE LA CONDESCENDANCE DU SEIGNEUR ET DE LA DISTRIBUTION DE SA GRACE.
1. Au second dimanche d'août, qui amenait tout à la fois la fête de saint Laurent et l'anniversaire de la Dédicace de l'Église, elle priait pendant la messe pour certaines personnes qui avaient sollicité son intercession, lorsqu'elle vit un vigoureux cep de vigne descendre du trône de Dieu jusque sur la terre, et les feuilles du cep servaient comme d'échelons pour remonter jusqu'au sommet. Cette échelle figurait la foi par laquelle les élus s'élèvent vers les régions célestes. Elle reconnut au sommet, à gauche du trône, plusieurs membres de la Congrégation, et le Fils de Dieu lui-même qui se tenait debout avec grande révérence en présence du Père céleste. L'heure approchait où, sans l'interdit qui les avait frappées, les sœurs auraient dû recevoir la sainte communion, et celle-ci désira ardemment que par un effet de cette divine clémence à laquelle nul pouvoir humain ne peut résister, elle-même et toutes les moniales présentes fussent nourries spirituellement du Sacrement de l'autel. Elle vit alors le Seigneur Jésus plonger dans le sein du Père l'hostie qu'il tenait à la main, et l'en retirer vermeille et comme teinte de sang. Tandis que, surprise du fait, elle se demandait comment le rouge, symbole de la Passion, pouvait être attribué au Père céleste, elle ne put voir si le désir qu'elle elle avait manifesté se trouvait accompli. Un peu plus tard seulement, elle reconnut que le Seigneur avait établi le lieu de son repos dans les âmes qu'elle avait vues placées à la gauche du trône de Dieu. Mais comment cela s'était-il fait ? elle ne put le découvrir.
2. Cependant elle se souvint d'une personne qui, avant la messe, s'était recommandée à ses prières avec dévotion et humilité, et elle demanda au Seigneur qu'il voulût bien accorder à cette âme la faveur reçue par les sœurs. II lui fut répondu que nul ne pouvait monter par cette échelle mystique de la foi, s'il n'était porté par les ailes de 1a confiance, et que cette personne en avait bien peu. A quoi elle reprit : « Seigneur, j'ai remarqué que le peu de confiance de cette âme provient de son humilité, vertu sur laquelle vous répandez d'ordinaire vos grâces avec profusion. » Et le Seigneur dit : « Je descendrai, et je communiquerai mes faveurs à cette âmes et à d'autres encore, que je verrai plongées dans la vallée de leur misère. »
3. Elle vit alors le Seigneur Dieu des vertus descendre comme par une échelle empourprée. Il lui apparut au milieu de l'autel, revêtu des ornements pontificaux, et tenant en mains un vase semblable à ceux qui servent à garder les hosties consacrées. Pendant la messe jusqu'à la préface, il demeura assis tourné vers le prêtre. Une si grande multitude d'anges l'entourait et le servait, que toute la partie de l'église qui était à sa droite, c'est-à-dire au septentrion, en était remplie. Ces bienheureux esprits témoignaient une grande joie de parcourir ces lieux bénis, dans lesquels leurs concitoyens avaient si souvent offert leurs prières à Dieu. Ces concitoyens étaient la communauté1. A la gauche du Seigneur, vers le midi, se tenait un seul chœur d'anges, suivi d'un chœur d'apôtres. Venaient ensuite un chœur de martyrs, un chœur de confesseurs et enfin un chœur de vierges. Tandis qu'elle admirait ces merveilles et se rappelait que, d'après les saintes Écritures, la pureté nous rapproche de Dieu (Sag, vi 20), il lui fut donné de contempler une lumière spéciale, blanche comme la neige, qui resplendissait entre le Seigneur et le chœur des vierges, et semblait unir ces dernières à leur Époux par une très douce tendresse, et par les charmes joyeux de la divine familiarité. Elle vit aussi des rayons lumineux se diriger sur quelques membres de la communauté et les atteindre directement comme s'il ne se fût trouvé aucun obstacle entre eux et le Seigneur, quoique plusieurs murailles les séparassent de l'église où avait lieu cette vision.
4. Tandis que celle-ci prenait ses délices en ce que nous venons de décrire, sa sollicitude se porta sur le reste de la communauté et elle dit au Seigneur : « Puisque votre infinie bonté, ô mon Dieu, a répandu sur mon âme l'abondance de ses grâces, que donnez vous aux sœurs qui se livrent en ce moment aux travaux manuels et ne jouissent sans doute pas de semblables douceurs? - Je répands mon baume sur elles quoiqu'elles paraissent dans un état inconscient de sommeil. » Celle-ci rechercha quelle était la vertu du baume, et s'étonna qu'une même récompense fût donnée aux personnes qui pratiquent les exercices spirituels et à celles qui ne les pratiquent pas, car le baume rend les corps incorruptibles et produit également cet effet, qu'on l'applique pendant la veille ou pendant le, sommeil. Elle fut encore éclairée par une comparaison plus intelligible : un homme mange, et tous ses membres prennent de la vigueur, quoique sa bouche seule goûte les mets. De même lorsqu'une grâce spéciale est donnée aux fidèles, elle produit aussitôt une augmentation de mérites chez ceux qui leur sont unis et surtout dans les membres de la même Congrégation, en exceptant ceux dont le cœur renferme de la haine ou de la mauvaise volonté.
5. Pendant l'intonation du Gloria in excelsis Deo, le Seigneur Jésus, Pontife souverain, exhala vers le ciel pour glorifier son Père un souffle divin semblable à une flamme ardente A ces mots : et in terra pax hominibus bone voluntatis, il dirigea ce même souffle sous forme d'une blanche lumière vers les personnes présentes. Au Sursum corda, le Fils de Dieu se leva et partit aspirer avec une force puissante les désirs de tous les assistants; puis se tournant vers l'orient, entouré de l'innombrable troupe des anges qui le servaient, il tint les mains élevées et offrit à Dieu le Père, par les paroles de la préface, les vœux de tous les fidèles. A l'intonation Agnus Dei, le Seigneur se dressa au milieu de l'autel dans toute sa puissance et sa majesté ; au second Agnus Dei, il répandit les flots de son insondable sagesse dans les âmes des personnes présentes; enfin au troisième Agnus Dei, paraissant se recueillir en lui-même, il offrit à Dieu le Père les vœux et les désirs de tous. Alors il laissa déborder la suavité de son amour, et, de sa bouche sacrée, donna le baiser de paix à tous les saints présents. Il voulut ensuite glorifier le chœur des vierges par un privilège spécial, et après les avoir honorées du baiser de paix, il daigna encore, de ses lèvres bénies, déposer sur leur poitrine le doux baiser de l'amour. De toutes parts il répandit sur l'assemblée des sœurs les flots de sa tendresse et leur adressa ces paroles : « Je suis tout vôtre ; que chacune jouisse de moi au gré de ses désirs. » Après cette communion, elle dit : « Bien que mon âme, ô Seigneur, soit rassasié en ce moment d'une ineffable douceur, cependant je trouve qu'en résidant sur l'autel, vous êtes encore trop éloigné de moi ; aussi pendant la bénédiction de cette messe, accordez-moi la grâce de sentir que je vous suis intimement unie ». Or le Seigneur daigna lui manifester cette union divine en la pressant contre son Cœur sacré dans une étreinte dont la force égalait la douceur.
1. Allusion su verset du 4° répons de la fête de l'Assomption : Gaudent chori angelorum consortes et concives nostri.
CHAPITRE XVIII
DU DON DE PRÉPARATION POUR RECEVOIR LE CORPS DE JÉSUS-CHRIST
ET DE PLUSIEURS AUTRES CHOSES.
I.-- Dévot exercice envers ce Sacrement.
Elle s'avançait un jour pour recevoir le Sacrement de vie pendant que le chœur chantait l'antienne : Gaude et laetare. A ces mots : Sanctus, Sanctus Sanctus, le sentiment de sa bassesse la pénétra si profondément qu'elle se prosterna en toute humilité, demandant au Seigneur de daigner lui-même préparer son âme à recevoir dignement la nourriture céleste pour la gloire de Dieu et le bien du monde entier. Le Fils de Dieu, très doux ami des âmes, s'inclina vers elle et pendant le second Sanctus imprima sur son âme un baiser plein de suavité en disant : « à ce Sanctus qui m'est adressé, je te donne dans ce baiser divin toute la sainteté de mon Humanité et de ma Divinité, afin qu'elle te serve de préparation et que tu puisses dignement venir à moi ».
Le lendemain qui était un dimanche, pendant qu'elle exprimait sa reconnaissance pour une telle faveur, le Fils de Dieu, plus beau que tous les anges, la prît entre ses bras, et comme s'il trouvait sa gloire en elle, la présenta â Dieu le Père dans toute 1a perfection de sainteté qu'il lui avait donnée. Le Père se complut tellement en cette âme présentée par son Fils, qu'impuissant â contenir son amour, il lui conféra, ainsi que le Saint-Esprit, la perfection qui leur est attribuée par le premier et le troisième Sanctus. Elle reçut donc une bénédiction de sainteté pleine et entière au nom de la Toute-Puissance, de la Sagesse et de la Bonté.
II. -- Le Seigneur lui donne l'assurance qu'il ne se séparera jamais d'elle.
Un autre jour, elle vit que plusieurs de ses sœurs étaient forcées pour diverses raisons de s'abstenir de la sainte communion; elle s'approcha du Seigneur et lui dit d'une âme tonte joyeuse : « Je vous rends grâces, ô Dieu très aimant, de m'avoir placée dans une situation telle que ni mes parents, ni aucun motif ne peuvent m'éloigner de votre divin banquet.» Le Seigneur avec sa bonté ordinaire lui répondit : « Tu reconnais que rien ne peut t'éloigner de moi : apprends aussi qu'il n'y a rien au ciel ni sur la terre, pas même la rigueur de mes jugements et de ma justice, qui puisse mettre obstacle aux bienfaits dont je veux te combler pour le bien suprême de mon divin Cœur.»
Elle devait une autre fois encore recevoir la sainte Communion, et désirait avec ardeur être dignement préparée par le Seigneur. II daigna lui dire avec bonté : « Je me revêts de toi pour étendre ma main divine, sans la blesser, vers les pécheurs durs et rebelles. Je te revêts ensuite de moi pour que toutes les âmes dont tu te souviens devant moi dans la prière, et tous ceux que la nature a faits tes semblables deviennent dignes de recevoir mes bienfaits sans nombre. »
III. -- Accueil favorable des trois divines Personnes.
Elle devait un matin participer aux saints mystères, et repassait en son esprit les divers bienfaits de Dieu à son égard, lorsqu'elle se souvint du passage du livre des Rois : « Quis ego sum aut quae domus patris mei ? Qui suis-je, et qu'est la maison de mon père? » (I Rois xviii, 18 ). Ne s'arrêtant pas à méditer ces paroles : « Qu'est la maison de mon père », comme si elles regardaient ces gens qui ont vécu en leur temps, selon l'ordre établi par Dieu, elle se considéra elle-même comme une tendre plante placée à proximité du Cœur divin tout brûlant d'amour, afin d'en recevoir la douce influence. Mais presque toute consumée par suite de ses fautes et de ses négligences, elle était prête à tomber en cendres et ressemblait déjà au petit charbon éteint qui gît sur le sol1. Elle invoqua alors Jésus-Christ le Fils de Dieu, médiateur plein de bonté, et le pria de la purifier et de la présenter à Dieu le Père. Le Seigneur parut l'attirer vers lui par l'influence amoureuse de son Cœur transpercé, la laver dans l'eau qui en découlait, et l'arroser du sang précieux et vivifiant de sa blessure sacrée. Cette opération ralluma le petit charbon. Il se changea bientôt en un arbre verdoyant dont les branches se partageaient en trois comme nous le voyons dans la fleur du lis. Le Fils de Dieu prenant cet arbre, le présenta avec joie et révérence à la très sainte Trinité, qui daigna s'incliner avec grande bienveillance : Dieu le Père en vertu de sa toute-puissance attacha sur les rameaux les plus élevés tous les fruits que cette âme eût produits si elle s'était prêtée complètement aux desseins de la divine. Providence. De même le Fils de Dieu et le Saint-Esprit parurent déposer sur les deux autres branches les fruits de la Sagesse et de l'Amour.
Après avoir reçu le corps du Christ, elle vit son âme sous la forme d'un arbre qui aurait sa racine plantée dans la blessure do sacré côté de Notre-Seigneur, et sentit d'une façon admirable que l'arbre puisait en cette plaie bénie une sève merveilleuse, qui de la racine montait dans les branches, les feuilles et les fruits, pour leur communiquer la vertu de la Divinité et de l'Humanité de Jésus-Christ. Ainsi la très sainte vie du Seigneur prenait en cette âme un nouvel éclat, comme l'or parait plus brillant à travers le cristal. La bienheureuse Trinité et tous les saints ressentirent à cette vue une joie merveilleusement douce. Les saints se levèrent pleins de respect, fléchirent les genoux et présentèrent chacun leurs mérites en forme de couronnes qu'ils suspendirent aux rameaux de l'arbre. Ils voulaient par cet hommage glorifier et louer Celui qui daignait resplendir à travers sa créature et procurer ainsi â tous les saints une nouvelle jouissance.
Celle-ci pria ensuite pour tous ceux qui, au ciel, sur la terre et dans le purgatoire auraient reçu quelque profit de ses bonnes oeuvres, si elle ne s'était montrée négligente, et demanda qu'ils eussent part aux biens dont son âme venait d'être enrichie par la divine Bonté. Aussitôt ses oeuvres, figurées par les fruits de l'arbre, commencèrent à distiller une précieuse liqueur dont une partie se répandit sur les habitants du ciel et augmenta leurs joies ; une autre partie s'écoula dans le purgatoire pour adoucir les peines des âmes souffrantes ; la troisième s'épancha sur la terre et donna aux justes les consolations de la grâce, aux pécheurs les amertumes salutaires de la pénitence.
1. Voir au Livre 1er, C. X.
IV. -- Des avantages de l'assistance à la messe.
Tandis qu'à la sainte messe le prêtre offrait l'hostie sainte, elle présenta à Dieu cette même hostie en réparation de ses péchés et pour suppléer à toutes ses négligences. Il lui fut révélé que son âme, offerte à la majesté divine, avait été agréée avec la même complaisance que Jésus-Christ, splendeur et image du Père, Agneau sans tache, s'immolant à cette même heure sur l'autel pour le salut du monde. Dieu le Père la voyait pure de tout péché et immaculée à travers la très innocente Humanité de Jésus-Christ, et par sa très parfaite Divinité, il la trouvait parée et enrichie de toutes les vertus dont la glorieuse Divinité orna sa très sainte Humanité.
Elle rendit aussitôt grâces au Seigneur qui la comblait de ses bienfaits, et reçut encore cette lumière : toutes les fois qu'une personne assiste à la messe avec dévotion, s'unissant à Jésus-Christ qui s'immole lui-même pour le rachat du monde, Dieu le Père la regarde avec la même complaisance que l'hostie sainte. Cette âme devient alors resplendissante et lumineuse, comme une personne qui, au sortir des ténèbres, se trouve éclairée subitement par les rayons du soleil. Celle-ci demanda alors au Seigneur : « Mais si l'on tombe dans le péché, n'est-on pas aussitôt privé de cette lumière, comme la personne qui fuit la clarté du soleil se trouve plongée dans les ténèbres ? - Non, répondit le Seigneur ; car si celui qui pèche, met pour ainsi dire l'ombre d'un nuage entre lui et ma miséricorde, ma bonté, lui conserve cependant pour la vie éternelle un reste de cette bénédiction qu'il verra croître et se multiplier, chaque fois qu'il s'approchera avec dévotion des saints mystères.»
V.-- Combien les péchés de la langue rendent indignes de la communion.
Après avoir reçu la sainte communion, elle pensait à la vigilance qu'il est bon d'avoir pour éviter les péchés de la langue, puisque c'est la bouche qui a l'insigne honneur de recevoir les précieux mystères du Christ. Cette comparaison l'instruisit : Si quelqu'un n'interdit pas à sa bouche les paroles vaines, mensongères, honteuses et médisantes, et s'approche sans regret de la sainte communion, il reçoit le Christ comme on recevrait un hôte en lui jetant des pierres amassées par hasard à l'entrée de la maison, ou en lui assenant un coup de bâton sur la tête.
Que celui qui lira ces lignes considère en versant des larmes de compassion, d'un côté la dureté du coeur humain, de l'autre la bonté d'un Dieu venant avec une si grande bonté sauver les hommes qui le persécutent si cruellement.
VI. -- Comment l'âme doit se revêtir pour recevoir dignement la sainte communion.
Elle se trouvait un jour peu préparée à recevoir la sainte communion, et comme le moment approchait, elle adressa la parole à son âme en ces termes : « Voici déjà l'Époux qui t'appelle; et comment pourras-tu aller au-devant de lui sans être parée des mérites nécessaires à ceux qui veulent le recevoir dignement ? » La pauvreté de son âme la frappant davantage, elle perdit encore plus confiance en elle-même et mit tout son espoir en Dieu : « A quoi me sert d'attendre, dit-elle ? quand j'y emploierais mille années, je ne serais pas encore suffisamment disposée, puisque rien en moi n'a la valeur voulue pour enrichir ma préparation. J'irai au-devant du Seigneur avec humilité et confiance, et lorsqu'il m'apercevra de loin, son puissant amour l'excitera à m'envoyer les biens nécessaires à une âme qui désire le recevoir dignement. » C'est avec de tels sentiments qu'elle s'avança vers Dieu, tenant les yeux toujours fixés sur sa bassesse et sa pauvreté.
Mais elle avait à peine fait quelques pas, que le Seigneur lui apparut, la regarda. avec compassion, ou plutôt avec tendresse, et voulut bien lui envoyer son innocence pour qu'elle s'en revêtit comme d'une robe blanche et souple, et son humilité qui lui fait accepter de s'unir à des âmes si indignes, pour s'en faire une tunique violette. L'espérance qui fait désirer au Seigneur les embrassements de l'âme, serait pour celle-ci un ornement de couleur verte ; l'amour dont Dieu se plaît à entourer ses créatures la couvrirait d'un riche manteau d'or ; la joie par laquelle Dieu trouve ses délices dans les âmes, lui formerait une couronne de pierres précieuses. Elle recevrait enfin pour chaussure cette confiance par laquelle le Seigneur s'appuie sur la frêle substance de notre pauvre nature en déclarant qu'il trouve ses délices au milieu des enfants des hommes. Ainsi parée, elle pourrait se présenter à la sainte communion.
VII. -- Avec quel amour le Seigneur se donne dans le Saint-Sacrement.
Après avoir reçu la sainte communion, elle se recueillit et le Seigneur lui apparut sous l'image si connue du pélican qui avec le bec s'ouvre le flanc. Cette image la ravit d'admiration et elle s'écria : « O Seigneur, que voulez-vous m'enseigner? » Le Seigneur répondit: « Je désire que tu considères quel ardent amour presse mon coeur lorsque j'offre aux âmes un don si Précieux : si je pouvais ainsi parler, je préférerais mourir après avoir communiqué un si grand bienfait, plutôt que de le refuser à une âme aimante. Considère aussi de quelle manière admirable ton âme reçoit en ce don le gage de la vie éternelle, comme les petits du pélican reprennent vie dans le sang, qui coule du flanc de leur père. »
Vlll. -- Excès de la bonté divine dans ce sacrement.
Un prédicateur avait longuement discouru sur les rigueurs de la justice divine, et sa parole avait rempli celle-ci d'une si grande crainte qu'elle n'osait plus approcher des sacrements. Le Seigneur daigna l'encourager par ces paroles : « Si tu ne veux plus voir avec les yeux de l'âme les bontés infinies dont je t'entoure, regarde au moins des yeux du corps dans quel vase étroit je me laisse enfermer pour arriver à nourrir vos âmes ; tu comprendras alors que la rigueur de ma justice est contenue par la douceur de ma miséricorde, miséricorde dont ce sacrement offre au genre humain une preuve si évidente. »
Une autre fois et pour les mêmes motifs, la divine Bonté l'invita en ces termes à goûter toute sa douceur : « Regarde la petite forme sous laquelle je me cache pour te nourrir de ma divinité et de mon humanité. Après avoir comparé ses proportions avec celles du corps humain, apprécie ma condescendance, car de même que le corps humain dépasse en dimension mon corps, c'est-à-dire l'espèce du pain qui contient mon corps, ainsi l'amour et la miséricorde m'inclinent dans ce sacrement à laisser l'âme humaine se montrer pour ainsi dire plus puissante que moi.
Comme on lui présentait un jour l'hostie du salut, le Seigneur mauifesta encore par ces paroles l'excès de sa bonté : « As-tu remarqué que pour célébrer le saint sacrifice le prêtre revêt une ample chasuble par révérence pour mon si auguste mystère ? Lorsqu'il distribue le Corps du Christ, l'ornement est relevé sur ses bras1 et c'est avec la main qu'il distribue le pain céleste. En vérité je regarde avec bonté ce qui se fait pour ma gloire comme les prières, les jeûnes et autres oeuvres semblables ; cependant (quoique ceux qui ont moins l'intelligence des choses spirituelles ne puissent le comprendre) j'entoure mes élus d'un amour plus compatissant lorsque, convaincus de leur faiblesse, ils se jugent incapables de m'honorer dignement, et se réfugient dans le sein de ma miséricorde, C'est ce que tu vois figuré par les mains nues et découvertes du prêtre qui me touchent de plus près que ses ornements. »
1. Cette manière de faire est indiquée au Cérémonial des évêques, livre II,c. viii : « L'évêque se revêt de la chasuble et la relève avec soin sur chaque bras pour ne pas être géné dans le fonction sainte. »
IX.-- L'humilité est parfois plus agréable à Dieu que la dévotion.
Une autre fois, la cloche qui annonce l'heure de la communion retentissait, le chant de l'antienne était déjà commencé, lorsqu'elle dit au Seigneur: « Voici, ô mon Bien-Aimé, que vous venez à moi ! Mais pourquoi, dans votre puissance, ne m'avez vous pas envoyé ces parures de dévotion qu'il convient de revêtir pour vous recevoir ? » Le Seigneur répondit : « L'époux est plus charmé de voir le cou de son épouse sans ornements que paré de colliers; il aime mieux prendre ses mains dans les siennes que de les voir richement ornées de gants précieux. De même je rencontre souvent plus volontiers dans une âme la vertu d'humilité que la gràce de la dévotion. »
Un jour que plusieurs membres du convent n'avaient pas reçu la sainte communion, celle-ci, nourrie des saints mystères, offrait à Dieu de vives actions de grâces : « Vous m'avez invitée à votre banquet sacré, disait-elle, et j'y suis venue en chantant vos louanges. » Le Seigneur répondit avec des paroles plus douces que le miel : « Apprends que je te désirais de tout l'amour de mon cœur. O Seigneur, dit-elle, quelle gloire et quelle joie reviennent donc à votre Divinité de ce qu'avec mes dents indignes je broie vos sacrements immaculés? » Le Seigneur répondit : « L'affection que l'on ressent pour un ami fait trouver du charme dans toutes ses paroles ; ainsi mon amour me fait trouver chez mes élus des douceurs qu'ils ne ressentent pas toujours eux-mêmes. »
X. -- C'est pour être goûté et non pour être vu que Dieu se donne à l'âme en ce Sacrement.
Un jour que le prêtre distribuait la communion, elle voulut contempler de loin la sainte hostie ; mais le grand nombre de personnes qui se pressaient à la table sainte l'en empêcha. Elle entendit alors le Seigneur l'inviter aimablement par ces mots : « II convient à ceux qui vivent loin de moi d'ignorer ce mystère d'amour ; si tu veux avoir la joie de le connaître, approche et expérimente, non par la vue, mais par le goût, la douceur de cette manne cachée ».
XI. - Il ne faut pas blâmer ceux qui par respect s'abstiennent de !a communion.
Elle vit un jour une des sœurs s'approcher du sacrement de vie avec des sentiments de crainte exagérés, et s'éloigna ensuite de cette sœur par une sorte de dégoût. Le Seigneur lui en fit une miséricordieuse réprimande : « Ne vois-tu pas, lui dit-il, que le respect et l'honneur ne me sont pas moins dus que la tendresse et l'amour ? Puisque la fragilité humaine est incapable de remplir ce double devoir par un seul et même sentiment, et que vous êtes les membres d'un même corps, il convient que la disposition qui manque à I'un soit compensée par celle de l'autre. Ainsi, par exemple, celui qui est plus touché du sentiment de l'amour s'occupera moins de la révérence qui m'est due ; qu'il se réjouisse donc d'en voir un autre s'attacher au respect, et qu'il désire voir celui-ci obtenir à son tour les consolations de la divine douceur.»
XII. -- Le Seigneur veut être servi à nos propres dépens.
Une autre fois elle vit une sœur s'effrayer pour la même raison et pria pour elle. Le Seigneur répondit : « Je voudrais que mes élus ne me jugeassent pas si cruel, mais qu'ils fussent persuadés que je tiens pour bon et très bon qu'ils me servent à leurs dépens. Celui-là, par exemple, sert Dieu à ses dépens qui, privé de la douceur de la dévotion, acquitte cependant les prières, les génuflexions et le reste, en espérant que la Bonté divine acceptera ces offrandes. »
XIII. -- Pourquoi est-on souvent privé de la grâce de la dévotion au moment de la communion.
Elle exposait au Seigneur dans l'oraison les plaintes d'une personne qui sentait moins la grâce de la dévotion quand elle devait communier qu'à certains autres jours : « Ce n'est pas un effet du hasard, répondit le Seigneur, mais une disposition providentielle, car si j'accorde la grâce de la dévotion aux jours ordinaires et à des moments imprévus, je force le cœur de l'homme à s'élever vers moi lorsqu'il resterait peut-être plongé dans sa torpeur. Tandis qu'en soustrayant ma grâce aux jours de fête et à l'heure de la communion, mes élus conçoivent de saints désirs ou s'exercent à l'humilité, et leur ardeur et leur contrition avancent plus l'œuvre de leur salut que la grâce de la dévotion»
XIV. -- Il ne faut pas omettre la communion lorsqu'on a commis des fautes légères.
Elle priait pour une personne qui s'était abstenue de la sainte communion dans la crainte de scandaliser ceux qui l'auraient vue accomplir cet acte. Le Seigneur lui répondit par une comparaison : « Quand on remarque une tache sur ses mains, on les lave aussitôt. Ensuite la tache a non seulement disparu, mais les mains entières sont plus nettes. C'est ce qui arrive parfois à mes élus : je permets qu'il, tombent dans des fautes légères afin que leur repentir et leur humilité les rendent plus agréables à mes yeux. Mais il y en a qui contrarient ce dessein de mon amour, en n'estimant pas la beauté intérieure qui s'acquiert par la pénitence et rend agréable à mes yeux, et en recherchant une rectitude tout extérieure uniquement basée sur le jugement des hommes. Ceci a lieu lorsqu'ils se privent de l'immense grâce qu'apporte la réception de la sainte Eucharistie dans la crainte d'être blâmés par ceux qui ont été témoins de leurs légères fautes et n'ont pas vu le repentir qui les a lavées. »
XV. -- Il faut croire que le Seigneur supplée à notre pauvreté, lorsque nous le lui avons demandé.
La voix du Seigneur qui l'invitait au banquet sacré se fit entendre un jour à son âme avec tant de douceur, qu'il lui semblait habiter déjà les palais éternels, prête à s'asseoir dans ce glorieux royaume à la table du Père céleste. Mais la vue de sa misère et de son indignité la rendait anxieuse, et elle cherchait à décliner un si grand honneur. Le Fils de Dieu vint alors au-devant d'elle et la tira à l'écart afin de la préparer lui-même : il lui lava les mains pour figurer la rémission des péchés qu'il lui accordait par les saintes douleurs de sa Passion. Se dépouillant ensuite des ornements qu'il portait, colliers, bracelets et anneaux, il en revêtit son épouse et l'invita à s'avancer avec gravité dans la beauté de ses parures, et à ne pas courir comme une insensée qui n'aurait pas la dignité convenable, et s'attirerait le mépris plutôt que le respect et l'honneur. Elle comprit que ceux qui marchent comme des insensés en portant les ornements du Seigneur sont ceux qui, après avoir considéré leur imperfection, demandent au Fils de Dieu de secourir leur misère; mais lorsqu'ils ont reçu ce bienfait, ils demeurent aussi craintifs qu'auparavant, parce qu'ils n'ont pas une confiance absolue dans les parfaites satisfactions que le Seigneur a offertes pour eux.
XVI. -- Grâces accordées comme conséquence de la digne réception du corps de Jésus-Christ.
Un autre jour, après avoir communié, elle offrit à Dieu le corps du Seigneur pour le soulagement des âmes du purgatoire, et reconnut que cette oblation avait considérablement allégé leurs peines. Dans son admiration elle s'écria : « O mon très doux Seigneur, je dois confesser, pour votre plus grande gloire, que, malgré mon indignité, vous daignez sans cesse m'honorer de votre présence et même fixer votre demeure en mon âme ! D'où vient que la réception de votre corps sacré n'a pas toujours l'heureux effet que vous m'avez permis de constater aujourd'hui ? » Le Seigneur répondit: « Un roi dans son palais n'est pas accessible à tous ; mais lorsque, attiré par son amour pour la reine, il descend dans la cité pour visiter son épouse, tous les habitants de la ville jouissent alors largement de la magnificence et de la libéralité royales et reçoivent avec joie ses bienfaits. De même, lorsque je cède à la douce bonté de mon Cœur, et que je m'abaisse dans le Sacrement de vie vers une âme exempte de faute mortelle, tous ceux qui habitent le ciel, la terre et le purgatoire en reçoivent d'inestimables bienfaits. »