Louis IX (Saint-Louis)
25. En quoi consiste la vraie paix et le véritable progrès de l'âme
1.Jésus-Christ: Mon fils, j'ai dit: Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix, non
comme le monde la donne.
Tous désirent la paix; mais tous ne cherchent pas ce qui procure une paix véritable.
Ma paix est avec ceux qui sont doux et humbles de coeur. Votre paix sera dans une
grande patience.
Si vous m'écoutez et si vous obéissez à ma parole, vous jouirez d'une profonde paix.
2.Le fidèle: Seigneur, que ferai-je donc ?
3.Jésus-Christ: En toutes choses, veillez à ce que vous faites et à ce que vous dites.
N'ayez d'autre intention que celle de plaire à moi seul. Ne désirez, ne recherchez rien
hors de moi.
Ne jugez point témérairement des paroles ou des actions des autres; ne vous ingérez
point dans ce qui n'est pas commis à votre charge; alors vous serez peu ou rarement
troublé.
Mais ne sentir jamais aucun trouble, n'éprouver aucune peine de coeur, aucune
souffrance du corps, cela n'est pas de la vie présente; c'est l'état de l'éternel repos.
Ne croyez donc pas avoir trouvé la véritable paix, lorsqu'il ne vous arrive aucune
contrariété; ni que tout soit bien, quand vous n'essuyez d'opposition de personne; ni que
votre bonheur soit parfait, lorsque tout réussit selon vos désirs.
Gardez-vous aussi de concevoir une haute idée de vous-même et d'imaginer que Dieu
vous chérit particulièrement, si vous sentez votre coeur rempli d'une piété tendre et
douce; car ce n'est pas en cela qu'on reconnaît celui qui aime vraiment la vertu, ni en
cela que consiste le progrès de l'homme et sa perfection.
4.Le fidèle: En quoi donc, Seigneur ?
5.Jésus-Christ: A vous offrir de tout votre coeur à la volonté divine; à ne vous rechercher
en aucune chose, ni petite, ni grande, ni dans le temps ni dans l'éternité; de sorte que,
regardant du même oeil et pesant dans la même balance les biens et les maux, vous
m'en rendiez également grâces.
Et ce n'est pas tout; il faut encore que vous soyez si ferme, si constant dans l'espérance,
que, privé intérieurement de toute consolation, vous prépariez votre coeur à de plus
dures épreuves, sans jamais vous justifier vous-même comme si vous ne méritiez pas
de tant souffrir, mais reconnaissant au contraire ma justice et louant ma sainteté dans
tout ce que j'ordonne.
Alors vous marcherez dans la voie droite, dans la véritable voie de la paix, et vous
pourrez avec assurance espérer de revoir mon visage dans l'allégresse.
Que si vous parvenez à un parfait mépris de vous-même, je vous le dis, vous jouirez
d'une paix aussi profonde qu'il est possible en cette vie d'exil.
26. De la liberté du coeur, qui s'acquiert plutôt par la prière que par la
lecture
1.Le fidèle: Seigneur, c'est une haute perfection de ne jamais détourner des choses du ciel
les regards de son coeur, de passer au milieu des soins du monde sans se préoccuper
d'aucun soin, non par indolence, mais par le privilège d'une âme libre, qu'aucune
affection déréglée n'attache à la créature.
2.Je vous en conjure, ô Dieu de bonté ! délivrez-moi des soins de cette vie, de peur qu'ils
ne retardent ma course; des nécessités du corps, de peur que la volupté ne me séduise;
de tout ce qui arrête et trouble l'âme, de peur que l'affliction ne me brise et ne m'abatte.
Je ne parle point des choses que la vanité humaine recherche avec tant d'ardeur, mais de
ces misères qui, par une suite de la malédiction commune à tous les enfants d'Adam,
tourmentent et appesantissent l'âme de votre serviteur, et l'empêchent de jouir autant
qu'il voudrait de la liberté de l'esprit.
3.Ô mon Dieu ! douceur ineffable, changez pour moi en amertume toute consolation de
la chair, qui me détourne de l'amour des biens éternels, et m'attire et me fascine par le
charme funeste du plaisir présent.
Que je ne sois pas, mon Dieu, vaincu par la chair et le sang, trompé par le monde et sa
gloire qui passe; que je ne succombe point aux ruses du démon.
Donnez-moi la force pour résister, la patience pour souffrir, la constance pour
persévérer.
Donnez-moi, au lieu de toutes les consolations du monde, la délicieuse onction de
votre esprit, et au lieu de l'amour terrestre, pénétrez-moi de l'amour de votre nom.
4.Le boire, le manger, le vêtement et les autres choses nécessaires pour soutenir le corps,
sont à charge à une âme fervente.
Faites que j'use de ces soulagements avec modération et que je ne les recherche point
avec trop de désir.
Les rejeter tous, cela n'est pas permis, parce qu'il faut soutenir la nature; mais votre loi
sainte défend de rechercher tout ce qui est au-delà du besoin et ne sert qu'à flatter les
sens; autrement la chair se révolterait contre l'esprit.
Que votre main, Seigneur, me conduise entre ces deux extrêmes, afin qu'instruit par
vous je me préserve de tout excès.
27. Que l'amour de soi est le plus grand obstacle qui empêche l'homme
de parvenir au souverain bien
1.Jésus-Christ: Il faut, mon fils, que vous vous donniez tout entier pour posséder tout, et
que rien en vous ne soit à vous-même.
Sachez que l'amour de vous-même vous nuit plus qu'aucune chose du monde.
On tient à chaque chose plus ou moins, selon la nature de l'affection, de l'amour qu'on
a pour elle.
Si votre amour est pur, simple et bien réglé, vous ne serez esclave d'aucune chose.
Ne désirez point ce qu'il ne vous est pas permis d'avoir; renoncez à ce qui occupe trop
votre âme et la prive de sa liberté.
Il est étrange que vous ne vous abandonniez pas à moi du fond du coeur, avec tout ce
que vous pouvez désirer ou posséder.
2.Pourquoi vous consumer d'une vaine tristesse ? Pourquoi vous fatiguer de soins
superflus ?
Demeurez soumis à ma volonté et rien ne pourra vous nuire.
Si vous cherchez ceci ou cela, si vous voulez être ici ou là, sans autre objet que de vous
satisfaire ou de vivre plus selon votre gré, vous n'aurez jamais de repos et jamais vous
ne serez libre d'inquiétude, parce qu'en tout vous trouverez quelque chose qui vous
blesse, et partout quelqu'un qui vous contrarie.
3.A quoi sert donc de posséder et d'accumuler beaucoup de choses au-dehors ? Ce qui
sert, c'est de les mépriser et de les déraciner de son coeur.
Et n'entendez pas ceci uniquement de l'argent et des richesses, mais encore de la
poursuite des honneurs et du désir des vaines louanges, toutes choses qui passent avec
le monde.
Nul lieu n'est un sûr refuge si l'on manque de l'esprit de ferveur; et cette paix qu'on
cherche au-dehors ne durera guère si le coeur est privé de son véritable appui,
c'est-à-dire si vous ne vous appuyez pas sur moi. Vous changerez, et ne serez pas
mieux.
Car entraîné par l'occasion qui naîtra, vous trouverez ce que vous aurez fui, et pis
encore.
4.Prière pour obtenir la pureté du coeur et la sagesse céleste. Le fidèle: Soutenez-moi, Seigneur, par la grâce de l'Esprit-Saint.
Fortifiez-moi intérieurement de votre vertu, afin que je bannisse de mon coeur toutes
les sollicitudes vaines qui le tourmentent, et que je ne sois emporté par le désir
d'aucune chose ou précieuse ou méprisable, mais plutôt qu'appréciant toutes choses ce
qu'elles sont, je voie qu'elles passent et que je passerai aussi avec elles: Car il n'y a
rien de stable sous le soleil; et tout est vanité et affliction d'esprit. Oh ! qu'il est sage,
celui qui juge ainsi !
5.Donnez-moi, Seigneur, la sagesse céleste, afin que j'apprenne à vous chercher et à vous
trouver, à vous goûter et à vous aimer par-dessus tout, et à ne compter tout le reste que
pour ce qu'il est, selon l'ordre de votre sagesse.
Donnez-moi la prudence pour m'éloigner de ceux qui me flattent, et la patience pour
supporter ceux qui s'élèvent contre moi.
Car c'est une grande sagesse de ne se point laisser agiter à tout vent de paroles et de ne
point prêter l'oreille aux perfides discours des flatteurs. C'est ainsi qu'on avance
sûrement dans la voie où l'on est entré.
28. Qu'il faut mépriser les jugements humains
1.Jésus-Christ: Mon fils, ne vous offensez point si quelques-uns pensent mal de vous et
en disent des choses qu'il vous soit pénible d'entendre.
Vous devez penser encore plus de mal de vous-même et croire que personne n'est plus
imparfait que vous.
Si vous êtes retiré en vous-même, que vous importeront les paroles qui se dissipent en
l'air ?
Ce n'est pas une prudence médiocre que de savoir se taire au temps mauvais et de se
tourner vers moi intérieurement, sans se troubler des jugements humains.
2.Que votre paix ne dépende point des discours des hommes; car, qu'ils jugent de vous
bien ou mal, vous n'en demeurez pas moins ce que vous êtes. Où est la véritable paix et
la gloire véritable ? n'est-ce pas en moi ?
Celui qui ne désire point de plaire aux hommes et qui ne craint point de leur déplaire,
jouira d'une grande paix.
De l'amour déréglé et des vaines craintes naissent l'inquiétude du coeur et la dissipation
des sens.
29. Comment il faut invoquer et bénir Dieu dans l'affliction
1.Le fidèle: Que votre nom soit béni à jamais, Seigneur, qui avez voulu m'éprouver par
cette peine et cette tentation.
Puisque je ne saurais l'éviter, qu'ai-je à faire que de me réfugier vers vous, pour que
vous me secouriez, et qu'elle me devienne utile ?
Seigneur, voilà que je suis dans la tribulation; mon coeur malade est tourmenté par la
passion qui le presse.
Et maintenant que dirai-je ? Ô Père plein de tendresse ! les angoisses m'ont environné.
Délivrez-moi de cette heure.
Mais cette heure est venue pour que vous fassiez éclater votre gloire, en me délivrant
après m'avoir humilié profondément.
Daignez, Seigneur, me secourir; car, pauvre créature que je suis, que puis-je faire et où
irais-je sans vous ?
Seigneur, donnez-moi la patience encore cette fois. Soutenez-moi, mon Dieu, et je ne
craindrai point, quelque pesante que soit cette épreuve.
2.Et maintenant que dirai-je encore ? Seigneur, que votre volonté se fasse. J'ai bien
mérité de sentir le poids de la tribulation.
Il faut donc que je le supporte: faites, mon Dieu, que ce soit avec patience, jusqu'à ce
que la tempête passe et que le calme revienne.
Votre main toute puissante peut éloigner de moi cette tentation et en modérer la
violence, afin que je ne succombe pas entièrement, comme vous l'avez déjà tant de fois
fait pour moi, ô mon Dieu, ma miséricorde !
Et autant ce changement m'est difficile, autant il vous l'est peu: c'est l'oeuvre de la
droite du Très-Haut.
30. Qu'il faut implorer le secours de Dieu, et attendre avec confiance le
retour de sa grâce
1.Jésus-Christ: Mon fils, je suis le Seigneur, c'est moi qui fortifie au jour de la
tribulation.
Venez à moi quand vous souffrirez.
Ce qui surtout éloigne de vous les consolations célestes, c'est que vous recourez trop
tard à la prière.
Car avant de me prier avec instance, vous cherchez au-dehors du soulagement et une
multitude de consolations.
Mais tout cela vous sert peu, et il vous faut enfin reconnaître que c'est moi seul qui
délivre ceux qui espèrent en moi, et que hors de moi il n'est point de secours efficace,
point de conseil utile, point de remède durable.
Mais à présent que vous commencez à respirer après la tempête, ranimez-vous à la
lumière de mes miséricordes; car je suis près de vous, dit le Seigneur, pour vous rendre
tout ce que vous avez perdu et beaucoup plus encore.
2.Y-a-t'il rien qui me soit difficile ? ou serais-je semblable à ceux qui disent et ne font
pas ?
Où est votre foi ? Demeurez ferme et persévérez.
Ne vous lassez point, prenez courage; la consolation viendra en son temps.
Attendez-moi, attendez: Je viendrai, et je vous guérirai.
Ce qui vous agite est une tentation et ce qui vous effraie est une crainte vaine.
Que vous revient-il de ces soucis d'un avenir incertain, sinon tristesse sur tristesse ? A
chaque jour suffit son mal.
Quoi de plus insensé, de plus vain, que de se réjouir ou de s'affliger de choses futures
qui n'arriveront peut-être jamais !
3.C'est une suite de la misère humaine d'être le jouet de ces imaginations et la marque
d'une âme encore faible, de céder si aisément aux suggestions de l'ennemi.
Car peu lui importe de nous séduire et de nous tromper par des objets réels ou par de
fausses images, et de nous vaincre par l'amour des biens présents ou par la crainte des
maux à venir.
Que votre coeur donc ne se trouble point, et ne craigne point.
Croyez en moi, et confiez-vous en ma miséricorde.
Quand vous croyez être loin de moi, souvent c'est alors que je suis le plus près de vous.
Lorsque vous croyez tout perdu, ce n'est souvent que l'occasion d'un plus grand mérite.
Tout n'est pas perdu, quand le succès ne répond pas à vos désirs.
Vous ne devez pas juger selon le sentiment présent ni vous abandonner à aucune
affliction, quelle qu'en soit la cause, et vous y enfoncer comme s'il ne vous restait nulle
espérance d'en sortir.
4.Ne pensez pas que je vous aie tout à fait délaissé lorsque je vous afflige pour un temps,
ou que je vous retire mes consolations; car c'est ainsi qu'on parvient au royaume des
cieux.
Et certes, il vaut mieux pour vous et pour tous mes serviteurs être exercés par des
traverses, que de n'éprouver jamais aucune contrariété.
Je connais le secret de votre coeur et je sais qu'il est utile pour votre salut que vous
soyez quelquefois dans la sécheresse, de crainte qu'une ferveur continue ne vous porte
à la présomption et que par une vaine complaisance en vous-même, vous ne vous
imaginiez être ce que vous n'êtes pas.
Ce que j'ai donné, je puis l'ôter et le rendre quand il me plaît.
5.Ce que je donne est toujours à moi; ce que je reprends n'est point à vous, car c'est de
moi que découle tout bien et tout don parfait.
Si je vous envoie quelque peine et quelque contradiction, n'en murmurez pas, et que
votre coeur ne se laisse point abattre; car je puis en un moment vous délivrer de ce
fardeau et changer votre tristesse en joie.
Et lorsque j'en use ainsi avec vous, je suis juste et digne de toute louange.
6.Si vous jugez selon la sagesse et la vérité, vous ne devez jamais vous affliger avec tant
d'excès dans l'adversité, mais plutôt vous en réjouir et m'en rendre grâces.
Et même ce doit être votre unique joie que je vous frappe sans vous épargner.
Comme mon Père m'a aimé, moi aussi je vous aime, ai-je dit à mes disciples en les
envoyant, non pour goûter les joies du monde, mais pour soutenir de grands combats;
non pour posséder les honneurs, mais pour souffrir les mépris; non pour vivre dans
l'oisiveté, mais dans le travail; non pour se reposer, mais pour porter beaucoup de
fruits par la patience. Souvenez-vous, mon fils, de ces paroles.
31. Qu'il faut oublier toutes les créatures pour trouver le Créateur
1.Le fidèle: Seigneur, j'ai besoin d'une grâce plus grande, s'il me faut parvenir à cet état
où nulle créature ne sera un lien pour moi.
Car, tant que quelque chose m'arrête, je ne puis voler librement vers vous.
Il aspirait à cette liberté, celui qui disait: Qui me donnera des ailes comme à la
colombe ? et je volerai et je me reposerai.
Quel repos plus profond que le repos de l'homme qui n'a que vous en vue ? et quoi de
plus libre que celui qui ne désire rien sur la terre ?
Il faut donc s'élever au-dessus de toutes les créatures, se détacher parfaitement de
soi-même, sortir de son esprit, monter plus haut, et là reconnaître que c'est vous qui
avez tout fait, et que rien n'est semblable à vous.
Tandis qu'on tient encore à quelque créature, on ne saurait s'occuper librement des
choses de Dieu.
Et c'est pourquoi l'on trouve peu de contemplatifs, parce que peu savent se séparer
entièrement des créatures et des choses périssables.
2.Il faut pour cela une grâce puissante qui soulève l'âme et la ravisse au-dessus
d'elle-même.
Et tant que l'homme n'est pas élevé ainsi en esprit, détaché de toute créature, et
parfaitement uni à Dieu, tout ce qu'il sait et tout ce qu'il a est de bien peu de prix.
Il sera longtemps faible et incliné vers la terre, celui qui estime quelque chose hors de
l'unique, de l'immense, de l'éternel bien.
Tout ce qui n'est pas Dieu n'est rien, et ne doit être compté pour rien.
Il y a une grande différence entre la sagesse d'un homme que la piété éclaire et la
science qu'un docteur acquiert par l'étude.
La science qui vient d'en haut et que Dieu lui-même répand dans l'âme, est bien
supérieure à celle où l'homme parvient laborieusement par les efforts de son esprit.
3.Plusieurs désirent s'élever à la contemplation; mais ce qu'il faut pour cela, ils ne le
veulent point faire.
Le grand obstacle est qu'on s'arrête à ce qu'il y a d'extérieur et de sensible, et que l'on
s'occupe peu de se mortifier véritablement.
Je ne sais ce que c'est, ni quel esprit nous conduit, ni ce que nous prétendons, nous
qu'on regarde comme des hommes tout spirituels, de poursuivre avec tant de travail et
de souci des choses viles et passagères, lorsque si rarement nous nous recueillons pour
penser sans aucune distraction à notre état intérieur.
4.Hélas ! à peine sommes-nous rentrés en nous-mêmes que nous nous hâtons d'en sortir,
sans jamais sérieusement examiner nos oeuvres.
Nous ne considérons point jusqu'où descendent nos affections et nous ne gémissons
point de ce que tout en nous est impur.
Toute chair avait corrompu sa voie; et c'est pourquoi le déluge suivit.
Quand donc nos affections intérieures sont corrompues, elles corrompent
nécessairement nos actions et dévoilent ainsi toute la faiblesse de notre âme.
Les fruits d'une bonne vie ne croissent que dans un coeur pur.
5.On demande d'un homme: Qu'a-t'il fait ? Mais s'il l'a fait par vertu, c'est à quoi l'on
regarde bien moins.
On veut savoir s'il a du courage, des richesses, de la beauté, de la science, s'il écrit ou
s'il chante bien, s'il est habile dans sa profession; mais on ne s'informe guère s'il est
humble, doux, patient, pieux, intérieur.
La nature ne considère que le dehors de l'homme; la grâce pénètre au-dedans.
Celle-là se trompe souvent; celle-ci espère en Dieu pour n'être pas trompée.
32. De l'abnégation de soi-même
1.Jésus-Christ: Mon fils, vous ne pouvez jouir d'une liberté parfaite si vous ne vous
renoncez entièrement.
Ils vivent en servitude tous ceux qui s'aiment et qui veulent être à eux-mêmes. On les
voit avides, curieux, inquiets, cherchant toujours ce qui flatte leurs sens et non ce qui
me plaît, se repaître d'illusions et former mille projets qui se dissipent.
Car tout ce qui ne vient pas de Dieu périra.
Retenez bien cette courte et profonde parole: Quittez tout, et vous trouverez tout.
Renoncez à vos désirs, et vous goûterez le repos.
Méditez ce précepte, et quand vous l'aurez accompli, vous saurez tout.
2.Le fidèle: Seigneur, ce n'est pas l'oeuvre d'un jour, ni un jeu d'enfants; cette courte
maxime renferme toute la perfection religieuse.
3.Jésus-Christ: Mon fils, vous ne devez point vous rebuter ni perdre courage lorsqu'on
vous montre la voix des parfaits, mais plutôt vous efforcer de parvenir à cet état
sublime, ou au moins y aspirer de tous vos désirs.
Ah ! s'il en était ainsi de vous ! si vous en étiez venu jusqu'à ne plus vous aimer
vous-même, soumis à moi sans réserve, et au supérieur que je vous ai donné, alors
j'arrêterais sur vous mes regards avec complaisance et tous vos jours passeraient dans
la paix et dans la joie.
Il vous reste encore bien des choses à quitter, et à moins que vous n'y renonciez
entièrement pour moi, vous n'obtiendrez point ce que vous demandez.
Ecoutez mes conseils et, pour acquérir de vraies richesses, achetez de moi l'or éprouvé
par le feu, c'est-à-dire la sagesse céleste qui foule aux pieds toutes les choses d'ici-bas.
Qu'elle vous soit plus chère que la sagesse du siècle et que tout ce qui plaît aux
hommes ou nous plaît en nous-mêmes.
4.Je vous le dis: échangez ce qu'il y a de grand et de précieux dans les choses humaines
contre une chose vile.
Car on regarde comme petite et vile, et l'on oublie presque entièrement cette sagesse du
ciel, la seule vraie, qui ne s'élève point en elle-même et qui ne cherche point à être
admirée sur la terre. Plusieurs ont ses louanges à la bouche: mais ils s'éloignent d'elle
par leur vie. C'est cependant cette perle précieuse qui est cachée au plus grand nombre.
33. De l'inconstance du coeur, et que nous devons tout rapporter à Dieu
comme à notre dernière fin
1.Mon fils, ne vous reposez point sur ce que vous sentez en vous; maintenant vous êtes
affecté d'une certaine manière, vous le serez d'une autre le moment d'après.
Tant que vous vivrez, vous serez sujet au changement, même malgré vous; tour à tour
triste et gai, tranquille et inquiet, fervent et tiède; tantôt actif, tantôt paresseux, tantôt
grave, tantôt léger.
Mais l'homme sage et instruit dans les voies spirituelles s'élève au-dessus de ces
vicissitudes. Il ne considère point ce qu'il éprouve en soi, ni de quel côté l'incline le
vent de l'inconstance; mais il arrête toute son attention sur la fin bienheureuse à
laquelle il doit tendre.
C'est ainsi qu'au milieu de tant de mouvements divers, fixant sur moi seul ses regards,
il demeure inébranlable et toujours le même.
2.Plus l'oeil de l'âme est pur et son intention droite, moins on est agité par les tempêtes.
Mais cet oeil s'obscurcit en plusieurs, parce qu'il se tourne vers chaque objet agréable
qui se présente.
Car il est rare de trouver quelqu'un tout à fait exempt de la honteuse recherche de
soi-même.
Ainsi autrefois les Juifs vinrent à Béthanie chez Marthe et Marie, non pour Jésus seul,
mais pour voir Lazare.
Il faut donc purifier l'intention afin que, simple et droite, elle se dirige constamment
vers moi, sans s'arrêter jamais aux objets inférieurs.
34. Qu'on ne saurait goûter que Dieu seul, et qu'on le goûte en toutes
choses, quand on l'aime véritablement
1.Le fidèle: Voilà mon Dieu et mon tout ! Que voudrai-je de plus ? et quelle plus grande
félicité puis-je désirer ?
Ô ravissante parole ! mais pour celui qui aime Jésus, et non pas le monde, ni rien de ce
qui est du monde.
Mon Dieu et mon tout, c'est assez dire à qui l'entend, et le redire sans cesse est doux à
celui qui aime.
Vous présent, tout est délectable; en votre absence, tout devient amer.
Vous donnez au coeur le repos, et une profonde paix, et une joie inénarrable.
Vous faites que, content de tout, on vous bénit de tout. Au contraire, rien sans vous ne
peut plaire longtemps, et rien n'a d'attrait ni de douceur sans l'impression de votre grâce
et l'onction de votre sagesse.
2.Que ne goûtera point celui qui vous goûte, et que trouvera d'agréable celui qui ne vous
goûte point ?
Les sages du monde, qui n'ont de goût que pour les voluptés de la chair, s'évanouissent
dans leur sagesse, car on ne trouve là qu'un vide immense, que la mort.
Mais ceux qui, pour vous suivre, méprisent le monde et mortifient la chair, se montrent
vraiment sages, car ils quittent le mensonge pour la vérité, et la chair pour l'esprit.
Ceux-là savent goûter Dieu; et tout ce qu'ils trouvent de bon dans les créatures, ils le
rapportent à la louange du Créateur.
Rien pourtant ne se ressemble moins que le goût du Créateur et celui de la créature, du
temps et de l'éternité, de la lumière incréée et de celle qui n'en est qu'un faible reflet.
3.Ô lumière éternelle ! infiniment élevée au-dessus de toute lumière créée, qu'un de vos
rayons, tel que la foudre, parte d'en haut et pénètre jusqu'au fond le plus intime de mon
coeur.
Purifiez, dilatez, éclairez, vivifiez mon âme et toutes ses puissances, pour qu'elle
s'unisse à vous dans des transports de joie.
Oh ! quand viendra cette heure heureuse, cette heure désirable où vous me rassasierez
de votre présence, où vous me serez tout en toutes choses ?
Jusque-là je n'aurai point de joie parfaite.
Hélas ! le vieil homme vit encore en moi: il n'est pas tout crucifié, il n'est pas mort
entièrement.
Ses convoitises combattent encore fortement contre l'esprit; il excite en moi des guerres
intestines et ne souffre point que l'âme règne en paix.
4.Mais vous qui commandez à la mer et qui calmez le mouvement des flots, levez-vous,
secourez-moi.
Dissipez les nations qui veulent la guerre, et brisez-les dans votre puissance.
Faites, je vous en conjure, éclater vos merveilles, et signalez la force de votre bras, car
je n'ai point d'autre espérance ni d'autre refuge que vous, ô mon Dieu !
35. Qu'on est toujours, durant cette vie, exposé à la tentation
1.Jésus-Christ: Mon fils, vous n'aurez jamais de sécurité dans cette vie, mais tant que
vous vivrez, les armes spirituelles vous seront toujours nécessaires.
Vous êtes environné d'ennemis: ils vous attaquent à droite et à gauche.
Si vous ne vous couvrez donc de tous côtés du bouclier de la patience, vous ne serez
pas longtemps sans blessures.
Si de plus votre coeur ne se fixe pas irrévocablement en moi, avec la ferme volonté de
tout souffrir pour mon amour, vous ne soutiendrez jamais la violence de ce combat, et
vous n'obtiendrez point la palme des bienheureux.
Il faut donc passer à travers tous les obstacles et lever un bras tout-puissant contre tout
ce qui s'oppose à vous.
Car la manne est donnée aux victorieux, et une grande misère est le partage du lâche.
2.Si vous cherchez le repos en cette vie, comment parviendrez-vous au repos éternel ?
Ne vous préparez pas à beaucoup de repos, mais à beaucoup de patience.
Cherchez la véritable paix, non sur la terre, mais dans le ciel; non dans les hommes ni
dans aucune créature, mais en Dieu seul.
Vous devez supporter tout avec joie pour l'amour de Dieu: les travaux, les douleurs,
les tentations, les persécutions, les angoisses, les besoins, les infirmités, les injures, les
médisances, les reproches, les humiliations, les affronts, les corrections, le mépris.
C'est là ce qui exerce à la vertu, ce qui éprouve le nouveau soldat de Jésus-Christ, ce
qui forme la couronne céleste.
Pour un court travail, je donnerai une récompense éternelle, et une gloire infinie pour
une humiliation passagère.
3.Pensez-vous que vous aurez toujours, selon votre désir, les consolations spirituelles ?
Mes saints n'en ont pas joui constamment, mais ils ont eu beaucoup de peines, des
tentations diverses, de grandes désolations.
Et se confiant plus en Dieu qu'en eux-mêmes, ils se sont soutenus par la patience au
milieu de toutes ces épreuves, sachant que les souffrances du temps n'ont nulle
proportion avec la gloire future qui doit en être le prix.
Voulez-vous avoir dès le premier moment ce que tant d'autres ont à peine obtenu après
beaucoup de larmes et d'immenses travaux ?
Attendez le Seigneur, combattez avec courage, soyez ferme, ne craignez point, ne
reculez point, mais exposez généreusement votre vie pour la gloire de Dieu.
Je vous récompenserai pleinement, et je serai avec vous dans toutes vos tribulations.
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